L’art dans les Pays-Bas
L’ART DANS LES PAYS-BAS[1].
Dès le septième, mais surtout à partir du huitième siècle, plusieurs grands monastères des Pays-Bas étaient des centres importants de civilisation et de culture intellectuelle. Citons notamment les célèbres abbayes d’Echternach, de Stavelot, Fosses, Saint-Trond, Lobbes, Tournai, Cambrai, Gand, Liège et Cologne.
L’église de Maeseyck conserve encore deux Évangéliaires manuscrits, ornés d’enluminures et de miniatures dont l’exécution est assez remarquable. Elles sont l’œuvre de deux saintes religieuses, Harlinde et Relinde, qui furent élevées dans l’abbaye Bénédictine de Valenciennes, et fondèrent le couvent d’Aldeneyck dont elles ont été les premières abbesses. Toutefois ce fut Charlemagne qui donna la première grande impulsion aux arts. Il réunit autour de lui des artistes qu’il avait fait venir de Constantinople, de l’Italie et de l’Angleterre, pour orner les palais qu’il s’était fait construire à Nimègue et à Aix-la-Chapelle. Il établit même une école d’art attachée à sa cour, et en 807 il ordonna non seulement que les églises devraient être ornées de peintures, mais il nomma en outre des inspecteurs pour veiller à la stricte observation de ses ordres. Les Chroniques monastiques des dixième, onzième et douzième siècles constatent l’exécution de beaucoup de peintures murales. Signalons celle représentant un miracle de S. Martin de Tours, qui était encore conservée au dix-septième siècle dans l’église placée sous le vocable de ce saint à Liège.
Les empereurs Othon II et Othon III (922-1002) employèrent à leur cour plusieurs artistes Byzantins. L’un d’eux, nommé Jean, orna de peintures murales les églises Carolingiennes d’Aix-la-Chapelle et le chœur de l’abbaye de Saint Jacques à Liège. Toutes ces peintures ont disparu ; mais dans plusieurs œuvres d’art de cette époque qui ont échappé à la destruction, on aperçoit une forte influence Byzantine ; quelques-unes, telles que les plaques d’ivoire des églises de Liège et de Tongres, n’ont peut-être pas été exécutées dans les Pays-Bas ; mais d’autres, tels que le monile en cristal, de roche du roi Lothaire, conservé au musée Britannique, les émaux de la châsse de Saint Marc à Huy, le diptyque de Genoels-Elderen au musée de Bruxelles, et l’Évangéliaire de Stavelot, à la Bibliothèque royale, ont certainement eu leur origine dans le pays. Un grand nombre de manuscrits exécutés dans les monastères de ces régions permettent de suivre le développement de l’art durant cette période.
Jusque vers la fin du douzième siècle, l’art resta, dans les Pays-Bas, presque entièrement sous le contrôle des ordres monastiques[2].
Les abbayes et même quelques prieurés avaient réuni autour d’eux un grand nombre d’ouvriers qui travaillaient pour les moines et sous leur direction. Ces monastères possédaient toujours deux écoles : l’une dans laquelle il était procédé à l’éducation des novices et à leur instruction dans les arts et sciences, l’autre dans laquelle on enseignait les métiers aux gens qui dépendaient de l’abbaye.
Les documents prouvent à toute évidence que ces derniers, vivant sous la protection des abbés, se comptaient par centaines et parfois par milliers. Ils formaient des associations travaillant non seulement pour les moines mais aussi, sous les lois d’un règlement sévère, pour le dehors. Vers la fin du douzième siècle, il se produisit un grand changement, amené par le développement des communes.
Aussitôt qu’une ville se formait, les habitants qui pratiquaient un métier, ou un ou deux métiers ayant des rapports entre eux, se réunissaient en une corporation, afin de pouvoir mieux sauvegarder leurs intérêts communs ces associations se développèrent graduellement, et quand les souverains accordèrent aux communes des chartes, ces corporations à leur tour en obtinrent des municipalités. Le premier acte d’une commune nouvellement reconnue, était de bâtir un beffroi et ensuite un hôtel de d’autres bâtiments publics devinrent aussitôt nécessaires, et, à mesure que les habitants voyaient s’accroître leur puissance et leur prospérité, ils remplaçaient leurs maisons en bois par des constructions plus durables, en brique ou en pierre.
Ceux qui s’adonnaient à un métier artistique, s’aperçurent bientôt qu’il n’était pas nécessaire, pour vivre en paix, de demeurer sous la protection d’un monastère et un grand nombre d’entre eux gagnèrent les villes. Là, ils se rendirent rapidement compte que la position de travailleur indépendant n’était guère tenable et que pour arriver au succès ils devaient s’affilier à l’une ou l’autre des corporations existantes. C’est ainsi que dans beaucoup de villes on vit des sculpteurs s’unir aux maçons et aux charpentiers, tandis que les peintres s’alliaient aux verriers et aux selliers.
Ces associations, formées d’abord pour protéger les intérêts temporels de leurs membres, avaient en même temps un côté religieux, les membres s’étant obligés de contribuer aux fonds d’une gilde en l’honneur d’un saint choisi comme patron de la corporation.
Pendant le treizième siècle, quelques monastères peu nombreux, tels que l’abbaye de Notre Dame des Dunes, près de Furnes, appartenant à l’ordre de Cîteaux, et l’abbaye Bénédictine de Saint Hubert, dans les Ardennes, conservèrent un corps d’ouvriers artistes : mais le nombre de ceux-ci diminua graduellement et depuis le quatorzième siècle les industries artistiques ne fleurirent plus que dans les villes où ceux qui les pratiquaient faisaient partie d’une corporation à charte.
Nul homme exerçant un métier déjà monopolisé par une corporation, ne pouvait travailler dans une ville moyennant salaire, à moins d’être bourgeois par droit de naissance ou d’avoir acheté le droit de bourgeoisie, et sous condition d’être membre de la dite corporation. Comme tel, il obtenait une position reconnue, mais il était soumis à des règles étroites et strictes.
Un peintre ne se considérait jamais et n’était jamais considéré par le public comme étant supérieur à un homme d’un autre métier. Ce ne fut que lorsque l’art commença à dégénérer que les peintres se donnèrent un de supériorité. Pendant la glorieuse époque du moyen âge, ils étaient payés pour leur ouvrage comme tous les autres ouvriers. Leur travail devait être consciencieux et honnête, exécuté en bons matériaux, — les maîtres de la corporation y tenaient la main, — et chacun s’efforçait de rendre son œuvre aussi belle que possible.
L’ancien avertissement : Caveat emptor, devint inutile, en tant qu’appliqué aux membres des corporations d’art ; il ne redevint nécessaire que lorsque les peintres et les sculpteurs s’émancipèrent de tout contrôle, sauf de celui des cours de justice celles-ci étaient d’ailleurs et sont encore bien incompétentes pour juger semblables matières. Les corporations prirent des mesures pour assurer l’instruction de leurs membres. Un compagnon devait être, pendant un certain nombre d’années, l’apprenti d’un maître qui était responsable de son instruction technique ainsi que de sa fidélité aux devoirs civils et religieux. L’apprenti vivait avec son maître, devait le servir et lui obéir. Celui-ci, en échange, devait lui donner une instruction complète en tout ce qui concernait son métier, lui enseigner à préparer son panneau ou sa toile, à établir les fonds, à mélanger ses couleurs et à faire ses vernis. Son apprentissage terminé, le jeune homme devenait un journalier et pouvait travailler chez tel maître qui lui plaisait, soit dans sa propre ville, soit partout ailleurs. Après, il se présentait devant les chefs de la corporation afin d’être admis au rang de maître peintre. Il était obligé de donner la preuve de ses connaissances techniques et d’exécuter une peinture. Il devait ensuite déclarer vouloir obéir aux règlements de la corporation et promettre devant Dieu que son travail serait bon, honnête et bien exécuté. Alors, après paiement de certaines taxes, dont le montant variait selon qu’il était le fils d’un étranger ou d’un maître peintre, il devenait membre effectif de la corporation, possédant le droit de participer à l’élection annuelle des chefs ; mais quoiqu’étant franc maître, il restait sa vie durant sous le contrôle du doyen et des jurés de la corporation, qui pouvaient à toute heure pénétrer dans sa boutique et saisir les mauvais matériaux, tels les panneaux avec nœuds, l’or, l’argent, l’azur ou le sinople de qualités inférieures. Ces matériaux saisis étaient confisqués et détruits, et leur possesseur puni. Si une contestation s’élevait entre un peintre et son patron, les chefs de la corporation étaient appelés à trancher le différend, à apprécier la valeur du travail, et, dans le cas où un contrat existait antérieurement, de dire si cette convention avait été exécutée honnêtement, si l’ouvrage fourni était conforme aux conditions y énoncées. Le peintre d’une œuvre mal finie ou peu honnêtement exécutée était traduit devant les magistrats et sévèrement puni. Mais si, au contraire, l’ouvrage était trouvé meilleur que ne le comportait le prix convenu, l’acheteur mécontent avait à payer la différence entre ce prix et la valeur réelle, ainsi que les frais de justice.
Les corporations artistiques augmentèrent en puissance pendant le quatorzième siècle, mais n’atteignirent le summum de leur importance que vers le milieu du quinzième siècle. Vers cette époque, les délégués de toutes les corporations de peintres des Pays-Bas se rencontraient, tous les trois ans, dans l’une ou l’autre ville où ils passaient plusieurs jours à discuter des questions d’intérêt général et à se communiquer les découvertes et les perfectionnements introduits dans les méthodes pratiques.
Ces réunions périodiques expliquent l’uniformité remarquable dans les procédés employés dans les Pays-Bas et prouvent que, jusqu’au milieu du seizième siècle, il n’y avait en définitive qu’une seule école, dont le nom ancien et réel est « École Néerlandaise », et non pas seulement « École Flamande » ; car, pour autant que nous le sachions aujourd’hui, les Flandres, durant le quinzième siècle, n’eurent que très peu de peintres d’un grand mérite et les plus distingués d’entre eux étaient fils de Limbourgeois, de Hollandais ou de Wallons.
Je vais tâcher, dans l’espace restreint dont je dispose, de tracer une brève esquisse de l’histoire de l’École Néerlandaise depuis le début du treizième siècle.
I. — LES PRIMITIFS.
Tout au commencement de cette glorieuse époque, Wolfram van Eschenbach, dans un poème écrit avant 1215, fait mention de Maastricht et de Cologne, comme de deux cités dans lesquelles l’art de la peinture était dans un état florissant. Nous avons la preuve de l’exécution, pendant ce siècle et les deux suivants, de plusieurs grandes peintures morales.
Les plus anciennes peintures sur panneaux mobiles qu’on ait retrouvées, sont celles qui ornent la châsse en bois de Sainte Odile, l’une des compagnes de Sainte Ursule ; elles furent peintes en 1292, à Huy ou à Liège, et découvertes par l’auteur de ces lignes en octobre 1863. Elles représentent une série d’épisodes de sa vie, peints sur fond uni rouge ou vert ; les compositions sont simples et constituent une représentation claire et exacte de l’épisode dont il est question la facture est bonne ; les figures toutefois sont un peu courtes, ce qui est caractéristique chez les peintres du pays Mosan[3].
Les autres tableaux de l’École primitive, en suivant l’ordre chronologique sont :
1°. Un retable d’autel représentant le Christ en croix, entre la Sainte Vierge et Saint Jean, avec le donateur Henri van Rhijn, prévôt et archidiacre de l’église Saint Jean à Utrecht, agenouillé au pied de la Croix. Ce tableau, peint sur fond d’or gaufré, et entouré d’un cadre doré, plat, orné d’imitations de pierres précieuses, a été exécuté en 1363. Il est actuellement conservé au musée d’Anvers.
2° Les volets d’un grand retable sculpté, peints par Melchior Broederlam d’Ypres, peintre officiel de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, de 1382 à 1401. Les sujets traités sont l’Annonciation, la Visitation, la Présentation, la Fuite en Égypte ; les figures sont individualisées et montrent un sentiment très délicat.
3°. Le triptyque quadrilobé exposé ici (2)[4] et qui représente la Très Sainte Trinité et les quatre Évangélistes.
4° Les volets du tabernacle qui abrite la statuette de la Vierge-Mère (3).
5° Un tableau (1) provenant de l’Hospice Belle à Ypres.
6° Un Calvaire avec des figures de Sainte Barbe et Sainte Catherine, peint vers 1400, pour la corporation des Tanneurs de Bruges. Ce tableau (4), peint sur fond d’or gaufré, est une meilleure œuvre. La figure de la Sainte Vierge, qui est soutenue par deux saintes femmes, est très noble, et les figures des différents personnages sont très animées.
II. — LES VAN EYCK.
Le quinzième siècle vit se produire un immense développement dans l’art de la peinture aux Pays-Bas, développement provenant de la découverte faite par les van Eyck, natifs de Maeseyck, petite ville située sur la Meuse, en aval de Maastricht. Les autorités les plus compétentes s’accordent généralement à dire que Hubert van Eyck était né vers 1370 et Jean vers 1390, et que leur découverte d’un nouveau procédé de peinture à l’huile est antérieure à 1415.
Il est évident que la peinture à l’huile était depuis longtemps en usage, au moins depuis le douzième siècle, puisque Théophile en décrit le procédé ; mais il n’était employé que d’une façon peu développée et pour des ouvrages de qualité inférieure. Il n’est pas douteux que des perfectionnements y furent apportés, et il est possible qu’il ait été fait un usage partiel de la peinture à l’huile dans certains panneaux, tels que ceux de Broederlam, à Dijon, et le Calvaire (4) de la Corporation des Tanneurs. Mais, de toute façon, la simplification et l’achèvement du procédé sont dus aux van Eyck. Leur découverte produisit de grands changements. Jusque vers cette époque, la peinture avait été sous la dépendance de l’architecture ; depuis lors elle devenait indépendante. Au lieu de rester confinée dans l’ornementation des murailles, elle eut désormais pour but de créer une illusion grâce au perfectionnement de la perspective linéaire et aérienne, de faire oublier au spectateur l’existence d’une surface plane. L’art pictural devenait un imitateur direct, ou, par idéalisation, un rival de la nature.
On ne sait ni où les van Eyck apprirent leur art, ni qui leur enseigna ; il est possible que ce fût à Maastricht ou à Cologne. Il paraît certain que Hubert au moins, pour se perfectionner, visita le midi de l’Europe ; tout porte à croire qu’il séjourna même quelque temps dans le Nord de l’Italie et qu’il s’y inspira des peintures de Giotto. On ne sait quand il vint en Flandre. On peut admettre que ce fut avant 1410. Il était certainement établi à Gand en 1424, et cela probablement depuis bien des années ; il y mourut le 18 septembre 1426.
On ne connaît que deux tableaux qui puissent lui être attribués avec certitude : 1°. le volet de retable représentant Robert Poortier, bourgeois de Gand, priant à genoux sous la protection de Saint Antoine, volet de droite d’un tableau qui ornait autrefois l’autel de Saint Antoine dans l’église de Saint Sauveur à Gand. Il est actuellement conservé au musée de Copenhague, où il est étrangement accouplé à un autre panneau représentant la Sainte-Famille et peint par un imitateur de van Dyck ;
2°. mais seulement en partie, le célèbre retable de la cathédrale de Gand, représentant l’Adoration de l’Agneau. On ne sait pas quelle année Hubert fut chargé de l’exécution de cette grande œuvre ; mais il est évident qu’il devait avoir donné déjà des preuves de son talent pour que Josse Vydt se soit adressé à lui plutôt qu’à un autre. Nos recherches quant à la durée du temps qu’il lui a fallu pour composer, dessiner et peindre ce retable nous ont donné la conviction qu’il doit y avoir travaillé pendant au moins dix années. Il est donc probable qu’il l’aura entrepris vers 1415. Déjà en 1413 Jean de Visch, seigneur d’Axel et de La Chapelle, et grand bailli de Flandre, avait légué un tableau, peint par maître Hubert, à sa fille Marie, religieuse bénédictine au couvent de Bourbourg, dont elle devint plus tard abbesse.
Pour reconnaître les œuvres sorties de la main de Hubert van Eyck, il faut, en l’absence de documents écrits, prendre comme critérium les deux œuvres authentiques que nous venons de mentionner. C’est en suivant ce système qu’on est arrivé à lui attribuer un certain nombre de tableaux. Mentionnons la visite des trois Maries au sépulcre, exposée ici sous le no 7, le petit Calvaire du musée de Berlin, et la Fontaine des eaux vives, jadis à la cathédrale de Palencia, tableau perdu, mais dont une copie ancienne, provenant du couvent de Santa Maria de Parral, est conservée au musée du Prado, à Madrid. Il faut y ajouter le Saint François d’Assise, appartenant à M. Johnson de Pensylvanie, aux États-Unis (autrefois à Lord Heytesbury), dont une réplique se trouve au musée de Turin.
Nous devons appeler spécialement l’attention sur la présence de la palmette (chamaerops humilis) dans les paysages de ces trois tableaux, (cette plante ne se rencontre pas dans les œuvres signées de Jean van Eyck) et sur l’identité de l’architecture qu’on remarque au fond du Calvaire de Berlin et sur le tableau (7) de Sir Frederick Cook.
Deux autres œuvres peuvent être attribuées à Hubert la première nous montre la Sainte Vierge avec l’Enfant, Sainte Anne, Sainte Barbe et le père Herman Steenken, vicaire de la Chartreuse de Sainte-Anne ter Woestine lez Bruges de 1402 à 1404, et de 1406 jusqu’à sa mort, arrivée le 23 avril 1428. Ce tableau appartient aujourd’hui à M. le baron G. de Rothschild à Paris. Le portique dans lequel les ligures mentionnées sont placées est d’une architecture de théâtre, dont les détails sont inspirés par l’Italie ; la statuette du dieu Mars, dans la tour derrière Sainte Barbe, doit être la reproduction d’un bronze classique. Ce tableau ne peut avoir été peint qu’à Bruges, entre 1406 et 1420, probablement vers 1415. — La seconde œuvre que nous avons en vue, c’est la Sainte Vierge avec l’Enfant Jésus et le chancelier Rolin. Ce tableau est conservé au musée du Louvre.
Nous ne savons rien de la jeunesse de Jean van Eyck. Un tableau signé, daté du 30 octobre 1421, représentant l’Intronisation de Saint Thomas de Cantorbéry, et que l’on dit avoir été donné à Henri VI par son oncle Jean, duc de Bedford, constitue actuellement la pièce la plus ancienne due au pinceau du plus jeune des deux frères. Malheureusement ce tableau et entièrement repeint.
Le premier patron connu de Jean van Eyck fut Jean de Bavière, qui le prit à son service en qualité de peintre et de chambellan, probablement, vers 1420 ou 1421. Le peintre lut employé, à la Haye, à la décoration du palais de son Mécène, depuis le 24 octobre 1422 jusqu’au 11 septembre 1424. En 1425, il était à Bruges et il entra au service de Philippe, duc de Bourgogne, le 19 mai. En août, il se rendit à Lille. En 1426, le duc lui confia à deux reprises des missions confidentielles. En 1428, il fut envoyé, à la suite de Jean, seigneur de Roubaix, en Portugal, pour y faire le portrait de l’Infante Isabelle. Ils quittèrent Bruges le 19 octobre, touchèrent à Sandwich le jour suivant, firent voile le 3 novembre, touchèrent à Falmouth le 25, mirent à la voile de nouveau le 2 décembre et arrivèrent à Lisbonne le 18. Après un court séjour, ils partirent pour Arrayollos et de là, le 12 janvier, pour Aviz ; le matin ils furent reçus à la Cour. Jean van Eyck peignit le portrait de l’Infante, qui fut envoyé au duc Philippe vers le milieu de février, en même temps que les préliminaires d’un contrat de mariage. Pendant qu’ils attendaient la réponse du Duc, les ambassadeurs allèrent d’abord en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle ensuite ils rendirent visite à Jean II, roi de Castille, au duc d’Arjona en Andalousie, et à Mahomet, le roi Maure de Grenade. Ils retournèrent à Lisbonne, en traversant l’Andalousie. Enfin, le consentement de Philippe étant arrivé, ils se rendirent, le 4 juin, à la Cour, à Cintra. Le mariage par procuration fut célébré en juillet. Le 8 octobre la flotte portugaise se mit à la voile. Elle eut à subir du mauvais temps ; les vaisseaux furent forcés de se réfugier dans différents ports et celui qui emportait la fiancée, n’atteignit l’Écluse que le jour de Noël.
Nul doute que pendant son séjour à La Haye, Jean van Eyck ait exercé une influence considérable sur les peintres de Haarlem et des autres villes environnantes, et que durant ses voyages à travers la péninsule ibérique, le nouveau procédé de peinture fût largement vulgarisé. On ne peut guère douter non plus qu’il ait présenté des spécimens de son art aux souverains dont il visita les cours.
Il existe de lui toute une série de tableaux authentiques, datés de 1432 à 1440. Parmi ceux-ci il y en a trois qui ont des fonds de paysage la Sainte Barbe du Musée d’Anvers (11'), le volet de gauche d’un triptyque conservé au Musée de Dresde, et le triptyque prêté à notre Exposition par M. G. Helleputte (14). Les fonds de ces tableaux sont traités d’une manière qui établit une grande différence entre les œuvres de Jean et celles que nous attribuons à Hubert. Les autres tableaux de Jean, quand ce ne sont pas des portraits sur fond uni, représentent des intérieurs.
On a pu réunir ici un certain nombre d’œuvres qui pourraient être comparées entre elles. Ce sont : les volets de la partie supérieure du retable de Gand (9) achevés en 1432 ; le retable du chanoine de Paele (10), 1436 ; la Sainte Barbe du Musée d’Anvers (11*), 1437 ; le superbe portrait de la femme du peintre (12), 1439 ; l’admirable Vierge auprès d’une fontaine (13), 1439 ; et finalement le grand triptyque (14) peint pour l’église de Saint Martin à Ypres, dont la mort du maître empêcha l’achèvement. Mentionnons, en outre, le portrait d’un inconnu (15) sans date, prêté par le Gymnase d’Herrmannstadt.
Comme portraitiste réaliste, Jean van Eyck n’a jamais été surpassé. Les saints, voire même les figures de la Sainte Vierge et de l’Enfant Jésus ne furent que des portraits trop exacts de modèles souvent mal choisis. L’Adam et Eve (9) sont loin d’être de nobles types le Saint George (10) n’est qu’un conscrit vulgaire, qui salue le Christ d’un air niais ; la Vierge est laide et d’un caractère tout à fait mondain ; l’Enfant reproduit un nourrisson rachitique, copié sans altération sur un pauvre petit modèle. Par exception les deux Madones, peintes vers la fin de sa vie (13 et 14), sont d’un type bien plus élevé ; on croirait y reconnaître une influence étrangère, peut-être la réminiscence d’une Vierge peinte par son frère aîné.
Comme portraitiste réaliste, Jean est représenté ici par deux chefs-d’œuvre, auxquels il n’a rien produit de supérieur : le portrait du vieux chanoine de Paele(10), avec son gros visage flasque et rugueux, incontestablement une merveille de dessin physionomique, et celui de sa propre femme (12), admirable comme couleur et remarquable par le soin scrupuleux avec lequel l’artiste a reproduit les moindres détails du costume.
Le seul peintre qui puisse être considéré comme l’élève des van Eyck, et plutôt de Hubert que de Jean, c’est Pierre Christus, natif de Baerle, près de Tilbourg, dans le Brabant septentrional. Il vint à Bruges en 1443, y acheta le droit de bourgeoisie le 6 juillet 1444 et y mourut en 1472. Son œuvre la plus ancienne, le portrait d’Édouard Grimston, envoyé comme ambassadeur au duc de Bourgogne par Henri VI, porte la date de 1446. Une des plus importantes est le panneau (17) prêté par M. le baron Oppenheim. Un admirable portrait, c’est celui (18) qui appartient à M. G. Salting.
III. LES PEINTRES DE HAARLEM.
Je vais tâcher de montrer où sont nés les principaux maîtres de l’école dont les œuvres sont parvenues jusqu’à nous et où ils ont reçu leur instruction artistique.
Les peintres de Haarlem se distinguèrent de bonne heure, surtout par leurs fonds de paysages et par le soin avec lequel ils rendaient les draperies. Le plus ancien d’entre eux, Albert van Ouwater, vivait en 1467. Le musée de Berlin possède la seule œuvre reconnue authentique de ce maître : la Résurrection de Lazare. De son élève, Gérard de Saint-Jean, qui mourut à l’âge de 28 ans, deux œuvres sont conservées au Musée de Vienne : le Christ mort, sur les genoux de sa Mère, avec d’autres figures groupées autour, et des épisodes de la légende de Saint Jean-Baptiste. Le charmant petit panneau (34) prêté par M. Percy Macquoid pourrait bien être de Gérard de Saint-Jean.
Thierry Bouts, qui s’établit à Louvain avant 1449, était le fils d’un peintre de Haarlem, portant le même nom, et sans aucun doute il apprit son art dans sa ville natale. Ses principales œuvres ont été exécutées pour l’Hôtel de Ville et l’église de Saint Pierre à Louvain. Le martyre de Saint Erasme (35) et la Sainte Cène (36) nous ont été prêtés par la fabrique de cette ancienne collégiale. Le dernier tableau a perdu ses volets, qui se trouvent en partie dans le Musée de Munich, en partie dans celui de Berlin. Gérard, fils de Jean, fils de David, d’Oudewater, est un autre Hollandais qui eut une grande influence sur le développement de l’art national. Nous reviendrons sur lui plus tard ; entretemps tournons notre attention d’un autre côté.
IV. LES PEINTRES DE TOURNAI.
Tournai, ville épiscopale, dans laquelle les arts florissaient depuis longtemps, fut la patrie de Robert Campin, peintre, dont on ne connaît aucune œuvre, mais qui eut deux élèves Jacques Daret et Roger De la Pasture. Les tableaux de ces deux artistes et ceux de quelques autres ont été, jusqu’à ces derniers temps, considérés comme l’œuvre de Roger De la Pasture. Actuellement on commence à les distinguer. Jacques Daret fut un des principaux artistes qui s’occupèrent des décorations pour les fêtes de la Toison d’Or et des Noces de Charles le Téméraire, en 1468. Il est également l’auteur des panneaux remarquables provenant de l’abbaye de Flémalle et conservés à l’Institut Staedel à Francfort, ainsi que d’un tableau qui a été en possession de la famille de Mérode, mais qui, prétend-on, a pris la route de l’Amérique. Daret est représenté ici par un triptyque (22) provenant de l’Hospice Saint-Julien à Bruges et appartenant aujourd’hui à l’Institut royal de Liverpool, et par trois autres panneaux (23, 24 et 200).
Roger De la Pasture, mieux connu sous le nom de Van der Weyden, qui n’est que la traduction du premier, avait été pendant plus de cinq ans l’élève de Campin, lorsqu’il fut reçu franc maître par la gilde de Saint Luc, le 1er août 1422. Il se rendit à Bruxelles en 1435, sinon plus tôt, et fut nommé peintre ordinaire de cette ville en 1436. En 1449 il se rendit en pèlerinage à Rome et visita entre autres la ville de Ferrare. Il mourut à Bruxelles en 1464. Il était évidemment plus pieux que Jean van Eyck. Sur ses tableaux les figures des saints sont moins naturalistes, et leur disposition est plus dramatique. Il met dans ses compositions plus d’animation et tend toujours à exprimer la tendresse, la compassion, les sentiments que lui suggèrent ses méditations sur les sujets qu’il veut représenter. Parmi les tableaux nombreux qui lui sont attribués, les suivants doivent être signalés. Un triptyque qui se trouvait dans la Chartreuse de Miraflores, près de Burgos, et le tableau d’autel de l’église de Middelbourg, près de Bruges, peint pour Pierre Bladelin ; ces deux œuvres se trouvent actuellement à Berlin ; une Madone avec SS. Pierre et Jean, Corne et Damien, tableau peint pour Côme de Médicis, actuellement à Francfort ; la Descente de la Croix, anciennement dans la chapelle de Notre Dame hors les murs, à Louvain, et actuellement à Madrid.
V. HUGUES VAN DER GŒS ET JOSSE DE GAND.
On assigne généralement pour lieu de naissance à Hugues Van der Goes, la ville de Gand. Selon toute probabilité, il était originaire de Ter Goes, en Zélande ; il résida à Gand vers 1465 et il resta tantôt dans cette ville, tantôt à Bruges jusqu’en 1476, époque à laquelle, suivant l’exemple de son frère, il entra comme frère lai dans le monastère de l’ordre des Augustins, à Rouge-Cloître, en Brabant ; il y mourut en 1482. La seule de ses œuvres dont l’authenticité soit établie, est un retable d’autel exécuté pour Thomas Portinari, l’agent des Médicis à Bruges et qui fut donné par lui à l’Hôpital Sainte-Marie Nouvelle, à Florence. Comme composition cette peinture est plutôt molle, mais les portraits des donateurs et de leurs enfants sont excellents, pleins de caractère individuel ; ceux-ci et les figures des bergers sont évidemment une reproduction fidèle de la nature. Il fut certainement impressionné par Jean van Eyck, dont il subit l’influence à un plus haut degré que n’importe quel autre maître de l’école.
Bruges n’a conservé qu’une seule de ses œuvres, la Mort de la Sainte Vierge (51), provenant de l’abbaye des Dunes. Ce qui frappe surtout dans cette composition, c’est le sentiment répandu sur les figures ; l’expression du visage de la Vierge est admirable. Le coloris a perdu beaucoup de son harmonie par l’enlèvement des glacis, il y a une trentaine d’années.
Josse van Wassenhove, connu jusqu’ici sous le nom de Juste de Gand[5] fut admis à la maîtrise dans la Gilde de Saint Luc, à Anvers, en 1460. Il acheta, le 6 octobre 1464, la franchise de la Corporation de Gand, sous les auspices de Hugues Van der Goes. En 1474, il se rendit en Italie. L’église de Sainte Agathe à Urbino conserve un tableau de sa main, représentant la Cène.
VI. HANS MEMLINC.
L’Allemagne a vu naître un autre peintre qui est arrivé à une célébrité universelle : Hans Memlinc, qui prit son nom soit du village de Mümling près d’Aschaffenburg, ou de celui de Memelinc dans la Hollande du Nord. Jusqu’ici on n’a trouvé aucune preuve positive ni du lieu ni de la date de sa naissance il est probable cependant qu’il vit le jour entre 1430 et 1435 et qu’il fit son apprentissage chez un peintre de Mayence ou de Cologne.
Nous sommes convaincu qu’il a dû travailler, comme journalier, dans la dernière de ces deux villes, assez longtemps avant de venir dans les Pays-Bas. Le caractère de sa peinture révèle une influence mixte la technique, le coloris, le sentiment surtout qui règne dans ses tableaux ont une affinité remarquable avec les peintures de maître Étienne Lochner et de plusieurs anonymes de l’école colonaise. On y trouve aussi l’influence prononcée de Roger De la Pasture. Guicciardini le dit élève de Roger. Celui-ci avait quitté Tournai en 1435 et s’était établi à Bruxelles. A Cologne il y avait au moins une œuvre de sa main, et Memlinc a pu l’y étudier c’est le triptyque représentant l’Annonciation, la Présentation au Temple et l’Adoration des Mages. Ce tableau est conservé actuellement à la Pinacothèque de Munich, mais il ornait jadis l’église de Sainte Colombe dans la cité rhénane. C’est précisément dans les tableaux où Memlinc a peint les deux derniers sujets que l’influence de Roger se fait sentir.
Roger mourut au mois de juin 1464.
Nous ne savons pas quand Memlinc vint à Bruges, mais ce fut probablement vers 1467. Dans le courant de cette année ou delà suivante, il peignit le portrait (55) du médailleur italien, Nicolas di Forzore Spinelli, qui était au service de Charles le Téméraire comme graveur de sceaux. Vers cette époque, il peignit pour Sir John Donne de Kidwelly, le beau triptyque (56), appartenant au Duc de Devonshire.
Dans la décade suivante, Memlinc exécuta les tableaux importants que voici :
1° Le retable représentant les divers épisodes de la Passion du Christ, qui se trouve aujourd’hui au musée de Turin. Il fut peint pour le célèbre miniaturiste Guillaume Vrelant et sa femme qui, en 1478, le donnèrent à la Gilde des Librairiers.
2° Le triptyque (60) donné à l’hôpital Saint-Jean, par le frère Jean Floreins, achevé en 1479.
3° Le grand retable de l’hôpital Saint-Jean (59), achevé en 1479, si tant est qu’on peut se fier à l’inscription, en bas du cadre, laquelle n’est certes pas primitive, mais est peut-être une copie de l’original.
4° Le retable donné par Pierre Bultinc à la Corporation des Tanneurs, et qui fut placé sur l’autel de leur chapelle, à l’église de Notre Dame, le 2 avril 1480. Il est actuellement conservé à la Pinacothèque de Munich.
5° Les volets du retable des librairiers, commandés à Memlinc en 1478 et achevés en 1480 aujourd’hui perdus.
6° La Sibylle Sambetha (62), tableau daté de 1480.
7° Le triptyque (61) peint pour le frère Adrien Reyns, achevé en 1480.
En 1484, Memlinc exécuta le beau retable (66) donné par Guillaume Moreel à l’église Saint-Jacques.
Le diptyque de Martin van Nieuwenhove (67), et le portrait d’un homme, conservé aux Offices, à Florence, furent achevés en 1487 et la châsse de Sainte Ursule en 1489.
Les tableaux suivants ne peuvent être datés que par comparaison avec les précédents ou avec d’autres tableaux peints pour les mêmes personnages.
1° Les portraits (57, 58) de Thomas Portinari et de Marie, sa femme, datant de 1476 environ.
2° Le tableau d’autel (63), avec le portrait du donateur, probablement peint entre 1475 et 1480.
3° Les portraits (64, 65) de Guillaume Moreel et sa femme, sur deux panneaux qui paraissent être les volets d’un triptyque.
4° Le portrait (70) d’un jeune homme tenant une flèche dorée.
5° Le portrait (71) d’une dame. Celui de son mari se trouve au musée de Berlin.
6° La Madone (72) appartenant au prince de Liechtenstein.
7° Le portrait d’un homme (73) prêté par le musée de La Haye.
8° Les portraits (74, 75) appartenant au Gymnase de Herrmannstadt.
9° Le panneau représentant le Christ mort pleuré par sa Mère, Saint Jean et Sainte Marie-Madeleine (91).
Parmi les tableaux importants dont on n’a pu obtenir le prêt, se trouvent le beau panneau peint avant 1489 pour Jacques Floreins, et les volets d’un triptyque avec les figures de Saint Jean-Baptiste et Sainte Marie-Madeleine, au musée du Louvre la Madone avec un donateur protégé par Saint George, à la Galerie Nationale de Londres, et le triptyque représentant les divers épisodes de la Passion, dont le panneau central est au musée de Pesth et les volets à celui de Vienne ; enfin un autre tableau beaucoup plus grand, et qui représente également un Calvaire, se trouve à l’ancienne cathédrale de Lubeck.
Nous croyons que les tableaux représentant la Madone avec des anges conservés aux Offices de Florence, et aux musées de Vienne et de Woerlitz (79) sont des productions de Louis Boels.
Un autre peintre originaire de l’Allemagne, mais qui à cause de son séjour à Bois-le-Duc, reçut le nom de Jérôme-Bosch (1460-1516), est surtout connu comme peintre de scènes démoniaques. Il fut en réalité un maître distingué. Ses plus importants tableaux sont au musée du Prado à Madrid où ils sont très délicatement peints.
VII. GÉRARD DAVID.
Gérard David, dont nous avons déjà fait mention, naquit à Oudewater. Il doit avoir reçu son instruction dans l’art de la peinture soit à Haarlem, soit dans l’atelier de Thierry Bouts. Il vint s’établir à Bruges en 1483 ou au commencement de l’année suivante. Il fut admis comme maître dans la gilde de Saint Luc le 14 janvier 1484. Les deux plus anciens tableaux de sa main sont le Jugement de Cambyse (121) et l’Écorchement du juge prévaricateur (122) ; ils furent commencés en 1488 et terminés en 1498. La composition et le coloris de ces tableaux, de même que certains détails qu’on y remarque, nous font croire que David doit avoir voyagé en Italie avant de venir à Bruges. Si la manière de poser et de grouper les figures ainsi que le coloris font penser à une influence Vénitienne, les amorini, les guirlandes de fleurs et de fruits et les camées Médicéens prouvent qu’il a passé par Florence.
Dans les premières années du seizième siècle, David peignit pour Richard De Visch de la Chapelle, chantre de la collégiale de Saint Donatien, un tableau qui, jusqu’à l’invasion Française à la fin du dix-huitième siècle, orna l’autel de Sainte Catherine, dans la chapelle de Saint Antoine en cette église. Il se trouve aujourd’hui à la Galerie Nationale de Londres, à proximité du volet de droite d’un triptyque qui ornait l’autel de Saint Jean-Baptiste et de Sainte Marie-Madeleine dans la même église. Il représente le donateur Bernardin de Salviatis priant sous la protection des Saints Donatien, Bernardin et Martin.
Le triptyque remarquable (123), représentant le Baptême du Christ, avec le donateur, Jean des Trompes, ainsi que sa première femme et leurs enfants, fut peint vers 1502 ; l’extérieur des volets doit avoir été peint en 1507 ; on y voit la seconde femme du donateur et sa fille aînée, agenouillées devant la Madone et accompagnées par Sainte Marie-Madeileine.
Le chef-d’œuvre de David (124) fut donné par lui, en 1509, au couvent des Carmélites de Sion à Bruges. Il représentera Sainte Vierge et l’Enfant Jésus avec deux anges, et dix vierges, ainsi que le peintre et sa femme[6].
L’autel de Notre Dame, dans la chapelle collégiale de Grancy-le Château (Côte d’Or), était autrefois orné d’un beau triptyque dû au pinceau de Gérard et représentant l’Assomption ; sur l’extérieur des volets, étaient Saint André et Sainte Catherine. Le Palais municipal de Gênes renferme un autre triptyque dont le panneau central représente la Sainte Vierge avec l’Enfant Jésus, à peu près comme sur le volet de droite du no 123, et en outre Saint Jérôme et un saint abbé de l’ordre de Saint Benoît. Le musée de Vienne conserve un triptyque dont le panneau principal montre Saint Michel triomphant sur les anges rebelles ; les volets, Saint Jérôme, Saint Antoine de Padoue, Saint Sébastien et Sainte Julitte avec le jeune Saint Cyriaque.
David était un admirable enlumineur et miniaturiste ; sa femme et sa fille excellaient aussi dans cet art. La Prédication de Saint Jean et le Baptême du Christ (129) sont de la main de Gérard ; le triptyque (130) est la seule œuvre qu’on puisse attribuer avec certitude à sa femme. Ces trois miniatures proviennent de l’abbaye des Dunes.
Le seul peintre dont on peut affirmer qu’il a été l’élève de David est Adrien Isenbrant. Nous ne savons où il fit son apprentissage ; il vint à Bruges comme journalier. En 1510, il acheta le droit de bourgeoisie et fut admis en qualité de franc maître dans la gilde de Saint Luc. Il exécuta, pour l’église de Saint Basile à Bruges, un tableau d’autel représentant les Noces de Cana. Terminée en 1523 ou 1524, cette œuvre se distingue par une grande force de coloris ; le type des figures et l’arrangement général de la composition ressemblent beaucoup à un travail de David. Mais ce qui domine tout dans ses œuvres, c’est le frappant contraste entre les brillantes couleurs des divers vêtements. Les portraits du donateur et de sa famille sont excellents. IL en existe des répliques à Stockholm et à Moscou. Isenbrant mourut au mois de juillet 1551.
Un maître, dont l’identité n’est pas encore établie, mais qui pourrait bien être cet Adrien Isenbrant, a été fortement influencé par Gérard David. Sa principale œuvre est la Mater dolorosa (178) appartenant à l’église de Notre Dame ; les tableaux 179 à 85 paraissent être de sa main, la figure de Saint Luc (187) pourrait bien être son propre portrait.
VIII. QUENTIN METSYS.
Louvain vit naître, en 1466, Quentin Metsys, qui, plus tard, vécut à Anvers, où il résida jusqu’à sa mort, arrivée en 1530. Ses premières peintures sont remarquables par la clarté de leurs couleurs, la délicatesse de leur exécution et le fini que l’artiste a su mettre dans l’exécution des moindres détails.
Les deux œuvres les plus importantes de ce genre, sont d’abord le tableau d’autel peint pour la Gilde des Menuisiers à Anvers, actuellement au musée de cette ville, et puis la famille de Sainte Anne, autrefois à l’église de Saint Pierre à Louvain et actuellement au musée de Bruxelles. La Galerie Nationale de Londres possède deux belles têtes du Christ et de la Sainte Vierge, d’un sentiment et d’une expression merveilleusement délicats. Des répliques de ces œuvres se trouvent au musée d’Anvers.
Quentin Metsys est peut-être mieux connu comme peintre représentant des changeurs d’argent, des receveurs de taxes municipales ; mais le plus grand nombre des toiles de ce genre sont dues aux pinceaux de son fils Jean Metsys, de Marinus de Romerswael et de Corneille Van der Capelle qui plus tard vécut à Lyon et que ses portraits rendirent célèbre.
IX. ALBERT CORELIS.
Albert Cornelis vécut à Bruges, où il mourut en 1532. Le seul tableau connu comme étant de sa main est le remarquable Couronnement de la Vierge (170) appartenant à l’église de Saint Jacques. Ce tableau a été le sujet d’un procès dont nous avons publié l’histoire dans le premier volume du Beffroi. Il en résulte que Cornelis a dessiné la composition en suivant exactement les indications contenues dans un écrit, traduit du Latin en Flamand, qui lui avait été remis par la Confrérie qui lui avait commandé le tableau. En outre les dépositions des témoins nous font connaître que tout peintre qui acceptait une commande était tenu d’en faire lui-même la composition et de peindre de sa propre main tous les nus, bien et artistement, ainsi que les parties principales, mais qu’il pouvait faire peindre les détails accessoires par d’autres.
X. JEAN GOSSART.
Jean Gossart, natif de Maubeuge, naquit vers 1470. Nous ne savons où il apprit la technique de son art, mais il est hors de doute qu’il l’apprit à fond. Ses premières œuvres basées sur l’étude de Memlinc et de Gérard David, sont remarquables par la chaleur de leur coloris et la façon scrupuleuse dont sont rendus les moindres détails du costume ; mais elles laissent à désirer comme composition et au point de vue du sentiment religieux. Sa principale œuvre de cette époque est une Adoration des Mages, qui est en la possession du Comte de Carlisle. Gossart accompagna Philippe de Bourgogne en Italie, en 1512, et fut évidemment si captivé par la Renaissance, qu’il laissa là les traditions de son école. Après cette époque, ses peintures de sujets religieux ne sont remarquables que par la maîtrise de leur modelé, la vigueur de leur coloris et la richesse de leurs accessoires architecturaux ; ses portraits sont de toute beauté.
XI. LES PRÉVOST.
Jean Prévost, natif de Mons en Hainaut, vint s’établir à Bruges, où il acheta le droit de bourgeoisie le 10 février 1494. On ne sait où il apprit son art ; peut-être à Valenciennes, où il se maria avec Jeanne de Quaroube, veuve, depuis 1489, du peintre et miniaturiste renommé, Simon Marmion. Au mois d’avril 1521, Prévost se trouvant à Anvers y fit la connaissance d’Albert Durer qui vint à Bruges en sa compagnie, et logea chez lui rue dite Oost-Ghistelhof. Le soir même de leur arrivée, dimanche 7 avril, Prévost offrit à l’illustre artiste un banquet auquel beaucoup de monde fut convié. Avant de quitter Bruges (le 9 avril) Dürer dessina au crayon le portrait de son hôte. Les archives de Bruges mentionnent plusieurs œuvres qui furent exécutées par Prévost ; une de celles-ci (167), représentant le Jugement dernier, lui fut commandée par le magistrat de la ville en 1525. Il paraît que le peintre, se conformant à la manière traditionnelle de représenter le Jugement dernier, avait introduit dans ce tableau, parmi les réprouvés, des figures d’ecclésiastiques, ce qui, quelques années plus tard, donna lieu à des plaintes. En 1550, Pierre Pourbus fut chargé par le magistrat d’effacer, du côté gauche du tableau, un char avec les personnages ecclésiastiques qui y étaient représentés.
XII. BERNARD VAN ORLEY.
Un autre peintre de la période de transition, est Bernard van Orley, natif de Bruxelles (1471-1541), qui se consacra en Italie à l’étude de Raphaël. Ses œuvres sont bien composées et ses figures montrent plus de sentiment et de goût que celles de Gossart. Son exécution est remarquablement soignée. Le musée de Bruxelles possède un de ses chefs-d’œuvre : « la Patience et les Épreuves de Job », peint en 1521.
XIII. LES PEINTRES MOSANS.
Joachim Patenir de Dinant, Henri Blés de Bouvignes et leurs imitateurs font un groupe d’artistes à part. Ils furent les premiers dans les Pays-Bas qui traitèrent le paysage pour lui-même et comme but principal. Déjà dans les fonds des tableaux de Hubert van Eyck, le paysage apparaît avec un charme particulier. Les peintres de Haarlemy donnèrent plus d’importance. Dans certaines œuvres de Bouts (37) et de David (123) il s’affirme avec un accent de vérité bien plus grand ; mais il reste toujours un accessoire, tandis que dans les tableaux des peintres Mosans, l’importance des figures diminue et celles-ci finissent par n’être qu’un accessoire[7].
XIV. LANCELOT BLONDEEL.
Deux autres maîtres s’établirent à Bruges, Lancelot Blondeel, originaire de l’échevinage de Poperinghe (1496-1561), et Pierre Pourbus de Gouda (vers 1510-1584) et doivent être rangés dans la catégorie que nous venons de caractériser. Le premier exerça dans sa jeunesse le métier de maçon ; ce fut probablement en souvenir de cela qu’il ajoutait une truelle de maçon au chiffre dont il signait ses œuvres. Il vint s’établir à Bruges en 1519 et fut reçu, comme maître, dans la gilde de Saint Luc, le 25 juillet de cette année. Dans les comptes des administrations diverses que nous avons compulsés, son nom se rencontre pour la première fois, à l’occasion des dépenses faites pour la décoration de la ville lors de la joyeuse entrée de Charles-Quint comme Roi des Romains, le 14 juillet 1520. Il fut chargé de faire les esquisses de douze grandes scènes ainsi que des écussons armoyés et des tentures dont on orna les rues ; outre cela, il exécuta lui-même la première scène placée devant la porte de Sainte Croix. C’était un homme très versatile qui s’éloigna de l’ancienne école : dans les quarante ans qui suivent, nous le trouvons faisant des patrons pour des tapissiers, des peintres-verriers, des orfèvres et des sculpteurs ; il dessina même des façades de maisons. Il fit aussi des gravures sur bois et un grand nombre de tableaux ceux-ci ont un cachet spécial, qui les fait facilement reconnaître. Ils sont remarquables par la grande profusion d’ornements architecturaux dont il entourait ses œuvres, ornements exécutés en vernis brun sur fond d’or.
XV. LES POURBUS.
Pierre Pourbus, fils de Jean, de Gouda, s’établit à Bruges. Il acheta la franchise de la gilde de Saint Luc le 26 août 1543. Il avait étudié en Italie. C’était un homme de connaissances multiples et d’une prodigieuse activité ; il fut très fréquemment employé par les magistrats du Franc et de la ville de Bruges soit pour l’arrangement des fêtes publiques, soit pour la peinture de sujets commandés, soit enfin pour des plans, des cartes et autres travaux. Il habitait une grande maison nommée Rome ; son atelier était, au dire de Van Mander, le plus spacieux et le plus beau qu’il eût vu. Les plus anciens tableaux de sa main conservés à Bruges sont le Jugement dernier du Musée communal et les portraits de Jean Fernagant et sa femme (300), tous trois datés de 1551. Outre la Mater dolorosa (301), les portraits des membres de la Confrérie du Saint Sang (302) 1556, et la Cène (303) 1559, il existe plusieurs fort beaux tableaux aux églises de Notre Dame, de Saint Jacques et de Saint Gilles, datant de 1562 à 1578. Pourbus mourut en 1584. Il avait eu pour élève Antoine Claeis, et son propre fils François dont il existe un beau tableau à la cathédrale de Gand.
XVI. LES CLAEIS.
Les traditions de l’ancienne école n’ont fait sentir leur influence dans aucune ville aussi longtemps qu’à Bruges. Pierre Claeis I vécut à Bruges au commencement du seizième siècle, et semble avoir travaillé sous la direction de Gérard David. Pierre Claeis II, dit le vieux, admis à la maîtrise dans la gilde de Saint Luc, le 10 janvier 1530, fut aussi enlumineur et miniaturiste il eut trois fils Gilles, Antoine et Pierre. Gilles fut admis à la maîtrise en 1566 renommé comme portraitiste, il fut successivement peintre domestique d’Alexandre Farnèse, duc de Parme, de l’archiduc Ernest, de Pierre Henrique, comte de Fontaine et des archiducs Albert et Isabelle. Il mourut à Bruges, le 17 décembre 1607. Le portrait de Robert Holman, abbé des Dunes (310), paraît être de sa main.
Antoine, admis à la maîtrise le 18 septembre 1570, fut le peintre officiel de la ville. Il se fit une assez grande réputation. Il mourut le 18 janvier 161 3. Bruges possède encore plusieurs de ses œuvres. Les meilleures sont le Banquet, dit Maeltijd van der Beianye, donné à Bruges en 1574, — au Musée communal ; la Cène, 1593, à l’église Saint Gilles une Procession du Saint Sacrement, 1599, à l’église Notre Dame Mars, entouré des Beaux-Arts foulant l’Ignorance aux pieds, 1605, au Musée communal ; une Descente de Croix, avec le portrait de l’évêque C. Rodoan accompagné de ses saints patrons, 1609, à Saint Sauveur Saint Bernard en extase devant la Madone (311) la Dédicace de la basilique de Sainte Marie Majeure, dite ad Nives, à Rome, à l’église de Notre Dame ; l’Adoration du Saint Sacrement, à Saint-Jacques ; etc.
Pierre Claeis, le jeune, admis à la maîtrise le 11 septembre 1570, fut aussi le peintre officiel de la ville, office qu’il résigna le 25 septembre 1621. Il mourut en 1623. Outre un grand nombre de perspectives vues à vol d’oiseau, de villes et de districts de la Flandre, il peignit des portraits et des sujets historiques et religieux. Le plus ancien tableau de ce peintre, conservé à Bruges, représentant la Convention de Tournai, 1584, est au Musée communal ; il en existe une estampe contemporaine. Mentionnons encore la Résurrection, 1585, et Saints Crépin et Crépinien, avec les portraits des membres de la corporation des cordonniers, 1608, tous deux à Saint-Sauveur ; Notre-Dame van't Boomtje, 1608, à l’Hospice de la Poterie, et le triptyque de Notre-Dame de l’Arbre sec, 1606-1619, à Sainte Walburge.
Cette esquisse, nécessairement brève et fort imparfaite, a été écrite pour donner aux visiteurs de l’Exposition, qui n’ont pas étudié les œuvres de l’école du quinzième siècle, une idée de son développement et des influences qui agirent sur ce développement. Ceux qui voudront approfondir l’histoire, feront bien de lire les ouvrages de Crowe et Cavalcaselle et de Conway. Les derniers renseignements recueillis sur Memlinc et Gérard David se trouvent dans des monographies spéciales.
Membre associé de l’Académie Royale de Belgique.
- ↑ En parlant de l’Art dans les Pays-Bas, nous entendons désigner sous cette dénomination royaumes actuels des Pays-Bas et de Belgique, ainsi que les régions limitrophes de la France qui fanaient autrefois partie des comtés de Flandre et du Hainaut.
- ↑ À Maastricht, Liège, Utrecht, Tournai et Cambrai, les chanoines des cathédrales exercèrent sans doute une influence semblable.
- ↑ Pour une description de ces peintures accompagnée de deux planches, voir Le Beffroi, II, 31-37. Bruges, 1884.
- ↑ Les chiffres entre parenthèses renvoient aux numéros du Catalogue.
- ↑ Voir La Petite Revue de l’Art, II, 109, Gand, 1901.
- ↑ Sans aucun doute l’idée de cette composition lui fut suggérée par le tableau (114) de la Gilde des trois Saintes : Marie Madeleine, Catherine et Barbe, à l’église de Notre Dame, dont Gérard était paroissien.
- ↑ Dans les tableaux les plus importants les figures sont l’œuvre d’autres maîtres tels que Quentin Metsys et le maître de la Mater dolorosa.