L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/XI

Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 77-78).

SECTION XI.
De la Société et de la Solitude.

La seconde branche des passions sociales est celle qui s’étend à la société en général. À l’égard de celle-ci, j’observerai que la société, purement comme société, sans le secours favorable d’aucune circonstance particulière, ne nous procure par la jouissance aucun plaisir positif ; tandis que la solitude absolue et entière, c’est-à-dire, l’exclusion totale et perpétuelle de toute société, est une douleur positive aussi grande qu’il soit possible de la concevoir. Il suit donc de là, que dans la même balance, le plaisir de la société générale d’un côté, et la douleur de la solitude absolue de l’autre, la douleur l’emporte sur le plaisir. Mais nous avons vu que le plaisir de toute jouissance particulière que peut offrir la société, agit plus fortement sur notre ame que l’inquiétude causée par l’absence de cette jouissance particulière ; ainsi les plus fortes sensations relatives aux habitudes de la société particulière sont des sensations de plaisir. La bonne compagnie, les conversations animées, les épanchemens de l’amitié, remplissent l’ame d’un grand plaisir ; mais aussi qui ignore combien a de charmes une solitude momentanée ? Cela pourrait prouver que nous sommes des créatures destinées à la vie contemplative aussi bien qu’à la vie active, puisque la solitude a ses plaisirs aussi bien que la société ; tandis que la première observation fait voir qu’une solitude absolue est en opposition avec l’objet de notre existence, puisque la mort même réveille en nous une idée à peine plus terrible.