L’album anti-clérical/Le curé femme à barbe


Bibliothèque anti-cléricale (p. 1-3).

LE CURÉ FEMME À BARBE

1
Trop ardent, le curé Boulard !… Il avait une façon si persuasive, si pressante de préparer les jeunes garçons à la première communion, qu’un beau jour dame Justice voulut — la curieuse ! — connaître à fond la méthode employée par le saint homme.
2
Un prêtre ne relève que de sa conscience ; et l’abbé Boulard, qui ne veut pas que la gendarmerie mette le nez dans ses petites affaires, s’enfuit à travers champs en se déguisant au moyen d’une robe empruntée à sa vieille gouvernante.
3
Le voilà au fond d’un bois, le pauvre martyr ! Il est habillé en femme, sale et non rasé ; il vit misérablement de racines et de fruits sauvages ; mais il ne regrette point son ancien confortable, trop heureux d’avoir échappé aux griffes de dame Justice.
4
Un soir, au coin d’un bois, il tombe au milieu d’une troupe de saltimbanques : le chef, étonné, le prend pour une femme à barbe et propose un engagement au curé, qui accepte, tout joyeux de quitter sa vie de sauvage.
5
La femme à barbe fait fureur ! mais la vie d’artiste n’est pas sans quelques désagréments : ainsi notre infortuné calotin souffrait beaucoup d’être obligé d’exhiber ses charmes et de se laisser tatouiller les mollets par messieurs les militaires.
6
Ce qui fait que, profitant d’une occasion propice, notre curé-phénomène prend la poudre d’escampette, enlevant à son cornac un superbe rasoir, qui devait, quelques instants plus tard, faire tomber ses poils et le rendre méconnaissable.
7
La barbe est disparue ; mais, hélas ! reste le costume. Le curé Boulard en est réduit à entrer comme duègne à un théâtre de cabotins, où il a cette fois à subir les déclarations trop vives du père noble, qui prend son rôle au sérieux.
8
Crac ! le père noble devient jaloux. Furieux de voir les attentions peu maternelles que la duègne prodigue aux petits figurants, — que voulez-vous ? un vieux restant d’habitude, — il espionne la rebelle chérie et découvre le scandaleux mystère.
9
La gendarmerie, prévenue, arrête sans pitié l’homme-femme, et, à l’heure qu’il est, le curé Boulard attend sur la paille humide des cachots le moment où la Justice lui demandera des comptes sévères sur ses intéressantes leçons de catéchisme.