L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/XVIII

Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 92-94).

SECTION XVIII.
Récapitulation.

Résumons tout ce qui a été dit en quelques points distincts : Les passions qui appartiennent à la conservation de soi, naissent de la douleur et du danger ; elles sont simplement douloureuses lorsque leurs causes agissent immédiatement sur nous ; elles produisent le délice lorsque nous avons une idée de douleur et de danger, sans y être actuellement exposés : ce délice, je ne l’ai pas nommé plaisir, parce qu’il s’allie à la douleur, et parce qu’il diffère assez de toute idée de plaisir positif. Tout ce qui excite ce délice, je l’appelle sublime. Les passions qui concernent la conservation individuelle sont les plus puissantes de toutes les passions.

Le second chef auquel nous avons rapporté les passions relativement à leur cause finale, est la société. Il y a deux sortes de société. La première est la société des sexes. Nous appelons amour la passion qui lui est propre, et qui contient un mélange de concupiscence ; son objet est la beauté des femmes. L’autre est cette société générale du genre humain avec tous les autres animaux. La passion qui s’y rapporte reçoit également le nom d’amour ; mais elle est exempte de toute concupiscence, et son objet est la beauté, nom que j’appliquerai à toute qualité capable d’exciter un sentiment d’affection et de tendresse, ou toute autre passion à peu près semblable. La passion de l’amour a sa source dans le plaisir positif ; comme toutes les choses qui naissent du plaisir, elle peut être modifiée par l’inquiétude, ce qui a lieu lorsqu’à l’idée de son objet se joint en même tems l’idée de l’avoir perdu à jamais. Je n’ai point nommé douleur ce sentiment mixte de plaisir, parce qu’il se rattache à un plaisir actuel, et parce qu’il est, dans sa cause et dans la plupart de ses effets, d’une nature tout-à-fait différente.

Après la passion générale que nous avons pour la société, dans laquelle nous sommes déterminés à un choix par le plaisir que nous donne l’objet, la passion particulière, nommée sympathie, qui appartient à cette classe, est celle qui a les rapports les plus étendus. Il est de sa nature de nous mettre à la place d’un autre individu, dans quelque circonstance qu’il se trouve, et de nous communiquer toutes ses affections. De sorte qu’elle peut, selon l’occasion, s’allier à la douleur ou au plaisir ; mais avec les modifications propres à certains cas, dont nous avons parlé dans la section XI. Pour ce qui est de l’imitation et de l’ambition, je crois qu’il est inutile de rien ajouter à ce qu’on en a dit.