ÉPILOGUE




LA FAMILLE-SOUCHE DU LAVEDAN, DE 1869 À 1883
PAR M. É. CHEYSSON
Ingénieur en chef des ponts et chaussées.




I

OBJET DE L’ÉPILOGUE

« Il n’est pas, dit Arthur Young, de spectacle plus touchant, plus fait pour éveiller toutes les sympathies de notre nature, que celui d’une famille vivant sur le petit domaine que son travail met en valeur, qu’il a créé peut-être[1]. »

Ce spectacle est particulièrement touchant lorsque la famille, sans avoir à se reprocher aucun tort, s’affaisse, puis succombe sous le choc d’institutions extérieures, qui ont cessé d’être en harmonie avec son organisation primitive. Cette lutte a aussi sa grandeur et son intérêt. Si elle est moins retentissante que celle des armées se heurtant sur le champ de bataille, elle exerce, par sa continuité dans le temps et l’espace, une influence peut-être tout aussi décisive sur la vie sociale et les destinées d’une nation.

C’est un épisode obscur de cette lutte que j’entreprends ici de retracer sommairement. Il ne s’agit, il est vrai, que d’une pauvre famille de paysans, perdue dans les montagnes, et bien éloignée de soupçonner qu’en dehors du cercle étroit où elle se meut, quelqu’un puisse s’occuper d’elle. Mais la famille Mélouga a eu cet honneur et cette bonne fortune que M. Le Play l’ait choisie, à la suite de ses observations faites sur place en 1856, comme le type de la meilleure organisation sociale, et que, se rendant compte des dangers qui la menacent, il lui ait consacré la monographie qui compose le Livre second de cet ouvrage.

Ayant eu l’occasion d’observer cette même famille à partir de 1869, pendant divers séjours à Cauterets, je me suis enquis avec beaucoup d’intérêt des transformations successives qu’elle avait subies depuis 1856. C’est le résultat de cette enquête que j’ai résumé dans les lignes suivantes, sur la demande bienveillante de l’éminent auteur des Ouvriers européens et de la Réforme sociale et je l’ai complété, pour cette nouvelle édition, par quelques informations complémentaires, qui constituent comme l’épilogue de ce drame de famille.

II

UTILITÉ DES ÉTUDES SUCCESSIVES SUR UNE MÊME FAMILLE

Je n’ai pas à insister ici sur l’importance des monographies de familles pour les progrès de la science : elle a été mise surabondamment en lumière par les travaux de M. Le Play, puis par ceux de la Société d’économie sociale. Mais, à l’occasion de cette étude, où une famille antérieurement observée reparaît après un laps de temps assez long, il ne sera peut-être pas inutile d’indiquer l’intérêt qui s’attache à la rédaction de monographies successives, se rapportant à un même type.

Le meilleur moyen d’arriver à la connaissance intime du passé et de rectifier ainsi plus d’une idée préconçue, ce serait, à mon avis, de s’attacher moins exclusivement à ces faits éclatants qui, loin d’être toute l’histoire, n’en sont que les accidents. Le véritable historien devrait nous placer, au contraire, en présence de ce spectacle qu’admirait à bon droit Arthur Young ; c’est-à-dire nous faire assister aux phases de la vie de diverses familles types, poursuivant leur évolution à travers les siècles dans le même coin de terre, reflétant les circonstances du milieu, subissant l’influence des mœurs et des institutions, en un mot, constituant, pour l’observateur attentif, comme un petit monde qui lui retrace fidèlement l’image de la société tout entière.

« La monographie, a dit excellemment M. Taine, est le meilleur instrument de l’historien. Il la plonge dans le passé comme une sonde et la retire chargée de spécimens authentiques et complets. On connaît une époque après vingt ou trente de ces sondages. Il n’y a qu’à les bien faire et à les bien interpréter[2]. »

On ne saurait mieux dire ; mais, s’il est avantageux à la science que le réseau des monographies embrasse toutes les régions, toutes les époques et toutes les organisations sociales, il ne l’est pas moins qu’il s’étende aussi dans le temps sur les diverses étapes parcourues par une même famille. Quelques monographies, qui seraient ainsi dressées, à des périodes distinctes, d’après la méthode arrêtée pour ces publications, définiraient, pour ainsi dire, la trajectoire humaine, comme divers points disséminés dans l’espace définissent celle d’un boulet. De quelles lumières serait éclairé notre passé, si nous possédions, — ne serait-ce qu’à raison d’une série par siècle —, les monographies des principaux types de la population, observés dans le même milieu et d’après la même méthode le paysan, l’ouvrier, l’artisan, le bourgeois, le propriétaire, le magistrat, le soldat et le prêtre ! Elles permettraient d’établir, avec une rigueur scientifique, l’histoire de ces familles types, et de dégager la loi de leurs transformations.

Je crois utile de faire ici une première application, malheureusement bien imparfaite, de ces considérations générales, en revenant, à des intervalles successifs, sur une famille déjà décrite, et je ne doute pas qu’entre des mains plus expérimentées, cette idée ne soit appelée à rendre à la science de fructueux services.

Puisque j’ai été conduit à effleurer le sujet des monographies de familles, on me pardonnera peut-être d’indiquer ici quelques détails d’expérience personnelle sur la pratique de ce genre de travaux.

La réunion des renseignements que comporte la rédaction d’une monographie présente, dans l’exécution, des difficultés, dont la plus sérieuse est spirituellement indiquée dans la fable du Savetier et du Financier[3] :

Que gagnez-vous, dites-moi, par journée ?
— Tantôt plus, tantôt moins…

Ce n’est certes pas avec de telles réponses que l’on peut dresser le budget de la famille, et cependant l’on s’y heurte à chaque pas. Le « tantôt plus, tantôt moins » de la fable soumet à une rude épreuve la patience et la sagacité de l’observateur. Comme les journées, les années se suivent et ne se ressemblent pas. Les consommations s’étendent ou se resserrent en proportion des charges et des ressources. C’est une fille à doter, la grange à réparer, une vache à remplacer : grosses dépenses, et qui troublent l’équilibre du budget normal. La famille se passera de vêtements neufs cet été ; elle ne mangera que du seigle. Aussi n’est-il pas possible de s’en tenir aux données d’une année unique, et doit-on procéder par moyenne s’étendant sur une période assez longue.

En outre, les personnes qu’on interroge ne tardent pas, si l’on n’y prend garde, à se fatiguer de questions qu’il leur est bien difficile de ne pas trouver oiseuses ou suspectes, et elles se dérobent à une curiosité importune par des réponses évasives, sinon discordantes.

Ces difficultés sont réelles ; je les signale, non en vue d’effrayer ceux qui veulent aborder l’observation des faits sociaux, mais au contraire afin de les prémunir contre le découragement dès leurs premiers pas dans cette voie. Toute science a ses broussailles, qui en obstruent l’accès. Pour écarter celles qui défendent les abords des monographies de familles, il faut se conformer exactement aux sages conseils publiés par la Société d’économie sociale[4] ; il faut s’armer de patience et de résolution ; il faut enfin compter sur la pratique même de l’observation, et s’inspirer de l’étude des beaux modèles que fournit la collection des Ouvriers européens et des Ouvriers des deux Mondes.

Écrivant ici à côté de M. Le Play, qui m’a fait l’honneur de donner dans son livre l’hospitalité à cette note, il ne m’appartient pas de faire l’éloge de sa méthode et de ses travaux. Qu’il me soit au moins permis de dire que, après avoir étudié sur place la famille Mélouga et la monographie dont elle est l’objet, j’ai été frappé de la fidélité, de la richesse et de la précision des informations consignées dans ce travail. Ceux-là seuls qui se sont livrés à une vérification personnelle peuvent soupçonner ce qu’il faut de tact et de sagacité pour analyser d’une manière si pénétrante tous les ressorts et tous les actes d’une famille qui n’écrit rien, ne conserve aucun document[5] et mène sa vie, comme M. Jourdain faisait de la prose, « sans s’en douter. »

De tels résultats tiennent à la fois de la science et de l’art, et je me fais un devoir de consigner ici, à titre de témoignage d’un contrôle minutieux, l’impression que m’a inspirée la confrontation du portrait et de l’original.


Ire PARTIE — SITUATION EN 1869


III

UNE SCÈNE BIBLIQUE AU LAVEDAN

La première fois que je rencontrai la famille dont je désirais faire la connaissance, ce fut dans un cadre presque biblique et qui ne sortira pas de mon souvenir.

Guidé par la désignation qui m’en avait été faite, je me rendis à la maison que les Mélouga occupent au bout de la promenade du mamelon vert, à une certaine distance de Cauterets, sur la rive gauche du Gave. Cette maison, de bonne apparence, est située au milieu d’un pré, que défend une haie bien entretenue et que parsèment des arbres fruitiers. Rien de riant et de calme comme ce domaine, entouré de fraîcheur et de verdure, qui réalise complètement le type si bien décrit par Arthur Young. (N. 6, § 12.)

La maison était déserte quand je m’y présentai. Après en avoir exploré les abords, je finis par trouver un petit garçon du pays, qui voulut bien me guider jusqu’auprès des Mélouga.

La famille était réunie, occupée au travail des regains, dans un pré assez fortement en pente. La « maîtresse de maison », Savina Py, tricotait à l’ombre d’un arbre situé au sommet du pré. Autour d’elle ses petits-enfants se roulaient dans l’herbe. Disséminés sur la pente, son gendre, sa fille Marthe, son fils Joseph et le nouveau domestique André, coupaient les foins ou les étendaient au soleil.

Ce tableau respirait le calme et la sérénité. Quel contraste entre la situation faite à l’ouvrier des manufactures et ce travail en plein air, dans une atmosphère qui dilate les poumons, au milieu des senteurs fortifiantes des herbes, en face de cette nature grandiose des Pyrénées ! De tels spectacles démontrent, mieux que toutes les harangues officielles, la grandeur de l’agriculture, et j’oserai presque dire sa salubrité morale. C’est en l’exerçant que l’homme est plus facilement qu’ailleurs sain de corps et d’esprit, et qu’il échappe à ces contagions de toutes sortes qu’engendrent nos agglomérations urbaines.

IV

LES SITUATIONS COMPARÉES DE LA FAMILLE
EN 1856 ET EN 1869

Malgré ces riantes apparences, la famille n’était pas heureuse et subissait une crise dont j’aurai tout à l’heure à rechercher les causes. Pour le moment, je vais me borner à établir ses situations comparées en 1886 et en 1869.

La famille était en pleine prospérité quand M. Le Play l’avait visitée en 1856. Ceux qui ont présente à l’esprit la monographie où elle est décrite (Livre II) la voient encore avec son effectif de 15 membres abrités au foyer domestique, depuis l’aïeul vénérable, Joseph Py, maître de maison, jusqu’aux oncles, aux petits-enfants et au domestique Antoine.

Le budget s’élevait alors, en recettes, à 4,243f95 Et, en dépenses, à. 3,508f30 Il se soldait ainsi par une épargne annuelle de 735f65

Qui était employée à payer par acomptes les dots des enfants récemment mariés et sortis de la maison paternelle[6].

Quant à l’état des propriétés possédées par la famille, il révélait aussi une situation prospère, et s’exprimait par un chiffre de.... 32,117f 50[7]

Enfin la valeur totale du mobilier et des vêtements était de 5,465t55

En résumé, famille nombreuse, bien portante, et unie ; propriété d’une valeur d’environ 35 à 40,000 francs ; épargne annuelle de 7 à 800 fr. ; tels étaient les traits principaux qui se détachaient du tableau tracé par M. Le Play, et qui étaient les indices d’une véritable prospérité matérielle et morale.

Depuis 1856, la situation a bien changé. La mort a emporté :


En 1860, Bernard Oustalet, dit Mélouga, à l’âge de 64 ans.

En 1862, sa fille, Germaine, récemment mariée, 21 ans.

En 1864,l ’aïeul JosephPy, 82 ans

En 1867, l’oncle Jean Dulmo, dit Mélouga, célibataire. 67 ans.

En 1869, le domestique Antoine R***. 72 ans.

Les 5 filles survivantes se sont mariées. L’aînée, Marthe, « héritière de la maison » (Ayrété), est restée au foyer domestique avec son mari, Pierre Cazaux, qu’elle a épousé en 1862, et dont elle a eu 3 enfants. Ses 4 sœurs, Eulalie, Élisabeth, Susanne et Dorothée, ont quitté la maison paternelle en se mariant. Leur tante, Marie Dulmo, les a suivies, et s’est installée chez l’une d’elles, Eulalie. Enfin le domestique Antoine, décédé, a été remplacé par un nouveau berger de 36 ans ; nommé André.

En somme, bien que fortifiée par l’entrée d’un gendre et la naissance de 3 enfants, l’effectif de la famille est tombé de 15 à 10 membres. Dès le mois d’octobre 1869, il a été encore réduit par le départ du fils unique de Savina, le jeune Joseph, qui s’est engagé comme soldat dans des circonstances pénibles, sur lesquelles nous allons revenir. Ainsi cette grande maison patriarcale et hospitalière a perdu en neuf ans six des hôtes qu’elle abritait.

En même temps que ses rangs se serraient, la famille a vu fuir son aisance. Elle a dû vendre successivement une partie de ses terres pour une somme de 2,200 francs. Son bétail, dont elle était si fière, s’est réduit presque des deux tiers, et ne comprend plus aujourd’hui que 6 bêtes à cornes, 30 brebis, 12 agneaux, 2 porcs. Par suite, les revenus de la viande, du lait, du beurre et de la laine ont très notablement baissé, et la gêne est venue[8].

Comment s’est donc accomplie cette déplorable transformation ? La famille est restée laborieuse, d’une moralité et d’une économie exemplaires ; elle a été épargnée par les sinistres et par ces maux extérieurs qui pourraient expliquer un tel revirement. Ce n’est donc pas là qu’il faut en chercher le secret. Le malheur de cette famille est tout entier le fait de nos institutions. Elle est l’innocente victime du Code civil, dont le choc l’a brisée. C’est là l’histoire qu’il nous reste à retracer.

V

LA COUTUME ET LE CODE CIVIL

Le montagnard est conservateur, il aime la tradition. « Il suffit, dit un spirituel auteur[9], de le voir remonter un sentier parmi les pierres glissantes, à pas méthodiques et cadencés, économe de sa force, prodigue de son temps, pour comprendre que cet homme-là n’a pas la fièvre en tête. La neige, qui durant cinq ou six mois enveloppe la contrée, n’emprisonne pas seulement dans son lourd manteau les plantes et les rochers. Elle emprisonne aussi les cabanes, les hommes, les idées, les traditions, qui dans cet intervalle de silence et de concentration poussent des racines plus profondes et plus noueuses. C’est ainsi qu’en ces pays les idées du passé se cramponnent à l’homme, comme l’homme se cramponne à la terre, comme le vieux sapin moussu se cramponne au rocher. »

« Dans la montagne, les souvenirs, les impressions sont plus vivaces. Les idées sont comme les nuages elles s’arrêtent, se logent dans les creux, et les tempêtes qui passent au-dessus soufflent bien longtemps avant que les vieilles croyances, qui reposent dans les plis du rocher, se décident à déloger. »

Appliquant avec précision cette observation générale et pittoresque à la question des lois de succession, M. Le Play a constaté que, « dans les montagnes à pentes abruptes, à champs enclos et à cultures arborescentes, où le manque de communications rapides a retardé l’invasion des idées et des intérêts qui propagent ailleurs les habitudes du partage forcé…, les familles intelligentes et considérées maintiennent l’ancien régime de transmission intégrale[10]. » Elles y parviennent, grâce au consentement de tous leurs membres, à la tolérance des officiers publics, aux conseils du clergé[11] et à la Coutume, qui attribue à l’héritier-associé (généralement l’aîné des enfants) la quotité disponible, à titre de préciput ou hors part.

Tel était le cas pour la famille Mélouga. « Sous l’influence de l’ancienne Coutume du Lavedan, elle s’est maintenue pendant 400 ans au moins dans l’état de bien-être et de moralité » que M. Le Play a constaté en 1856 (§ 34).

Mais, — (c’est encore M. Le Play qui le déclare, et je ne puis mieux faire que le citer), — « ces influences traditionnelles ne sauraient toujours se perpétuer, et la loi écrite triomphe à la longue de la Coutume. Les gens de loi ont un intérêt direct à détruire, en cette matière, l’entente des familles : ils s’ingénient à faire naître, chez les héritiers peu intelligents ou peu scrupuleux, des sentiments de cupidité et à s’assurer ainsi les profits des expertises contradictoires des licitations, surtout des procès que provoque la pratique du partage forcée[12]. »

Dès 1856, la monographie signalait en termes non équivoques la menace de ce danger pour la famille Mélouga. L’ancienne tradition « conservée jusqu’à ce jour, disait-elle, sous l’influence du patois local et d’une situation isolée au milieu de hautes montagnes, se modifiera inévitablement à mesure que l’extension de l’enseignement scolaire et des moyens de communication mettra cette localité en contact plus intime avec les idées qui dominent dans les autres parties de la France. » (§ 34.)

Depuis que ces lignes ont été écrites, la vogue des eaux de Cauterets n’a cessé de s’accroître, précipitée par le besoin de locomotion que l’extension des voies ferrées a fait entrer dans nos mœurs, et surtout par la construction d’un réseau très complet de chemins de fer dont cette partie des Pyrénées a été dotée avec une grande libéralité[13].

Grâce à cette affluence de plus en plus considérable de baigneurs à Cauterets, grâce aussi à l’exécution de travaux publics qui ont amené la création de grands chantiers tant dans la localité même qu’à ses abords, l’élément agricole s’y efface au profit de ces chantiers ou des industries motivées par le séjour des étrangers, je n’oserais dire au profit de la moralité publique[14]. Les paysans sont déchus du haut rang qu’ils occupaient autrefois dans la commune, et n’ont plus qu’un ou deux représentants au sein du conseil municipal, envahi par les professions libérales, les débitants, les logeurs. À peine si l’on pourrait aujourd’hui compter 20 à 25 familles qui se souviennent des anciennes traditions, et encore le nombre en diminue-t -il incessamment. Elles résident presque toutes dans les hameaux voisins de Cauterets, et y occupent des domaines isolés, analogues à celui que nous avons décrit.

Quant à la population, elle s’accroît très vite, puisqu’elle a été portée du chiffre de 1376, constaté par M. Le Play en 1856, à celui de 1611[15] qui correspond au recensement de 1866[16].

La prospérité de la famille Mélouga, fondée sur la Coutume, était donc exposée à des chances


NOMBRE DES INDIVIDUS DE CHAQUE AGE, DANS LA COMMUNE DE CAUTERETS

D’après le recensement de 1866.

SEXE MASCULIN SEXE FÉMININ AGES Céliba ’iS’r ~’ Total. S~S’ a Mariées Veuves. Total. Au-dessous de .18 ans. 237 N7 283 283 ’)8à.2– 57 2 M7011 )’ 81 22 !<30 S )8 73 80 45 3 128 30à.40– M 68 7103 ?78 6 112 <0â. 50 12~ ) 9t 3 106 24 86 8 118 Ma. 60– 10 66 5812049 20 89 60a. 70 – 7 35 7 49 4 M2553 70&80 2 9 617 3 3 9 15 80a.91- 1 1 e 2 1 4 5 TOTAUX (1,611). 409 290 2d 727 513 296 75 884 périlleuses. Le choc entre la Coutume et le Code était devenu inévitable. Voici dans quelles circonstances il a eu lieu, et quelles conséquences il a produites.

VI

LES ORIGINES DU PROCÈS INTENTÉ À LA FAMILLE

Par acte de partage du 27 février 1835, le grand-père de Savina, Pierre Dulmo, avait estimé sa propriété à la somme de 17,368 francs ; il en avait attribué à sa fille aînée, Dominiquette Py, mère de Savina, à titre de préciput ou hors part, conformément aux articles 913 et 919 du Code civil, le quart disponible, soit 4,342 francs ; le surplus, soit 13,026 francs, devant être partagé par lots égaux de 1628 25 entre les huit enfants survivants (§ 33).

Telle est l’économie de cet acte qui, d’après les termes de la monographie, est devenu depuis lors « la charte » de la famille. Accepté par tous les héritiers, cet acte a été exécuté par ceux auxquels en incombait la charge à partir de la mort de Pierre Dulmo, survenue en 1836. Les soultes ont été acquittées, grâce à l’épargne annuelle. La libération semblait complète et définitive.

Un arrangement analogue est intervenu entre Joseph Py, père de Savina, et ses six enfants. En dehors de l’héritière, qui a succédé au père dans la possession du domaine, chacun des enfants a dû toucher environ 1,500 francs en espèces, plus un trousseau de 580 francs[17], et pour les garçons 40 brebis, pour les filles une armoire et la garniture d’un lit, soit en tout près de 2,400 fr. (§ 35).

Enfin le mari de Savina, Bernard Oustalet, a adopté les mêmes règles pour ses sept enfants Marthe, sa fille aînée, a été instituée héritière (Ayrété), comme l’avaient été sa grand’mère Dominiquette et sa mère Savina, puisque dans ces trois générations l’aîné des enfants a toujours appartenu au sexe féminin (§ 16).

Ainsi, depuis l’acte de partage dé 1835, la famille a eu à supporter la charge de dix-huit soultes, d’environ 2,000 francs chacune. Il est vrai que tout n’est pas payé pour la dernière génération, et que trois ou quatre célibataires restés au foyer domestique ont abandonné à l’héritière la part qui leur revenait. Mais il n’en reste pas moins constant que les détenteurs du domaine ont tous les ans à compter en espèces à leurs cohéritiers une soulte de 5 à 700 francs. « Ils ont en outre à supporter les frais qu’ont souvent entraînés l’éducation des enfants morts avant le mariage, l’entretien des vieux parents, les secours à donner aux proches qui ne réussissent pas dans leurs entreprises, les pertes dues aux disettes, aux épizooties et aux calamités de tout genre qui se présentent dans le cours d’une génération, les frais de baptême, de noce et d’inhumation (§ 34). Ils n’y parviennent que par des prodiges de travail et de sobriété. »

Lorsqu’on a vu ces faits de près, l’on comprend l’injustice et l’inanité des critiques dirigées contre ce prétendu droit d’aînesse. C’est, dit-on, l’oppression de tous les enfants au profit d’un seul. Je serais plutôt tenté d’avancer le contraire. Si l’on pouvait dire que cette combinaison est oppressive, elle le serait pour l’héritier-associé car elle lui impose des efforts continus et presque des vertus exemplaires, en échange d’un préciput insuffisant. Mais elle n’est que bienfaisante ; elle présente surtout, au point de vue de la stabilité sociale, l’inappréciable avantage de perpétuer ces familles morales et solides, qui sont les vraies forces du pays et qui ressemblent à ces arbres séculaires dont les racines, vigoureusement cramponnées au sol, prodiguent à leurs rejetons l’essor et la sève[18]. Loin de jeter le blâme sur l’héritier, c’est de la sympathie et même de la reconnaissance qu’on devrait avoir pour l’utilité sociale de l’œuvre qu’il accomplit, parfois peut-être à son insu, mais au prix d’une énergie et de privations qui ont pu longtemps conjurer l’anéantissement de ces réservoirs de force et de vertu.

La famille Mélouga se vouait à cette tâche et la menait à bien, lorsqu’en 1864 la mort de l’aïeul Joseph Py, père de Savina, interrompit le cours de cette prospérité. Joseph Py était, malgré ses 82 ans, un patriarche encore vigoureux et respecté de tous les siens. Lui mort, les mauvaises passions de quelques membres que sa présence contenait purent enfin se donner libre carrière.

Un des oncles de Savina, qui n’avait pas réussi dans ses affaires et qui obéissait à de funestes suggestions d’étrangers, entraîna avec lui une de ses sœurs et attaqua l’acte de partage du 27 février 1835, non seulement en rescision pour lésion de plus du quart (art. 1079 du Code Napoléon), mais encore pour violation des articles 826, 832 et 1075 du Code. Cette instance fut introduite à la fin de 1864 devant le tribunal de Lourdes, quelques semaines avant l’expiration de la prescription trentenaire. Poursuivie pendant plus de quatre ans devant toutes les juridictions, elle a été pour la famille la source de tribulations et d’épreuves dont nous allons essayer de donner une idée.

VII

LES MAUX INFLIGÉS À LA FAMILLE PAR LE PROCÈS

Pour nous autres citadins, accoutumés au maniement des affaires, ayant sous la main avoués et avocats quand nous voulons conférer avec eux, un procès est déjà un très grave ennui. Que ne doit-il pas être pour de pauvres paysans, perdus dans leurs montagnes, effarés à la vue du papier timbré, subjugués par les hommes de loi, tendant docilement et sans plainte le cou à toutes les exactions, à tous les jougs de la procédure !

« Le procès ! » Il faut entendre prononcer ce mot par les Mélouga avec une sorte de terreur mystérieuse pour comprendre l’ébranlement profond, le trouble immense que leur a causés cet assaut. Il semble que ce soit un fléau qui se serait abattu sur eux, comme la grêle, la peste ou l’incendie. Encore leur raison ou leur foi se plieraient-elles devant ces coups de la main de Dieu, dont la tradition leur indique des précédents, tandis qu’ils ne comprennent pas bien encore comment et pourquoi ils ont ainsi été traqués pour avoir agi dans la droiture de leur cœur et suivant la coutume des ancêtres vénérés.

L’instruction du procès a été laborieuse. Les faits remontaient à une date très ancienne ; plusieurs des héritiers primitifs étaient morts, et remplacés par des mineurs ; les papiers de famille étaient difficiles à reconstituer. Pour rétablir tous les titres de l’état civil des ayants droits, il fallait d’interminables colloques avec les gens de loi. À chaque instant Savina était demandée à Lourdes pour fournir un renseignement, souvent sans importance. Puis c’était l’affaire qui semblait venir en ordre utile et qui néanmoins était remise, remise encore, par l’un de ces moyens dilatoires qui éternisent en France les procès. Autant de voyages imposés à la famille.

Or sait-on ce que coûtait de fatigues à Savina chacun de ces voyages dont on était si peu ménager ?

De Lourdes à Cauterets, on compte 31 kilomètres, dont 10 à 12, côtoyant le torrent, sont en pente très raide dans une gorge encaissée, abrupte, des Pyrénées. La voiture publique met de 3 à 4 heures pour faire ce trajet. Savina l’effectuait à pied, aller et retour, dans la même journée. Elle partait vers 2 ou 3 heures du matin, arrivait à 10 heures à Lourdes, et en repartait vers 2 ou 3 heures pour rentrer coucher à Cauterets vers 11 heures ou minuit. Cette fatigue extrême lui a été imposée d’une façon presque continue, deux fois par semaine, pendant près de deux ans, l’hiver comme l’été. Elle est partie souvent la nuit par l’orage, par des rafales de neige qui comblaient la gorge et cachaient le chemin. Elle rentrait la nuit suivante et annonçait à sa famille, qui l’attendait anxieuse, que l’affaire n’avait pas encore pu être appelée ce jour-là.

Trop de gens sont disposés à juger les institutions d’après un idéal philosophique ou politique, qui leur sert de criterium, et à glisser sur les conséquences pratiques qui pourront sortir de ces institutions, notamment au point de vue de la multiplication des procès. Mais si, descendant des spéculations de la théorie et sortant de leur cabinet, ils consentaient à voir les malheureux qu’un procès accable, et auxquels il inflige les tourments que je viens de dire, leur facile sérénité en serait peut-être un peu ébranlée.

Je poursuis et j’abrège.

Perdu en première instance par Savina, le procès est déféré en appel à la cour de Pau, qui, le 14 juillet 1866, casse le jugement du tribunal de Lourdes et maintient l’acte de partage de 1835.

Pourvoi en cassation. Là, grâce à la bienveillance de Me Albert Gigot, qui, à la prière de M. Le Play, a bien voulu prendre en main à titre gratuit les intérêts des Mélouga, ceux ci n’ont plus à se tourmenter de leur affaire, qui se termine à leur avantage par l’arrêt du 23 mars 1869[19].

Le procès était donc gagné après une lutte de quatre ans. Mais il n’en avait pas moins entamé profondément la prospérité de la famille.

D’après sa déclaration, et par suite de l’insolvabilité de ses adversaires, les frais judiciaires se sont élevés pour elle à plus de 4,000 fr. Pour se les procurer, elle a dû vendre des terres et du bétail. Douloureuse nécessité. Pendant quatre ans, elle a été livrée à d’incessantes terreurs, inspirées par son ignorance de la loi, et habilement entretenues par les bruits que répandaient ses adversaires dans le bourg. « On allait l’exproprier de ses biens, partager le domaine, peut-être la condamner à la prison, » Il est difficile de s’imaginer jusqu’où peuvent aller ces chimères chez des paysans terrifiés par l’inconnu.

C’est dans un de ces moments de

découragement profond, inspiré par l’issue du procès qui allait, disait-on, tout engloutir, que le fils unique de Savina, le jeune Joseph, âgé de 22 ans, se rendit à Argelès sans consulter personne, au commencement de 1869, alors que la cour de cassation avait déjà rendu un arrêt favorable, mais sans que la famille en fût encore informée. Là, il s’engagea comme soldat pour une prime de 2,000 francs, dont il remit une partie à sa mère.

Cette résolution a été douloureuse pour Savina : elle lui enlevait son fils et privait le domaine d’un travailleur vigoureux et dévoué. Comment le remplacer pour la culture et la garde des troupeaux, dans l’état de gêne où le procès avait mis la famille ?

Au point de vue de la dignité des Mélouga, cet engagement contracté à prix d’argent leur a même porté un coup sensible. « Il a vendu son corps, » me disait sa mère avec des larmes. L’histoire de la famille n’en offre sans doute pas d’autre exemple.

Les autres filles, qui ont essaimé sous l’empire de ces circonstances, en ont ressenti la triste influence et se sont mariées, sauf une, à des journaliers domestiques, dérogeant ainsi à l’ancien rang de la famille (§ 21). Aujourd’hui ces ménages sont dans la gêne, pour ne pas dire dans la misère.

Enfin l’avenir ne se présente pas avec des perspectives bien rassurantes. La succession du grand-père de Savina a donné lieu à un procès. Celle de son père, la sienne propre, ne vont-elles pas en provoquer également, à la faveur des idées nouvelles ? Cette arme étant mise aux mains de nombreux cohéritiers, il suffit d’un moment d’humeur, d’un caprice, chez un seul d’entre eux, pour qu’elle soit de nouveau dirigée contre la pauvre famille.

Savina tient encore tous les siens sous une certaine discipline ; mais, comme celle de son père Joseph Py, sa mort ne sera-t-elle pas le signal d’un conflit entre ses héritiers ? La famille en sortira-t-elle encore victorieuse ? L’arrêt de la cour permet de l’espérer. Mais de telles victoires sont désastreuses. Peut-être même y a-t-il lieu de craindre que la famille, ébranlée par ce premier procès, ne se désagrège, qu’elle ne voie son domaine subir de nouveaux morcellements, et qu’elle n’ait déjà plus assez de vitalité pour résister aux épreuves d’un second procès.

VIII

LE SALUT DE LA FAMILLE PAR LA LIBERTÉ TESTAMENTAIRE

En présence des faits que nous venons de retracer, les réflexions se pressent dans l’esprit. Nous nous bornerons à indiquer sommairement celles qui ont trait à l’influence de l’intervention de l’État en matière de successions.

L’œuvre du Code s’accomplit avec une inflexible régularité, à la façon d’un de ces grands phénomènes naturels, que des efforts peuvent contrarier sur certains points, mais qui surmontent à la fin tous les obstacles. C’est une marée qui monte et qui aura bientôt submergé jusqu’aux derniers îlots préservés jusqu’ici par la tradition, par la difficulté des communications, et par l’emploi d’un patois local[20].

Toutefois, à divers indices significatifs, on peut reconnaître que, même chez les plus déterminés partisans du Code, une réaction est en voie de se prononcer contre quelques-unes des dispositions de la loi qui ont été inspirées par la défiance envers le père de famille, et sont dirigées contre son autorité. C’est ainsi qu’un projet de loi a été présenté en 1869 pour modifier les articles 826 et 832 du Code Napoléon dans un sens qui permette de conjurer le morcellement des exploitations[21].

La commission supérieure de l’enquête agricole de 1867-1869 a demandé[22]en outre que « l’on réduisît les délais de l’action en rescision des partages entre-vifs ou testamentaires pour cause de lésion, et qu’on les fixât à 5 ou 2 ans à partir du décès du testateur[23]. » Elle avait de plus été d’avis que dans les contestations relatives aux partages d’ascendants pour cause de lésion ou d’atteinte à la réserve, dans le cas prévu par le dernier paragraphe de l’article 1079 du Code Napoléon, l’on estimât les biens d’après leur valeur à l’époque de la donation entre-vifs contenant partage[24]. »

L’appréciation de ces réformes, au point de vue juridique, ne rentre ni dans mon plan ni dans ma compétence. Je puis dire cependant qu’elles indiquent, à mon sens, une tendance salutaire et mériteraient d’être accueillies avec reconnaissance. Il en serait de même à plus forte raison de l’augmentation de la quotité disponible que réclament des jurisconsultes distingués du Midi, et dont le IIIe Appendice démontre avec force les avantages. Mais ces mesures, quelque bonnes qu’elles soient d’ailleurs, et toutes autres qui seraient inspirées par le même esprit, ne peuvent pas être considérées comme une solution complète et définitive : l’exemple même de la famille Mélouga prouve bien que ce ne sont là que des palliatifs.

Certes on doit s’applaudir pour cette intéressante famille qu’elle ait triomphé devant la cour de cassation après quatre ans de luttes judiciaires. Un échec la tuait sans merci. Mais on a vu quel mal lui avait fait ce procès, quoiqu’il se soit bien dénoué. Elle en a reçu une blessure dont elle mourra peut-être. Ce qui lui a été funeste, ce n’est donc pas tel ou tel détail de la loi elle-même, mais c’est l’intervention forcée de la loi dans les successions.

Du moment où le législateur règle la part des enfants, quelle que soit d’ailleurs cette part, il ouvre par cela même la porte aux contestations et livre la famille à l’antagonisme et à tous les maux qui en découlent. M. Le Play a fait remarquer[25] que, en 1868, le nombre des jugements rendus par les tribunaux civils sur les contrats ou les obligations conventionnelles de toute nature n’a pas dépassé 24,899, tandis que les seuls jugements relatifs aux successions réglées par le partage forcé, avec ou sans intervention de donations ou de testaments, se sont élevés au chiffre de 21,317.

Avec les dispositions du Code, tester c’est presque à coup sûr léguer un procès à ses enfants. Mieux vaut donc, pour le père de famille, s’abstenir et s’en remettre du soin de sa succession aux hommes de loi, qui, après sa mort, envahiront le foyer, ce sanctuaire ; toucheront sans discrétion à ses secrets les plus intimes, aux souvenirs les plus touchants ; expertiseront, instrumenteront et feront un partage, légal sans doute, mais, pour ainsi, dire aveugle et passif.

Il est peu de personnes qui n’aient eu la douleur de faire à ce sujet des observations personnelles et d’éprouver une sorte de révolte contre cette intrusion de la loi, qui, sous prétexte de protéger la famille contre le chef qu’elle pleure, en profane la sainteté[26].

Du moment où le père de famille, dépossédé de son droit, s’abstient de son devoir, le problème des successions, comme l’a fait énergiquement remarquer M. Le Play, se réduit au partage « d’une somme d’argent. L’héritage n’est plus un grand acte social, accompli sous l’inspiration des plus nobles sentiments du père de famille et du citoyen ; c’est une simple liquidation qui n’exige point d’autre science et d’autre sollicitude que celles de l’expert et du commissaire-priseur[27]. »

Aussi, tout en étant prêt à recevoir comme un bienfait les expédients que l’opinion publique serait apte à tolérer dès aujourd’hui, doit-on proclamer que la seule réforme souverainement efficace, c’est la liberté testamentaire.

« Partout et dans tous les pays civilisés ou non, a dit excellemment M. Troplong, les désirs exprimés par le père à son moment suprême parlent plus haut aux enfants recueillis que toutes les lois de l’ordre civil. » (Traité des donations entre-vifs et des testaments, préface.) Ne résulte-t-il pas de cette belle déclaration que la loi doit se garder d’empiéter sur la volonté paternelle exprimée par le testament, et, se bornant à suppléer au silence du père, réduire son intervention au cas des successions ab intestat ?

Dans un moment où le mot de liberté est si fort à la mode et où l’on en fait dans tous les camps un si étrange abus[28], n’est-il pas surprenant qu’on repousse celle-là seulement qui rendrait la paix aux familles, la stabilité à l’agriculture et à l’industrie, et rétablirait, avec la pratique du testament, le respect du père, si profondément entamé de nos jours.

Cette solution est encore la seule qui, par son élasticité, soit susceptible de s’adapter exactement à tous les besoins d’un aussi vaste territoire que la France.

Comment, en effet, le législateur n’est-il pas arrêté par la difficulté d’assujettir une matière aussi complexe à une règle uniforme pour tout le pays ? La quotité disponible peut-elle donc être partout la même, quels que soient les mœurs, les coutumes, les habitudes ou les besoins de l’industrie et de l’agriculture ? Ces proportions immuables ne sauraient évidemment convenir à tous les cas, et elles agissent, comme tout fait absolu, sans discernement.

Ainsi, en matière de successions, la réglementation, même mitigée, a, au milieu d’autres inconvénients qui échappent à mon cadre, celui d’attenter à l’autorité du père, de le désintéresser du testament, d’engendrer des procès, et de plier à une sorte de lit de Procuste l’agriculture et l’industrie. La liberté testamentaire, au contraire, prévient les procès et varie les solutions suivant les exigences de la pratique et de la vie, au lieu de procéder d’après une formule sèche, abstraite, inflexible.

Telles sont les seules considérations que je dégagerai de l’histoire des épreuves traversées par la famille Mélouga, heureux si j’ai réussi à inspirer de la sympathie pour ces modestes paysans du Lavedan, et à éveiller dans des esprits attentifs quelques réflexions salutaires sur un régime de succession qui produit les résultats décrits dans le cours de cette étude.

Cauterets, août 1869.

IIe PARTIE — SITUATION EN 1874


IX

ÉTAT-CIVIL DE LA FAMILLE EN 1874

On a vu précédemment que la communauté réunie sous le toit de la maison Mélouga comprenait, en 1856, un total de 15 membres, qui était tombé à 10 membres en 1869. Cinq ans plus tard, en 1874, elle avait encore le même effectif qu’à cette dernière date, et se décomposait ainsi :


1. Savina Py, dite Mélouga, maîtresse de maison 63 ans
2. Marthe Cazaux, dite Mélouga, héritière 36
3. Pierre Cazaux, dit Mélouga, mari de Marthe, gendre 41
4. Michel Cazaux, fils aîné de Marthe[29] 10
5. Paul Cazaux, 2e fils. 8
6. Dorothée Cazaux, 1re fille 6
7. Joséphine Cazaux, 2e fille 4
8. Zoé-Émilie Cazaux, 3e fille 1
9. Dominique Py, dit Mélouga, oncle de Savina, maladif, célibataire 50
10. N..., domestique, enlevé par la conscription, doit être prochainement remplacé


Ainsi, depuis 1856, cet effectif s’est non seulement beaucoup réduit comme nombre, mais encore comme puissance de travail, puisqu’il comprend 5 enfants en bas âge, leur grand’mère Savina et leur grand-oncle Dominique Py, qui, par suite soit de leur âge trop tendre ou trop avancé, soit de leur santé débile, ne peuvent guère prêter un concours efficace à la tâche commune.

Par suite de ces réductions, le nombre des bras actifs de la communauté n’est plus suffisant pour entretenir le domaine. L’équilibre, qui distingue l’organisation agricole du Lavedan et qui adapte l’étendue de la propriété à la puissance de la main-d’œuvre dont dispose la famille parmi ses membres réunis au foyer domestique, cet équilibre, dont M. Le Play a fait ressortir les avantages (§§ 33 et 36), se trouve aujourd’hui détruit. Aussi la famille Mélouga a-t-elle dû, faute de bras, vendre son troupeau de brebis et ne conserver que 12 bêtes à cornes.

L’oncle Dominique Py avait quitté la maison il y a près de quatre ans. Après avoir mangé sa dot, dont il avait exigé le payement, il est venu redemander sa place au foyer. Bien que son départ eût été insolite, qu’il n’eût plus rien à léguer et que sa santé, comme son humeur, ne permissent pas d’attendre de lui des services bien effectifs, il a été accueilli à bras ouverts.

C’est là un fait important au point de vue social, et nous aurons plus loin l’occasion d’y revenir.

X

ACTE DE PARTAGE DU 3 MARS 1874

On a vu (§ 33) que, par acte de partage du 27 février 1838, le grand-père de Savina, Pierre Dulmo, avait estimé sa propriété à la somme de 17,368 francs, et avait attribué, en dehors du préciput du quart concédé à sa fille aînée, des lots égaux de 1,628 fr. 25 c. à chacun de ses huit enfants.

C’est l’acte que nous avons appelé la charte de la famille, et qui, attaqué 29 ans après, sous prétexte de lésion de plus du quart, a donné lieu à ce procès, funeste aux Mélouga, malgré son heureuse issue. (Épil.VI et VII.)

Un arrangement analogue a été réglé par Joseph Py, père de Savina, qui a fixé la dot de chacun de ses enfants à 2,395 fr. 50 c.

Savina, voulant assurer après sa mort la transmission du domaine à sa fille Marthe et la paix entre ses enfants, avait fait préparer un acte de partage sur le modèle de ceux qui viennent d’être cités. Mais, pour la première fois peut-être depuis quatre siècles, dans cette famille, la volonté de la maîtresse de maison n’a pas été immédiatement accueillie avec respect et soumission. Pendant près de deux ans, les négociations ont duré entre la mère et trois de ses filles. Elles viennent enfin d’aboutir heureusement à une entente, qui se trouve consacrée par l’acte de partage du 3 mars 1874.

Aux termes de cet acte, l’avoir est estimé comme suit :

Immeubles 
29.352 f. 59
Mobilier 
1,016 f. 75
Bestiaux 
1,843 f. 25

Total 
32,212 f. 59

Mais cet avoir est grevé d’un passif considérable, dont une partie provient des dettes contractées à l’occasion du procès.

Emprunts en argent à divers 
7,000 f. 00
Emprunts à Joseph Oustalet, fils de Savina, sur sa prime d’engagement en 1869 
1,300 f. 00
Dot de Pierre Cazaux, gendre, qui l’a versée en entrant dans sa nouvelle famille[30] 
4,300 f. 00
Reliquats de dots dues aux frères et sœurs de Savina, et revenant par achat ou donation à Marthe et à son mari 
3,900 f. 00

Total 
16,500 f. 00
Il faut déduire de ce passif les avancements d’hoirie, comptés à trois des sœurs de Marthe en espèces ou en trousseaux 
4,300 f. 00

Reste pour le passif 
12,200 f. 00
Total de l’actif 
32,212 f. 59
Actif net 
20,012 f. 59



Par son contrat de mariage du 22 octobre 1861, Marthe avait été gratifiée du quart des biens de ses père et mère, à titre de préciput. La même disposition avait été prise par les auteurs de Savina en faveur de leur fille dans le contrat du 6 février 1838. On saisit là une habitude encore vivante, celle d’instituer l’héritier ou l’héritière au moment du mariage du premier-né.

C’est un legs du passé et de la Coutume.

En vertu de cette disposition, il faut d’abord prélever pour Marthe son préciput du quart sur l’actif net de 
20,012 f. 59
Soit 
5,003 f. 15
Reste à partager entre 6 enfants 
15,009 f. 44
Ce qui revient pour chacun d’eux, à 
2,501 f. 57

Soit ensemble, pour les 5 frère et Meurs de Marthe 
12,507 f. 87
Ils ont déjà touché en avancement d’hoirie 
4,300 f. 00

Leurs droits actuels sont donc de 
8,207 f. 87
Ceux de Marthe et de son mari se décomposent ainsi :
Préciput de Marthe 
5,003 f. 15
Sa dot 
2,501 f. 57
Dot de son mari 
4,300 f. 00
Reliquats des dots des frères et sœurs de Savina, revenant à Marthe et à son mari, cessionnaires de ces droits 
3,900 f. 00

Droits de Marthe et de son mari 
15,704 f. 72
Droits des
Divers 
7,000 f. 00
8,300 f. 00
créanciers.
Joseph Oustalet 
1,300 f. 00

Total égal à l’actif 
32,212f. 59


Par l’acte du 3 mars 1874, Savina fait donation de ses biens entre-vifs à titre de partage anticipé[31] et conformément aux articles 1075 et suivants du Code civil.

Afin de rendre cet acte irrévocable et de prévenir toute contestation ultérieure, du genre de celle qui a mis en péril les arrangements de 1835, on a eu recours à la combinaison suivante :

Tandis que l’arrêt de la cour de Pau du 14 juillet 1866, et celui de la cour de cassation du 23 mars 1869 (1er Épil. — VII), déclarent que « les immeubles de la famille ne peuvent pas être partagés commodément et sans subir une notable dépréciation », l’acte de 1874 en effectue, au contraire, le partage en nature entre les intéressés, et les répartit, par désignations individuelles ; en 6 lots assignés respectivement aux enfants de Savina jusqu’à due concurrence de leurs droits.

Le lot de Marthe comprend ses droits et les dettes dont elle prend la charge, ce qui correspond à un total de 24,004 fr. 72 c.

Les lots de ses 5 frère et sœurs s’élèvent ensemble à 8,207 fr. 87 c.

Seulement, par acte postérieur, ces frère et sœurs rétrocèdent à Marthe leur lot pour le montant de l’estimation[32], si bien qu’en dernière analyse, les droits des cohéritiers se traduisent en une soulte d’argent, que doit leur payer l’héritière. Celle-ci garde le domaine, mais est tenue d’acquitter d’abord les dettes,

soit 
8,300 f 00
Plus les soultes dues à ses frère et sœurs 
8,207 f 87

Total 
16,507 f 87
L’actif étant de 
32,212 f 59

Sa part nette reste, comme ci-dessus, égale à 
15,704 f 72



Si l’on a bien suivi ces détails arides, on comprend que le domaine morcelé par l’acte de donation, se trouve reconstitué, immédiatement après, entre les mains de l’héritier par la vente des lots en nature.

Ce moyen est-il infaillible pour écarter les procès pendant 30 ans ? Il faut le souhaiter, sans en avoir la certitude absolue, tant la chicane trouve de ressources dans nos lois pour briser la volonté du chef de famille et pour éluder les consentements les mieux établis. Mais on ne peut contester que ce mode ne soit du moins très onéreux, parce qu’il exige plusieurs actes successifs, dont chacun comporte, au profit du fisc, la perception de droits élevés.

N’est-il pas, en outre, profondément lamentable de voir ce régime de fiction imposé par le Code civil aux familles qui veulent sauver leur domaine ? Autrefois le père réunissait ses enfants à son lit de mort et leur dictait ses volontés. Isaac dit à Jacob : « Sois le maître de tes frères, et que les fils de ta mère se prosternent devant toi. » Jacob donne ses ordres à ses douze enfants avant d’expirer. (Genèse, chap. xxvii et l.) Le père de Bayard, le bon chevalier, « considérant que déjà nature lui défaillait et qu’il ne pouvait plus faire grand séjour en cette vie mortelle, appelle ses quatre enfants, en la présence de sa femme, dame très dévote et toute à Dieu, et, après les avoir interrogés, il assigne à chacun d’eux sa vocation et son lot[33]. Le Code ne l’entend plus ainsi. Le père est déchu de sa royauté ; il doit commencer par obtenir l’acquiescement de ses héritiers aux combinaisons qu’il médite et qu’un seul d’entre eux peut tenir en échec. Puis, ceci fait, il lui faut encore recourir à des biais ingénieux, à des simulacres, pour assurer l’exécution de ses projets ; heureux si, malgré tant de précautions et de frais, il ne lègue pas encore un procès ruineux à ses descendants. Avec la loi actuelle, on ne saurait trop le redire, c’est une grave imprudence que de tester. Le Code ravit, en fait, au chef de famille son plus bel apanage, son privilège naturel, celui de régler sa succession et de partager entre ses enfants, au mieux de leurs intérêts, les biens qu’il a su conserver ou acquérir.

Un pareil régime livre aux hommes de loi le domaine de la famille ; il entraîne, de plus, le morcellement et l’instabilité de la propriété.

Cette dernière conséquence mérite qu’on s’y arrête.

XI

LA TERRE

Le bien des Mélouga représente aujourd’hui, on l’a vu, une somme nette de 20,000 fr. C’est peu comme capital. Comme domaine, comme foyer, c’est une force qui a défié le temps et fait vivre quinze générations.

Une des plus fausses idées économiques de notre époque est de tout réduire à une question de sous et deniers. En matière de salaires, par exemple, cette façon étroite d’envisager les choses conduit à la séparation et à l’antagonisme des classes. Le patron se croit quitte envers l’ouvrier, quand il lui a payé le prix de sa journée. C’est le principe « de l’offre et de la demande appliqué aux rapports des hommes, alors qu’il ne convient qu’à ceux des choses. Il permet, il innocente, au nom de la science, des faits révoltants, et chasse les scrupules importuns que suggérerait à la conscience la loi morale, loi plus profonde et plus vraie que la loi économique, parce qu’elle est plus complète et ne retranche pas de l’homme ce qui fait l’homme. Avec de telles idées, le patronage n’a plus de sens. Le travail du jour fait et payé, tout est dit, si le compte est juste. L’ouvrier ne doit plus rien au patron, ni le patron à l’ouvrier. L’arithmétique est satisfaite. Mais peut-on asseoir sur de telles bases la paix et la continuité dans l’atelier de travail ? À défaut du raisonnement, les résultats jugent le système.

L’erreur n’est ni moins grande ni moins dangereuse, si l’on ne veut voir dans la terre que sa valeur pécuniaire. Vingt sacs d’écus de mille francs et un domaine de cette valeur, celui des Mélouga, par exemple, c’est loin d’être tout un. Il y a là une représentation commode pour le langage et pour l’usage de la vie ; mais il n’y a pas d’équivalence sociale.

« La richesse territoriale est la richesse par excellence. Tout appartient au propriétaire qui vit sur ses champs héréditaires les bêtes de la forêt, les oiseaux, l’air, l’eau, les vents, les pluies. C’est pour lui que la sève monte au printemps. Il sort du passé, de l’histoire. Il ne promène pas de tous côtés une vie inquiète. Le doux mouvement des choses sans commencement ni fin l’emporte. Il vit lentement, sans fatigue, sans crainte. Il est moins un individu que le représentant d’une race. On ne se figure pas une possession plus pleine, plus complète. Qu’y a-t-il de préférable ? Y a-t -il quelque part une richesse qui puisse mieux parler aux yeux ? Celle-ci entre dans l’âme elle-même par la muette beauté des arbres, des fleurs ; par les lignes familières des horizons, des ondulations dont tous les plis sont connus et éveillent un souvenir. L’homme possède-t -il véritablement quelque chose, s’il n’a quelques pieds de terre qu’il puisse appeler siens[34]. »

Le moyen âge, qui connaissait à peine la richesse mobilière, avait bien compris tout ce que la terre contient de grandeur et de portée sociales. On peut dire que c’est là l’influence qui a le plus contribué à le façonner et à lui donner sa physionomie particulière.

Aux origines de la féodalité, la terre, au lieu d’être possédée par l’homme, semblait le posséder et lui imprimer son caractère[35]. » M. Guizot a dit avec raison que le régime féodal a été précisément le résultat de la combinaison de l’état des terres avec celui des personnes. « Des privilèges étaient attachés à la terre, qui les communiquait à son détenteur, tandis que le propriétaire qui était noble ne pouvait anoblir la terre qui ne l’était pas[36]. » La conservation du bien dans la famille était la suprême préoccupation de la coutume et des mœurs. Toute autre considération était subordonnée à ce grand intérêt.

L’Angleterre nous fournit un remarquable exemple de ce régime et de ses conséquences[37]. Elle lui est redevable de sa forte hiérarchie et de sa stabilité, qui devraient faire l’admiration et l’envie des peuples voués aux révolutions périodiques et toujours inquiets du lendemain.

Ce n’est pas ici le lieu de retracer l’histoire de la propriété anglaise ; mais, puisque la famille qui est l’objet de cette étude habite les Pyrénées, il me sera sans doute permis d’entrer dans quelques détails sur la manière dont la Coutume du Lavedan et celle de Barèges avaient su résoudre ce grand problème de la conservation des biens.

Je rappelle ici que le Lavedan faisait partie du comté de Bigorre et comprenait les six vallées de l’Extrême de Salles, d’Argelès, de Castelloubon, de Batsouriguères, d’Azun et de Saint-Savin. Le bourg de Cauterets était l’une des six communes de cette dernière vallée, dont le syndicat possède actuellement les eaux et les établissements de la station-thermale.

XII

LE DOMAINE ET LA COUTUME DU LAVEDAN

La propriété n’est considérée par la Coutume que comme « un fidéicommis perpétue ». Semblable à ces coureurs dont parle Lucrèce,

Cursores vitaï lampada tradunt,


les détenteurs successifs du sol se le passent de main en main comme un dépôt sacré.

Pour obtenir ce résultat, la Coutume est d’une rigueur qu’on peut dire inflexible, et fait bon marché de la liberté des individus.

« Les aînés, soit mâles ou femelles indifféremment, dit l’art. 1er de la Coutume du Lavedan, sont, par un fidéicommis perpétuel, les héritiers des maisons dont ils descendent, et des biens de souche ou avitins[38], à l’exclusion de « tous les autres frères et sœurs cadets, qui chacun n’ont que leur légitime, telle que de droit, à régler suivant le nombre des enfants et portée desdits héritages leurs père et mère, héritiers ou héritières coutumiers, ne pouvant disposer ni donner que la seule quarte de leurs biens, y compris les frais, tant funéraires et tous legs tant pies qu’autres. »

L’article II de la Coutume de Barèges n’excluait le premier-né de la succession que s’il était incapable, justement[39] condamné à mort, aux galères perpétuelles, si, de droit, il « était inhabile au mariage, furieux, prodigue ou imbécile de sens et de jugement, qu’on appelle en vulgaire du pays pec ou taros ; mais tel inhabile, furieux, prodigue, imbécile, pec ou taros, continue la Coutume, doit être nourri et entretenu pendant sa vie dans la maison natale, et après sa mort, la légitime doit rester dans sa maison, à la charge de faire ses honneurs funèbres et de prier Dieu pour son âme ».

Arrêtons-nous un moment sur ces diverses dispositions. La Coutume impose le droit d’aînesse, sans distinction de sexe. L’héritier est le premier-né, soit mâle, soit femelle, indifféremment. Le commentateur de la Coutume, Noguès[40], dont les deux ouvrages de 1760 et de 1789, aujourd’hui fort rares, nous ont fourni de précieux renseignements pour cette étude, est assez embarrassé par cette disposition. Quoique légiste et prosterné devant le droit romain, il était en même temps montagnard et comme imprégné de la Coutume, et ce tiraillement entre deux tendances contraires se traduit à chaque instant dans ses écrits en contradictions fréquentes.

Après avoir cité les textes latins et les motifs qui refusent en général l’héritage aux filles[41], Noguès s’écrie : « Notre Coutume, je l’avoue, paraît bizarre sur le point de succession, quand on ne considère que la lettre, et le premier mouvement qu’elle excite est un mouvement d’indignation contre elle. Mais il faut convenir, ajoute-t-il, qu’il en est autrement, quand on connaît les raisons sur lesquelles elle est fondée, et quand on réfléchit qu’elle s’est proposé, non moins que les autres coutumes, la conservation des biens dans les familles, et qu’elle remplit parfaitement son point de vue. » (P. 40.)

Je note en passant cette préoccupation d’un légiste de défendre la Coutume contre le reproche de ne pas assurer la conservation des biens. Une Coutume, dit-il, n’est bonne qu’à ce prix, et celle du Lavedan ne manque pas à cette condition.

En effet, loin que la femme, comme ailleurs, quitte sa famille et perde son nom, c’est l’héritière qui fait entrer son mari sous le nom de gendre dans la maison natale, dont il prend le nom, et à laquelle il apporte une dot, dite sa légitime. C’est ainsi que, dans la famille qui nous occupe, le premier-né des trois dernières générations a été une fille, et l’on a vu que les gendres successivement introduits dans la maison, Py, Oustalet et Cazaux, ont pris le nom de Mélouga. Sous ce rapport, les mœurs ont respecté la Coutume.

« En pratiquant cet usage, dit Noguès, il devient, non pas indifférent, mais même avantageux pour la conservation des familles que le premier-né, sans distinction de sexe, soit héritier car les premiers-nés, qu’ils soient mâles ou filles, ne sortant pas de la maison par le mariage, attirant, au contraire, à soi les personnes qu’ils épousent, il est aisé de voir qu’il importe pour le bien et avantage de leurs maisons de les établir aussitôt qu’ils sont nubiles. Il y a plus, c’est que notre Coutume, jointe à cet usage, est plus propre à conserver les biens dans les familles que les autres Coutumes qui lui sont opposées ; » et il cite le cas d’une fille unique, qui peut continuer la famille, en lui donnant un gendre, tandis que la famille s’éteindrait si la Coutume était autre. (P. 41.)

M. Le Play ajoute encore aux bienfaits de cette Coutume celui de faire succéder plus rapidement les mariages et les générations, et ensuite d’écarter, tout naturellement, les conflits entre les belles-mères et les brus, c’est-à-dire de conjurer le mal qui a surtout désorganisé nos familles-souches de métayers du Limousin et de la France centrale (§ 16).

Les privilèges conférés à la femme par la Coutume et les mœurs constituent d’ailleurs un des traits distinctifs de la race. Les Gaulois entouraient la femme d’une vénération particulière. M. Le Play en cite, d’après Plutarque, une preuve remarquable, à l’occasion d’un traité conclu entre Annibal et les Euskes (§ 9). Le vieux for de Bigorre accorde aux femmes le droit d’asile, qui était réservé aux sanctuaires et choses sacrées. L’article 9 est ainsi conçu : Omni tempore pax teneatur dominabus…, ita si quis ad dominam confugerit, restituto damno quod fecerit, persona salvetur. Les femmes avaient, comme les hommes, le droit de voisinage (jus civitatis) ; elles étaient convoquées aux assemblées de la communauté ou vésiau, et participaient au vote, au même titre que les chefs de maison, caps d’oustau, ou voisins (besi[42]).

Dans un bail à fief, consenti par l’abbé de Saint-Savin en 1316, nous voyons que voisins et voisines de Cauterets (besis et besies de Cautarès) furent assemblés sous le porche de l’église, afin de déclarer s’ils voulaient accepter de l’abbé un autre emplacement pour la ville et le bourg, moyennant certaines redevances féodales. « Les susdits voisins et voisines, porte l’acte du 8 août 1316, ensemble et individuellement, présents et consentant, n’étant ni trompés, ni séduits, ni entraînés par d’artificieuses promesses, ni violentés par la force, mais de leur plein gré et volonté, en toute connaissance de cause, ont déclaré donner leur approbation unanime, excepté Gailhardine de Fréchou[43]. »

On retrouve, près de cinq siècles plus tard, sous la révolution, ce même usage du vote exercé par les femmes. « Le 17 germinal an II, dans l’église d’Aucun, tous les individus de la commune ont été assemblés à la réquisition de l’agent national, pour délibérer sur le partage des biens communaux. L’assemblée a été tumultueuse et orageuse. Les hommes ne veulent pas du partage. Voyant que les femelles(sic) n’avaient point délibéré, ledit agent national les a fait voter. Cinquante-six ont passé du côté indiqué pour vouloir le partage, et quarante-six sont restées en place. » (Le Droit de famille aux Pyrénées, par L. Cordier. Durand, Paris, 1859, p. 73). Il semble que, dans l’espèce, « l’agent national » ne se soit souvenu des vieux usages que pour avoir raison de la résistance « des mâles ». Mais cette ingénieuse manœuvre et l’absence de protestation de la part de la minorité prouvent la trace profonde qu’avait laissée dans les esprits le droit de vote reconnu aux femmes depuis les temps les plus reculés.

Cette persistance des anciennes mœurs se rencontre encore dans le trait que nous avons indiqué de l’institution de l’héritière, qui reste à la maison natale et y attire un gendre porteur d’une dot. Ce trait remonte à une haute antiquité. On a vu plus haut (§ 9, n. 4) que Strabon le signale et s’en indigne. Cette disposition, critiquée par l’auteur grec, est, au contraire, une des plus sages et des plus utiles de la Coutume basque.

L’article Ier de cette Coutume donne tous les biens à l’aîné, garçon ou fille, sauf la légitime assurée aux enfants, et la quotité disponible réservée au père.

Les légitimes étaient fixées au tiers, si le père laissait 4 enfants ou moins ; à moitié, s’il en laissait 5 ou plus. Cette règle est exprimée par le distique suivant :

Quatuor aut infra natis dant jura trientem ;
Semissem vero, fuerint quinque vel ultra[44].
Ainsi pour 3 enfants, la légitime de chacun d’eux était de
Pour 4 enfants
Pour 5 enfants
Pour 6 enfants

La quotité disponible réservée au père était de la quarte de ses biens de souche et avitins, et de la totalité de ses acquêts, distinction rationnelle qui accentue le caractère de simple dépôt imprimé aux biens qui provenaient des ancêtres[45].

Si le père n’usait pas de cette quotité disponible au profit d’un autre, son fils aîné avait,

dans le cas de 3 enfants, les ou 0,778 du bien
dans le cas de 4 enfa — 0,750
dans le cas de 5 enfa — 0,600
dans le cas de 6 enfa — 0,583


Aujourd’hui, dans le même cas, la part de l’enfant privilégié varierait de 1/2 à 9/24, ou de 0,5 à 0,375. On peut dire qu’en moyenne l’héritier ayant, d’après le Code, une part égale à 1, la Coutume lui assurait une part égale à 1 1/2, soit 50 0/0 en sus. Nous montrerons que cette latitude était bienfaisante pour assurer la conservation du domaine.

L’article II de la Coutume de Barèges exclut de

l’héritage, bien que premiers-nés, les inhabiles au mariage, les condamnés à mort ou aux galères perpétuelles, les prodigues, les furieux et imbéciles, dénommés en patois local pec et taros. Cette rédaction atteignait les ecclésiastiques. « Par l’esprit de la Coutume, on l’a déjà observé, dit Noguès, l’objet de cette Coutume est de conserver les biens dans les familles et les familles mêmes par la propagation en légitime mariage. Or, il ne dépend pas des personnes constituées dans les ordres sacrés de remplir ce double objet. » (P. 84.) Donc en fait, malgré le respect qui entourait le clergé, la Coutume ne lui permettait ni de succéder ni de tester. N’est-il pas surprenant de voir en plein moyen âge et jusqu’à 1769, époque où la Coutume fut revisée, le principe de la conservation des biens de famille opposer une digue à l’invasion des biens de mainmorte ? N’est-ce pas là encore le renversement des idées reçues sur la toute-puissance et les empiétements du clergé à cette époque ?

Voilà donc les biens transmis à l’aîné. Mais il n’en dispose pas en toute propriété ; à vrai dire, il n’en a que l’usufruit, et ne peut les aliéner ou les échanger « qu’en cas de besoin ou de nécessité ». Il n’aurait pas, notamment, le droit de les échanger contre d’autres biens, pour faire entrer ceux-ci dans la catégorie des acquêts dont il a la libre disposition, et frauder ainsi l’héritier. (Art. IV, V et VII de la Coutume.)

Le « gendre » entrant dans la maison avait une situation très amoindrie. C’était lui qui, au grand scandale de Strabon, apportait une dot à sa femme. S’il décédait avant elle et sans enfants, sa dot seule faisait retour à sa maison natale ; mais ses acquêts restaient à sa maison d’adoption. Il ne pouvait aliéner les biens de sa femme. Il ne succédait point à ceux de ses enfants qui mouraient ab intestat, leurs biens étant dévolus à l’héritier coutumier. Si, après la mort de sa femme, il voulait quitter sa maison d’alliance, il ne pouvait emporter que sa dot et devait y laisser ses acquêts.

Quand les puînés se mariaient entre eux, on les appelait sterles ou meitadès (associés par moitié) ; le survivant ne pouvait disposer que de la moitié de sa dot, l’autre moitié faisant retour à la maison natale.

Avant son mariage, « le puîné qui sortait de la maison pour travailler, trafiquer ou demeurer valet ou servante ailleurs, sans l’approbation et le consentement du père et de la mère ou de l’héritier de la maison, était obligé de tenir en compte ce qu’il aurait gagné, sur ce qu’il pouvait prétendre de sa maison, tant moins de a sa légitime. » (Art. XVI.)

Ainsi les puînés ne pouvaient quitter la maison sans que leur frère aîné y consentît, ou, s’ils passaient outre à cette défense, leurs gains étaient imputés sur leur dot ou légitime.

Le Retrait lignager est encore une disposition curieuse de la Coutume, et destinée à permettre la reconstitution du patrimoine qui aurait subi un morcellement. C’était le droit par lequel un parent du vendeur, du côté et ligne duquel le fonds vendu lui était échu, pouvait, pendant un an et un jour, racheter et t retraire le fonds des mains de l’acquéreur, en lui remboursant le prix, frais et loyaux coûts de la vente. Cette disposition se retrouve dans le Lévitique[46] et avait été admise par le droit romain ; mais Théodose l’abrogea comme contraire à la bonne foi et à la liberté des contrats.

Tel est le système et telle est l’économie de la Coutume. On le voit, tout s’y tient et concourt au même but. Mais on ne peut nier que ses dispositions ne soient rigoureuses et ne sacrifient l’individu au principe.

Il faut toutefois ajouter que cette rigueur était tempérée par les relations de famille, et sanctionnée par les mœurs, qui inclinaient les volontés à obéir aux prescriptions de la loi. On ne peut juger équitablement une Coutume sans se reporter aux conditions du milieu où elle régnait, et sans se dépouiller des idées actuelles, qui exagéreraient jusqu’à l’oppression la pesanteur d’un joug spontanément accepté alors par la pratique de tous les jours.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, des plaintes, provoquées surtout par les légistes, s’élevèrent sur certaines dispositions de la Coutume. Faisant droit à ces plaintes, une ordonnance royale du 26 janvier 1766 autorisa la revision de la Coutume de Bigorre, et chargea de l’enquête MM. de Lacarry et de Coudougnan, conseillers au parlement de Toulouse. Cette enquête eut lieu à Tarbes en octobre 1768, avec le concours des délégués des trois ordres[47], et la

nouvelle rédaction fut définitivement homologuée par arrêté du parlement de Toulouse du 17 janvier 1769.

La Coutume revisée détend beaucoup la rigueur de la Coutume primitive. Les ecclésiastiques obtiennent le droit de succéder et de tester. Les gendres peuvent disposer du quart de leurs biens et de la totalité de leurs acquêts ; leur femme ne peut aliéner ses biens sans leur consentement. Ils ont droit à la moitié des acquêts réalisés pendant le mariage ; en cas de décès de leur femme, ils administrent les biens de leurs enfants leur vie durant. Ce sont là de sérieuses améliorations, et ce ne sont pas les seules : elles donnent plus de dignité et d’indépendance à la situation du gendre. Il en est de même pour les puînés. Enfin, le père de famille a le droit de choisir son héritier parmi ses enfants, mâles ou femelles, au lieu d’être forcé de prendre le premier-né. Mais, s’il meurt ab intestat, la succession continue à être dévolue au premier-né. Ainsi se trouvait corrigé un des vices, au moins théoriques, de la Coutume. En réalité, avec toutes les éliminations prévues par l’art. II de la Coutume, ce droit d’aînesse ne devait être injuste ou gênant qu’à titre exceptionnel. « C’est l’aîné,

dit M. de Lagrèze[48], qui a le premier fait naître le sentiment paternel ; c’est lui qui, dès l’enfance, a acquis sur ses frères et sur ses sœurs une influence que la supériorité d’âge donne d’habitude dans la famille ; c’est lui qui est présumé le plus sage et le plus tôt prêt à continuer le père et à soutenir la maison. » Étant le premier associé aux travaux et à la responsabilité du chef de famille, il est juste et naturel que le fardeau de l’héritage lui revienne. C’est sa naissance elle-même qui l’a désigné, et dès lors ses frères et sœurs l’acceptent plus aisément que s’il eût été choisi dans leurs rangs par le père. Les habitants de la vallée de Barèges et du Lavedan ne songeaient nullement à se plaindre de ce droit d’aînesse, qu’ils pratiquaient sans gêne et sans inconvénient depuis un temps immémorial. C’est d’un juriste, de Noguès, que vint l’initiative d’en demander la suppression. Un pareil droit cadrait mal avec le droit romain. Mais sa proposition rencontre des résistances, dont il s’étonne naïvement et qu’il met sur le compte des préjugés et de l’ignorance. Écoutons-le raconter lui-même sa campagne

« Auteur de cette idée, dit-il dans son Commentaire de 1789 (p. 31), je la fis proposer dans les divers endroits assujettis à nos Coutumes ; mais, chose singulière, quoique l’avantage qui pût en résulter fût sensible sans présenter nul inconvénient, elle trouva d’abord une forte résistance parmi les gens illettrés, et c’était le plus grand nombre. « Nés sous l’ancienne Coutume, ils voulaient, disaient-ils, y mourir, et la transmettre à leurs enfants, telle qu’ils l’avaient trouvée sur ce point[49]. » Il est difficile, continue Noguès, de détruire des idées qui tiennent à l’habitude et au préjugé. J’y parvins en proposant un tempérament bien simple et propre à satisfaire les différents goûts ; il consistait à donner aux pères et mères la liberté de disposer, et à laisser subsister l’ancienne Coutume à l’égard de ceux qui mourraient intestats ; en sorte que, dans ce dernier cas, le premier-né serait héritier. Ce parti réussit. »

Malgré cette violence morale, faite par un avocat de parole et de plume à la rude simplicité des paysans, ils usèrent peu de la faculté qu’on leur octroyait ainsi. L’idée d’aînesse est tellement restée dans les mœurs que, même aujourd’hui, lors du mariage de leur premier-né, les parents, comme on l’a vu plus haut, ne manquent pas de lui constituer par contrat, à titre de préciput, le quart ou le tiers des biens, c’est-à-dire le plein de la quotité dont la loi leur laisse la disposition suivant le nombre de leurs enfants.

Toutefois il se peut que l’aîné ne mérite pas l’héritage. Le droit d’aînesse enchaînant le libre choix du père, les amis de la liberté testamentaire ne peuvent l’admettre dans leur programme, comme on les en accuse injustement pour ameuter l’opinion contre eux. On doit donc applaudir sur ce point à la revision de 1769, comme à tout ce qui augmente la dignité et l’autorité du père dans la famille[50].

Cette Coutume ainsi revisée faisait la part des nécessités modernes et de l’adoucissement des mœurs, mais sans sacrifier les principes du passé dont elle gardait encore l’inspiration. Son principal promoteur, Noguès, n’aurait pas admis qu’elle fût détournée de son but et livrât le patrimoine aux fluctuations du caprice individuel. Il ne prévoyait pas alors que, vingt-quatre ans après, la Coutume serait emportée par la tourmente révolutionnaire, et que des lois de succession improvisées par la haine aveugle du passé porteraient une atteinte irréparable à la stabilité de ces familles basques, dont il avait décrit et célébré, avec l’orgueil du patriotisme local, la forte organisation.

Ne pouvant insister davantage ici sur la Coutume du Lavedan, nous avons renvoyé son histoire au Document D ; mais il nous reste à examiner son influence et ses résultats.

XIII

LA FAMILLE-SOUCHE

Grâce à la Coutume, la famille-souche se perpétuait au même foyer. C’est ainsi que depuis 400 ans, les Mélouga se sont transmis leur modeste domaine avec une stabilité et une fixité qui semblent participer à celles des hautes montagnes aux pieds desquelles est bâtie leur chaumière.

« Les populations du Lavedan, dit avec beaucoup de force M. Le Play, se gardaient bien de tuer la poule aux œufs d’or de la famille, c’est-à-dire d’abroger, en morcelant le foyer et le domaine, leurs habitudes de travail et de vertu. Pour doter leurs nombreux enfants, ils ne mettaient pas en lambeaux l’œuvre des ancêtres ; mais ils partageaient équitablement entre tous les rejetons de la vieille souche le produit net du travail commun » (§ 16.)

Avec l’ancienne Coutume, l’héritier, sûr de succéder au père auquel il était associé de bonne heure, l’aidait de toutes ses forces à réunir sou à sou les épargnes qui devaient payer les dots de ses frères et sœurs, et libérer plus tard le domaine à son profit. Il travaillait à la fois pour la communauté et pour lui-même, double stimulant de l’énergie individuelle.

Aujourd’hui, quel mobile pousserait à de tels efforts le fils aîné ou l’héritier désigné, puisque, à la mort du chef de famille, le caprice d’un seul des enfants peut faire mettre en vente et morceler le domaine ? Cette éventualité a menacé trois ans le gendre de Savina, et sans doute affaibli son courage. Écartée jusqu’ici par une entente inespérée, elle peut se reproduire à une prochaine génération. Dès lors, l’idée de stabilité et de continuité disparaît. Là, comme partout ailleurs, l’avenir est obscur et menaçant. A quoi bon s’épuiser au profit des autres, quand on n’est pas sûr du lendemain ?

De plus, les charges imposées à l’héritier sont telles que le préciput du quart n’est pas suffisant pour les compenser. L’on a vu qu’autrefois le père pouvait disposer en sa faveur des deux tiers aux trois quarts de son bien. Plusieurs de ses frères et sœurs, ne se mariant pas, lui laissaient leur dot et l’aidaient à exploiter le domaine. Dans ces conditions, l’héritier pouvait faire honneur à ses obligations financières et morales. Aujourd’hui, avec le préciput réduit au quart, si le nombre des enfants excède trois, la tâche dépasse ses forces, et il la déserte alors même que sa famille voudrait la lui confier. C’est ce qu’a mis en pleine évidence l’introduction de la loi française dans la Savoie[51]. Elle a découragé les jeunes cultivateurs, et accéléré ainsi ce funeste courant d’émigration, qui vide les champs au profit des cités.

M. Le Play a démontré clairement les funestes conséquences du partage forcé sur la petite propriété, à laquelle on a voulu, bien à tort, le faire servir de protecteur et comme de palladium. C’est l’inverse qui est vrai. Sous l’influence de ce régime de morcellement, les paysans deviennent de simples salariés, et subissent une déchéance à la fois matérielle et morale. (II° App. — III.) Le partage forcé fait, en outre, surgir entre les intéressés des procès ruineux et des haines ardentes ; il leur impose des pertes de temps onéreuses, et il attribue à titre de frais et d’impôts la majeure partie de l’héritage au fisc et aux officiers ministériels. Enfin, s’il s’agit d’enfants mineurs, le Code de procédure, sous prétexte de les protéger, engloutit jusqu’au dernier centime de l’héritage[52]. (§ 16).

Non seulement la Coutume savait maintenir la situation des paysans et les attacher au domaine mais elle venait à bout sans efforts des problèmes redoutables qui, semblables au sphinx antique, menacent de dévorer les sociétés modernes, si elles ne savent pas les résoudre.

La philanthropie s’est attachée de notre temps, à multiplier les institutions humanitaires pour assurer des moyens d’existence à ceux qui en sont dépourvus sociétés de secours mutuels, hospices, maisons de retraite pour les vieillards, bureaux de bienfaisance, crèches. Étant donnée notre époque avec toutes ses plaies sociales, je ne puis refuser mon admiration à ces efforts de la charité ; mais je ne saurais consentir à y voir, comme on le fait trop souvent, une preuve de supériorité sociale, dont il faille nous enorgueillir, et que le présent ait le droit d’opposer dédaigneusement à la barbarie du passé. A mes yeux, ils sont à la fois des palliatifs très insuffisants du mal qui nous travaille, et les indices certains d’une situation mauvaise.

Nos paysans du Lavedan n’ont pas eu à imaginer de mécanismes aussi compliqués. Ce problème du paupérisme, qui est l’épouvantail et l’angoisse de notre temps, ils l’ont résolu simplement, sans phrases, sans efforts, par la famille.

Chaque famille recueillait ses déshérités, ses blessés, qui trouvaient sous le toit paternel, comme l’oncle Dominique Py chez les Mélouga, un abri hospitalier et affectueux. Nous avons vu que la Coutume prescrivait « de nourrir et d’entretenir, leur vie durant, dans la maison natale, les aînés inhabiles à l’héritage, tels que prodigues, imbéciles, pec ou taros, de leur faire les honneurs funèbres, et de prier Dieu pour leur âme ».

Aujourd’hui ce faisceau est brisé. L’individu affronte seul les combats de la vie s’il est vaincu, il tombe misérablement sur le pavé des villes[53]. A-t-il la chance d’être admis dans un hospice, a-t-il pu même s’assurer pour sa vieillesse les moyens d’obtenir l’hospitalité d’une maison de retraite ; il finit ses jours dans un isolement égoïste et presque cellulaire, qui répugne aux besoins de notre nature[54].

Voilà en présence les termes extrêmes où les deux sociétés aboutissent pour les familles les plus humbles et les plus déshéritées d’une part, un vieillard expirant au milieu des étrangers et des indifférents sur un grabat d’hôpital, ou dans une chambrette de Sainte-Périne ; d’autre part, l’aïeul, entouré à sa dernière heure de tous ses enfants qu’il bénit, et pouvant évoquer, dans les brumes de la mort qui s’avance, ses ascendants morts sous le même toit, et la postérité de rejetons vigoureux qu’il laisse après lui, et qui continueront à répandre leur ombrage et à porter des fruits, après que le tronc sera desséché.

Entre le maître et les domestiques, les devoirs étaient réciproques. Le maître les aidait, les gardait malgré leurs défauts, et ne les renvoyait jamais, même lorsque des infirmités les empêchaient de travailler. Les domestiques, de leur côté, se considéraient comme membres de la famille, et se croyaient « liés par un lien indissoluble de fidélité » : Considerando se legados con in vinculo indissoluble de fidelidad[55]. « Aujourd’hui en France, ajoute M. de Lagrèze (p. 372), le serviteur se croit autant que son maître ; mais lorsque l’heure de la vieillesse et des souffrances a sonné, il a dans sa vie servi tant de maîtres, que nul ne se souvient de lui au moment où il aurait besoin de secours. »

L’esprit de famille était puissant ; il servait à la fois de frein moral contre les entraînements du mal, et d’aiguillon pour le bien. Une véritable solidarité d’honneur et de déshonneur existait entre tous les membres de la famille. Que de défaillances prévenues par la crainte de ternir le renom de la maison natale ! Quelle joie, si un des rejetons s’illustrait Plus d’un cadet s’est élevé aux plus hautes situations, porté par les sacrifices de tous les siens.

On pourrait continuer à passer en revue tous les besoins d’une société bien réglée, et l’on montrerait que la famille-souche y donnait également satisfaction.

Les mœurs étaient peu hospitalières pour les étrangers. On les redoutait et on les tenait pour suspects. Pourquoi quittaient-ils leur famille, leur maison natale ? Ils avaient sans doute intérêt à fuir leur village et à se cacher. Dans ce temps où tout était assis, l’instabilité était un motif légitime d’étonnement et d’inquiétude. L’étranger pouvait cependant acquérir le droit de cité, en remplissant certaines conditions de moralité et de séjour, déterminées soigneusement par les fors[56].

Les mendiants valides et les vagabonds étaient punis du fouet en Béarn et en Navarre[57]. Le for d’Azun recommande aux juges de purger le pays et de rejeter bien loin les malfaiteurs, et il prononce la confiscation de tous les biens contre ceux qui recevront les bannis et leur procureront asile.

Grâce à ces épurations, la famille communale restait saine et forte, au lieu d’être, comme aujourd’hui, trop souvent livrée à l’influence des gens sans intérêt à la conservation de la chose publique[58]. Aussi ces communes pouvaient-elles impunément jouir des droits les plus étendus, que la centralisation leur a successivement retirés[59].

XIV

LA RÉFORME

L’ancienne société se présente à l’observateur avec un ensemble de forces, de groupements, qui lui donnaient une grande cohésion. Aujourd’hui les groupements se sont dissous, le courant a été détruit, le granit s’est désagrégé, l’individu règne à la place de la famille[60].

Certes, il y a dans le passé une partie qui n’appartient qu’à l’histoire, et qui est bien définitivement passée. Personne ne peut songer à nier l’influence exercée et les transformations opérées dans nos sociétés modernes par ces puissants instruments qu’on appelle la machine à vapeur, la locomotive, le télégraphe, le crédit. Il faut leur faire une part, sous-peine de rêver à vide. Tout n’est pas là, comme trop de gens aveuglés par le progrès matériel sont tentés de le croire ; mais c’est un grand fait, avec lequel on doit compter.

Toutefois, si l’on ne peut revenir à la commune fermée du moyen âge, inhospitalière à l’étranger[61], ne conservant, ne connaissant que la fortune immobilière, rattachée à peine au pouvoir central par de faibles liens, n’avons-nous, même de ce côté, rien à apprendre du passé[62] ?

Ainsi, l’invasion de la capitale par les indigents de la France entière pose avec une véritable urgence la question du domicile de secours[63], qui sert ailleurs de digue à ce dangereux courant. Retenir, d’une part, les indigents dans leurs communes respectives, où ils seront mieux soignés et à moins de frais ; pendant que, d’autre part, on rejetterait les récidivistes sur des terres lointaines, où ils pourront s’amender : ce serait débarrasser Paris de ses éléments fermentescibles et réaliser une œuvre d’assainissement de la plus haute portée sociale.

Sur d’autres points encore le passé nous donne des leçons dont l’utilité ne saurait être mise en doute, notamment lorsqu’il nous révèle l’importance sociale du domaine et l’influence exercée par la constitution de la famille. Sachons mettre ces enseignements à profit.

C’est la famille qui est la véritable molécule sociale, non l’individu, et c’est à la restaurer que doivent aujourd’hui s’attacher les vrais amis de leur pays. Telle est l’œuvre pressante avant toutes. Les préoccupations politiques sont relativement secondaires. Elles divisent et stérilisent les bons vouloirs, qui pourraient se donner rendez-vous et s’entendre sur le terrain social.

Restaurer la famille est l’affaire des mœurs, mais aussi de la loi. La femme est aujourd’hui livrée sans défense par le Code aux entreprises de la séduction (art. 334 et 340). L’autorité du père de famille est battue en brèche par le partage forcé. Ce sont là les deux réformes à apporter à notre législation. Elles contribueront à ramener le respect de la femme et le respect du père, que nous avons vus si fortement établis au moyen âge.

Il nous suffit d’indiquer la première réforme, dont l’exposé nous entraînerait trop loin[64]. Pour la seconde, elle se trouve à chaque ligne justifiée et expliquée dans le présent ouvrage, consacré par M. Le Play à l’organisation de la famille.

Il ne s’agit pas de revenir à la Coutume, même à celle de 1769. Avec le respect imposé par les mœurs pour la volonté du père, la légitime réservée aux enfants était sans inconvénient. Aujourd’hui elle est un sérieux danger, puisque le fils peut toujours contester l’exactitude de son lot, et, armé de la loi, faire un procès à ses cohéritiers. Ni droit d’aînesse, ni légitime, mais liberté testamentaire avec reconstitution spontanée d’une Coutume ab intestat tel doit être le programme de la réforme totale.

Toutefois, ainsi que nous l’avons indiqué dans la 1re partie de ce travail (§ VIII), ce programme n’exclut pas la poursuite et l’acceptation reconnaissante des moindres réformes de détail susceptibles d’atténuer, pour si peu que ce soit, les inconvénients du régime actuel.

Ces réformes de détail font leur chemin dans l’opinion publique, surtout à la faveur de leurs relations avec les questions de rendement agricole, d’expansion coloniale, de progrès commercial[65], d’essor de la population[66].

Certes, ces questions sont d’une extrême gravité ; mais elles sont toutes liées à la question primordiale de la famille et seront toutes résolues en même temps qu’elle. C’est donc à la famille qu’il faut s’attacher avant tout.

Que le père puisse reprendre l’usage du testament et son autorité sur les siens ; qu’au lieu d’être condamné à la douleur de savoir qu’après lui l’œuvre de sa vie sera détruite, licitée, convertie en tas d’écus qu’on partage, il puisse transmettre son domaine, son atelier ou son comptoir à l’héritier de son choix, sauf à donner à ses autres enfants de légitimes compensations, que lui conseilleront son affection et sa clairvoyance ; que, dans notre société en voie de désagrégation, le noyau de la famille se reconstitue ce point obtenu, tout le reste suivra par voie de conséquence, et l’on aura puissamment travaillé à la régénération matérielle et morale du pays.

Cauterets, août 1874.

IIIe PARTIE SITUATION EN 1875 ET EN 1883[67]


XV

LE DENOUEMENT

Si l’on a suivi les détails donnés dans les chapitres qui précèdent, on se souviendra peut-être que, suivant un acte de partage du 3 mars 1874 accepté par tous les ayants droit, le chef actuel de la famille, Savina, avait, d’après l’ancienne coutume, transmis son domaine et le foyer à sa fille aînée, chargée de payer les dettes dont ces immeubles étaient grevés et les soultes dues à ses frère et sœurs.

Cet acte, qui devait mettre fin aux dissensions de la famille, ne leur a imposé qu’une trêve d’un moment, et semble plutôt les avoir ravivées.

Forcé, par des réclamations pressantes, de satisfaire sans retard à une partie de ses obligations, le gendre de Savina a dû vendre, pour une somme de 6, 000 fr., un pré d’environ 3 hectares 75 ares (20 journaux), situé dans la montagne, au lieu dit Cazaur.

Cette aliénation entamait gravement l’intégrité du domaine, qui ne pouvait plus désormais nourrir qu’une douzaine de vaches et ne comportait plus l’élevage fructueux d’un troupeau de moutons.

Comment, dès lors, conserver le reste du domaine, et réaliser des économies suffisantes pour achever le payement des dettes, si les créanciers continuaient à se montrer âpres et impatients ? Ne serait-on pas forcément conduit à un nouveau morcellement pour les satisfaire ?

Malgré cette situation menaçante pour le gendre de Savina, ses cohéritiers jalousaient les prétendus avantages qu’il aurait obtenus et ne parlaient de rien moins, à mots couverts et sous de perfides suggestions, que de demander la rescision de l’acte de 1874 pour lésion de plus d’un quart. Ces grands mots juridiques, plus ou moins altérés, mais reconnaissables, sont maintenant entrés dans la langue de ces paysans, qui envisagent non seulement sans effroi, mais même avec une certaine complaisance, la perspective d’un procès comme offrant des chances d’améliorer un lot dont on est mécontent. Les germes funestes déposés au sein de la famille par le procès de 1869 portent leurs fruits empoisonnés.

Ces menaces ne se sont pas réalisées ; mais le domaine n’en a pas été moins irrévocablement perdu pour la famille à laquelle il appartenait depuis si longtemps. Entraîné par les conséquences d’un premier morcellement, pressé par des embarras financiers, séduit par le haut prix auquel la vogue toujours croissante des eaux de Cauterets a porté les terrains du bourg, le gendre de Savina a vendu il y a deux ans (1882) la propriété de famille, et demeure maintenant dans une petite maison neuve qu’il s’est fait bâtir au pied du mamelon vert, près du Gave.

Malgré le prix inespéré que lui a procuré cette vente, ses dettes et sa maison en ont absorbé presque tout le montant privé désormais de cette base territoriale, qui avait fait jusqu’alors la force et la sécurité de sa famille, il est tombé au rang des ouvriers, vivant au jour le jour. On peut dire de lui qu’il est « le dernier des Mélouga » et qu’en lui finit cette dynastie quatre fois séculaire de paysans à vingt quartiers de noblesse.

Quant à la vieille Savina, gardienne des traditions ainsi interrompues, elle n’a pu se résigner à sanctionner de sa présence cette déchéance de sa race et cet oubli du passé. Elle a pris le parti de se séparer de sa fille Marthe, et de quitter ce foyer qui n’était plus celui des ancêtres. Pendant la saison des eaux, elle garde les enfants d’une de ses filles, baigneuse aux thermes de Cauterets ; le reste de l’année, elle est recueillie chez une personne charitable, et vit pauvrement d’une rente viagère de 300 fr. que lui font à regret ses enfants.

Ces derniers traits achèvent de caractériser l’atteinte portée à l’organisation et à l’esprit de la famille-souche. Depuis l’origine de la famille, pareil fait ne s’était pas produit. S’ils pouvaient en être les témoins, qu’en diraient ces ancêtres, ces patriarches, que la maison a vus naître et mourir de père en fils, et qui restaient, jusqu’à leur dernier jour, entourés de respects et en pleine possession de l’autorité paternelle ? Pour la première fois, les enfants se révoltent contre la majesté du chef de famille, qui a dû leur céder la place et s’exiler du toit natal. Dès lors, c’en est fait de la famille-souche. La voilà tombée au triste niveau de ces familles instables, où les vieux parents ne sont plus considérés que comme un fardeau, et sont soumis à ces souffrances physiques et morales dont plusieurs auteurs ont tracé l’effrayant et malheureusement trop véridique tableau[68].

La famille Mélouga était restée, jusque dans ces derniers temps, comme un spécimen attardé d’une puissante et féconde organisation sociale ; mais elle a dû subir, à son tour, l’influence de la loi et des mœurs, qui l’avaient épargnée grâce à un concours exceptionnel de circonstances favorables.

Le Code fait son œuvre ; le nivellement progresse la famille-souche se meurt, la famille-souche est morte.

Pendant que cette œuvre s’accomplit chez nous, sans entraves, aux applaudissements du plus grand nombre, et qu’elle précipite même sa marche en vertu de sa vitesse acquise (vires adquirit eundo), les autres pays mieux avisés opposent à l’envi des obstacles à l’excès du morcellement, et s’attachent du moins à mettre à l’abri des atteintes cette portion du domaine, qui, étant exactement proportionnée aux forces et aux besoins de la famille, fournit à tous ses membres des moyens assurés de travail et d’existence.

Ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans le détail des mesures imaginées pour satisfaire cette nécessité sociale, aussi bien par l’empire chinois avec la transmission intégrale du champ patrimonial[69] que par la république des Etats-Unis avec ses lois de l’Homestead[70] et par la monarchie allemande avec son Hoeferolle pour les domaines agglomérés (bauernhofe) des paysans du Lunebourg, du Hanovre et de la Westphalie[71].

Ce sont là des solutions variées du même problème. Par des moyens adaptés à la diversité des situations, elles tendent toutes au même but, c’est-à-dire à la consolidation des familles rurales et de la petite propriété, qui constituent partout le fondement le plus solide de la grandeur et de la force même d’un pays.

Ce problème est vital pour tous les États, et chacun d’eux est libre de le résoudre à sa guise, pourvu qu’il le résolve.

Nous ne paraissons malheureusement pas soupçonner en France la gravité de cette question. Aussi, pour ceux qui en sont pleinement convaincus, est-ce un devoir, importun peut-être mais impérieux, de la rappeler sans cesse à l’opinion publique. L’histoire des Mélouga, qui vient de se dérouler sous les yeux du lecteur, répond à ce besoin et semble de nature à faire entrevoir à tout esprit impartial, comme par une échappée, les réactions lointaines et profondes de l’influence exercée par les lois de succession. Puisse ce drame social, qui a dans son cadre restreint son émotion et sa grandeur, inspirer aux admirateurs les plus déterminés du Code au moins un doute salutaire ! Le doute, en pareil cas, devient souvent le commencement de la sagesse.

Paris, mars 1884.


APPENDICES

Si l’État détruit la famille, la famille se venge et ruine l’État.
(De Bonald, Pensées, t. VI des Œuvres complètes.)




SOMMAIRE
DES APPENDICES

Paragraphes.
Ier APPENDICE. — Une famille instable du Laonnais en 1861 ; paysan d’un village à banlieue morcelée 
 I à VI
IIe APPENDICE. — La très petite propriété, le Code civil et ses agents 
 I à IV
IIIe APPENDICE. — La réforme du Code civil, selon les jurisconsultes des pays à famille-souche 
 I à VI



    manors fees, ou seignories… etc. (F. Le Play, La Réforme sociale en France, ch. 54, VI.)

    agricole et l’état de l’agriculture en Normandie au moyen âge. Évreux, 1851.)

  1. Voyage en France. – Traduction Lesage, t. II, p. 210.
  2. Discours de réception à l'Académie Française — 15 janvier 1881.
  3. La Fontaine, liv. VIII, fable 7.
  4. Instruction sur la méthode d’observation dite des Monographies de familles, publiée par la Société d’économie sociale, in-8o, Paris, 1862.
  5. Je n’ai pu obtenir ni les papiers de famille, qui seraient, m’a-t-on dit, détenus chez les gens de loi, ni les factures, qu’on anéantit en les payant, ni les comptes, qui sont faits mentalement, quand on en fait.
  6. Si l’on néglige dans ce budget les éléments que j’appellerai intérieurs, pour s’en tenir à ceux qui ont entraîné un déboursé ou un encaissement d’espèces, on trouve, par un dépouillement dont je crois inutile de reproduire ici le détail, que ce budget se résume dans les chiffres suivants :
    Produit de la vente des animaux 
    1,234 f. 80
    du lait. 
    681f. 00
    du beurre. 
    195f. 52
    de la laine. 
    336f. 18
    divers. 
    69f. 90

    Total des recettes en argent 
    2,517 f. 40


    Dépenses en céréales 
    812 f. 51
    en autres aliments. 
    68f. 64
    concernant l’habitation. 
    21f. 56
    concernant les vêtements. 
    478f. 11
    concernant les besoins moraux, les récréations et le service de santé. 
    135f. 95
    concernant les industries, etc. 
    271f. 85

    Total des dépenses en argent 
    1,788 f. 62


    Chiffre de l’épargne en argent, sensiblement égal à celui qui résulte du budget total 
    728 f. 78

    On voit que le mouvement de fonds est à peu près la moitié du budget total, le surplus se traduisant par des consommations en nature.

  7. Dans cette somme l’habitation et les immeubles entraient pour. 
     1,28,000f. 00

    Les animaux domestiques (12 bêtes à cornes, 110 bêtes à laine, 1 jument, 2 cochons à l’engrais, 12 ruches d’abeilles) y figuraient pour. 
     1,23,264f. 20
    Le matériel spécial des travaux et industries, et la réserve en argent, pour. 
     1,23,852f. 30

    Total égal. 
     32,117f. 50
  8. Pour abréger, je m’en tiens à ces indications générales et je renonce à mettre en œuvre, au moins ici, les données que j’ai recueillies et qui conviendraient à une monographie détaillée.
  9. M. Gustave Droz, « Autour d’une source », Revue des Deux-Mondes, 15 septembre 1869, p. 333 et 334.
  10. La Réforme sociale, t. II, § 34.
  11. Nous tenons de la bouche du vénérable curé de Cauterets que le clergé local reste toujours favorable au respect de la Coutume et à la perpétuité des traditions,
  12. La réforme sociale, t. II, § 34.
  13. Lignes de Tarbes à Pau, à Mont-de-Marsan, à Auch, à Toulouse, à Pierrefitte, à Bagnères-de-Bigorre.
  14. Il serait toutefois injuste de ne pas faire observer que cette moralité est encore excellente dans la population indigène, qui est sobre, pieuse, laborieuse et disciplinée. Je regrette que le cadre étroit de cette note ne me permette pas de citer plusieurs faits caractéristiques et fort honorables pour cette population que le contact des étrangers n’a pas encore beaucoup entamée.
  15. Nous donnons ci-dessous le relevé que nous avons fait sur le tableau de recensement, pour constater l’état civil aux divers âges. Il est intéressant de le comparer avec le tableau analogue que la monographie contient pour 1856 (§ 20).
  16. Ce mouvement n’a fait que s’accélérer, puisque, d’après les recensements de 1876 et 1881, la population s’est élevée successivement aux chiffres de 1786 et de 1989. (Note de 1884.)
  17. Ce trousseau, dont j’ai eu le détail sous les yeux, comprend 12 draps de lit, 12 serviettes, 12 torchons, 1 nappe, 1 casaque, 3 robes, 1 châle, 30 mètres de calicot.
  18. Voir sur l’avènement des rejetons des familles-souches aux plus hautes situation sociales, ci-dessus (§ 8).
  19. Je crois utile de citer ce document in extenso, à cause de son intérêt pour les destinées de la famille et de l’évolution qu’il semble indiquer dans la jurisprudence de la cour de cassation.
    « La cour :
    « Sur le premier moyen, pris de la violation des articles 826, 832 et 1078 du Code Napoléon :
    « Attendu, en droit, que l’article 1075 du Code Napoléon, en conférant aux ascendants le droit de partager leurs biens entre leurs enfants, ne les a pas affranchis de l’obligation de se conformer aux règles essentielles des partages, et particulièrement au principe d’égalité dont les articles 826 et 832 du même Code, qui disposent que chacun des cohéritiers peut demander sa part en nature des immeubles de la succession, ne sont que la conséquence ;
    « Attendu qu’il faut néanmoins reconnaître que ces articles ne sont pas applicables, lorsque ces immeubles ne peuvent pas se partager commodément ;
    « Que, dans ce cas, en effet, on ne pourrait imposer la règle absolue de la division des immeubles entre tous les cohéritiers, sans méconnaître les termes de l’article 827 du Code Napoléon et sans aller contre le véritable esprit et le but de la loi ;
    « Attendu, en fait, que l’arrêt attaqué se fonde très particulièrement sur les circonstances et les documents de la cause, dont l’appréciation souveraine lui appartient, pour reconnaître et affirmer que les immeubles dont il s’agit ne pouvaient pas être partagés commodément et sans subir une notable dépréciation ;
    « D’où il suit qu’en le décidant ainsi, en l’état des faits, l’arrêt attaqué, loin de violer les articles du Code Napoléon invoqués par le pourvoi, en a fait, au contraire, une juste application ;
    « Rejette en conséquence le premier moyen ;
    « Sur le deuxième moyen, pris de la violation de l’article 1079 du Code Napoléon ;
    « Attendu que, pour rejeter la demande en rescision contre l’acte du partage du 27 février 1835 pour lésion de plus du quart, l’arrêt attaqué se fonde non seulement sur ce que l’estimation des biens par les ascendants dans le susdit partage avait été acceptée et tenue pour vraie par tous les héritiers dans cet acte même, et que cet acte avait été par eux exécuté, mais que, de plus, en fait et par une appréciation qui lui est propre, l’arrêt déclare que cette estimation offre toutes les garanties désirables, et que, par suite, chacun des héritiers a effectivement reçu la part qui lui revenait ;
    « Attendu, en outre, que le moyen produit devant la cour impériale de Pau n’était aucunement fondé sur la différence qui aurait existé entre la valeur des biens au moment du partage et leur valeur au moment du décès des donateurs ;
    « Déclare sous ce rapport le moyen non recevable, et au fond le déclare mal fondé ;
    « En conséquence, et par ces motifs, rejette le pourvoi. »
  20. Voir dans la Réforme sociale, 34, IV à XVI, la marche de ce flot, si différente dans le nord et le midi de la France.
  21. Les 9 millions de propriétaires que l’on compte en France possèdent 140 millions de parcelles, soit près de 16 parcelles en moyenne, ayant une contenance moyenne d’environ 38 ares. Les cotes foncières en 1881 sont au nombre de 14298008, dont plus des quatre cinquièmes foncières sont inférieures à 20 francs, et plus des deux tiers à 10 francs. (Note de 1884).
  22. Documents généraux, 1re série, t. II, p. 18.
  23. Nous ferons remarquer, à l’occasion de cette réforme, qu’elle semble commandée par de puissantes considérations et que cette réduction des délais, et elle avait été en vigueur, aurait épargné aux Mélouga les tribulations judiciaires que la prescription trentenaire a permis de leur infliger.
  24. On sait que, d’après la jurisprudence de la cour de cassation, l’estimation des biens partagés doit se faire, non à la date de la donation, mais à celle du décès du donateur. — (Voir dans ce sens l’arrêt du 25 août 1869, — époux Baylac.)
  25. L’Organisation du travail, Document D.
  26. « Encore aujourd’hui, s’il m’est permis d’invoquer un souvenir personnel (disait avec une émotion communicative M. le comte Benoist d’Azy à la Société d’économie sociale, dans la séance du 25 février 1866), je ne puis me rappeler sans une affliction profonde que j’ai vu mettre en vente le lit de mon père et la bible de mon enfance et que, pour les soustraire aux mains des étrangers, il m’a fallu les racheter au milieu d’une foule d’acheteurs indifférents ou avides, qui riaient de mon émotion. Ne craignons pas, Messieurs, de déclarer bien haut que c’est là une législation barbare, ruineuse pour la propriété, sans respect pour la famille qu’elle tend a diviser et à séparer. » (Bulletin de la Société d’économie sociale, t. 1, p. 436.)
  27. L’Organisation du travail, § 46.
  28. L’Organisation du travail, § 57.
  29. Le jeune Michel Mélouga a été choisi cette année, comme type du petit paysan basque par la princesse Blanche, fille du duc de Nemours, qui l’a dessiné sur son album.
  30. Pierre Cazaux était le fils aîné de sa famille ; mais il a cédé le pas à sa sœur, qui a été instituée héritière, et il a introduit un gendre dans la maison à sa place. (Voir, sur les avantages de l’institution de l’héritière, § 16, et ci-après XII.)
  31. En échange de cette donation, Savina s’est réservé une chambre chez sa fille, et a stipulé à son profit une pension de 50 fr., que chacun de ses enfants doit lui servir.
  32. Une des filles, Suzanne, a voulu garder sa part en nature. Elle avait déjà reçu en se mariant un trousseau évalué 500 fr., et a obtenu dans l’acte de donation, pour compléter sa dot, l’attribution de la pièce appelée Cazaüs, près la route du Mamelon Vert, d’une contenance de 1 hectare 31 ares 32 centiares (7 journaux de 18 ares 76 centiares), au prix de 290 fr. le journal.
  33. Le loyal serviteur.Histoire du bon chevalier sans peur et sans reproche, le seigneur de Bayard.–(Hachette, 1872, p. 6.) « Il n’y a pas dans toute notre littérature, dit M. Camille Rousset dans la préface de cette nouvelle édition, de livre plus attrayant que celui du loyal serviteur. Il a sur les romans de chevalerie l’incomparable avantage de la vérité simple. » C’est un des ouvrages à lire et à méditer pour se faire une idée exacte de la société au moyen âge.
  34. L'Angleterre politique et sociale, par A. Laugel (p. 95-96).
  35. Histoire du droit dans les Pyrénées, par de Lagrèze (p. 20).
  36. Histoire du droit dans les Pyrénées, par de Lagrèze (p. 172).
  37. La propriété féodale n’était en réalité qu’un usufruit ; elle ne conférait qu’un droit d’usage… Le fief taillé (feudum talliatum) créa une propriété qui appartint à la race. La loi, qui l’entoura de sauvegardes et de chaînes, la protégea contre le caprice et la fantaisie individuelle. La volonté de chaque génération se trouva comme emprisonnée entre les volontés des générations antérieures et les droits des générations à venir. De semblables domaines furent placés sous la garde et la tutelle des morts. L’act fameux qui porte le nom De donis conditionalibus, rendu sous le règne d’Édouard Ier…, consolida la tenure des grandes familles en donnant une autorité prédominante aux intentions des donateurs qui constituaient un domaine. Cette volonté dut être obéie : secundum formam in carta doni expressam… Cette loi assit la famille, la lia à la terre, ancra l’aristocratie au sol. » (L’Angleterre politique et sociale, par A. Laugel, p. 106.)
    L’Angleterre montre encore aujourd’hui l’empreinte profonde et vivante du régime féodal dans sa constitution sociale, politique et territoriale, dans son tempérament, dans la substitution permise à deux degrés, dans les mœurs, qui, plus encore que la loi, assurent la transmission intégrale de la propriété et sa conservation, dans la distinction du sol en terres tenues librement ou freehold, et terres de villenage (copyhold), qui sont grevées de redevances perpétuelles au profit de certains domaines, dits
  38. « On entend par biens avitins les propres anciens, c’est-à-dire ceux que les pères et, mères ont transmis à leurs enfants, et qu’ils avaient reçus de leurs ascendants ou collatéraux. On entend par biens de souche les propres naissants, c’est-à-dire ceux que le fils a reçus de son père ou de sa mère à titre de succession ou donation, quoiqu’il fussent acquêts sur la tête desdits père et mère, comme aussi les biens qui lui sont advenus par voie de succession d’un collatéral, quoiqu’ils fussent pareillement acquêts sur la tête de ce collatéral. On entend par biens acquêts ceux que le possesseur a acquis par son travail et par son industrie, ainsi que ceux qui lui ont été donnés ou légués par un parent collatéral ou étranger. » (Art. IV, titre III, de la Coutume de 1769.)
  39. Le commentateur de la Coutume, Noguès, relève sévèrement ce mot, échappe, dit-il, à l’inadvertance des rédacteurs de la Coutume écrite, et invoque la maxime : Res judicata pro veritate habetur. (La Coutume de Barèges et du Lavedan, 1760, p. 569.)
  40. Noguès, né à Barèges, y rentra après avoir fait son droit à Toulouse, et avoir été reçu avocat au parlement. En 1760, il publia un commentaire sur les coutumes de Barèges et du Lavedan. Nous le trouvons en 1769 conseiller et procureur du roi au siège royal et consulaire de la vallée de Barèges. C’est avec ce même titre qu’il signe son nouveau commentaire de 1789, après la révision de la Coutume. La préface, qui pourrait se passer de date, respire une confiance enthousiaste dans la Révolution, dont il saluait l’aurore.
  41. Les privilèges et franchises octroyés en 1260 à la ville de Villefranche (Rhône) par Guichard, sire de Beaujeu, traitent beaucoup moins bien la femme que les fors pyrénéens. « 61. — Si un bourgeois a doté sa fille, elle devra se contenter de sa dot et ne plus rien demander de plus dans l’hérédité paternelle. Elle héritera néanmoins, si son père est mort intestat et sans héritier direct ». Citons encore cette clause inhumaine, par laquelle est soustrait à toute poursuite le mari qui bat sa femme, à moins que mort ne s’ensuive : « 63. — Si quis burgensis uxorem suam percusserit, seu verberaverit, dominus inde non debet recipere nec levare, nisi dictus burgensis verbeaverit eam usque ad mortem. » (Histoire du Beaujolais, par F. de la Roche-la-Carelle. — 2 vol. ; Perrin, Lyon 1853.)
    Ce rapprochement fait ressortir une grande supériorité morale au profit des paysans basques par rapport aux bourgeois du Rhône.
  42. Voisin, vicinus (homme du vic) ; en patois vesi. Ce mot se prononce bési, par altération du b en v, et du v en b, qui fait dire aux paysans basques : Diou biban ! pour leur juron familier (Dieu vivant !), et qui inspirait à Scaliger cette piquante exclamation : Beati populi, quibus vivere est bibere !
  43. Nous empruntons le texte original de ce bail à l’excellent ouvrage de M. de Lagrèze, sur l’Histoire du droit dans les Pyrénées. (Imprimerie impériale, 1867.) C’est un livre indispensable à lire pour connaître les coutumes et le droit féodal de cette contrée. « Losquals soberdits besis et besies de Cautarès, ensemps e per sengles, segon que tots dixon, e autreyan, aqui presens, no decebudz, no enganadz, nedestreyts, ne forsatz, ne per promesse, ne déception, ne emmagination de persona dei mon a daiso amenatz, mas de lors proprias, bonas, e francas e agradablas voluntadz, de lor certas scientias, totz, exceptat ladit Gailhardina del Frexo, autreyan, proportan que eds e lors predecessors eren e eren esladz seessaus (ceysaux) e questaus (questaux) deldit mostier de Sent-Savii, de dreyt e de ley. etc. »
    On doit remarquer dans cet acte d’abord toutes les précautions prises pour montrer que le consentement est libre, et ensuite la condition de la partie qui traite avec le haut et puissant abbé de Saint-Savin. Ce sont, d’une part, des femmes, et d’autre part des serfs, ceysaux et questaux, qui, loin d’avoir la main forcée, délibèrent en assemblée publique, librement, sur une proposition de leur seigneur, et l’acceptent de leur plein gré à l’unanimité, sauf une femme, sans doute d’humeur contredisante. On a beaucoup gémi sur la condition des serfs ; mais au moins dans la Bigorre leur situation était douce. M. de Lagrèze en donne plus d’une preuve. Nous en citerons une seule. En 1377, Gaston Phébus ayant fait offrir aux questaux d’acheter leur affranchissement, aucun ne voulut rien payer pour reprendre sa liberté, mais en même temps pour perdre ses droits à la protection du seigneur. (p. 44). C’est une histoire et une opinion à refaire. ( Voir à ce sujet les Études de M. Léopold Delisle sur la condition de la classe
  44. Voir Novelle, 18, cap. I. De semisse et triente.
  45. Que tot homo poscar far hereter en soos bees aquet (biens acquêts) lo qui a lui plasera. Item mes, que si un home o femna que aya en son temps gadanhat o adquisit una pocessiso ho tropas, cum son hostaus, bordas, vinhas e bergers, camps, pratz, he autras pocessioos, que si Diu lo da filhs o filhas o de tot, que lo pay e la may poden fer tor hereter aquet o aquera o quaus a tor semlara ni sera vist de tots los bees gadanhast e adquesit ; poden fer hereter la un de lors filhs o fihas qui a lor plasera, ho a un autre que a tor no taucos ni fos de las sanguinitat, sogunt nostre foo et nostra coutuma et nostres priviletges de ara et de tost temps del mon. » (Art. des Fors et Coutumes d’Azun, du 29 juin 1447 ; précieux manuscrit du XVe siècle, déchiffré par M. de Lagrèze, et publié par lui pour la première fois en 1867). Cette vallée d’Azun forme aujourd’hui le canton d’Aucun, arrondissement d’Argelès, département des Hautes-Pyrénées.
    On aura remarqué la formule qui termine l’article : « Suivant nos fors, notre coutume et nos privilèges d’aujourd’hui et de tous les temps du monde (depuis que le monde est monde). » Cette formule indique le respect et l’attachement que ces montagnards avaient pour leurs fors.
  46. « 24. Vous permettrez aussi dans toute la terre de votre possession le droit de rachat pour la terre.
    « 25. Si ton frère est devenu pauvre et vend quelque chose de ce qu’il possède, celui qui a le droit de rachat, savoir celui qui lui sera proche parent, viendra et rachètera la chose qui aura e été vendue par son père. »,(Lévitique, ch. xxv.)
    C’est ce même chapitre qui contient le fameux système agraire dans lequel la propriété se réduit à l’usufruit, et la terre se distribue aux ayants droit, à chaque jubilé cinquantenaire, époque de la liquidation et de l’extinction de toutes les dettes. Selon qu’il y aura moins d’années (jusqu’au jubilé), tu augmenteras le prix de ce que tu achètes, et selon qu’il y aura plus d’années, tu le diminueras, car on te vend le nombre des récoltes. » (Verset 16.)
    Voir aussi l’exercice du droit de Retrait lignager pour le mariage des veuves dans le livre de Ruth, chap. iv.
  47. On entendit dans l’enquête les avocats les plus renommés de Tarbes, MM. Castera, Cartes, Figarol, Borgèles, et Barère, qui fut plus tard membre de la Convention. Au moment de participer à l’un des actes les plus funestes de la Terreur, et de bouleverser le régime des successions par des lois qui jonchent encore le sol de débris, comment Barère ne fut-il pas arrêté par le souvenir de ses montagnes et des fortes familles de paysans qui vivaient fières et heureuses à l’abri de leurs fors séculaires ?
  48. Histoire du droit dans les Pyrénées, p. 182.
  49. Le montagnard basque est tout entier dans cette réponse, dont Noguès, malgré son parti pris, n’a pu affaiblir la vigueur.
  50. On voit que dans la nouvelle Coutume le père pouvait choisir pour héritier celui de ses enfants qu’il voulait. La quotité disponible dans ce cas était de 2/3 à 1/2, suivant que le nombre de ses enfants était inférieur ou supérieur à quatre, d’après la règle formulée plus haut. S’il voulait, au contraire, tester en faveur d’un étranger, il ne pouvait disposer que du 1/4 de ses biens de souche ou avitins, et de la totalité de ses acquêts. Ainsi, tandis que le Code civil fixe la quotité disponible, sans souci du bénéficiaire de cette quotité, la Coutume assignait des limites assez étroites aux libéralités faites en faveur d’étrangers, et laissait beaucoup plus de latitude au père qui voulait accorder des avantages à l’un de ses enfants.
  51. Sous la loi sarde, la quotité disponible était des 2/3, lorsque le testateur avait 1 ou 2 enfants, et la moitié, s’il en laissait un plus grand nombre ( art. 719.)... Dans la pratique, la quotité disponible de la loi française ne suffit pas à fixer au sol celui des fils auquel elle est promise. Les hommes d’affaires, les propriétaires, dont les relations avec les cultivateurs sont fréquentes, affirmeront tous que, depuis l’annexion, ils ont vu fréquemment les efforts du père de famille, appuyés par la promesse du quart disponible, rester sans effet et les tiis partir à la recherche de salaires plus rémunérateurs. Si nous restons, disent-ils, à travailler pendant dix, vingt ans, le patrimoine sera entretenu, augmenté par nos labeurs, par nos fatigues de tous les jours ; puis, au moment de l’ouverture de la succession, les enfants sortis jeunes de la maison paternelle viendront prendre leur part dans le résultat de notre travail. Travaillons pour notre compte, ayant un pécule particulier auquel nos frères émigrés < ne mordront pas ; puis nous aurons notre part dans l’hoirie commune. Ce raisonnement a été fait et pratiqué aussitôt après la promulgation des lois françaises. La vérité aveuglante se résume dans ces mots : la diminution de la partie disponible fait émigrer dans les villes les jeunes cultivateurs. » (Courrier des Alpes, journal de Chambéry, avril 1867. Cité par M. Le Play, Organisation du travail, Document H, p. 508.)
  52. L’opinion publique s’est émue depuis longtemps des faits lamentables dénonces en 1864 par M. Le Play. Les gardes des sceaux successifs ont tenté d’y porter remède. Un projet de loi a été présenté par M. Dufaure pour diminuer les frais des petites ventes judiciaires d’immeubles, qui, dans certains cas, dévorent et au delà tout l’actif de la succession. Ce projet, d’abord voté par la Chambre vient de l’être par le Sénat. C’est un premier pas dont il faut s’applaudir. Puisse-t-il servir de prélude a d’autres réformes (Voir les affligeants détails donnés sur l’élévation des frais de vente, par l’honorable M. Marcel Barthe, rapporteur de ce projet de loi, dans la séance du Sénat, en date du 24 mars 1884). (Note d’avril 1884.)
  53. À Paris, d’après un recensement fait en 1880, le nombre des ménages indigents est de 52,169, correspondant à 140,400 personnes, soit plus de 6% de la population parisienne.
  54. En 1880, il est entré dans les hôpitaux et hospices pour toute la France 412,648 malades, dont 42,011 y sont morts.
  55. M. Nouguès y Secall, cité par M. de Lagrèze (p. 372). Ce savant jurisconsulte espagnol a signalé l’extrême analogie entre les vieux usages des deux versants des Pyrénées, de Bigorre et d’Aragon. (p.216).
  56. La charte de Villefranche conférait la bourgeoisie et les immunités y attachées au bout d’une résidence d’un an et un jour. — Art. 7.
  57. De Lagrèze, p. 303.
  58. Voir, à ce sujet, le remarquable travail de M. Lallier, président du tribunal de Sens, sur la répartition des électeurs de cette ville en diverses catégories, d’après les impôts que chacune d’elles supporte. On y voit que la catégorie la plus nombreuse ne paye qu’une fraction insignifiante des quatre contributions.
  59. Parmi ces droits, le plus remarquable était celui de nommer les juges et les consuls, dont les pouvoirs étaient en général annuels et très minutieusement définis par les fors. Cette coutume est ancienne. Jules César dit que les Gaulois, pendant la paix, n’ont pas de magistrats, et qu’ils confient aux principaux du pays le soin de juger les procès et de vider les différends. (Guerre des Gaules, liv. VI.) Les consuls étaient indépendants de l’autorité seigneuriale, et avaient juridiction sur la famille du seigneur. (Art. 44. de la Coutume de Guizerix.) C’est là encore un trait qui choque les idées reçues. M. Le Play signale aussi les erreurs de l’opinion sur le moyen âge. (Réforme sociale, ch. VI.)
  60. Voir sur l’ancienne société l’ouvrage de M. Ch. de Ribbe, Les Familles et la société en France avant la révolution (Tours, Marne). Ce beau livre ressuscite en quelque sorte le passé, à l’aide de documents inédits d’une puissante originalité, les livres de raisons ; il montre la grandeur et la beauté de la famille ancienne, la paix qu’elle faisait régner dans son sein et autour d’elle, le libéralisme des institutions dont elle dotait la commune et la province. Au pied des Alpes, dans la Provence et le Dauphiné, comme au pied des Pyrénées, dans le Bigorre et le Béarn, les mêmes institutions se sont signalées par les mêmes bienfaits.
  61. N’est-il pas surprenant de voir que ces vallées de Barèges, Luz, Cauterets, autrefois si dures à l’étranger, se le disputent aujourd’hui.
  62. Voir sur les réformes à apporter à l’organisation municipale deux ouvrages très remarquables : Les Institutions administratives en France et à l’étranger et Les Pays libres, de M. Ferrand, ancien préfet, lauréat de l’Institut pour le prix Odilon Barrot.
  63. Voir le discours prononce par le président du conseil général de la Seine à l’ouverture de la session de 1884. (Séance du 24 mars 1884. Bulletin municipal du 25 mars 1884, p. 494.)
  64. Voir sur ce sujet notre travail sur les Réformes à introduire dans la législation en matière de séduction, avril 1874 et la discussion qui a eu lieu a la Société d’Economie sociale, sur le rapport de M. Devinck. (Séance du 21 mars 1875, tome IV, p. 833-873.)
  65. Voir la vigoureuse étude du regretté comte de Butenval sur les Lois de succession appréciées dans leurs effets économiques par les chambres de commerce de France (4e édition. Firmin-Didot).
    Voir aussi dans le Bulletin du comité central des chambres syndicales les discussions qui ont rempli les séances des 20 juin et 20 juillet 1876, et qui ont abouti aux vœux suivants :
    1° Faculté au père de famille de composer les lots, sans rendre le morcellement obligatoire, comme le veut aujourd’hui l’article 826 du Code.
    2° Réduction a cinq ans du délai imparti à l’action en rescision par lésion de plus du quart.
    3° Adoption de la valeur au moment du partage pour l’estimation des biens on cas de demande en rescision.
  66. Voir notre travail sur la Question de la population en France et à l'étranger (Réforme sociale, n° du 1er juillet 1883.)
  67. Les renseignements concernant 1875 ont été directement recueillis sur place par l’auteur, et publiés dans l’Annuaire des Unions, 1875, p. 344 et suiv.
    Quant à ceux qui ont trait à 1883, ils ont été empruntés à une lettre intéressante, en date du 27 août 4883, que M. le comte de la Salle a adressée, de Cauterets, au secrétaire général des Unions, et qui a été reproduite dans la Réforme sociale, n° du 15 septembre 1883, p. 327-328.
  68. Voir Organisation du travail, Document annexé A, p. 493, 497.
  69. La loi garantit à tout paysan son champ patrimonial, qui est inaliénable ; ce champ est aussi sacré que l’homme lui-même dont il assure les moyens d’existence et l’indépendance. Sur les 330 millions d’hectares qui constituent le territoire de la Chine proprement dite, 70 à 75 millions sont ainsi assurés pour jamais aux familles qui les possèdent. (La Revue nouvelle, n° de mai 1883. — La Chine contemporaine, par M. Simon.)
  70. Voir les Etats-Unis contemporains, par M. Claudio Jannet, ch. xv, p. 262. Voir aussi, à l’Annuaire de législation comparée, l’acte du 22 mars 1872 de l’Illinois.
  71. Voir dans la Réforme sociale : n° du 15 mai 1883, Une Ligue de paysans contre le partage forcé en Westphalie, par M. Ardant, p. 506-516 ; n° du 1er  juillet 1883, La Réforme des lois de succession, par M. Claudio Jannet, p. 66-84.