L’Orbe pâle/J’ai trouvé dans mon jardin

Eugène Figuière et Cie (p. 73-74).


J’AI trouvé dans mon jardin, tout près de ma maison, un objet étrange.

Il est en grès, il est rond ; ce pourrait être une cheminée, mais il a un couvercle ; ce pourrait être un filtre mais il n’a pas de fond.

J’ai vu qu’il n’avait pas de fond en soulevant curieusement le couvercle. Mais j’ai vu aussi que cet objet étrange abritait un lézard.

Le lézard apeuré a fui entre le grès et la terre, il a l’étroite place qu’il lui faut pour passer.

Alors j’ai attendu. Rassuré par le silence le lézard est rentré.

Tous les jours je vais voir le lézard. Apaisé par la répétition du bruit, il ne fuit plus. Il vient au crépuscule.

Et je sais maintenant que cet objet étrange qui a un couvercle et qui n’a pas de fond est la maison du lézard.

Il est juste qu’elle n’ait pas de fond pour qu’il puisse y pénétrer, et qu’elle ait un toit pour l’abriter. Mais pourquoi ce toit se lève-t-il ? Il n’était pas écrit que je devais le soulever, pour venir à chaque crépuscule, visiter le lézard dans sa maison. Le petit lézard a sa grande maison.

Quel qu’ait été, au gré des hommes la destination réservée à cet objet étrange, nulle certainement n’était plus imprévue que celle-ci. Mais j’aime avoir dans mon jardin, tout contre ma maison, l’objet voué au feu ou à l’eau et devenu l’étrange maison du lézard, où celui ci, solitaire et fidèle, sort pour se vêtir de soleil et où il rentre sous la lune, pour attendre à l’abri de sa lumière pâle… attendre les chauds rayons.