L’Ouest-Éclair n° 16

collectif
L’Ouest-Éclair n° 16
L’Ouest-Éclair n° 16 (p. 1-4).

5
Centimes

Première année. No 16

L’Ouest-Éclair

Journal Quotidien d’Informations

POLITIQUE – LITTÉRAIRE – COMMERCIAL

RENNES – 4, Rue de la Chalotais, 4 – RENNES

5
Centimes

Jeudi 17 Août 1899


ABONNEMENTS
Un An Six Mois Trois Mois
Bretagne et Départements limitrophes 20 fr. 12 fr. 6 fr.
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Faits divers 1 franc

ON TRAITE AUSSI AU FORFAIT



DEUXIÈME ÉDITION




L’AFFAIRE DREYFUS



Les Assurances de bestiaux

Le Directeur de l’Ouest-Éclair est un vaillant à qui c’est un devoir de passer la main ; l’œuvre qu’il tente à Rennes revêt une telle importance qu’elle doit rallier toutes les âmes sincères en quête du bien moral à faire et d’infortunes à relever. Je lui suis, personnellement, trop dévoué, et j’aime trop le paysan pour me dérober. En avant donc pour une chronique rurale hebdomadaire.

Mais j’y veux dire seulement des choses pratiques, y parler d’organisation réelle. Si nos lecteurs y cherchent autre chose, je les en préviens, ils seraient déçus. L’Ouest-Éclair est déjà une force. Cette force doit se démontrer. Le moyen efficace me semble être la formation d’un faisceau d’œuvres nombreuses, qui seront la résultante des idées que le journal sèmera partout où il aura accès, et comme le côté extérieur, apparent, qui manifestera l’excellence de cette œuvre de presse. Mes efforts, ici, tendront précisément vers ce but, en stimulant autant qu’il sera en mon pouvoir, les initiatives locales, et en les organisant ensuite en une fédération provinciale de grand effet.

De toutes les œuvres rurales que j’ai vu essayer, et que j’ai essayées personnellement, celle qui réussit le mieux parmi les paysans est sans contredit la caisse de secours mutuels contre la mortalité du bétail. Tout le monde connaît l’attachement du paysan pour ses bêtes. Le chansonnier lui met dans la bouche qu’il aime Jeanne sa femme - ce n’est pas étonnant - mais qu’il aimerait mieux la voir mourir que de voir mourir ses bœufs. Exagération sans doute. Il n’en est pas moins vrai que son âme s’attache, comme naturellement, au cheval, au bœuf qui sont à la fois les compagnons de sa vie et les instruments de sa fortune. « Regardes, José, la belle jument blanche : Tu ne la reverras pus mésé. » C’était un brave paysan qui disait ce mot devant moi à son fils, un jeune homme de 25 ans, en livrant sa bête à l’acheteur.

Il arrive souvent, hélas, que les bêtes du fermier disparaissent autrement qu’après un marché. C’est un cheval qui a la colique et qui meurt, une vache qui crève en « vélant » que sais-je encore ? Les accidents arrivent si vite, emportant à chaque coup qu’ils frappent un morceau du cœur et du porte-monnaie du cultivateur. Comment ne seriez-vous pas bénis de cet homme, vous qui lui offrez un moyen infaillible de se tirer d’affaire quand il est victime d’un sinistre ? Sans aucun conteste, la Caisse rurale a une importance sociale beaucoup plus grande que les sociétés dont je parle présentement, car offrir du crédit à un laboureur c’est faciliter son affranchissement. Elle est quand même beaucoup moins considérée, les avantages qu’elle présente n’étant pas aussi évidents.

Il existe déjà en Bretagne un certain nombre de sociétés locales d’assurance-bétail. Je cite de mémoire : PORDIC, TINTÉNIAC, BONNEMAIN, SAINT-MELOIR-DES-ONDES, PLOUDANIEL, PLEUMEUR-GAUTHIER, PLOUENOUR-LANVERN.

À l’exception de la Société fondée à PLEUMEUR-GAUTHIER, qui est une véritable société d’assurances, ces sociétés ne sont que des caisses de secours mutuels contre la mortalité du bétail annexées à un syndicat agricole. Je les préfère d’ailleurs pour de nombreuses raisons à l’assurance proprement dite.

Ces caisses n’ont pas les mêmes statuts et ne fonctionnent pas non plus d’après un type unique. Le moins compliqué me parait être celui qui est en usage dans la Société de Tinténiac, dont M. François Saget est le zélé président. Chaque sociétaire verse une cotisation de tant pour cent de la valeur de ses bêtes. A la fin de l’année, le total de ces cotisations, augmenté de leurs intérêts, des subventions recueillies, est partagé entre tous les sinistrés proportionnellement à la perte nette qu’ils ont éprouvée. L’indemnité toutefois ne peut jamais dépasser les 4/5 de cette perte nette.

Expérience faite, j’ai constaté qu’il suffisait d’une cotisation de 0 fr. 75 p. 0/0 de la valeur des bêtes de l’espèce bovine pour assurer cette indemnité quand on opère un total de 500 à 800 bêtes ; pour l’espèce chevaline, la cotisation ne peut inférieure à 1 fr. 25 p. 0/0 pour une moyenne de 100 à 200 chevaux assurés.

Longtemps, j’hésitai avant de me lancer dans cette œuvre d’assurances de bétail, par crainte de l’imprévu. Elle n’existait pas encore dans nos contrées, et ce que je savais je le connaissais par des articles de revues et des journaux. Je le dis pour inspirer confiance aux amis des paysans : ma défiance n’étant pas justifiée. L’expérience m’a encore révélé qu’il était beaucoup plus facile de réussir une caisse de secours contre la mortalité qu’une caisse rurale. Une caisse rurale ne marche bien que si l’on prend la peine de faire l’éducation du paysan relativement à ces opérations de crédit qu’il ignore et dont il ne sait pas tirer parti. Tandis qu’une caisse de secours marche toute seule une fois qu’elle est fondée. Il y a quelques courses à faire aux débuts, quelques esprits indolents à stimuler de temps en temps. Et, en somme c’est à peu près tout.

Voilà la saison avantageuse pour étudier un projet d’assurance-bétail. J’espère en convaincre les amis de l’Ouest-Éclair et arriver en janvier prochain avec une dizaine de sociétés nouvelles.

La prochaine fois, j’entrerai dans le détail, et j’examinerai les diverses objections qu’on aura bien voulu me présenter.

F. Moustier.


Dépêches Havas

SERVICE SPÉCIAL DE L’Ouest-Éclair

Paris, 16 août, 10 heures soir,
À la rue de Chabrol

La circulation a été rétablie rue de Chabrol.

M. Lasies, député, et M. Massard, directeur de la Patrie, sont allés ce matin au ministère de l’intérieur, pour s’entretenir avec M. Demagny, secrétaire général, sur les conditions dans lesquelles pourrait être effectuer l’arrestation de Guérin.

M. Lasies est ensuite allé voir M. Guérin et a fait dans l’après-midi de nombreuses courses entre la rue de Chabrol et le ministère.

On n’attend rien de nouveau avant ce soir.


Tirage de Panama

Au tirage de Panama, le no 876.515 gagne 500,000 francs. Le no 842.129 gagne 100,000 francs.


Convocation des Chambres

M. Prax-Paris, député de Tarn-et-Garonne, écrit à M. Deschanel pour réclamer la convocation des Chambres.

C’est une nécessité qui s’impose en présence des difficultés politiques actuelles.

Un meurtrier politique

Encore un crime dû à la surexcitation des esprits.

Dans la matinée, rue Marcadet, le nommé Bonnet, ouvrier serrurier, passait tranquillement, lorsqu’un inconnu s’approcha de lui et s’écria :

— Tiens, voilà une sale tête de youpin, faut que je la crève ! Et il tira sur l’ouvrier serrurier un coup de revolver qui l’atteignit au bas-ventre.

La pauvre victime fut transporté à l’hôpital.

Le coupable est en fuite.

Le procès Dreyfus

Dans sa plaidoirie, Me Demange s’attachera surtout à la discussion technique, aux écritures, à la cryptographie et au bordereau.

Me Labori veut surtout s’attacher aux contradictions qui existent entre les déclarations des généraux Mercier et Gonse. Il donnera également de très grands développements sur le mystère Henry.

Une Protestation

M. Scheurer-Kestner a adressé au colonel Jouaust une protestation contre la déposition du général Billot. Il nie être l’ami de la famille Dreyfus et avoir jamais entretenu le général Billot des affaires concernant le colonel Picquart.

Une Remarque

Dans sa déposition, le général Roget dit qu’il considérera toujours Esterhazy comme un traitre.

À ce sujet la Liberté prétend que ce propos serait motivé par ce fait que les amis de Dreyfus auraient entamé des pourparlers avec Esterhazy pour qu’il envoyât au président du conseil de guerre une sorte d’acte d’accusation reprochant à Dreyfus de l’avoir livré à la justice.

En agissant ainsi, Esterhazy s’avouerait ainsi l’auteur de la trahison.

HAVAS.

AU CONSEIL DE GUERRE

Séance du 17 août


AVANT LA SÉANCE

Changement dans le décor. Les dessinateurs, auparavant sur le devant des bancs de la presse, ont été relégués aujourd’hui derrière les journalistes. Il paraitrait que plusieurs témoins se seraient plaints du voisinage de ces messieurs qui les crayonnaient avec un véritable sans-gêne et faisaient leur caricature, c’est le cas de dire, à leur nez et à leur barbe.


LA SÉANCE

Le général Roget

reprend la suite de sa déclaration.

Un agent fut spécialement attaché à la surveillance d’Esterhazy. On le connaissait sous le nom de Durand, et personne ne se doutait dans les bureaux, de quelle mission il était chargé.

Pendant cette surveillance, on a perquisitionné, enlevé des lettres, sans mandat régulier. On apprend également qu’Esterhazy a une maîtresse qui reçoit une partie de sa correspondance.

Pour couronner ces manœuvres, M. Picquart proposa à ses chefs d’envoyer à Esterhazy une dépêche en termes convenus avec son correspondant habituel, et de lui adresse un télégramme l’invitant à venir à Paris au plus tôt pour le frein à air.

Ce projet ne fut pas adopté par les bureaux de la guerre, et la surveillance exercée contre Esterhazy se termina sans avoir donné de résultat appréciable.

Le général Roget cite plusieurs exemples de la légèreté avec laquelle le lieutenant-colonel Picquart remplissait ses fonctions au bureau des renseignements : on envoyait sur la frontière allemande des individus absolument insuffisants pour prendre des vues des établissements militaires.

Le général Roget arrive à Dreyfus qui n’a été qu’indirectement sous ses ordres puisqu’il avait à l’état major pour chef de direct le commandant Bertall.

Dreyfus était connu du témoin comme très-curieux, indiscret et toujours disposé à s’enquérir de faits qui ne concernaient nullement sons service.

C’est alors que le général Roget donne sur lui les notes suivantes : Officier très actif, très intelligent, d’une assimilation extraordinairement facile, mais qu’il vaudrait mieux ne pas laisser aux bureaux des renseignements de l’état-major.

Dreyfus fut changé de service et le général Roget n’eut plus à s’occuper de lui pour le moment.

Me Demange demande au général Roget de donner des renseignements sur le rôle joué par M. du Paty de Clam dans l’affaire Dreyfus.

Le général Roget répond qu’il croit, sans en avoir aucune preuve cependant, que M. du Paty de Clam a dû écrire lui-même la dépêche signée Speranza adressée à Esterhazy.

Au moment où l’on procédait à l’enquête Dreyfus, Esterhazy faisait publier dans les journaux qu’il était en possession de la pièce dite le document révélateur, et qu’il l’avait mise en lieu sûr en Angleterre.

Or, Esterhazy n’a dû avoir la pièce que pendant très peu de temps, et plus tard il a dû chercher à induire en erreur son propre défenseur.

En tout cas, ce n’était qu’une des photographies tirées à un certain nombre d’exemplaires.

Un soir, un inconnu − on crut que c’était Esterhazy lui-même, − venait apporter au ministère un pli cacheté qu’il remit aux garçons de bureau ; sous l’enveloppe on trouva la photographie de la pièce qui rentrait ainsi au ministère.

Me Demange. − Si Esterhazy était innocent, comment expliquer l’intervention auprès de lui de M. du Paty de Clam ?

Le général répond que l’on croyait à l’innocence d’Esterhazy, et du Paty de Clam s’était mis à sa disposition pour l’aider à se laver de cette accusation.

Me Demange demande au général Roget ce qu’il pense du commandant Esterhazy allant trouver un agent étranger pour intervenir auprès de la famille Dreyfus et faire dire à celle-ci que lui-même Esterhazy était innocent.

Le général Roget répond qu’il n’a pas eu connaissance de ce fait, et qu’un simple racontar de M. du Paty de Clam ne lui permet pas d’avoir une idée bien déterminée.

Me Demange demande comment il se fait que le petit bleu, qui était intact en sortant des mains de Picquart, était devenu l’objet d’un grattage dans les bureaux, ce qui devait le rendre évidemment suspect.

Le général Roget a bien vu ce grattage mais il n’a pu se rendre compte du travail opéré : « J’ignore ce qu’ont pu dire les experts. Il est évident que l’on a modifié le nom d’Esterhazy. Il semblerait que celui qui a fait le cliché ait, sans le vouloir et sans le savoir, fait disparaître la correction.

En tout cas, j’ai quitté le ministère le 20 septembre et je ne sais pas ce qui a pu s’y passer depuis.

Je dois ajouter que personne n’avait remarqué le truquage du petit bleu, et c’était moi-même qui m’en suis aperçu longtemps après l’instruction ».

Me Demange demande au général Roget des renseignements sur l’incident Lajoue, un homme renvoyé du ministère pour


Une Histoire de Revenants

PREMIÈRE PARTIE
L’ASSURANCE SUR LA VIE

X
Double baptême.

- Mes oreilles tintent.

Et il avait continué sa route.

Il arrive que l’homme du ravin, à peine remis au travail, entendit encore marcher au-dessus de lui, et que le marcheur, dès les premiers pas qu’il fit, crut ouïr de nouveau le son de la pioche. Ils s’arrêtèrent en même temps, prêtant l’oreille l’un en haut, l’autre en bas. Le plus patient des deux devait avoir le mot de l’énigme. Le plus patient ne fut pas l’homme à la pioche, qui était pressé sans doute et qui reprit sa besogne au bout de quelques secondes. Désormais, il n’entendit plus rien.

Il y allait de grand cœur, et si rebelle que fût le sol, il eut bientôt creusé un trou assez grand pour y enfouir une petite valise qui était par terre auprès de lui. Il prit la valise et la poussa dans la fosse, pour voir si elle y tenait à l’aise. Le résultat lui sembla favorable et il se redressa tout content.

Mais, en se redressant, il vit un homme debout au devant de lui. L’homme d’en haut, celui qui tout à l’heure marchait dans le chemin des Troènes.

− Gabriel ! murmura le piocheur en reculant de plusieurs pas.

Le nouveau venu restait immobile, les bras croisés sur sa poitrine.

− Tu ne m’attendais donc pas, Filhol, mon bon frère ? dit-il d’un accent doucereux et railleur.

L’homme à la pioche ramassa son outil et le serra instinctivement entre ses mains comme si c’eût été une arme. Il répondit :

− Non, Gabriel, je ne t’attendais pas.

− Tu t’étais sans doute lassé de m’attendre à la Tour de Kervoz ! reprit le jeune cloarec dont la voix se faisait plus moqueuse.

− Je ne t’ai pas attendu à la Tour de Kervoz, répliqua Treguern.

− Non ? et pourquoi cela, mon frère ?

− Parce qu’il me répugnait de casser la tête d’un homme qui a été mon ami.

Il y eut un silence après cette réponse qui fut faite d’un ton rude et menaçant. Gabriel restait toujours immobile et calme en apparence. L’homme qu’on appelait Filhol de Treguern tourmentait, au contraire, le manche de sa pioche. Gabriel avança d’un pas, Treguern lui dit :

− N’approche pas !

Gabriel fit un pas de plus et c’était montrer du courage.

− Tu as quelque chose contre moi, mon frère ? dit-il d’une voix douce qui ne gardait plus trace de moquerie.

− Sur mon honneur, Gabriel, prononça Filhol qui détourna la tête, tu feras mieux de ne pas rester ici !

− Qu’ai-je donc à craindre ?

− Gabriel ! Gabriel ! s’écria Filhol d’un accent plein de tristesse ; j’avais mis ma confiance en toi. Pour toi, la porte de la maison de mon père n’était jamais fermée. Gabriel, j’étais à la Croix-qui-marche cette nuit où douairière Le Brec, l’ennemie de Treguern, amena le prêtre maudit. Tu sais bien que je ne pouvais ni me montrer, ni protester ; j’étais hier soir à la Pierre des païens, quand Marianne a passé avec Douairière Le Brec pour aller au moulin de Guillaume. Gabriel, ce mariage est un mensonge et un crime. Gabriel, qu’as-tu fait de l’honneur de Marianne ma sœur ?

− Ah ! murmura le cloarec dont la voix changea tout à coup, tu sais cela ? et tu t’es dit : Je devais donner cinquante mille francs à Gabriel, je les garderai pour moi : ce sera le prix de l’honneur de Tréguern ?

Filhol leva sa pioche ; Gabriel mit la main à sa ceinture. Filhol s’élança sur lui et lui porta un coup que Gabriel esquiva, souple comme un serpent.

D’un bond il s’était réfugié derrière le saule.

− Tu as frappé le premier, dit-il, je ne fais que me défendre !

Filhol entendit le bruit sec d’un pistolet qu’on arme. Le ravin s’illumina à l’éclair d’une détonation et Filhol s’affaissa sur lui-même, la poitrine traversée par une balle. Les parois évasées du ravin prolongèrent en enflèrent la détonation. Un grand cri se mêla à ces échos. Dans le premier moment de trouble, Gabriel crut que c’était la victime qui l’avait poussé.

Filhol était couché au pied du saule ; ses cheveux baignaient dans la mare ; il ne bougeait plus. Pendant une seconde, Gabriel resta comme étourdi ; sa main laissa échapper le pistolet pour tâter d’instinct sa propre poitrine à la place du cœur.

− Il bat ! il bat ! murmura-t-il ; ma tête tourne. La première fois qu’on regarde au fond d’un précipice, le vertige vous prend… puis on s’habitue : cela vaut cent mille francs !

Un second cri retentit aux parois du ravin. Gabriel écouta, frémissant de tout son corps ; cette fois il ne pouvait pas se méprendre. Le grand étourdissement qui accompagne le crime avait eu le temps de se clamer ; les échos de la détonation se taisaient. Le feuillage maigre du taillis de troënes s’agitait ; quelqu’un descendait par la partie la plus escarpée du ravin et quelqu’un prononçait le nom de Filhol.

Gabriel prit son autre pistolet à sa ceinture. Une branche du taillis craqua et se rompit, Gabriel dut penser qu’il n’aurait pas besoin de son arme, car le nouveau venu, perdant l’équilibre, roulait sur les roches calcaires. Il arriva ainsi au fond du ravin et rebondit sur ses pieds en disant : Filhol ! Filhol !

Par miracle, sa chute l’avait laissé sans blessure. Les premières lueurs de l’aube blanchissaient le ciel. Gabriel put distinguer un homme de haute taille, revêtu d’un costume militaire et n’ayant plus qu’un bras. À ce moment même, Étienne l’apercevait à son tour dans l’ombre et s’élançait vers lui.

− Tu n’es pas Filhol ! s’écria t-il ; qu’as tu fait de Filhol ?

Gabriel avait armé d’avance son second pistolet.

− D’où venez-vous, l’ami, dit-il froidement, si vous ne savez pas que Filhol de Treguern est mort des fièvres des marais, au mois de septembre de l’an passé ?

Le pied d’Étienne se heurta contre la valise qui rendit un son métallique.

− Ah ! fit-il, Dieu voit le fond de ce mystère ! Ceci est un témoin. J’ai suivi Treguern depuis le manoir jusqu’en ce lieu ; il portait cette valise sur ces épaules. Tu es le cloarec Gabriel et tu viens d’assassiner Treguern !

Gabriel vit seulement alors que son adversaire tenait dans la seule main qui lui restât un sabre aigu et recourbé, il avait repris tout son sang froid : Étienne était si près de lui, que la pointe du sabre pouvait arriver à sa poitrine avant qu’il eût levé le bras pour décharger son pistolet. Son esprit rapide et fécond en ressource lui fournit un stratagème sur lequel il joua son va-tout.

− Regarde à tes pieds, dit-il et vois si celui là dont la tête pend dans la mare est bien ton Filhol de Treguern.

Étienne se retourna vivement ; les lueurs pâles de l’aube lui montrèrent le cadavre étendu de l’autre côté du saule, il ne jeta sur lui qu’un regard, et les muscles de son bras se raidirent pour lever son sabre : Gabriel était condamné. Mais Gabriel avait eu le temps d’appuyer son pistolet contre le tronc du saule, pour éviter ce tremblement inséparable de l’émotion, et au moment où Étienne revenait sur lui, une nouvelle détonation éveilla les échos du ravin.

La poitrine du jeune sergent rendit une plainte ; son bras gauche, fracassé à la naissance de l’épaule, tomba inerte le long de son flanc. Son élan ne fut pas arrêté, pourtant, et il se précipita sur Gabriel sans comprendre, peut-être, tout l’étendue de son impuissance.

Par deux fois, et malgré la douleur atroce qu’il ressentait il essaya de relever ce bras qui n’avait pas de ressort. Par deux fois, la crosse du pistolet de Gabriel résonna sur son front que rien ne défendait.

Au premier coup, le visage d’Étienne s’était inondé de sang ; au second coup il ferma les yeux et s’en alla en arrière auprès du corps de Filhol.

Gabriel lava la crosse de son pistolet dans l’eau de la mare et passe son mouchoir mouillé sur ses tempes. Le crépuscule éclairait assez pour qu’on pût distinguer les objets ; Gabriel regarda les deux cadavres. Il était pale, mais il portait tête haute. La respiration, sortait avec force de sa poitrine gonflée. Il chargea la valise sur ses épaules et se mit à gravir la rampe du ravin d’un pas ferme.

Ce fut dans la nuit du quatorze au quinze août de l’an 1800, que le Trou-de-la-Dette vit ce double assassinat. Le lendemain était la fête de l’Assomption. Dès le matin, les paysans du bourg d’Orlan se rassemblaient suivant la coutume, dans le cimetière qui sert de place à la paroisse, il y avait grand mouvement parmi eux ; on lisait une sorte d’effroi sur tous les visages, et derrière l’effroi la curiosité se montrait.

Paul Féval
(A suivre) malversations et aujourd’hui à la solde du service des renseignements.

M. le commissaire du gouvernement, s’oppose à ce que la question posée, le général Roget n’ayant pas eu connaissance de ce fait.

Le colonel président dit que la question ne sera posée que plus tard, lorsque viendront les témoins qui ont connu de l’incident de Lajone.

Ce petit échange d’observations entre l’accusation, la défense et le président cause une certaine émotion dans la salle.

Il est bien apparent que Me Demange désire poser des questions multiples au général Roget pour amener une confusion dans ses déclarations. Ce serait un excellent appoint pour la défense. Mais d’autre part, il serait juste de ne pas poser aux témoins des questions se rattachant à des faits auxquels ils ont été absolument étrangers.

Me Demange. — Comment le général Roget a-t il su qu’on avait offert 800,00 francs à Esterhasy ?

Le général. — C’est lui-même qui l’a déclaré au conseil d’enquête devant lequel il avait été appelé.

Me Demange. — Le général nous a dit que le bordereau était déchiré en menus morceaux…

Le général (vivement). — Ah, pardon, je ne suis pas un orateur : une expression peut dépasser ma pensée ; le bordereau était peu déchiré et roulé en boule.

Me Demande demande au général ce qu’il entend par les « récriminations vagues » de Dreyfus pendant son séjour à la Guyane.

Le général. — Si j’étais accusé d’une trahison que je n’aurais pas commise, je trouverais des arguments décisifs pour faire ressortir mon innocence.

Dreyfus. — Dans tout ce que le Conseil a entendu hier, il n’y a pas un mot de vérité.

— Ô —
M. Bertulus

juge d’instruction à Paris, à la voix grave si grave même qu’elle ne dépasse pas la ligne de ses courtes moustaches. Sténographes et journalistes trépignent car pas un mot ne parvient jusqu’à eux.

Le geste est beau ; il vaudrait mieux que le témoin en fit moins et elevât le ton davantage. Nous allons assister à une simple pantomine jouée par M. le juge d’instruction.

M. le commissaire du Gourvernement. — Nous n’entendons pas un mot.

M. Bertulus. — C’est que j’ai l’habitude de parler ainsi dans mon cabinet.

Me Demange. — Le témoin pourrait recommencer, car de tout ce qu’il vient de dire, il ne nous est pas arrivé un traître mot.

Et M. Bertulus recommence son ronron. Pourvu que la représentation de Guignol ne dure pas trop longtemps !

Ce serait à croise que le témoi rapporte des choses qu’il ne faut pas faire connaître à tout le monde. La voix de M. Bertulus nous rappelle un tuyau d’orgues qui corne ; encore le son en est-il bien faible.

Voici un mot qui nous parvient : « On a prétendu que je ne dis pas la vérité ! »

Ce n’est certainement pas nous qui émettrons une pareille opinion, car nous serions embarrassés s’il fallait dire ce que raconte le témoin.

Si le public n’est pas toujours d’une sagesse exemplaire, il faut reconnaître qu’aujourd’hui il montre une patience admirable. Voilà deux heures qu’un témoin parle sans que l’on entende la moindre syllabe.

Il est vrai que dans l’assistance quelques yeux se ferment tandis que les bouchent s’ouvrent demesurément dans des bâillements significatifs.

On transporte au service médical un de nos plus sympathiques avocats rennais Me Ilari, pris dans la salle d’une indisposition subite.

La séance est suspendue à dix heures.

À dix heures un quart la séance est reprise.

M. Bertulus revient au fauteuil des témoins.

Me Demange demande au témoin s’il peut indiquer les scellés qui contiennent la pièce Bâle et Cie.

Le témoin répond que les notes ont été données à la Cour de Cassation.

D’après M. Bertulus, un nommé Souffrain, qui avait été soupçonné d’être l’auteur de certains télégrammes, est complètement étranger à toute l’affaire.

Me Demange. — Y a-t-il dans les dossiers un élément nouveau qui pourrait jeter un jour nouveau sur la situation d’Esterhazy ?

M. Bertulus continue à ronronner.

Mme Henry demande la parole :

Le 18 juillet, mon mari m’a dit que M. Bertulus l’avait reçu à bras ouvert et l’avait comblé de félicitations.

Je fus surprise de cet accueil, et je dis à mon mari : Je crains bien que les baisers de cet homme soient ceux d’un Judas, et en effet cet homme ici présent a été pour mon mari un Judas.

M. Bertulus — Je ne puis répondre à cette femme…

La manifestation du 14 juillet. - Les gens poursuivis en justice de paix pour avoir le 14 juillet, du citoyen comparu à l’audience du lundi 14 courant de M. G , juge de paix du canton nord-est.

Ils ont été condamnés chacun a franc d’amende et .


ÉTAT CIVIL DE RENNES
NAISSANCES

16 août. - Marira-Augustine-Juliette Corbes, faubourg de Nantes.

Jeanne-Marin Alexandrine Renon, à l aPoterie en

Joseph , faubourg de Paris,

François Marie Joseph Crugé, route de Redon, 30.

DÉCÈS

15 août. - Jean-Marie Gauthier, maçon, marié, 75 ans, Hôtel-Dieu.

Mme veuve Bourdon, née Jeanne-Marie Lesné, 85 ans, impasse Ponthieu .

Mme Gorien, née ans 5 mois, rue de la Bletterie, à Saint-Cyr.

16 août. - Edmond Alfred Henri Morin, 18 jours, rue Saint-Hélier, 29.

Anne Désirée-Jeanne-Marie Guitton, 2 ans 1/2, rue Saint-Hélier, 10.

Louis François Bertelle, 6 mois, rue Champ Dolent, 4.

Pierre Charles Hubert, 7 semaines, rue de la Barbais.

Eugénie Augustine Marie Jourdan, 4 mois, Champ de Justice.

Yvonne Léauté, 5 ans 3 mois, rue Champ-Dolent, 13.

Mme veuve Bertin, née Marie-Louise Richoimme, 65 ans, rue de Paris, 1.

François-Marie Denis, sans profession, 55 ans 3 mois, faubourg de Paris, 72.

Un inconnu du sexe masculin, 35 ans environ, trouvé mort canal d’Ille-et-Rance.

Pierre Marie Auguste Fouesnel, 4 ans 8 mois, au Chêne-Vert, route de Vern.

16 août. - Paul-Marie Névot, serrurier, célibataire, 20 ans, rue Duhamel, 5.

François Pierre Darron, propriétaire, veuf, 70 ans 7 mois, place du Bas des Lices, 8.

Anne-Françoise Perrot, sans profession, célibataire, 64 ans 2 mois, boulevard de la Liberté, 32.

Louise-Julie Mélanie Lucas, 13 ans 1/2, rue de la Santé, 4.

Jean-Baptiste Denis, laboureur, célibataire, 33 ans, à la Fleuriais, en Saint-Étienne.

Prudence Marie Louis, religieuse de chœur de l’ordre des Clarisses, célibataire, 24 ans 4 mois, rue de Brizeux, 20.

Jospeh Duvoisin, frère de l’instruction chrétienne, célibataire, 56 ans, rue Belair, 15.


Chronique régionale

Ille-et-Vilaine


FOUGÈRES

Épouvantable accident à Saint-Marc-Vendel. - Nous avons annoncé dans l’Ouest-éclair, le pénible accident qui s’est produit, il y a quelques jours, sur la route de Rennes à Fougères. Voici les détails complémentaires que nous avons pu obtenir à ce sujet :

L’accident a eu lieu exactement au point kilométrique 34,060 au passage du train n°6, qui arrive à Fougères à 7 heures 30. A ce moment arrivait une charrette montée par deux hommes : M. Joseph Henry, âgé de 58 ans, maréchal ferrant à Saint-Hilaire-des-Landes, et M. Louis Neveu, âgé de 65 ans, cultivateur au Clos.

La voiture, chargée de deux lourdes barres de fer de six mètres de long, dépassant d’une certain longueur de chaque côté, venait en sens inverse du train.

Dès que le mécanicien Mathieu aperçut la charrette, il fit fonctionner le sifflet de locomotive. A ce bruit le cheval tourna brusquement et l’une des barres de fer vint heurter l’avant de la machine. Le choc vu si violent que les brancards de la voiture se les compagnies de l’Ouest et d’Orléans, les trains partant e Paris-Saint-Lazare pour la à 10 heures du soir et du Croisic pour Paris-Saint-Lazare à 5h 40 du soir, ainsi que les trains partant de Paris-Saint-Lazare pour Quimper à 9 heures 2 du soir et de Quimper pour Paris-Montparnasse à 4 heures 21 du soir, de voitures à couloir et à couchettes.

Les voyageurs peuvent y prendre place en payant un franc par personne et les compartiments à couchettes moyennant qui sait la longueur du parcours.


Compagnie des chemins de fer de l’Ouest

La compagnie à MM. les voyageurs de vouloir

afin d’éviter les erreurs de direction et d’inscrire sur

et le nom de la gare destination.

Pour cette inscription, MM. les voyageurs trouveront aux bibliothèques des gares des carnets d’étiquettes gommées au prix de 0 fr. 05 le carnet de 10 étiquettes.

Nous rappelons à nos lecteurs que le compagnie de l’Ouest a commencé depuis quelques temp l’émission d’Obligation nouvelles, remboursables à 500 fr. rapportant au nominatif 12 fr. d’intérêt et au porteur 11 fr. 10 environ. Au prix d’émission actuel, ces titres offrent une prime de remboursement d’environ 80 fr. qui vient s’ajouter au revenu des coupons annuels. Toutes les Obligations bénéficieront de cette prime, à une date plus ou moins rapprochée, pendant la durée de la concession de la Compagnie.

Suivant les cas, le revenu supplémentaire procurré par la prime de 80 fr. .

Si le remboursement s’effectue au bout de 5 ans, à fr. 80/5 égal 16 fr.

Si le remboursement s’effectue au bout de 10 ans, à fr. 80/10 égal 8 fr.

Si le remboursement s’effectue au bout de 15 ans, à fr. 80/15 égal 5 fr. 35.

Si le remboursement s’effectue au bout de 20 ans, à fr. 80/20 égal 4 fr.

Et alors même que le remboursement ne s’effectuerait que plus tard, les cours tendront, par leur plus value, vers le même résultat.

Le rendement total sera donc, dans ces diverses hypothèses, respectivement, pour les Obligations nominatives, de :

12 fr. plus 16 fr. égal 28 fr. ou 6 fr. 65 %.

12 fr. plus 8 fr. égal 20 fr. ou 4 fr. 75 %.

12 fr. plus 5 fr. 35 égal 27 fr. 35 ou 4 fr. 15 %.

12 fr. plus 4 fr. égal 16 fr. ou 3 fr. 80 %.

C’est là un revenu des plus rémunérateurs pour des valeurs de premier de la garantie de l’Etat, en Bourse, et dont par voie d’emprunt avec la plus grande facilité.

Les souscriptions sont réglées, sans aucun frais, dans les gares de : Rennes, Betton, Noyal-Acigné, Retiers, Janzé, Vern, Corps-Nuds, Martingé-Ferchaud, La Guerche-de-Bretagne, Argentré, Bonnemain, Monfort-sur-Meu, Vitré, Combourg, Ploërmel, Mauron, St-Méen, Bruz, Guichen-Bourg-des-Comptes, Bain-Lohéac, Messac, Fougeray, Langon, Avessac, Redon, Montauban-de-Bretagne, Caulnes, Plenée-Jugon, Broons, Châteaubourg.

Ces gares livrent des titres au porteur ou nominatifs, selon le choix des .


La compagnie de l’Ouest fait délivrer, de mai à octobre, des billets à prix réduits dit « d’excursion » à itinéraires fixes, valables pendant 1 mois et pouvant être prolongés d’un nouveau mois moyennant un supplément de 10 pour 100.

Ces billets comprennent 14 itinéraires différents sur lesquels 10 peuvent être utilisés au départ de Rennes.

Ils donnent droit au parcours et après et doivent être demandés 3 jours au moins à l’avance à la gare de Rennes.

1° 1re classe 80 fr. 2e classe 60 fr. - Rennes, Vitré, Fougères, Laval, Le Mans, Chartres, Paris, Dreux, , Granville, Avranches, Mont-Saint-Michel, Dol, Saint-Malo, Dinard, Dinan, (Lamballe ou Saint-Brieuc moyennant supplément), Rennes.

10°


Imprimerie Bretonne


Le gérant : V. Thieulant.