L’S à la première personne du singulier en français


L’S à la première personne du singulier en français.

On admet qu’en français l’s dite paragogique de la première personne sing. de l’indicatif présent n’est autre que l’s de la seconde personne qui aurait été attribuée à la première par analogie. C’est l’opinion que Diez regarde comme la plus vraisemblable (Gram. IIs p. 251) ; elle est admise par Burguy (Gram. de la langue d’oïl I p. 215, note) et par M. Chabaneau (Histoire et Théorie de la conjugaison française), qui n’est pas le premier à l’avoir exprimée, comme le croit M. Foerster (Zeitschr. für neufranz. Sprache u. Literatur I, 1 p. 85). D’autre part, cette explication ne peut invoquer aucun argument direct en sa faveur. Diez déjà l. c. a montré qu’elle soulève des difficultés, et M. Foerster la trouve problématique. Nous présentons une explication nouvelle de ce phénomène, en essayant d’établir un rapport entre l’s de la première personne du singulier et l’assibilation de la dentale finale du radical à cette même personne dans le dialecte picard.

Commençons par rappeler quelques faits connus. Dans Aiol, chanson de geste écrite en dialecte picard au commencement du 13e s.., les verbes terminés au radical par une dentale changent à la 1. personne sing. de l’ind. prés. t en c, à la 1. pers. du singul. seule, disons-nous, et non pas à la troisième ni à la deuxième sing. de l’impératif. En voici des exemples : 134 perc, 208 commanc, 328 deffenc, 508 quic, 765 porc, 2442 abac, 2443 renc, 6897 promec, 8130 amenc (amender), 8971 vanc (vanter) ; les exceptions sont rares, v. 2700, 4225 creant. En outre on trouve fierc, de férir, aux v. 2830, 6490. — Dans Richars li biaus (éd. Foerster) le même phénomène se retrouve, mais dans des conditions moins régulières. Souvent la dentale n’est pas altérée, 196, 812 cuit, 776, 1043 proumet ; puis l’orthographe ch y alterne avec c : 3128 cuic, mais 158, 885 et passim cuich, 3872 mech, 4153 prench, 4406 rench. En outre c se rencontre v. 1083 dans quierc de querir (cfr. fierc dans Aiol), et à la première pers. singul. d’aimer : 1701, 2261 ainc, 5011 ainch (cfr. 2059 ain à la rime). — Quant à la prononciation de ce c (ch), M. Tobler (Dis dou vrai aniel p. XX, XXI) pense qu’elle était identique à la prononciation du ch en français moderne.

De ces faits connus nous en rapprochons un autre qui semble de nature à éclaircir la question de l’origine de l’s. Dans Amis et Amiles et Jourdains de Blaivies (éd. Hofmann) on rencontre z à la place du c (ch) à la 1. personne du singul. (à cette personne exclusivement), et cela dans des conditions identiques à celles observées dans les textes qui viennent d’être nommés. Voici tous les cas : Amis 594 deparz ; 739, 762 renz, ranz ; 1502, 2138 deffanz, deffenz ; 1824 atanz ; 2777 entenz. Jourdains 159, 1470 redouz ; 752 garz ; 1793, 4011 perz ; 1764, 2010 ranz ; 3044 maiz (mitto). Le radical de tous ces verbes se termine par une dentale ; le z répond donc ici au c, ch des textes picards. On trouve de plus ainz (amo) il faut comparer avec, ainc, ainch de Rich. li biaus : Amis 1915, 2875, Jourdains 2125, 1714, 1001 ; ajoutez-y crienz (tremo) Jourd. 159. Enfin ce qui achève de prouver que le même phénomène linguistique rendu par c, ch dans Aiol et Rich. li biaus est traduit dans Amis et Jourdains par z, c’est que le présent je hais est écrit d’une part par ch, Dis dou vrai Aniel 378 et Richars 1237 hach, de l’autre par z, Jourd. 94 haz. Comparez encore la 1. personne sing. du parfait dans Jourd. 2503 devinz et dans Rich. 3717 vinch. Il est vrai que dans Amis et Jourdains, le z, tout en différant sensiblement de son emploi ordinaire[1], est mis avec beaucoup de conséquence et que rien n’autorise à l’assimiler simplement à s, bien qu’il soit difficile d’en établir la prononciation exacte. Mais ce qui seul nous importe ici, c’est le fait que 1) dans tous les anciens textes la réduction de z à s est possible ; que 2) z se met dans Amis et Jourdains dans une série de cas où les bons textes du 12e s. ont s ; et que 3) nous avons dans Amis et Jourd. même deux exemples de la réduction de z à s à la 1. pers. sing. de l’indice. prés. de verbes dont le radical est précisément terminé par une dentale : Amis 729 apors, Jourd. 319 pans[2]. Ajoutons que les mots brac (bras) et tierc, très fréquents dans les textes picards, sont écrits ailleurs par z ou par s. Nous croyons avoir prouvé, d’une part, que z répond à c, ch, et d’autre part qu’il y a des exemples de la réduction de ce z à s dès le 13e s. (le manuscrit d’Amis est du 13e s.) Nous en concluons qu’en thèse générale (les exceptions seront indiquées plus loin), l’s de la prem. pers. sing. dérive du c picard et en est une transformation. — Burguy fait remarquer (Gram. I p. 216) qu’en Picardie la finale t, d se changeait en c, ch (sans dire que ce changement n’a eu lieu qu’à la 1. personne), et que dans le dialecte bourguignon de la seconde moitié du 13e s. d final était remplacé par s ; puis il ajoute « l’s provient ici de l’influence picarde et tient lieu du c, ch du langage du nord de la langue d’oïl ». Burguy n’en prétend pas moins (Gr. I p. 215, note) que l’s de la première personne « est celle de la seconde, qui devint première ». — Nous admettons donc que le son rendu par s s’est développé dans Amis et Jourdains, qui ne sont pas écrits en dialecte picard, sous l’influence du c, ch picard ; mais il est possible que la prononciation du c ait été altérée à ce passage ; c’est pourquoi il n’est pas permis d’arguer de ce z, qui avait encore vraisemblablement la valeur phonétique ts, contre la prononciation que M. Tobler attribue à c, ch. Il se peut que des raisons d’euphonie aient contribué à faire passer le c avec une prononciation modifiée dans les dialectes voisins. Peut-être la rencontre des consonnes finales de mots tels que deffent, commant avec d’autres consonnes a-t-elle été peu agréable à l’oreille et a-t-on cherché à en atténuer l’effet fâcheux en intercalant une s ou un e. C’est ainsi que ainz (voir plus haut) et aimme Jourd. 628 se trouvent toujours devant une consonne, tandisque aim, qui ne se rencontre qu’une fois Jourd. 2350, est placé devant un mot commençant par une voyelle. Dans Jourd. le même hémistiche paraît deux fois, aux v. 1470 et 1480 ; il est écrit la première fois « car trop redouz », la seconde « car trop redoute » ; il est vrai que le verbe se trouvant placé devant la césure, il importe peu qu’il soit suivi les deux fois d’une consonne. Quoi qu’il en soit de cette supposition, nous croyons que l’s, qui primitivement n’a été ajoutée qu’aux radicaux terminés par une dentale, par r et par m, aurait fini par être appliquée aux autres radicaux terminés par des consonnes, à l’exclusion de ceux terminés par des voyelles.

Il est bien entendu que dans nos textes, comme dans tous les textes anciens, je vois (vado), doins, estois, truis, pruis, ruis sont écrits par s ; mais, à part ces exceptions, les 1. pers. du prés. terminées par une voyelle telles que je voi, croi, di, pri, otroi etc. ne prennent jamais dans les écrits dont nous parlons ni c (ch), ni z, ni s. Il y a à peine deux ou trois cas douteux : Dans Jourd. v. 2559 los (laudo) est probablement le présent d’un verbe loser qui d’après Duméril (cité par Burguy Gramm. III s. v. los i) existe encore dans le patois breton, et qui, de même qu’aloses (Rol. 898), serait formé du subst. los. Dans hach, haz, has, formes qui existent à côté de (cfr. Diez, Gr. II p. 238), ch et z s’expliquent par les lettres finales du radical de hatjan, si tant est que cette étymologie soit la bonne ; s est la réduction du z. — Il n’en est pas moins vrai que, dès le 13e s., les présents sui, doi, sai, voi... prennent parfois une s ; voyez dans la Chrestomathie de Bartsch 187, 40 dois, 360, 8 sais, 357, 23 voys (video), 357, 28 dis (dans un texte où, évidemment en vertu de l’analogie, on trouve s même au futur p. ex. amenderays, porrays) ; Aiol 4065 contredis. Tout le monde, je crois, supposera que dans ces exemples s a été ajoutée par analogie ; Burguy (Gram. II p. 261) l’admet pour suis qui selon lui est une analogie de puis. Seulement on peut se demander s’il faut attribuer l’addition de l’s à l’influence des verbes dont le radical est terminé par une consonne, ou plutôt à l’influence des présents tels que je vois (vado), j’estois, je puis qui de tout temps prenaient une s. La question pourrait sembler oiseuse et la réponse impossible à donner, n’était un petit problème assez curieux qui s’y rattache.

Si l’on parcourt quelques pièces de Molière[3] prises au hasard, soit le Médecin malgré lui, don Juan et le Misanthrope, on trouvera très fréquemment à la 1ere pers. du prés. de l’indic. des formes telles que dy, boy, sçay, voy, à côté des formes écrites par s ; mais pas une seule fois la 1ere pers. du présent d’un verbe dont le radical se termine par une consonne ne se trouve écrite sans s ; on lit toujours je crains, consens, veux (a. fr. voil), promets, vens, meurs tiens ; il n’y a pas de différence à cet égard entre les vers et la prose. Marty-Laveaux (Lexique de Corneille I p. LXII et LXIII) et Mesnard (Lexique de Racine p. CVI et CVII) donnent les indications nécessaires sur l’usage suivi par Corneille et Racine. Les exemples de voi, doi, croi etc. foisonnent. On trouve de plus je frémi Menteur 580 et j’averti Bajazet 579. En a. fr. il y avait hésitation entre la forme pure et la forme mixte. L’s provenant de la syllabe latine isco n’a rien à voir avec l’assibilation d’une consonne finale. Connoi Ment. 498 et Héracl. 580, qui s’écrivait en a. fr. par s (cognosco), a été traité comme voi, croi, doi. Il n’y a que deux exemples de verbes à radical terminé par une consonne, qui ne prennent point l’s, Plaideurs 65 je tien et Sophonisbe 517 je vi (vivo) ; encore une forme je vi a-t-elle fort bien pu exister en a. fr. à côté de je vif (cfr. di de dico).

Le même rapport se retrouve à l’impératif entre les radicaux à consonne et ceux à voyelle finale. Voici les exceptions que nous avons relevées : Molière Vol. IV p. 173 vien et Vol. III p. 289 pren ; Phèdre 578 revien. Mais nous verrons plus loin qu’il faut séparer la question touchant l’s de la 2e pers. sing. de l’impérat. de celle concernant la 1ere de l’indic. présent.

Malgré les exceptions signalées, il n’en est pas moins certain que, dans l’immense majorité des cas, les verbes dont le radical est terminé par une consonne sont seuls à avoir constamment une s à la 1ere pers. Cette différence est difficile à expliquer pour qui suppose qu’à la 1ere pers. l’s soit l’effet d’une seule et même cause. La difficulté disparaît, si l’on admet que l’s se soit développée spontanément à la 1ere pers. des verbes dont le radical est terminé par une dentale, m et r, et que de là elle ait gagné les autres radicaux à consonnes, tandisque les présents des radicaux primitivement terminés par une voyelle n’auraient pris l’s que peu à peu en vertu d’une simple analogie beaucoup moins impérieuse, celle des présents je vois, j’estois, je puis etc.

Si ce qui vient d’être exposé est exact, il en résulte que l’opinion d’après laquelle l’s de la 1ere pers. ne serait autre que celle de la seconde, est fausse. En effet, on ne voit pas pourquoi cette analogie n’aurait pas influencé tous les radicaux indistinctement, et avant tout (ceci nous semble un argument décisif) la 2e pers. sing. de l’impératif. Or, dans les textes que nous avons examinés, on ne trouve jamais à l’impératif ni c (ch), ni z, ni s, mais toujours prent ou pren, rent ou ren, croi, di, fai etc.[4]. C’est de l’s de l’impératif, qui est postérieure, qu’on peut dire qu’elle a été ajoutée probablement sous l’influence de la 2e pers. sing. de l’indicatif.

M. Foerster (Zeitschr. für neufranz. Sprache p. 85) croit que l’explication de l’s de la 1ere pers. ne peut se séparer de celle de l’s de vois, estois, truis etc. qui l’ont eue dès les temps les plus reculés, s qui n’est pas encore expliquée d’une manière satisfaisante. Nous ne sommes pas tout à fait de son avis. En admettant même que la cause première qui a agi de part et d’autre soit la même, il n’y a pas de lien ni de rapport immédiat entre ces deux ordres de faits. Dans les textes cités truis, vois, estois sont toujours écrits par s, jamais par c, ch ni z. On ne saurait admettre non plus que l’s de la 1re pers. sing. de l’indic. prés. soit due simplement à l’action par analogie exercée par truis, vois etc, même si on joignait à ces verbes ceux en is (isco) ; on n’expliquerait pas ainsi les différences signalées plus haut entre les radicaux à consonnes et ceux terminés par des voyelles.

Avant de chercher à expliquer l’assibilation de la dentale en dialecte picard, nous dirons quelques mots d’un phénomène analogue que présente le parfait. M. Chabaneau (Hist. et Théor. de la Conj. fr. p. 62) est d’avis « qu’au parfait l’s de la deuxième personne du singul. fut d’assez bonne heure attribuée aussi quelquefois, par analogie, à la première ». Mais, dès les origines, une série de parfaits, tels que ocis, creins, pris, sis (voy. Diez Gr. II, 242) prennent s à la première personne, sans que cette s soit justifiée par le latin. S’il y a analogie, ne serait-il pas plus simple d’admettre que l’s d’ocis etc. ait été transportée aux autres prétérits ? Quoi qu’il en soit, on trouve dans Aiol et Richars des prétérits terminés à la 1ere pers. sing. (et à cette personne seulement) par c, ch : Aiol 1739 vic (vidi), 2176 euc, 7425 oc, 2563 soc (sapui), 3314, 3316 peuc, poc (potui). Rich. 753 esmuch (movi), 3717 vinch, 3723 revinch, 1249 fuch (fui), 927 euch. Il faut remarquer qu’il n’y a que les parfaits dits forts qui prennent ce c (nous rangeons parmi les forts ceux en ui), et que les parfaits tels que ocis, pris, sis (voir plus haut) sont toujours écrits par s et non par c, ch. Le fait que, dans les mêmes textes, il existe à côté d’oc, fuch, poc des formes telles que oi, fui, poi, ne permet guère de douter que c ne provienne de l’i final, « qui prit peu à peu le son chuintant » (Barguy Gr. II, 249 ; cfr. aussi Diez Gr. II, 244). M. Chabaneau, Hist. p. 116, dit à propos des prétérits en ui, que l’i se maintint assez longtemps à la 1ere pers. sing. dans les diphthongues ui et oi, ou qu’il y persista sous forme de j, ch ou c. « Plus tard un s, introduit par fausse analogie, l’y remplaça. » Ne serait-il pas plus juste d’admettre, au lieu de cette fausse analogie, que j, ch ou c (y, dy, dz) soit devenu s ? Si cela est possible à la 1ere pers. du prés. (et nous croyons l’avoir démontré), cela doit être possible aussi au parfait. Il y a pour la 1ere pers. sing. du parf., comme pour le présent, des exemples d’une terminaison z répondant à c : Amis 3158 retinz et Jourd. 2503 devinz qu’il faut comparer à tinch et revinch dans Richars. Notons encore que le parfait de vouloir, écrit d’ordinaire vols (Amis 2908), se trouve plusieurs fois sous la forme volz, Am. 2937 et Jourd. 385.

Il nous reste, pour en revenir à ls de l’indicat. prés. à expliquer, si possible, l’assibilation du t final en picard. Voici les faits dont il faudra tenir compte. Les formes vieng, tieng (1re pers. sing. la 3e est vient), constamment écrites ainsi dans nos textes, constituent un phénomène analogue à celui que nous étudions ; tienc, écrit par c, se trouve p. ex. au v. 423 du Dit de l’empereur Coustant (Romania VI, 167). Criem (tremo), après avoir changé m en n, devint crieng Rich. 1622, mais crienz Jourd. 159, ce qui prouve qu’il y a une certaine similitude entre les formes verbales terminées par g et celles terminées par c (z). Or le g de vieng, qui indiquait vraisemblablement que l’n était mouillée (n+y), ne s’explique que par l’i de venio. — Venir, tenir, ainsi que les verbes à dentale finale, ont dans nos textes à la 1. et 3. pers. du subjonctif la terminaison ge. Aiol 393 vienge, 472 confonge, 1421 perge, 1495 prenge, 600 meche. Ces formes s’expliquent encore par l’i de la terminaison latine iam (cfr. Chaban. p. 72, note). Or, un rapport entre l’indic. prés. perc et le subjonct. perge est vraisemblable a priori, et il se trouve confirmé par le fait que le présent rent, lorsqu’il est suivi du pronom je, est écrit à plusieurs reprises dans Aiol (6384, 8572) ren ge et non renc je ; ren ge coïncide avec le subjonctif renge. Tous ces indices nous signalent i comme source du c ; nous avons vu déjà qu’au prétérit c dérive vraisemblablement de i. De plus, le c de fierc et de muerc (qui se rencontre ailleurs) ne s’explique que par l’i de ferio et de morio (voy. Chab. p. 70, note). Il est donc probable que le c (z) de desfenc, renc..... est dû à l’influence d’un i. Seulement il n’en résulte pas qu’on ait le droit d’admettre des thèmes latins portio, defendio... À l’exception d’Aiol, l’emploi des formes assibilées est beaucoup trop irrégulier pour cela ; il nous semble plus probable que l’assibilation se soit développée sous l’influence du subjonctif. Les radicaux terminés par m (criem, aim) ont commencé par changer m en n, puis ont suivi l’analogie de : venio ou des radicaux terminés par des dentales. On voit maintenant pourquoi s ne paraît pas dans nos textes à la 2e pers. de l’impératif qui avait, du reste, à la première conjugaison la finale e ; mais on pourrait s’attendre à ce que l’assibilation eût gagné la 3e pers. du prés. de l’indic. sous l’influence de la 3e du subj. perge, confonge. Ce qui a empêché cette extension, c’est outre le besoin de distinguer la 1ere pers. de la 3e, le fait que les verbes tels que venir et tenir étaient terminés par t et que tous les verbes de la première conjugaison avaient à la 3e pers. du sing la terminaison e qui ne pouvait recevoir l’assibilation[5].

Un mot encore sur la relation qui existe entre les terminaisons s et e. Dans nos textes on trouve déjà fréquemment à la 1re pers. du prés. des exemples de la finale e qui a dû paraître de bonne heure, surtout à la suite de deux consonnes (Aiol 2323 encontre). Plus tard e se substitua dans tous les verbes de la 1. conjugaison à s. Nous avons trouvé une fois la 1re pers. sing. redouz, une autre fois redoute ; nous avons vu aussi que dans un texte de la Chrestom. fr. de Bartsch s est appliqué à des temps qui ne devaient pas l’avoir, notamment au futur. On prit l’habitude de considérer e et s comme des terminaisons équivalentes, de sorte qu’il n’y a rien d’étonnant à ce qu’on ait substitué plus tard s à e à l’imparfait de l’indicatif et au conditionnel. Nous ne pensons pas qu’il faille chercher une autre explication à ces changements.

Ad. Horning.
  1. Nous croyons utile de donner un aperçu général de cet emploi en prenant pour terme de comparaison l’usage des bons textes du 12e s. Nous nous bornons à un exemple pour chaque cas. Les mots non précédés d’un J (Jourdains) sont pris dans Amis.

    I. Z a disparu 1) dans une série de substantifs, d’adjectifs et de participes terminés au singulier par t ou d : 1293 piés, 410 fons, 217 pons, 119 cis, 55 apers, 56 grans, 133 drois, 226 liés (laetus), 136 vaillans, 384 joians, 390 mors, 212 reons. 2) dans les mots où z dérive de c (q) latin, 151 berbis, 706 vois, 974 fois, 117 crois, 973 bras, 1936 las. 3) dans les mots qui ont n et l mouillées, 76 compains, 216 poins (2313 poinz), 84 viex (2221 viez), 478 mieus, 514 solaus ; font exception 801 fiz (écrit souvent fiuls p. ex. 633), 54 gentiz, J. 681 periz. 4) 430 dans (dominos), 193 ans, 437 jors. 5) les participes en us et is ; exceptions : 83 venuz, 886 cheuz, 184 assiz.

    II. Z subsiste : Dans les participes et substantifs en ez, ainsi qu’à la 2e pers. plur. de l’indicat. prés. Except. 316 régnés, 495 amistiés, 32 nés.

    III. Z paraît contrairement à l’usage de la plupart des textes du 12e s.

    1) Dans tous les mots en os (ous) avec ou sans t étymologique : J. 1. 136 voz, vouz (vos), J. 985 nouz (nos), 170 touz, 1249 toz, 295 soz, 388 desoz, 224 douz (duo), 224 douz (dulcis), fém. J. 861 douze, 54 prouz (cf. 283 preuz et 124 preus). 2093 gloriouz, 1257 corresouz, 2273 merveilloz, 398 glouz, 1607 gloz. Les exceptions sont rares, 2513 dous ; 1040 fox (fou) et 215 cols (collum) ne suivent pas la règle des mots en os.

    2) Dans la plupart des adverbes : 168 ainz, 6 ansoiz, 231 ainsiz, 172 assez, 143 aprez, 286 prez, 105 lez, 1422 suz (969 sus), 58 ez (ecce), 345 enz, 338 laienz (337 laiens, 616 dedens), 1216 loinz, 434 de grez, 1726 certez (cf. 799 meïsmez). Exc. 206 volentiers, 1093 iluecques, 193 autressi, 204 tros (trans), J. 958 sans (sine) ; 965 gaires.

    3) Dans une série de formes verbales : 1ere pers. sing. : (les formes ont été déja indiquées) ; 2e pers. sing. prés. 80 iez (es), mais 1216 siés (sedes) et vois (vides), malgré le d étymologique ; à l’imparf. J. 402 donnoiez ; au parf. 94 veiz. J. 494 preiz, J. 495 fuz (cfr. 1178 meïs), 1253 laissaz (1277 formas, 1278 commandas, 1285 nasquis, 1313 montas). 2e pers. plur. 281 iestez, 406 ditez, 244 faitez (cfr. le part. 941 fraintez), 615 seustez, 616 feïstez, 978 veïstez, 325 fustez, 1289 alastez, 1170 aportastez. 1. pers. plur. 282 savommez, 354 disommez, 831 ferommez, J. 552 sommez, 1230 devommez. À côté, on trouve des formes en onz (1107 entronz, J. 639 seronz, J. 729 avonz, J. 490 feronz) et en ons (449 savons, J. 730 sons) ; il n’y en a point en om. Il est probable que la terminaison ommez s’est contractée en onz (cfr. J. 1045 ambesdouz et Am. 253 anz douz) et qu’ensuite z a été réduit à s.

  2. Dans les textes picards cités il n’y a pas d’exemple de la substitution de s à c, ch à la 1. pers. du singulier.
  3. Dans l’édition d’Alph. Pauly (Paris, chez A. Lemerre) qui reproduit fidèlement les manuscrits.
  4. Seint Auban 456, 556 1669 on trouve entenc, impératif d’entendre ; cfr. Uhlemann, Rom. Stud. IV, 610.
  5. Cfr. l’article de M. Boehmer sur le jod (Jahrbuch de Lemcke X, p. 173 suiv.) et notamment ses remarques sur venio, vengo, benzo.