L’Origine des peuples de Bogota

DE L’ORIGINE ASIATIQUE ET JAPONAISE
DES PEUPLES
DU PLATEAU DE BOGOTA ;


PAR M. LE CHEVALIER DE PARAVEY[1].



M. de Humboldt avait déjà, avec sa sagacité ordinaire, observé que les peuples à demi civilisés, trouvés en 1537 par le conquérant Quesada, sur le riche et haut plateau de Bogota, devaient avoir les rapports les plus intimes avec ceux du Japon.

Comme ces derniers, ils étaient vêtus de toiles tissées avec le coton qu’ils récoltent ; comme eux, ils étaient réunis en communes, et recueillaient de riches moissons de céréales ; comme eux, ils étaient soumis à deux souverains à la fois, l’un pontife suprême et rappelant le Daïri du Japon ; et l’autre roi analogue du Djogoun, ou roi actuel du Japon. Comme les Japonais encore, ces peuples de la Nouvelle-Grenade employaient dans leur calendrier hiéroglyphique, et d’une composition assez compliquée, des cycles ou séries de jours et de nombres, combinés deux à deux ; et notamment ils avaient la période de soixante ans, qui seule suffirait pour dénoter une origine asiatique. Enfin, dans la langue chib-cha, parlée par les peuples de Bogota, manquait le son de la lettre L, comme il manque aussi dans la langue du Japon.

Tels avaient été les premiers rapports découverts par M. le baron de Humboldt, et exposés dans son bel ouvrage des Vues des Cordillières ; et, à ces premiers aperçus, M. le chevalier de Paravey, dans son ouvrage publié en 1826, sur l’Origine unique des chiffres et des lettres de tous les peuples, avait ajouté de nouveaux rapprochemens non moins frappans. Comparant le cycle de jours des Muyscas avec celui des Japonais, M. de Paravey avait trouvé des deux côtés les mêmes significations (évidemment astronomiques) pour les mêmes nombres. Ainsi, au Japon, comme à la Nouvelle-Grenade chez les Muyscas, le cinquième jour était exprimé par l’idée fort complexe, ou l’hiéroglyphe de la conjonction du soleil et de la lune.

Le quatrième jour offrait, des deux côtés, des idées de portes, qui sont précisément la signification du daleth des Hébreux, sans cesse employé pour le nombre quatre, dont il a même eu la figure ; le second jour offrait des idées d’enclos et d’entourage, comme les présentent aussi le beth des Hébreux, et le symbole du deuxième caractère du cycle au Japon ; enfin le nombre un, à la Nouvelle-Grenade comme au Japon, offrait des idées d’eau, et de têtard de grenouille ou de fils, enfant, qui, chez les anciens Égyptiens, nous dit Horapollon, se rendaient également par une grenouille naissante.

Sans pousser plus loin la comparaison de ces nombres du même rang, faite chez des peuples séparés par des distances aussi immenses, il devenait donc évident que ce cycle des Muyscas, exposé dans M. de Humboldt, d’après un savant mémoire de M. le chanoine Duquesne, de Santa-Fé de Bogota (long-temps curé parmi ces peuplades à demi-civilisées), et retrouvé par ce docte ecclésiastique sur un calendrier en pierre, dont M. de Humboldt donne le dessin, avait été importé en Amérique, du Japon même ou de la Chine ; et sans doute, comme le soupçonnait M. de Humboldt, par le nord-est de l’Asie, où l’on trouve des vents qui conduisent facilement en Amérique ; tandis que toutes les tribus de l’Amérique espagnole avouent être venues du Nord, et à une époque assez peu reculée, en suivant les chaînes élevées des Andes ou des Cordillières, qui se prolongent, comme on le sait, dans toute la longueur du nouveau continent.

M. de Paravey, dès 1826, compara les noms mêmes Ata, Bosat, Mica, Hisca, Cuhupqa, des nombres un, deux, trois, cinq et sept, du cycle des Muyscas, aux sons a, b, c, e et z ou g, qui répondent aux mêmes nombres, 1, 2, 3, 4, 5, 7, dans l’alphabet phénicien ou hébreu, et il trouvait en outre, comme on vient de l’exposer, les mêmes sens hiéroglyphiques pour plusieurs d’entre eux ; mais il ne pensa point alors à comparer ces mêmes nombres des Muyscas aux noms du cycle des dix jours des Japonais, et c’est ce que M. de Siébold vient de faire au Japon même à Nangasaki, où il se trouve.

Envoyé dans ces lieux par M. le baron Van Der Capellen, lorsqu’il était gouverneur de Batavia, M. de Siébold, outre les envois précieux de graines faits au Jardin du Roi à Paris, a adressé à la Société Asiatique de France, où M. de Paravey avait présenté M. le baron Van Der Capellen, un savant mémoire sur la langue et l’histoire des Japonais, mémoire où il discute leur origine, et qu’on doit désirer vivement de voir traduit en français et imprimé ; car l’histoire de l’homme est le grand problème qui s’agite en ce moment dans toutes les parties du monde les plus éclairées ; et, à tout instant, de nouvelles découvertes viennent confirmer les traditions Mosaïques.

M. de Siébold remarquait donc que les noms des jours japonais se terminaient tous, sauf le premier, en ka, ainsi que cela a lieu pour sept des nombres muyscas sur dix ; remarquant en outre que fito, qui signifie un en japonais, est très-voisin de ata, nombre un en muyscas ; que foutsca ou boutsca, deux en japonais, est évidemment bosca ou bousca, qui vaut deux chez les Muyscas ; que des deux côtés, mica signifie également trois, et que itsca et hisca pour cinq étaient encore, évidemment, le même mot, tandis que aca, neuf en muyscas, est la simple abréviation de conoca, c’est-à-dire neuf jours en japonais ; il en conclut que ces deux peuples avaient une même origine.

C’est cependant ce qu’a voulu contester M. Klaproth, en analysant, au nom d’une commission, le mémoire si important de M. de Siébold ; et, pour rétorquer la force des preuves que présente cette simple analogie de nombres, M. Klaproth donnait une liste de vingt-trois mots muyscas, très-différens des mots japonais qu’il y comparait.

Mais M. de Paravey a retrouvé, dans le japonais même, plus de vingt des mots cités par M. Klaproth, outre d’autres mots fort compliqués et de quatre syllabes, comme Fomagota, nom d’un mauvais génie, tels qu’une comète, un astre brûlant, qui, en muyscas, signifie masse fondue et bouillonnante, tandis qu’en japonais Fimacouts exprimerait la même idée.

On pourrait citer ici tous ces mots muyscas, retrouvés dans le japonais même par M. de Paravey ; mais nous renvoyons au mémoire qu’il publiera sur ce sujet, aussi bien que sur les monumens si curieux, récemment découverts dans le Guatimala et dans la riche et antique ville de Palenquè, si long-temps ignorée, et qu’on pourrait appeler la Thèbes de l’Amérique ; monumens que le savant M. Warden, consul des États-Unis, a, le premier, fait connaître en France et à la Société de Géographie de Paris.

Il nous suffira d’ajouter ici que le nom même de la langue des Muyscas, langue qui se nomme le chib-cha, ou la langue des hommes chib, ou sib, cha, en muyscas, signifiant homme (ce qui est le sa des Japonais signifiant également homme) ; que ce nom, disons-nous, est le même que celui de la langue japonaise, qui, au Japon, encore actuellement s’appelle aussi le sewa ou siwa, d’où facilement a pu venir le nom chib, de la langue chib-cha. Or M. de Humboldt, visitant le plateau de Bogota, non loin de la belle cascade de Tequendama, trouva, outre une colline encore nommée actuellement Chipa, un ancien village indien, aussi appelé Suba, nom fort voisin de sewa, saba ; et près de ce village, il vit encore des traces d’une antique et florissante agriculture.

Ce nom seul conduirait donc encore au Japon, pays de la langue sewa ; et peut-être même pourrait-on y voir quelque trace des Sabéens, puisque les Muyscas, aussi bien que les Japonais et les anciens Sabéens ou Phéniciens adoraient le soleil, la lune, et sans doute aussi les autres astres, et leur sacrifiaient même des victimes humaines, usage si commun chez les Phéniciens.

Les traditions historiques des Muyscas conduisent encore également soit au Japon, soit en Asie ; car leur premier pontife, le mystérieux Bochica, dont le nom Sué est celui du soleil, et qui, par une coupure dans les rochers, dessèche, après une funeste inondation, le plateau de Bogota, rappelle le roi Yao, roi aussi célèbre au Japon qu’à la Chine, sous lequel un déluge funeste arrive comme sous Bochica, dont le nom s’applique aussi à celui du soleil levant, et qui, par une coupure dans les montagnes, dessèche également son empire, comme le fait Bochica, produisant alors cette belle cascade que nous a si élégamment décrite M. de Humboldt.

Et quand Bochica fait élire, pour premier roi du pays desséché, le sage et illustre Huncahua, on voit encore ici la tradition japonaise, qui rapporte que Yao s’adjoignit et eut pour successeur le prince Chun, non moins célèbre par ses vertus que le premier zaque ou roi de Bogota, Huncahua, les noms ayant ici encore presque la même pronociation, Chun ou Hun.

S’il est donc maintenant quelque chose de prouvé en philologie, c’est l’origine purement japonaise des peuplades les plus civilisées de la Nouvelle-Grenade et du plateau de Bogota. Tous les voyageurs, en effet, qui ont pénétré, soit dans le Mexique, soit au Brésil, soit à Bogota, ont été frappés des analogies de traits et de figures qui existent entre la race plus ou moins cuivrée d’Amérique, et la race jaunâtre du Mongol et des peuples du nord-est de l’Asie, le défaut de barbe, les cheveux noirs et épais, étant des caractères également communs à ces peuples, qui se touchent encore par le nord, ou par le détroit de Behring…

Mais nous nous sommes suffisamment étendu ici sur les rapports qui existent même dans les écritures des deux peuples. Car les figures des nombres muyscas, données par M. de Humboldt, ne sont encore que du japonais cursif. Tirons-en seulement cette conclusion à la fois philosophique et chrétienne : l’Amérique, aussi bien que l’Afrique et que notre Europe elle-même, si long-temps couverte de sombres forêts, a reçu sa population comme ses langues, son écriture, son culte, ses traditions, ses sciences, de l’antique Asie, où la Genèse nous montre les premiers hommes, échappant au dernier cataclysme qui a ravagé la terre et détruit la mystérieuse Atlantide. Bientôt cette harmonie complète des traditions de tous les peuples, et leur accord admirable avec les dernières observations des géologues, se montreront, avec une force irrésistible à tous les esprits droits et dépouillés de préjugés. Loin d’étouffer les études et les recherches de toute espèce, on doit donc plutôt les encourager : car ceux qui, au milieu du choc de tant d’intérêts divers, ont le loisir de suivre la marche générale des découvertes, les voient toutes converger, nous le répétons, vers un même et important résultat ; celui qui établit de plus en plus l’unité de l’espèce humaine, ainsi que la vérité des graves et antiques traditions consignées dans les livres sacrés de Moïse, et retrouvées aujourd’hui chez tous les peuples, sous une forme même à peine défigurée.

***…


  1. La question que traite M. de Paravey nous semble extrêmement importante ; et nous avons lu avec un tel intérêt les réflexions qui l’accompagnent, que nous avons cru devoir les reproduire. Cependant nous sommes loin de prétendre que le système développé par le savant philologue soit à l’abri de toute difficulté ; et nous ne pensons pas encore qu’il puisse entièrement répondre aux objections émises par M. Klaproth.

    (D…)