L’amour saphique à travers les âges et les êtres/35

(auteur prétendu)
Chez les marchands de nouveautés (Paris) (p. 277-281).

L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre
L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre

XXXV

LE SAPHISME EST-IL UN CAS D’ADULTÈRE ?


Un mari dont la femme fait l’amour avec une autre femme peut-il se considérer comme trompé aussi bien que si l’amante était un homme ?

Les avis sont extrêmement partagés sur cette question, bien qu’en général on estime que l’adultère — s’il y a adultère — est moins grave du moment que le coït n’a pas eu lieu.

Le sujet est fort complexe.

Pour l’homme de moralité sévère, de principes farouches, le cas de vice hors nature que commet la femme lesbienne aggrave plutôt le péché. Volontiers, celui-là dira que l’adultère saphique est plus criminel que l’adultère naturel.

Mais, ceci est une opinion théorique. Si ce moraliste se trouvait personnellement touché par la question, il est probable que comme tous les hommes, s’il lui fallait absolument être cocu, il préférerait encore que son rival fût une femme.

La raison de cette préférence est instinctive et naturelle.

L’homme normal a horreur et dégoût de la sexualité d’un autre homme ; il est jaloux de sa mentalité. Sa souffrance et sa rage de l’adultère proviennent du sentiment que l’on estime plus son rival que lui-même et ensuite du fait que, matériellement, la femme lui apparaît polluée, souillée par les caresses et le coït d’un étranger.

L’être a naturellement le dégoût d’un autre être ; l’amour fait passagèrement disparaître cette répulsion d’un sexe à un autre, mais il demeure entre gens de même sexe.

L’horreur de la femme adultère, c’est surtout l’horreur des traces de l’autre homme.

Au contraire, l’amante n’inspire pas de dégoût à un homme. La pensée que des lèvres saphiques ont parcouru le corps de sa femme peut amener une impression colère et jalouse dans l’esprit d’un mari, mais elle ne provoquera aucun sentiment de répugnance et de nausée.

De même son amour-propre sera moins froissé, parce qu’il se croit toujours supérieur à une femme et ne peut imaginer que sa femme lui préfère réellement son amante.



De vieilles lois tranchaient autrefois la question de l’adultère avec une simplicité dont ne s’accommoderait guère notre esprit plus subtil d’aujourd’hui.

Il n’y avait adultère, déclaraient les anciens juges, que lorsque entre un homme étranger et une femme mariée il y avait eu coït, c’est-à-dire introduction du pénis dans la matrice de la femme avec ou sans émission de sperme.

De cette façon, tous jeux de mains, de lèvres, tout coït par l’anus ou à côté de la vulve était considéré comme péché véniel et n’entachait point l’honneur de l’époux.

De nos jours, les idées ne sont point si larges, et le fait que deux êtres ont provoqué chez eux l’orgasme vénérien par des caresses intimes constitue un adultère suffisant.

En fait, dès qu’une sensation d’amour caractérisée par le spasme s’est produite chez une femme mariée, amenée chez elle par un individu qui n’est pas son mari, il y a adultère, puisque la nature essentielle du contrat est de promettre que l’on réservera à son conjoint toutes ses manifestations sexuelles.

À ce point de vue, les relations saphiques sont indubitablement de l’adultère.

Il est curieux d’examiner, à propos de ce sujet, les jugements de divorce motivés par des cas d’adultère saphique.

En général, le divorce est accordé au bénéfice du mari, mais l’on n’admet pas l’adultère, l’on parle de « l’inconduite », des « mœurs vicieuses » reconnues de l’épouse.

Dans l’un de ces jugements, nous trouvons pourtant ceci :

« Attendu que, par voie d’organes virils imités et ses caresses réitérées, la dame X… a maintes fois simulé le coït sur la personne de l’épouse Z… et provoqué en elle toutes les satisfactions amoureuses d’un coït naturel, l’existence de l’adultère est constatée. »

Il est vrai que, dans une autre affaire de même nature, les mêmes faits sont interprétés tout à l’inverse.

« Attendu qu’il ne peut être invoqué d’adultère, puisque les rapports sexuels entre la dame X… et la femme Z… n’ont été qu’imaginaires et simulés à l’aide d’objets qui ne sauraient être assimilés aux organes naturels. »

Et dans un autre encore, où le divorce était refusé.

« Le sieur X… se plaint indûment d’adultère, vu que celui-ci ne saurait avoir été consommé sur l’épouse dudit X… par la dame Z… qu’il a désignée comme ayant eu des relations coupables avec son épouse. L’adultère résulte du fait du coït, lequel n’était pas au pouvoir de la dame Z… qui appartient au sexe féminin. »

Et, plus loin, les ébats de deux dames étaient qualifiés de « jeux répréhensibles » que le mari devait interdire, sans pourtant pouvoir s’en prévaloir pour obtenir le divorce, car « il n’y avait eu ni dol ni dommage causé par le fait de caresses qu’à la rigueur on pouvait expliquer par la tendresse naturelle entre personnes de même âge et de même sexe.

À notre grand regret, nous n’avons pu savoir ce qu’il était advenu par la suite du ménage X… Le mari avait-il toléré la tendresse des deux femmes, convaincu qu’il n’y avait point lieu de craindre l’adultère ?… Ou s’était-il fait justice en corrigeant la dame Z… Ou encore s’était-il dédommagé de sa tolérance en réclamant sa part des « jeux innocents » des deux dames ?


FIN