L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/PII XIV

Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 144-146).

SECTION XIV.
La Lumière.

Après avoir considéré l’extension, en tant qu’elle est capable d’exciter des idées de grandeur, nous tournerons nos observations vers la couleur. Toutes les couleurs dépendent île la lumière. C’est donc la lumière qu’il faut commencer par examiner, ainsi que l’obscurité, qui lui est opposée. À l’égard de la lumière, pour de venir une cause du sublime, elle doit être accompagnée de quelques circonstances outre la simple faculté qu’elle a de montrer les objets. La lumière par elle-même est une chose trop commune pour faire une forte impression sur l’esprit ; et sans une forte impression rien ne peut être sublime. Cependant une lumière telle que celle du soleil, agissant immédiatement sur l’œil, comme elle a plus de force que ce sens, est une très-grande idée. Une lumière d’une intensité inférieure, si elle se meut avec une grande célérité, a le même pouvoir. Je prends l’éclair pour exemple ; son apparition excite une grande idée, mais la principale cause en est dans l’extrême vélocité de son mouvement. La rapide transition de la lumière aux ténèbres, et des ténèbres à la lumière, a un effet plus grand encore. Mais les ténèbres sont plus féconde en idées sublimes que la lumière. Notre grand poète[1] était convaincu de ce principe, et en même tems si rempli de cette idée, si parfaitement persuadé du pouvoir d’une obscurité bien ménagée, qu’en décrivant la présence de la divinité, parmi cette profusion de magnifiques images que la grandeur de son sujet l’invite à répandre de tous côtés, il n’a garde d’oublier l’obscurité qui environne le plus incompréhensible des êtres, mais

« Il entoure son trône de la majesté de ténèbres [2]. »

Et, ce qui n’est pas moins remarquable, notre auteur avait le secret de conserver cette idée alors même qu’il semblait s’en éloigner le plus, en décrivant la lumière et la gloire qui découlent de la présence divine ; lumière qui par son excès est changée en une espèce d’obscurité :

« [3] Ton trône parait obscurci par un excès de clarté. »

Cette dernière pensée n’est pas seulement très-poétique, mais rigoureusement et physiquement juste. De grandes clartés, en éblouissant la vue, effacent les objets, et par leurs effets ressemblent aux ténèbres. Après avoir fixé le soleil pendant quelques momens, deux points noirs, seule impression qu’il laisse, semblent se mouvoir devant nos yeux. Ainsi deux idées aussi opposées qu’on puisse l’imaginer, sont réunies par leurs extrêmes, et toutes deux, malgré leur nature contraire, concourent à produire le sublime. Ce n’est pas là le seul cas où les deux extrêmes opposés agissent également en faveur du sublime, qui, en toutes choses, abhorre la médiocrité.

  1. Milton.
  2. _____ With the majesty of darhness round
    Circles his throne.

  3. Dark with excessive light thy skirts appear.

    Ce vers isolé ne peut se traduire littéralement ; je n’ai fait que rendre l’idée de l’auteur.