L’Ornière/Texte entier

Ferenczi (p. --264).
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L’ORNIÈRE
DU MÊME AUTEUR

L’AMOUR DE LA BLONDE, roman.

DU SANG SUR LA FALAISE, roman.

CELLE QUI S’EN VA, roman.

LA TROP AIMÉE, roman.

CELUI QUI RESTE, roman.

LE JOUG, Prix Vie Heureuse anglais.

LES MASQUES DE L’AMOUR, roman,

LA BARRIÈRE, roman.

LE SILENCE DE CAMBRIDGE, roman.

J’IRAI REVOIR MA NORMANDIE, contes.

LA MAISON DU DOUTE, roman.

L’UNIQUE OBJET (LE REFLET DE ROME).

ÉLISABETH DE WITTELSBACH, roman.

LA POURSUITE MÉRIDIENNE, roman.

LE BERGER ET LA MER, nouvelles.

En préparation :

TROIS JOURS ET TROIS NUITS, roman. Page:Maurel - L Orniere.djvu/15


IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE : DIX EXEMPLAIRES SUR PAPIER VELIN BIBLIO-PHILE, NUMÉROTÉS DE 1 A 10.


Copyright by J. FERENCZI et FILS 1935 Droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous les pays. A LA CHÈRE MÉMOIRE DE MON FILS CLAUDE, QUI AURAIT AIMÉ CE LIVRE. M. G.

PREMIÈRE PARTIE

I

Au moment où Reine mit le pied sur la terrasse, les cloches commencèrent à sonner. Bien qu’elle s’y attendît, comme tous les Français, comme tous les Européens ce jour-là, elle demeura saisie de ce grand saisissement que personne n’a pu oublier. Et, aussitôt, elle cria :

— L’Armistice, c’est donc vrai ?

Elle restait devant la vallée toute sonnante, maintenant, car à Rainville répondait Reury plus lointain, tandis que, des hauteurs du plateau, descendait le carillon de Grainetot et même le gros bourdon de Raymesnil. Et le fleuve de son qui passait si impétueusement sur elle, ne charriait que deux mots : La Paix, la Paix.

Elle avait les yeux pleins de larmes, et même, elle se mit à pleurer inconsciemment, à pleurer sans bruit ni sanglots, les yeux grands ouverts, à pleurer vraiment de bonheur.

Enfin, voyant que sa mère était venue la rejoindre, elle la prit dans ses bras pour mêler leurs pleurs et leur joie.

Les grandes ondes sonores roulèrent encore autour d’elles et puis se ralentirent. Ici et là, on entendait un frappement de bourdon, une mesure cristalline ; les longues écharpes amincies de son flottèrent une dernière fois, et une minute vint qui termina par un silence auguste le concert des cloches.

Maintenant, le vallon doré, tout enroulé dans la brume bleue et transparente de novembre, retrouvait, livré à lui-même, cette douceur sereine qui n’est que d’automne. Les dames Almin de la Mazure, encore embrassées, se séparèrent et firent quelques pas sans paroles, comme lorsque le cœur est trop plein.

Elles marchaient l’une à côté de l’autre, si visiblement unies et aimantes, si dissemblables et presque disproportionnées. La vieille Mme Almin, menue et amenuisée jusqu’à la transparence, petits pas et petits gestes, Reine, grande et belle de taille et de formes, avec sa haute allure de femme née pour le plein air, pour décider et pour commander.

Au bout de la terrasse, elles revinrent vers le château qui alignait ses vingt fenêtres vers le soleil proche de midi.

— Enfin, on va pouvoir songer à autre chose qu’à la guerre ! dit doucement la vieille dame.

— Enfin, on ne va plus se tuer ! dit ardemment sa fille.

Elles se regardèrent et sourirent, et puis Reine amena sa mère jusqu’au banc qui, en bas du perron, permettait d’embrasser le paysage.

Toutes les deux, là, devant le joli château Louis XIII — une copie de la meilleure époque normande — avec, pour fond, une tapisserie brodée par l’automne, elles portaient bien l’air qu’il faut à des dames de la ville exilées à la campagne, hors des saisons classiques des séjours. Et la guerre, vraiment, n’en avait-elle pas fait (de force, comme elle a tout fait), des villageoises, presque des paysannes, au moins d’habitudes ?…

Sans doute, ces pensées cheminaient-elles confusément dans leur esprit jusqu’à venir sur leurs lèvres, car Mme de la Mazure prononça :

— Qui aurait dit en 1914 que nous ne quitterions plus le château ?

Et sa fille répondit aussitôt, comme lorsqu’on attend une parole habituelle :

Pourquoi regretter Roville ? Nous ne pouvions plus habiter deux maisons.

— Ah ! si ton père avait vécu ! reprit la vieille dame.

Un auditeur caché derrière une des caisses à orangers, maintenant vides, eût eu l’impression d’un dialogue répété à satiété par deux interlocutrices qui n’arrivent ni à se convaincre ni à se résigner. La jeune fille mit un peu d’impatience dans sa voix pour répondre :

— Papa aurait fait encore quelques expériences. sur la ferme et perdu encore un peu d’argent… ou beaucoup.

— Reine ! fit la vieille dame d’un ton peiné.

La grande fille se tourna et enveloppa de ses beaux bras la toute petite forme en noir tassée sur le banc.

— Maman ! Mon cher papa, tu sais bien que je l’admirais, mais justement, c’est parce que nous l’admirions tant qu’il continuait. Car enfin, il a Page:Maurel - L Orniere.djvu/22 Page:Maurel - L Orniere.djvu/23 Page:Maurel - L Orniere.djvu/24 Page:Maurel - L Orniere.djvu/25 Page:Maurel - L Orniere.djvu/26 Page:Maurel - L Orniere.djvu/27 y avait du monde sur les routes et devant chaque porte, de ce triste monde de l'arrière, privé de jeunes hommes et d'hommes faits, sauf deux ou trois permissionnaires qui faisaient figure de héros du jour.

Et, bien vite, les dames de Réaumont furent reconnues et saluées de bon gré et même de bonne grâce, avec des coups de tête et de casquette, des cris d'enfants et des sourires, avec cette politesse qui vient de si loin dans le passé et qui n'est sans doute que la suite du vieil asservissement féodal de la chaumière au château. Pourtant, il y avait là une marque de sympathie plus personnelle. Ces dames Almin de la Mazure inspiraient l'estime, le respect et peut-être l'affection.

Quelqu'un cria :

C'est-il vrai qu'nous v'là débarrassés, mame Almin?

Affables, souriantes et distinguées, les dames de Réaumont entrèrent, parmi les pétards, les drapeaux et les cris, dans l'armistice de Reury.

II

L’automne normand, qui n’atteint souvent qu’en décembre sa plénitude ardente, régnait sur toute la vallée, quand Reine sortit, cet après-midi-là, enroulée dans un plaid écossais, son stick à la main, Bill, son petit Fox blanc aux talons.

Tous les jours passés depuis l’armistice n’avaient fait que renforcer la vérité cruelle de ses paroles de ce jour-là. Et, après avoir laissé sa mère un peu enrhumée au coin de son feu de bois, avec son livre et son tricot, elle se répétait encore une fois toutes les raisons qu’elle avait de presque désespérer.

D’ailleurs, sa mère finissait par en être convaincue, et ne lui opposait que ces faibles arguments qu’on se croit obligé de faire entre proches. Ne tenait-elle pas les comptes, dernier vestige d’une autorité maintenant passée entre les mains de la plus jeune, de la plus forte ? Et il lui fallait voir que Réaumont, trop lourd pour leurs épaules, les feraient bientôt succomber.

— C’est un capital, pourtant, c’est un capital ! se répétait la grande fille en gagnant à pas découragés le chemin qui coupe la vallée pour remonter vers Grainetot. Ça doit fructifier, un capital. Et si la ferme était louée à son prix, ou si les prairies Page:Maurel - L Orniere.djvu/30 Page:Maurel - L Orniere.djvu/31 Page:Maurel - L Orniere.djvu/32 Page:Maurel - L Orniere.djvu/33 Page:Maurel - L Orniere.djvu/34 Page:Maurel - L Orniere.djvu/35 Page:Maurel - L Orniere.djvu/36 Page:Maurel - L Orniere.djvu/37 Page:Maurel - L Orniere.djvu/38 Page:Maurel - L Orniere.djvu/39 Page:Maurel - L Orniere.djvu/40 Page:Maurel - L Orniere.djvu/41 Page:Maurel - L Orniere.djvu/42 Page:Maurel - L Orniere.djvu/43 Page:Maurel - L Orniere.djvu/44 Page:Maurel - L Orniere.djvu/45 Page:Maurel - L Orniere.djvu/46 Page:Maurel - L Orniere.djvu/47 Page:Maurel - L Orniere.djvu/48 Page:Maurel - L Orniere.djvu/49 Page:Maurel - L Orniere.djvu/50 Page:Maurel - L Orniere.djvu/51 Page:Maurel - L Orniere.djvu/52 Page:Maurel - L Orniere.djvu/53 Page:Maurel - L Orniere.djvu/54 Page:Maurel - L Orniere.djvu/55 Page:Maurel - L Orniere.djvu/56 cliné vers elle avec ce regard insistant dans ses yeux soudain durcis, et qui parlait avec sa voix forte et son accent traînant.

— Mais je les louerai, moi, vos herbages, disait-il.

Alors, elle sentit qu’elle lui souriait avec ce cœur soulagé qu’on a dans les rêves heureux, et elle s’endormit tout à fait. Page:Maurel - L Orniere.djvu/58 Page:Maurel - L Orniere.djvu/60 Page:Maurel - L Orniere.djvu/61 Page:Maurel - L Orniere.djvu/62 Page:Maurel - L Orniere.djvu/63 Page:Maurel - L Orniere.djvu/64 Page:Maurel - L Orniere.djvu/65 Page:Maurel - L Orniere.djvu/66 Page:Maurel - L Orniere.djvu/67 Page:Maurel - L Orniere.djvu/68 Page:Maurel - L Orniere.djvu/69 Page:Maurel - L Orniere.djvu/70 Page:Maurel - L Orniere.djvu/71 Page:Maurel - L Orniere.djvu/72 Page:Maurel - L Orniere.djvu/73 Page:Maurel - L Orniere.djvu/74 Page:Maurel - L Orniere.djvu/75 Page:Maurel - L Orniere.djvu/76 Page:Maurel - L Orniere.djvu/77 Page:Maurel - L Orniere.djvu/78 Page:Maurel - L Orniere.djvu/79 Page:Maurel - L Orniere.djvu/80 Page:Maurel - L Orniere.djvu/81 Page:Maurel - L Orniere.djvu/82 Page:Maurel - L Orniere.djvu/83 Page:Maurel - L Orniere.djvu/84 Page:Maurel - L Orniere.djvu/85 Page:Maurel - L Orniere.djvu/86 Page:Maurel - L Orniere.djvu/87 Page:Maurel - L Orniere.djvu/88 Page:Maurel - L Orniere.djvu/89 Page:Maurel - L Orniere.djvu/90 Page:Maurel - L Orniere.djvu/91 Page:Maurel - L Orniere.djvu/92 Page:Maurel - L Orniere.djvu/93 Page:Maurel - L Orniere.djvu/94

VIII

Dures journées que celles que l’on descend vers un précipice. Et Reine apercevait le précipice en frémissant.

Un instant, elle avait espéré trouver un arrêt sur la terrible pente. Et l’espoir disparaissait avec le refus d’Isaac Fortembosc, ou plutôt avec ses prétentions.

Les dames n’en parlèrent qu’à peine après cette surprenante entrevue, si bien commencée, si mal finie. C’était presque un sujet interdit, à cause du sentiment de honte qui leur restait du marchandage. Mme Almin dit seulement à sa fille lorsqu’elles se trouvèrent seules :

— C’est incroyable, cette idée ! Mais où ce monsieur a-t-il pris que nous voulions louer le château ?

Reine haussait déjà les épaules (discuter cela même était de trop), lorsqu’elle songea qu’il valait mieux profiter de l’occasion pour faire comprendre la gravité de la situation à sa mère. Et elle répondit avec une brusquerie voulue. Page:Maurel - L Orniere.djvu/96 Page:Maurel - L Orniere.djvu/97 Page:Maurel - L Orniere.djvu/98 Page:Maurel - L Orniere.djvu/99 Page:Maurel - L Orniere.djvu/100 Page:Maurel - L Orniere.djvu/101 Page:Maurel - L Orniere.djvu/102 Page:Maurel - L Orniere.djvu/103 Page:Maurel - L Orniere.djvu/104

Mais la vieille dame eut un réflexe.

— Ici, au château, comment veux-tu ?

Reine la regarda profondément. Depuis qu’elle l’avait exposé, ce projet, que, parfois, elle s’était plu à former dans ses grandes lignes, prenait corps dans son esprit. Ce projet, qui contenait peut-être leur salut. Et voilà que sa mère, d’un seul mot, le précisait, enlevait ce qui, en effet, l’avait rendu irréalisable. Au château, certes, c’était bien difficile, tandis qu’à la chaumière…

Ce fut un de ces traits de lumière qui illuminent parfois les chemins obscurs de notre destin. Mais déjà, Reine détournait la tête. Il était trop tôt pour le voir.

Elle se leva et dit :

— Alors, il faut encore sacrifier quelques faïences en attendant de louer les herbages.

Et elle se fit l’effet d’un bourreau en voyant sa petite mère retomber en arrière sur son fauteuil avec une figure de martyre. Mais elle serra les dents. Cette fois, il ne fallait pas s’attendrir. Et elle dit, de la voix un peu rauque de ceux qui luttent contre leur cœur :

— J’irai demain à Roville.

DEUXIÈME PARTIE

I

Reine descendait vers la chaumière à travers le regain d’août. La belle cour, plantée de ses pommiers bien étalés en parasols, faisait alors un toit véritable sous lequel on pouvait marcher à l’abri des feux du soleil. Et l’été s’annonçait chaud et orageux.

Elle s’arrêta, la main sur un tronc rugueux. Elle aimait ainsi à réfléchir sous les arbres et dans la douce fraîcheur de l’ombre. Que de changements en trois mois ! Et, pourtant, rien de visible au château, ni dans ses entours. Seulement, la vieille chaumière avait perdu son air abandonné et riait de tous ses petits carreaux, maintenant ouverts au jour et nettoyés.

Elle se trouvait au bout de ce clos qui terminait le parc (l’antique « Clos-masure » normand), et elle portait un air bien classique entre sa robe à batifaux brun sur blanc et son chapeau de chaume. Du temps de M. Almin, on y logeait le jardinier, comme sa fille le disait à M. Fortembosc. Depuis, Page:Maurel - L Orniere.djvu/108 Page:Maurel - L Orniere.djvu/109 Page:Maurel - L Orniere.djvu/110 Page:Maurel - L Orniere.djvu/111 Page:Maurel - L Orniere.djvu/112 Page:Maurel - L Orniere.djvu/113 Page:Maurel - L Orniere.djvu/114 Page:Maurel - L Orniere.djvu/115 Page:Maurel - L Orniere.djvu/116 Page:Maurel - L Orniere.djvu/117 Page:Maurel - L Orniere.djvu/118 Page:Maurel - L Orniere.djvu/119 Page:Maurel - L Orniere.djvu/120 Page:Maurel - L Orniere.djvu/121 Page:Maurel - L Orniere.djvu/122 Page:Maurel - L Orniere.djvu/123 Page:Maurel - L Orniere.djvu/124 Page:Maurel - L Orniere.djvu/125 Page:Maurel - L Orniere.djvu/126 Page:Maurel - L Orniere.djvu/127 Page:Maurel - L Orniere.djvu/128 Page:Maurel - L Orniere.djvu/129 Page:Maurel - L Orniere.djvu/130 Page:Maurel - L Orniere.djvu/131 Page:Maurel - L Orniere.djvu/132 Page:Maurel - L Orniere.djvu/133 Page:Maurel - L Orniere.djvu/134 Page:Maurel - L Orniere.djvu/135 Page:Maurel - L Orniere.djvu/136 Page:Maurel - L Orniere.djvu/137 Page:Maurel - L Orniere.djvu/138 Page:Maurel - L Orniere.djvu/139 Page:Maurel - L Orniere.djvu/140 Page:Maurel - L Orniere.djvu/141 Page:Maurel - L Orniere.djvu/142 Page:Maurel - L Orniere.djvu/143 Page:Maurel - L Orniere.djvu/144 Page:Maurel - L Orniere.djvu/145 Page:Maurel - L Orniere.djvu/146 Page:Maurel - L Orniere.djvu/147 Page:Maurel - L Orniere.djvu/148 Page:Maurel - L Orniere.djvu/149 Page:Maurel - L Orniere.djvu/150 Page:Maurel - L Orniere.djvu/151 Page:Maurel - L Orniere.djvu/152 Page:Maurel - L Orniere.djvu/153 Page:Maurel - L Orniere.djvu/154 Page:Maurel - L Orniere.djvu/155 Page:Maurel - L Orniere.djvu/156 Page:Maurel - L Orniere.djvu/157 Page:Maurel - L Orniere.djvu/158

Elle avait parlé la tête droite, les yeux au loin, mais, en terminant, elle le regarda d’une telle façon que les mots qu’on le voyait prêt à dire restèrent dans sa gorge et qu’il fit seulement un signe de tête.

— Eh bien ! dit-elle alors, faites préparer le bail, ma mère le signera.

Elle se leva et regarda la porte. Déjà, en pensée, elle y était, elle l’ouvrait, quittait cette pièce où vivait son ennemi, cessait de respirer le même air que lui. Quelle délivrance ! Quand un regard sur sa mère lui fit voir le danger. Quitter ainsi le salon, c’était éveiller les soupçons peut-être déjà bien proches ! Pour l’amour de celle-ci, pour son repos sacré, il fallait subir l’horreur de quitter autrement celui-ci. Et il n’était qu’un moyen, un seul. Elle regarda sa main. Un peu comme lady Macbeth regarda la sienne, mais c’est tout à l’heure qu’elle allait être tachée. Oui, il le fallait.

Elle alla vers lui, la main tendue, la lui laissa prendre, serrer, et il la broya, et partit sans un mot prononcé, car, cela, elle ne le pouvait pas.

Une fois dans sa chambre, elle se jeta sur son lit, craignant encore de tomber. Alors, à travers cette espèce d’hébétude où la jetait l’horreur de ce qu’elle venait d’endurer, elle entendit tous les bruits de la maison qui rythmaient en ce moment sa tragédie : des portes qui s’ouvrent et se ferment, des paroles qui montent du dehors, et puis un pas fort, un pas d’homme, cette chose toujours émouvante pour une femme sensible, qui résonne sur le chemin, décroît et se confond enfin avec la vibration de la barrière refermée.

TROISIÈME PARTIE

I

Reine se jeta à corps perdu dans les préparatifs du déménagement. Si, toutefois, on pouvait donner ce nom à l’opération qui allait avoir lieu entre le château et la chaumière.

Il s’agissait, en effet, plutôt de comprimer dans le grenier de Réaumont le mobilier des vingt pièces que de transporter quoi que ce soit dans la petite maison, déjà meublée d’ailleurs.

Toutefois, il y eut des paniers de linge à préparer, de la vaisselle, quelques meubles encore et le piano. Cela fit mille va-et-vient à travers le parc et une déroute complète des habitudes de ces dames.

Quand elle ne se tuait pas de corvée, Reine cherchait à se représenter l’état d’effarement du pays. Il y avait, là aussi, une odeur de catastrophe qu’elle préférait aux plus tranquilles pensées qu’elle aurait pu avoir. Par Cornélie on entendait les échos du village. La ferme, d’abord, ne se possédait plus. Mme Doudement avait commencé par nier contre toutes les commères de la boutique que les dames songeassent à quitter le château, étant bien trop riches pour cela (« pardi, commentait la petite servante, al’a peur que Madame lui raugmente la ferme ! »). Au village régnait la stupeur. Il fallait en croire ses yeux, mais on commentait ferme. Le père Poignant faisait florès au café. Page:Maurel - L Orniere.djvu/162 Page:Maurel - L Orniere.djvu/163 Page:Maurel - L Orniere.djvu/164 Page:Maurel - L Orniere.djvu/165 Page:Maurel - L Orniere.djvu/166 Page:Maurel - L Orniere.djvu/167 Page:Maurel - L Orniere.djvu/168 Page:Maurel - L Orniere.djvu/169 Page:Maurel - L Orniere.djvu/170 Page:Maurel - L Orniere.djvu/171 Page:Maurel - L Orniere.djvu/172 Page:Maurel - L Orniere.djvu/173 Page:Maurel - L Orniere.djvu/174 Page:Maurel - L Orniere.djvu/175 Page:Maurel - L Orniere.djvu/176 Page:Maurel - L Orniere.djvu/177 Page:Maurel - L Orniere.djvu/178 Page:Maurel - L Orniere.djvu/179 Page:Maurel - L Orniere.djvu/180 Page:Maurel - L Orniere.djvu/181 Page:Maurel - L Orniere.djvu/182 Page:Maurel - L Orniere.djvu/183 Page:Maurel - L Orniere.djvu/184 Page:Maurel - L Orniere.djvu/185 Page:Maurel - L Orniere.djvu/186 Page:Maurel - L Orniere.djvu/187 Page:Maurel - L Orniere.djvu/188 Page:Maurel - L Orniere.djvu/189 Page:Maurel - L Orniere.djvu/190 Page:Maurel - L Orniere.djvu/191 Page:Maurel - L Orniere.djvu/192 Page:Maurel - L Orniere.djvu/193 Page:Maurel - L Orniere.djvu/194 Page:Maurel - L Orniere.djvu/195 Page:Maurel - L Orniere.djvu/196 Page:Maurel - L Orniere.djvu/197 Page:Maurel - L Orniere.djvu/198 Page:Maurel - L Orniere.djvu/199 Page:Maurel - L Orniere.djvu/200 Page:Maurel - L Orniere.djvu/201 Page:Maurel - L Orniere.djvu/202 Page:Maurel - L Orniere.djvu/203 Page:Maurel - L Orniere.djvu/204 Page:Maurel - L Orniere.djvu/205 Page:Maurel - L Orniere.djvu/206 Page:Maurel - L Orniere.djvu/207 Page:Maurel - L Orniere.djvu/208 Page:Maurel - L Orniere.djvu/209 Page:Maurel - L Orniere.djvu/210 Page:Maurel - L Orniere.djvu/211 Page:Maurel - L Orniere.djvu/212 Page:Maurel - L Orniere.djvu/213 Page:Maurel - L Orniere.djvu/214 Page:Maurel - L Orniere.djvu/215 Page:Maurel - L Orniere.djvu/216 Page:Maurel - L Orniere.djvu/217 Page:Maurel - L Orniere.djvu/218 Page:Maurel - L Orniere.djvu/219 Page:Maurel - L Orniere.djvu/220 main féminine : « Si c’était une pauvre fille ça ne se serait pas passé comme ça. » Jamais Fortembosc ni aucun homme n’auraient trouvé cela.

D’ailleurs, ses paroles à Cornélie la montraient bien mêlée à la cabale et haineuse au point de tout expliquer…

Elle commençait à distinguer un ensemble. Fortembosc avait dit certaines choses à la lourde servante-maîtresse, la promenade avec Héricher par exemple ; le dépit qu’il laissait éclater avait fait le reste comment une jalouse n’aurait-elle pas deviné le passage de l’ornière, les conséquences, le refus, les supplications ? Elle devait être à toutes les portes, derrière tous les arbres, à épier, à espionner, à nourrir sa jalousie du pain amer des soupçons et des possibilités. Enfin, las tous deux de ne pas voir le drame se nouer, ils avaient inventé l’horrible chose, tout simplement un infanticide, avec l’espérance affreuse d’acculer l’ennemie au désespoir.

Et, comme il arrive toujours, ils avaient pu s’appuyer sur des faits vrais pour corroborer leurs calomnies : la promenade en voiture avec le boucher, dont on faisait un rendez-vous galant, et le mauvais état de santé de Reine en octobre où on plaçait la naissance et le crime.

Pourtant, Isaac ne voulait, lui, que la déprécier pour ménager sa chance à lui, la chance du sauveur qui fait le magnanime en ramassant une femme soupçonnée.

Et, quand elle eut ainsi fait son procès avec, pour la première fois, l’assurance de ne plus rien ignorer, qu’elle se fut, devant le tribunal de sa conscience, accusée, jugée, condamnée et absoute, elle sentit qu’elle ne craindrait plus jamais rien, et que, quoi qu’il arrivât maintenant, elle serait la plus forte.

Et ce fut cette nuit-là qu’en haine de ce qu’elle savait de l’homme, elle fit vœu de solitude. Elle vivrait avec sa mère et pour sa mère. Elle l’aimait tant qu’elle prolongerait sa vie à l’extrême limite.

Elle travaillerait, — quelle force elle sentait en elle maintenant ! — elle rétablirait leur fortune. Ce premier semestre de loyer, ces premiers cinq mille francs, ce sale argent de Fortembosc était le tremplin qui lui servirait pour s’élancer. Elle reprendrait Réaumont, la chère demeure prostituée. Elle la purifierait avant d’y faire rentrer sa mère.

Quant à celui qui avait machiné leur ruine, elle poursuivrait sa piste chaude comme celle d’une bête puante, elle le débusquerait du gîte où il n’avait pas droit et le rejetterait dans sa bauge.

Et, ce soir-là, pour la première fois, le soir de cette affreuse journée, ayant exorcisé le sentiment de fatalité qui, depuis tant de mois, la vouait au malheur et à l’impuissance, elle s’endormit de son sommeil retrouvé d’enfant.

QUATRIÈME PARTIE

I

Encore une fois l’automne. Encore une fois la terre nue, déjà livrée au soc puissant qui l’ouvre, au semeur qui la féconde. Encore une fois la coupe verte de la vallée qui se bronze. Encore une fois Reine debout sur le seuil regardant ce mois de septembre qui lui apportera demain une année, la trentième.

Cet après-midi-là, elle avait invité sa mère à passer une espèce de revue de la propriété. Il y avait le parquet des leghorns installé dans le fond de la cour, au soleil ; le clapier des angoras bleus derrière la chaumière et les ruches dans le potager.

Maintenant, Mme Almin se reposait sur le banc, tandis que Reine regardait au loin. Elle dit enfin :

— Eh bien ! maman, nous avons fait des progrès depuis six mois, qu’en dis-tu ?

La vieille dame sourit. Reine songea : « Comme elle est mieux ! Tout ce que j’ai souffert avait son contre-coup sur elle, elle s’est remise en même temps que moi. » Elle dit tout haut : Page:Maurel - L Orniere.djvu/224 Page:Maurel - L Orniere.djvu/225 Page:Maurel - L Orniere.djvu/226 Page:Maurel - L Orniere.djvu/227 Page:Maurel - L Orniere.djvu/228 Page:Maurel - L Orniere.djvu/229 Page:Maurel - L Orniere.djvu/230 Page:Maurel - L Orniere.djvu/231 Page:Maurel - L Orniere.djvu/232 Page:Maurel - L Orniere.djvu/233 Page:Maurel - L Orniere.djvu/234 Page:Maurel - L Orniere.djvu/235 Page:Maurel - L Orniere.djvu/236 Page:Maurel - L Orniere.djvu/237 Page:Maurel - L Orniere.djvu/238 Page:Maurel - L Orniere.djvu/239 Page:Maurel - L Orniere.djvu/240 Page:Maurel - L Orniere.djvu/241 Page:Maurel - L Orniere.djvu/242 Page:Maurel - L Orniere.djvu/243 Page:Maurel - L Orniere.djvu/244 Page:Maurel - L Orniere.djvu/245 Page:Maurel - L Orniere.djvu/246 Page:Maurel - L Orniere.djvu/247 Page:Maurel - L Orniere.djvu/248 Page:Maurel - L Orniere.djvu/249 Page:Maurel - L Orniere.djvu/250 Page:Maurel - L Orniere.djvu/251

Ce fut la fin de cette hésitation dont, plus tard, elle ne se souvint pas sans honte et même sans surprise. Pourtant, à cette hésitation même, au nom de ce qui aurait pu être, elle devait quelque chose. Elle tendit la main :

— Adieu, dit-elle.

Ce fut machinalement qu’il serra cette précieuse main offerte. Mais le mot résonnait dans toute la pièce, et tous deux comprenaient qu’il terminait tout entre eux.

Elle alla vers la porte, l’ouvrit et, en la fermant, comme elle jetait un dernier regard, elle vit qu’il ramassait la bouteille qui ne s’était pas débouchée.

CINQUIÈME PARTIE

I

L’auto s’arrêta à la petite barrière. Reine n’avait pas fait pratiquer de chemin carrossable jusqu’à la chaumière. Elle disait : « Ce n’est pas la peine pour si peu de temps. » Quand elle eut quitté d’un bond la petite torpédo, elle défripa sa courte jupe et courut vers la maison.

Mme Almin, assise sur le banc, l’attendait dans un véritable bain de soleil d’automne.

— Te voilà enfin ! dit-elle.

Reine la serra contre elle. Ces deux années n’avaient guère marqué la vieille dame. Tant de soins et d’amour l’entouraient que la vie coulait sans la toucher malgré ses inquiétudes perpétuelles. Ce jour-là elle ajouta :

— À te savoir courir les foires je crains toujours un accident.

Comme d’habitude, Reine se mit à rire.

— J’aurai trente-deux ans demain, maman, si je ne sais pas me conduire, je ne saurai jamais. Page:Maurel - L Orniere.djvu/254 Page:Maurel - L Orniere.djvu/255 Page:Maurel - L Orniere.djvu/256 Page:Maurel - L Orniere.djvu/257 Page:Maurel - L Orniere.djvu/258 Page:Maurel - L Orniere.djvu/259 Page:Maurel - L Orniere.djvu/260 Page:Maurel - L Orniere.djvu/261 Page:Maurel - L Orniere.djvu/262 Page:Maurel - L Orniere.djvu/263 Page:Maurel - L Orniere.djvu/264 Page:Maurel - L Orniere.djvu/265 trées de sa fille et qui ne la quittait guère. Reine la mit à ses yeux et resta longtemps immobile.

— Qu’est-ce que tu regardes donc ? demanda enfin Mme Almin.

— Oh ! rien, dit Reine légèrement.

Mais la vieille dame insista, comme si elle devinait que le spectacle capable de retenir ainsi l’attention de sa fille n’était pas indifférent. Alors Reine dit, avec cette voix étrange que donne l’émotion contenue.

— C’est M. Fortembosc qui zigzague sur la route en regagnant le Bois-Mauger.

— Ah ! dit Mme Almin, il a encore bu.

Reine se tut un moment, et puis elle reprit, comme s’il lui fallait décrire ce qu’elle voyait, et, peu à peu, avec un accent plus âpre :

— Il monte la côte, il approche de la mauvaise partie de la route… Oh ! un grand crochet… il est tout près de l’ornière… il marche encore, comme les ivrognes, sans rien voir…

Elle s’interrompit et poussa un cri :

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Mme Almin.

— Il est tombé, fit Reine en posant la lorgnette sur ses genoux.

— Pauvre homme ! dit doucement Mme Almin.

FIN


ACHEVÉ D’IMPRIMER SUR LES PRESSES DE
L’IMPRIMERIE MODERNE, 177, ROUTE DE
CHATILLON, À MONTROUGE (SEINE), LE
DEUX MAI MIL NEUF CENT TRENTE-CINQ.
J. FERENCZI ET FILS, Éditeurs

EXTRAIT DU CATALOGUE

AJALBERT (JEAN) de l'Académie Goncourt Les Mystères de l'Académie Goncourt. Perversité L'Attirante.

BOYLESVE (RENÉ) de l'Académie Française Les Bains de Bade......... 12 >> CARCO (FRANCIS) CHAMPSAUR (FÉLICIEN) CADILHAC (PAUL-ÉMILE) Les Flambeaux éteints...... 12» La Russie nouvelle......... 12 >

CHÉRAU (GASTON) de l'Académie Goncourt La Volupté du mal.- L'Egarée sur la route. Apprends-moi à être amoureuse. - Les Cercles du Printemps. La Maison du Quai. L'Enfant du Pays. - La voix de Werther. - Le pays qui a perdu son âme. Chaque vol.

DE CHESSIN (SERGE) Excellences - Azizé. L'Or- Fièvres d'Afri- et son amour.

COLETTE Les Vrilles de la Vigne. - La Mai- son de Claudine. - Le Voyage égoïste. La Seconde. La Seconde. Sido. Ces Plaisirs... - La Jumelle noire. Duo. Ch. volume. 12 »

CHARBONNEAU (LOUIS) Jean Rouquier. - 12 > chidée noire. que. Mambu Chaque vol.....

DE LA FOUCHARDIÈRE (G.) et CELVAL (F.) L'Héritier de Don Quichotte, ro- man gai..

GILBERT (MARION) HERMANT (ABEL).

de l'Académie Française 12 » Les Epaves...

HERRIOT (ÉDOUARD) La. Barrière.... GRÉPON (MARGUERITE) Ruptures.

JALOUX (EDMOND) L'Ami des jeunes filles.

LICHTENBERGER (ANDRÉ) Un Pauvre Homme.. DE MIOMANDRE (FRANCIS) Jeux de Glaces. Baroque.- So- leil de Grasse. Ames Russes 1910. Chaque vol.......... 12 >

HENRY-PATÉ La jeunesse sauvera le monde. 12 » RACHILDE L'Homme aux bras de feu. - Re- faire l'Amour. - Madame Ado- nis. Madame de Lydone, assas- sin. La Femme dieu. Chaque volume. 12 > Le Mari Camarade.

DELARUE-MARDRUS (LUCIE) L'Ange et les Pervers. - Anatole. - Régalda. - Hortensia dégé- ROUQUETTE (LOUIS-FRÉDÉRIC) néré. L'Autre Enfant. - Fran- Le Grand Silence Blanc, roman çois et la liberté. Passions amé- vécu d'Alaska. La Bête er- ricaines et autres. - L'Enfant au rante. L'Epopée blanche. - La coq. Une Femme mûre et Bête bleue. Chaque vol.... 12 > l'amour. Chaque volume.. 12 »

SIKORSKA (ANDRÉE)

ELDER (MARC)

ROSNY Jeune (J.-H.) de l'Académie Goncourt Papillons de nuit. - La Pantine. L'Enlèvement. L'Ile des fleurs. Sous le signe de la Beauté. Chaque vol........ 12 > RICHE (DANIEL) L'Imprimerie Moderne, Montrouge. Les Les Dames Pirouette. La Belle Eugénie. Croisières. Les

VEBER (PIERRE) - Une Cendres de la nuit. Chaque vo- En Bordée. - Bébé-Rose. - lume 12 >> heure d'amour. Chaque vol. 12 » 12 >> Crapauds-buffles........ 12 >

TABLE DES MATIÈRES

(ne fait pas partie de l’ouvrage original)

Première partie
Deuxième partie
 107
 111
 120
 136
Troisième partie
 149
 156
 166
 174
 181
 188
 193
 207
Quatrième partie
 211
 222
 229
Cinquième partie
 241
 249