Le Courrier fédéral (p. 212-217).

CHAPITRE XXI

LE RETOUR À LA CAVERNE


« Castello ! »

Ce nom, jeté au milieu du silence entrecoupé de sanglots qui régnait dans la chambre d’Éliane, c’est Andréa qui le prononça.

« Castello ? » demanda Tanguay. « Pourquoi prononcez-vous ce nom en ce moment, M. Andréa ?… Le soupçonnez-vous, ce bandit d’être pour quelque chose dans la disparition de notre ange ? »

« Non seulement je le soupçonne ; mais… je sais. »

— « Vous savez ? » s’exclamèrent-ils tous.

— « Oui, je sais… Hier soir, vous vous rappelez que j’ai quitté la bibliothèque, après qu’Éliane se fut retirée ?… J’allais chercher dans ma chambre des photographies de notre propriété à Macapa… »

Et même en ce moment solennel, Yves, Sylvio et Tanguay remarquèrent qu’Andréa disait « notre » propriété et non « ma » propriété, « comme il en avait assurément le droit… Brave et généreux Andréa !

— « Oui, nous nous en rappelons, » dit Yves.

— « Eh ! bien, au moment où je passais près de la serre attenant à la salle à manger, Éliane sortait de cette serre… Sur son visage se lisait une grande terreur : « Papa Andréa ! Papa Andréa ! » s’écria la chère enfant, « J’ai peur, peur ! »

— « Peur, ma chérie ? » demandai-je — « Oui, peur !… Un homme est sur notre terrain ; il surveille la villa… C’est Castello ! C’est Castello ! » ajouta-t-elle, en frissonnant. »

— « Castello ! » s’écria Tanguay. « Éliane craignait tant cet homme ! Mais, pourquoi ne m’avez-vous pas averti, M. Andréa, puisque ma fiancée était en danger ? »

— « Ah ! voilà, » répondit Andréa ; « Éliane me l’a défendu. Elle ne voulait pas que vous fussiez effrayée, tous, à son sujet et elle m’a demandé, en grâce de n’en rien dire… Je sortis donc et fis le tour de la propriété, emmenant Tristan avec moi. Tristan a du flair et je compris que Castello — si c’était lui qui rôdait autour de la villa — avait dû s’enfuir du côté de Bowling Green, car Tristan partit, d’un trait, dans cette direction et je dus le rappeler… Pour plus de sûreté, ensuite je détachai notre chienne danoise « Lagarde » et je ne comprends pas comment un étranger ait pu mettre le pied sur notre terrain, quand Lagarde était déchaînée. »

— « Peut-être Lagarde a-t-elle été tuée par ce Castello, » dit Yves ; « c’est la seule explication, je crois… Je vais m’en informer. »

Yves sonna et Mme Duponth se présenta aussitôt. Mme Duponth avait les yeux rouges ; elles avait pleuré.

« O Messieurs ! » s’écria-t-elle. « Mlle Éliane !  ! »

— « Hélas, Mme Duponth ! » dit Yves.

— « Lucette m’a tout raconté ; elle aussi, pauvre fille, est au désespoir. »

— « Ma fille bien-aimée a été enlevée, Mme Duponth ! » pleura Yves. « Nous allons faire des recherches immédiates… Si nous ne la retrouvons pas, nous mettrons la chose entre les mains de la police… Mon Éliane ! Ma fille chérie ! » ajouta Yves en sanglotant.

À ce moment, on frappa à la porte de la chambre et Andréa ayant donné l’ordre d’entrer, un domestique parut et dit :

« Messieurs, la chienne danoise Lagarde a été trouvée, à moitié morte, non loin de la villa… On a dû lui administrer le chloroforme, je crois, car Lagarde avait une sorte de capuchon sur la tête, imbibé de quelque chose qui sent très fort. »

Ayant dit ce qu’il avait à dire, le domestique sortit.

« Ne perdons pas de temps, » dit Tanguay. « Éliane, ma chère fiancée, est entre les mains du plus méprisable des hommes… Ce Castello ne reculera devant rien… Partons à la recherche d’Éliane ! »

— « Mais, où la chercher la pauvre enfant ? » demanda Sylvio Desroches.

— « À la caverne, » répondit Tanguay.

— « À la caverne ! » crièrent-ils tous.

— « Oui, à la caverne… C’est dans ce repaire, que ce chien de Castello a entraîné Éliane, j’en suis persuadé… À la caverne ! À la caverne ! »

— « Qui nous conduira à la caverne ? » demanda Courcel. « En connais-tu le chemin, Tanguay ? »

— « Moi ? Non, je ne pourrais y aller directement ; mais Paul nous y conduira. » Puis Tanguay, qui venait d’apercevoir Paul dans le jardin, appela le garçonnet.

« Paul ! » appela le médecin.

— « Oui, M. le Docteur, je viens, » répondit l’enfant.

— « Paul, » demanda Tanguay, quand celui-ci arriva dans la chambre d’Éliane, « pourrais-tu nous conduire directement à la caverne ? »

— « À la caverne ! » s’écria Paul. « Oh ! Messieurs, ne me demandez pas de retourner là ; j’ai… j’ai peur ! »

— « Écoute, Paul, » dit Tanguay, « il s’agit d’aller au secours de Mlle Courcel… Elle a été enlevée, la nuit dernière et… elle est à la caverne… Castello… »

— « Mlle Courcel enlevée ! Mlle Courcel à la caverne ! Oh ! partons ! Partons ! Je n’ai plus peur du tout et je retournerai à la caverne, quand j’y laisserais ma vie… Mlle Courcel, à la caverne ! »

— « Partons ! Partons sans retard alors ! Ma fille ! Ma chérie ! »

En moins de cinq minutes, la limousine de la villa Andréa contenant Yves Courcel, Andréa, Tanguay, Sylvio Desroches et Paul, se dirigeait vers la caverne. Paul était au volant. Mme Duponth aussi accompagnait les quatre hommes. La limousine, allant à quarante milles à l’heure, serait bientôt à proximité de la caverne.

« Docteur Desroches, » dit Paul, tout à coup, « que ferons-nous si le pont-levis n’est pas abaissé ?… Ce chien de Castello a dû prendre la précaution de relever le pont. »

— « Je n’avais pas pensé à cela, Paul, » dit Tanguay, en pâlissant. « Ne nous effrayons pas d’avance, cependant ; peut-être le pont sera-t-il en place… Espérons-le, mon Dieu ! »

— « Vous le savez, Docteur, » reprit Paul, « le pont relie les bords d’un terrible précipice, au fond duquel gronde un torrent, précipice de douze pieds de largeur… Comment ferons-nous si… »

— « Attendons, Paul, attendons d’être rendus au précipice pour le franchir !… Mlle Courcel est à la caverne, j’en suis sûr, et nous l’en délivrerons, quand nous devrions risquer cent fois notre vie pour ce faire. »

— « Vous l’avez dit, Docteur Desroches ! » s’écria Paul. « Mlle Courcel ! Un ange, s’il en fut jamais ici-bas ! »

Les prévisions de Paul se réalisèrent : hélas, le pont-levis avait été relevé !… Un cri de désappointement s’échappa des lèvres de Tanguay : comment franchir le précipice, comment ?… Ce pont levé, c’était la preuve presque certaine qu’Éliane était dans la caverne ; Castello, en homme prudent, avait ôté à ceux qui pouvaient le poursuivre tout moyen de pénétrer dans la caverne !

« Le pont est levé ! » s’écria Paul.

— « Hélas ! Hélas ! » dit Tanguay. « Comment franchirons-nous le précipice ? »

— « Il faut faire un pont improvisé, » répondit Courcel. « Ma fille est là, entre les mains de ce bandit Castello et… »

— « Qui sait ce qui se passe, en ce moment, dans la caverne ! » s’exclama Tanguay. « Il faut y pénétrer, il le faut !  ! »

Tous couraient, affolés, sur le bord du précipice, se demandant comment ils allaient le franchir… Éliane était là, dans la caverne ; il fallait aller à son secours !

Un cri d’Andréa, qui s’était éloigné un peu de ses compagnons, les fit tous accourir.

« Voyez donc ! Voyez donc ! » disait Andréa, très excité. « Voici un arbre qui a dû être renversé par la dernière tempête !… Cet arbre peut servir de pont, puisqu’il relie les deux bords du précipice… Frêle pont, sans doute, mais… »

— « Mais sur ce pont, tout frêle soit-il, je franchirai le gouffre ! » s’écria le père d’Éliane.

— « Non, non, pas vous, M. Courcel, » dit Tanguay ; « ce sera moi… Mais, je ne sais pas faire fonctionner le levier qui sert à abaisser le pont et… »

— « Docteur Desroches, » interrompit Paul, « je sais comment le pont s’abaisse, moi ! Je passerai sur ce pont improvisé… Je ne pèse guère et je suis bon acrobate. »

— « Brave enfant ! » murmurèrent-ils tous.

L’enfant était blanc jusqu’aux lèvres et, malgré lui, il frissonnait d’épouvante. Tous pressèrent le garçonnet dans leurs bras au moment où il allait risquer sa vie pour leur faciliter le moyen de pénétrer dans la grotte et une larme tomba sur son front quand Mme Duponth, à son tour, le pressa dans ses bras.

« Brave Paul ! » dit-elle, émue. « Dieu te bénisse ! »

C’est sur ses genoux et sur ses mains que Paul traversa le pont fait d’un seul arbre. Il se gardait bien de jeter les yeux au fond du gouffre ; le torrent qui y grondait lui eut donné le vertige, il le savait bien…

À un moment donné, l’arbre formant le pont, se mit à rouler vers la gauche… Heureusement, Paul, ainsi qu’il l’avait dit, était bon acrobate : il se cramponna à l’arbre de toutes ses forces et il ne perdit ni son sang froid, ni sa présence d’esprit. Un cri de terreur était venu aux lèvres de Mme Duponth et les quatre hommes avaient pâli ; mais le garçonnet continuait à ramper vers le côté opposé, puis il mit pied sur la terre ferme enfin !

Un soupir de soulagement s’échappa de toutes les poitrines… Brave Paul !… Jamais on n’oublierait comme il s’était dévoué en ce jour !

Le pont-levis abaissé, tous le franchirent avec grand empressement. Paul posa son doigt sur un point imperceptible de la pierre ensuite et l’on entendit un glissement doux : la porte d’entrée s’ouvrait toute grande et tous pénétrèrent dans la caverne…

Que trouveraient-ils dans la caverne ?… Éliane était-elle là, prisonnière, encore une fois, de Castello ?… On le saurait bientôt.