L’art dans l’Afrique australe/06
Art nègre
un peu de son cœur.
treizième siècle en France.)
i vous êtes allés au musée de Saint-Germain-en-Laye — sinon je vous conseille de vous y rendre à la première occasion — vous aurez vu dans une vitrine certains objets un peu informes et cependant des plus émouvants : une sorte de bâton de commandement, un harpon, un manche de couteau, etc., portant des graffites de figures humaines ou d’animaux, gravés à la pointe. Ces objets ont été trouvés dans des cavernes et remontent, paraît-il, avant les époques très reculées qu’on désigne sous les noms de pierre éclatée et de pierre polie, alors que nos ancêtres étaient de vrais sauvages vivant uniquement des produits de leur chasse et de leur pêche.
C’est là tout ce qui nous reste de nos arrière-grands-parents ;
une femme souaheli, zanzibar
(D’après nature) mais ces fragments d’os ou de bois de renne
nous disent dans leur simplicité que l’art,
dont l’origine vient de Dieu[1], occupait leur
esprit, leur cœur et dirigeait leurs mains.
Aussi, il n’y a rien d’étonnant à ce que partout,
sous tous les climats et chez les plus misérables
représentants de l’espèce humaine,
nous trouvions des essais artistiques plus ou
moins accentués.
Par exemple, les Maoris de la Nouvelle-Zélande cherchent plutôt à s’orner eux-mêmes, ils ne se trouvent pas assez beaux ! et se couvrent la figure de tatouages bizarres, mais très fins et très réguliers.
chef maori
de la nouvelle-zélandeLes Indiens, eux, se parent de plumes, ce
qui leur donne quelque chose d’intimidant et
aussi de très décoratif.
Les Congolais, tout comme les Souahéli de Zanzibar, mettent leur gloire et leur art dans des coiffures ou des tatouages qui ne manquent pas d’un certain caractère.
Enfin, on trouve des efforts d’art jusque chez les Esquimaux du Labrador, qu’on traitait, il n’y a pas si longtemps, avec un dédain marqué et chez lesquels on reconnaît des dons musieaux, des talents géographiques et des aptitudes artistiques très caractérisés.
On découvre également
objets en os faits par des esquimaux du labrador
(Musée Bernard, à Mulhouse) l’art dans l’Afrique méridionale,
d’abord chez les
Bushmen dont nous parlons plus haut, puis aussi
chez les nègres des différentes races de la grande famille bantoue qui occupe
un imprimeur sur étoffe à la côte d’or
(D’après une photographie)l’Afrique, du Congo au cap de Bonne-Espérance.
Les raisons qui poussent l’homme à orner un objet qui lui sert habituellement ou à représenter une scène remarquable de sa vie sont diverses ; un professeur d’esthétique pourrait dire là-dessus de fort belles choses, nous nous contenterons de remarquer que l’homme qui
passe sans laisser même |
a le désir de laisser quelque chose de lui qui lui survive ; il
types congolais veut aussi fixer le souvenir
de choses ou d’événements
dignes de
rester dans la mémoire
des hommes ; dessiner,
peindre, sculpter sont donc pour lui différentes manières d’écrire. Enfin, il y a encore l’avantage de faire plaisir aux
cueiller faite par un indigène
du congo françaisautres et d’être loué par eux, selon
ce que dit un écrivain des plus
compétents : « L’art est,
cueiller des environs de zanzibar
au premier chef, un
phénomène social ; on
fabrique un outil pour s’en servir soi-même, mais on
le décore pour plaire à ses semblables ou pour provoquer
leur approbation[2]. »
Le nègre du Congo qui sculptait la cuiller si pittoresque
un européen !
(Côte de la Guinée,
Musée du Trocadéro)
dont on voit ci-dessus une
reproduction, voulait sans doute graver
l’impression étrange faite par le
palanquin entrevu un jour qu’un
blanc parcourait le pays.
Un autre de la côte de Guinée avait vu un blanc et avait tenu à fixer le souvenir de cet événement important. Les proportions du personnage ne sont pas des plus heureuses, mais on voit que l’artiste avait été étonné du chapeau et de tout le costume du « visage pâle », sans oublier le livre du susdit, qui était une merveille de plus.
Nous aurons à revenir sur l’art chez les habitants
des rives du Zambèze, mais nous pouvons cependant remarquer en passant que celui qui taillait dans un fragment d’ivoire
avec tant de soin et d’amour les deux éléphants qui ornent
épingle en ivoire faite par un zambézienl’épingle qu’il plante dans sa tignasse,
avait le même but que ses frères de
la Guinée et du Congo ; tandis que le
nègre des environs de Zanzibar et
celui des parages du fleuve Orange qui taillaient ces cuillers
et les pyrogravaient à leur façon, avaient pour idéal de faire
quelque chose devant les réjouir eux-mêmes et plaire aux
autres.
(Musée des missions de Bâle)
C’est le musée de l’Institution missionnaire de Bâle qui possède
peut-être l’un des
œuvre d’un indigène ronga de lourenzo-marquèschefs-d’œuvre de l’art
chez les nègres : il représente
la barque de
guerre des Dualla, du
Cameroun, et mesure
1m 20 de long ; chaque
personnage, taillé en bois avec un soin minutieux, se fixe aux
bancs de la barque comme le soldat de plomb sur son cheval.
Le but de l’artiste, on le voit de reste, était de conserver l’impression saisissante que faisait sur ses compatriotes et sur lui-même la barque royale partant en guerre et d’élever ainsi une sorte de monument à la gloire nationale.
canne, sculptée
par un gwamba
C’est un peu le même désir — de noter un souvenir
— qui a poussé un autre « tailleur d’ymaiges » africain des environs de Lourenzo-Marquès, sur la
côte de Mozambique, à représenter un léopard dévorant… un Anglais, disait l’auteur à son missionnaire.
Malgré son nez par trop pointu et son immense oreille, la victime fait vraiment pitié. Quant à la bête féroce, si elle n’a pas l’air commode, en revanche sa queue fait une courbe des plus gracieuses et, détail à noter, elle se démonte, ce qui n’est pas là son moindre mérite.
Chez les Magwamba, du Transvaal, qui appartiennent
à la même race et à la même famille que
nos Bassouto, on peut trouver des travaux qui ne
sont pas sans saveur ; par exemple, le monsieur portugais
qui fait l’ornement de cette canne ne nous
paraît pas inconnu ; il nous semble l’avoir rencontré dans les rues de Lourenzo-Marquès. Les deux oreillers en bois sculpté
de même provenance sont d’une assez
peau préparée et cousue par des herero du namaqualandbelle invention, ils nous paraissent
même mieux inventés que la plus
grande partie de ceux que nous a laissés
l’antique Égypte.
Avant d’aller plus loin, il convient de se souvenir que les indigènes sud-africains n’ont pas de termes précis pour dire « carré » et « angle ». S’ils ont le sens du pittoresque, l’esprit géométrique leur fait, par contre, presque complètement défaut. Les lignes verticales et horizontales ont pour eux des mystères qu’ils n’arrivent pas toujours à pénétrer.
Si nous pouvions à loisir parler des Damara, ou Herero de la côte sud-occidentale qu’une nation européenne a récemment essayé d’écraser, nous serions surpris de leur habileté à travailler le métal, le bois, les peaux, etc.
nguana modula
|
pot en bois, travail de ma-tébélé
|
Les Ma-Tébélés sont remarquables par leurs travaux en
tabatièresperles si patients et originaux, et leur goût
particulier pour les ornements géométriques,
ainsi que le montre le voile de jeune
fille que nous donnons, ou la figure appelée
nguana modula, sorte de poupée que
portent les femmes qui n’ont point d’enfant.
Les Zoulous taillent le bois avec une patience digne de celle de leurs parents les Ma-Tébélés ; avec une pièce de bois ils sculpteront des oreillers, ou des cuillers ou encore des tabatières reliés par une chaîne en bois, et le tout restera bien « monolithe ».
Les Bassouto ne restent pas trop loin en arrière dans cette
porte près la station de dikhoelemarche vers les beaux-arts ;
mais il faut dire que
la civilisation, par ses facilités
commerciales, leur a
enlevé une bonne partie
de leur sens artistique.
Cependant, la porte d’une
maison près la station de
Dikhoele n’est pas mal du
tout, elle a même un petit
air pompéien tout à fait imprévu ;
le motif principal
est formé par des « thébé »,
boucliers de guerre des
anciens Bassouto.
C’est une femme qui est
l’auteur de cette décoration,
et la chose mérite d’être mentionnée.
poterie faite par une femme mossoutose
Les femmes Bassouto, comme presque partout en Afrique, font de la poterie et souvent donnent à leurs œuvres une apparence plus ou moins étrusque qui surprend et fait plaisir tout à la fois.
Une chose cependant est à remarquer, c’est que les poteries faites sans autre outil que les dix doigts, sont de dimensions très diverses et peuvent toutes — à part les grands pots pouvant contenir cinquante litres et plus, dans lesquels on prépare la bière — aller au feu, bien que n’ayant d’autre préparation que celle d’une cuisson très attentive, mais faite dans des conditions très rudimentaires.
Quant aux Bassouto, on peut dire qu’ils
ont poussé l’art de la pelleterie
à peu près aussi loin
que faire se peut.
vanniers du lessouto
L’article parure pourrait nous fournir bien des détails relatifs au besoin d’art qui est en tout être humain, depuis les tatouages des femmes Bassouto, ou les coiffures bizarres des Zoulous, jusqu’aux ornements que d’autres croient devoir se mettre dans le lobe de l’oreille, aux ailes du nez et même aux lèvres.
Les bracelets, colliers, boucles d’oreilles, sont aussi très divers et parfois faits avec presque rien, tel par exemple le collier ci-dessus composé de coquilles et tuyaux de plumes.
Les hommes aiment généralement coudre et s’en tirent avec
honneur, ils sont souvent, dans ce domaine, d’une habileté
incroyable ; on rencontre aussi fréquemment chez eux de bons
vanniers, spécialement
chaire de la chapelle de kolopour la confection de
grandes corbeilles qui
servent à conserver le
grain ; d’autres travaillent
le bois et la corne
avec un certain succès.
Ou bien c’est un artiste de notre voisinage qui tiendra à doter une chapelle d’une chaire digne de sa destination et qui fera de son mieux. Il est certain que la célèbre chaire de la cathédrale de Sienne est plus belle, d’un style autrement élevé et d’une valeur fort différente, cela est entendu. Mais celle fabriquée par un pauvre nègre n’en est pas moins un hommage touchant rendu au Père de la famille humaine.
Les Bassouto ont aussi, plus que les autres tribus de l’Afrique australe, des dons musicaux particulièrement dignes
d’être signalés ; ils possèdent
moruhloanaquelques instruments
musique très rudimentaires : des
cueiller faite par costabolé, de bétesdaviolons — setsiba, thomo, setolo-tolo
— formés d’un arc
en une ou plusieurs
pièces sur
lequel est tendue
une corde ; ou une
sorte de tambour,
moropa, dont la
caisse, faite en
terre cuite, est recouverte d’une peau ; ou encore un
moruhloana, quelque chose comme un collier fait de
petits sacs de peau remplis de sable et que le danseur
fixe à sa cheville ; mais les Bassouto sont surtout
doués sous le rapport du chant, du moins ceux
qui ont quelque éducation ; ils apprennent avec la
plus grande facilité les airs les plus compliqués, les
déchiffrent et les chantent en parties avec un entrain
et un ensemble souvent très émouvants.
Somme toute, un esprit attentif et un observateur
impartial peuvent être étonnés de la diversité des
aptitudes que montrent les indigènes, car, sans rien
connaître des règles de l’ornementation et des styles
qu’on enseigne dans nos écoles, ces primitifs ont créé des œuvres qui sont bien à eux et qui, comme tant de
chefs-d’œuvre de notre vieille Europe, ne relèvent que de la
nature… Qui sait si,
cueiller faite par un mossouto pour ces obscurs artistes,
l’art n’est pas,
comme pour tant
d’esprits distingués de
tous temps et de tous
pays, une manière inconsciente de rendre hommage à Celui qui
créa l’homme à son image ?