L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/PIV XXII

Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 274-277).

SECTION XXII.
La Douceur est relâchante.

Nous avons remarqué qu’à l’égard des autres sens, les choses unies sont relâchantes. Maintenant il doit paraître que les choses douces, qui sont l’uni du goût, sont relâchantes aussi. Remarquons que dans quelques langues on exprime par le même terme le doux relatif au toucher et le doux relatif au goût. Le mot doux en français signifie l’un, et l’autre. Dultis en latin, et dolce en italien, ont en plusieurs cas cette double signification. Il est évident que les choses douces au goût sont généralement relâchantes ; parce que toutes, et spécialement celles qui sont très-oléagineuses, prises fréquemment, ou en grande quantité, affaiblissent beaucoup le ton de l’estomac. Les doux parfums, qui ont une grande affinité avec les douces saveurs, relâchent d’une manière très-remarquable. Le parfum des fleurs dispose à l’assoupissement ; et cet effet relâchant est plus apparent encore par l’incommodité que ces odeurs causent aux personnes qui ont les nerfs faibles. Il serait bon d’examiner si les saveurs douces, saveurs qui sont causées par des huiles unies et un sel relâchant, ne sont pas les saveurs primitivement agréables ; car il en est beaucoup que l’usage a rendues flatteuses, et qui ne l’étaient pas d’abord. Le vrai moyen de procéder à cet examen, c’est de considérer et d’analiser les premiers alimens que la nature nous a préparés, car sans doute, elle leur a donné un principe agréable. Le lait est le premier aliment de notre enfance. Les parties élémentaires du lait sont l’eau, l’huile, et une sorte de sel très-doux qu’on appelle le sucre du lait. Toutes ces choses, étant mêlées, ont beaucoup de douceur au goût, et une qualité relâchante pour la peau. Les désirs d’un enfant se tournent ensuite vers les fruits, surtout vers ceux qui ont de la douceur ; et l’on sait que la douceur du fruit provient d’une huile subtile, et d’un sel semblable à celui dont nous avons parlé dans la dernière section, Par la suite, la coutume, l’habitude, le désir de la nouveauté, et mille autres causes confondent, altèrent, changent nos palais, de sorte que nous ne pouvons plus en raisonner d’une manière satisfaisante. Avant de quitter cet article, je dois faire observer que comme les choses unies et polies sont, par cela même, agréables au goût, et qu’elles ont une qualité relâchante, ainsi, d’une autre part, les choses, auxquelles on trouve par expérience une qualité corroborative, et la propriété de tendre fortement les fibres, sont presque toujours poignantes au goût, et, dans plusieurs cas, rudes même au toucher. Nous appliquons souvent, par métaphore, la qualité de la douceur aux objets de la vue. Afin de continuer cette remarquable analogie des sens, nous pouvons appeler ici la douceur, le beau du goût.