L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/XIII

Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 79-81).

SECTION XIII.
La Sympathie.

C’est par la première de ces passions que nous entrons dans les intérêts de nos semblables ; que nous sommes émus comme ils sont émus ; que nous ne pouvons rester spectateurs indifférens ni de leurs actions ni de leurs souffrances. On doit considérer la sympathie comme une espèce de substitution, au moyen de la quelle nous sommes mis à la place d’un autre homme, et recevons, à bien des égards, les mêmes sensations qu’il éprouve : ainsi donc cette passion peut participer de la nature de celles qui concernent la conservation individuelle, et, en procédant de la douleur, devenir une source du sublime. Elle peut s’allier aussi à des idées de plaisir… et alors, tout ce qu’on a dit des affections sociales, soit qu’elles se rapportent à la société en général, ou seulement à quelqu’un de ses modes particuliers, peut trouver ici son application. C’est d’après ce principe que la poésie, la peinture, et les autres arts susceptibles d’émouvoir transmettent les passions d’une ame à l’autre, et souvent font naître le délice du malheur, de la misère, et de la mort même. On a souvent observé que des objets faits pour révolter dans la réalité, deviennent, dans la tragédie et autres fictions pareilles, une source abondante de plaisirs délicats. Cela, pris comme un fait, a été le sujet de bien des raisonnemens. On attribue ordinairement le plaisir que nous prenons à la représentation d’un drame terrible, d’abord à l’idée consolante qui nous avertit que ce n’est qu’une pure fiction, et ensuite, au retour que nous faisons sur nous-mêmes en pensant que nous sommes à l’abri de tant de calamités. Dans les recherches de cette nature, il est une manière de procéder fort ordinaire, et peut-être sujète à erreur ; c’est de rapporter la cause de certaines sensations qui proviennent simplement du mécanisme de nos organes, ou de la manière d’être et du caractère de notre ame, aux conclusions de certains raisonnemens que nous faisons, suppose-t-on, sur les objets qui nous sont présentés. Quant à moi, il me semble que la raison, comme cause de nos passions, n’étend pas son influence à beaucoup près si loin qu’on le croit communément.