L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/XVI

Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 87-89).

SECTION XVI.
De l’Imitation.

La seconde passion relative à la société, c’est l’imitation, ou, si l’on veut, un désir d’imiter, et par là un plaisir. Cette passion procède presque de la même cause que la sympathie ; car, comme la sympathie nous fait prendre intérêt à tout ce que les hommes sentent, cette affection nous porte à copier tout ce qu’ils font ; par conséquent nous avons un plaisir en imitant, et en tout ce qui appartient à l’imitation, considérée purement en elle-même, sans aucune intervention de la faculté raisonnable, mais seulement d’après notre constitution naturelle, que la providence a formée de manière à ce que nous trouvions soit plaisir soit délice, selon la nature de l’objet, dans tout ce qui concerne les desseins de notre existence. C’est par l’imitation que nous nous instruisons de toutes choses bien mieux que par le précepte ; et les acquisitions que notre esprit fait par cette méthode sont non-seulement plus réelles, mais plus agréables. Par l’imitation se forment nos mœurs, nos opinions et toute notre vie. Elle est un des plus fort liens de la société : c’est une espèce de condescendance mutuelle que tous les hommes ont les uns pour les autres, qui n’en contraint aucun, et qui est extrêmement flatteuse pour tous. C’est encore dans l’imitation que la peinture et plusieurs autres arts d’agrément ont posé une des principales bases de leur pouvoir. Puis donc que par son influence sur nos mœurs et sur nos passions elle est d’une si grande importance, je hasarderai de proposer une règle pour reconnaître, avec un assez grand degré de certitude, le cas où nous devons attribuer le pouvoir des arts à l’imitation, ou au plaisir que nous procure simplement l’habileté de l’imitateur ; et ceux où nous devons le rapporter à la sympathie ou à quelqu’autre cause analogue. Quand l’objet représenté par la poésie ou par la peinture ne nous inspire aucun désir de le voir dans sa réalité, on peut être assuré que son pouvoir en poésie ou en peinture n’est dû qu’au pouvoir de l’imitation, et non à aucune cause qui agisse, dans l’objet même. C’est ce qui a lieu dans la plupart des tableaux de la vie commune. Dans ces ouvrages, une cabane, un tas de fumier, des ustensiles de cuisine les plus petits et les plus communs, sont capables de nous donner du plaisir. Mais lorsque l’objet décrit dans un poème ou peint dans un tableau est tel que nous sentons du regret de ne pas le voir en réalité, quelqu’étrange que soit la sensation qu’il nous cause, il n’est pas douteux que le pouvoir du poème ou du tableau provient plutôt des qualités naturelles de l’objet représenté, que des effets de l’imitation, fût-elle parfaite. Aristote, dans ses poétiques, a parlé avec tant d’étendue et de justesse sur la force de l’imitation, qu’il serait superflu de pousser ce discours plus loin.