Éditions Jules Tallandier (p. 205-221).


xi


Roselyne se recula un peu, pour juger dans la glace de l’effet produit par sa toilette. Mme de Liffré et les femmes de chambre s’exclamèrent :

— C’est admirable !

Elle se regardait longuement. L’étoffe légère, aérienne, toute blanche, tissée d’argent, ondulait autour d’elle en scintillant au moindre de ses mouvements. Des algues, des nénuphars blancs ornaient sa jupe, son corsage. D’autres nénuphars, en diamants, avec des pistils de topazes, formaient diadème dans le roux doré des cheveux. D’autres encore, plus petits, reliés par de grosses perles d’un orient merveilleux, glissaient sur la blancheur palpitante du cou. La duchesse joignit les mains en répétant :

— C’est admirable !

Roselyne eut un sourire léger. Cette toilette lui paraissait bien jolie, en effet. Mais il déplaisait à sa modestie d’être le point de mire des regards, tout à l’heure.

Mme de Liffré s’approcha et la baisa au front.

— Petite reine des ondines, vous allez prendre tous les cœurs ! Allons, venez vite, car voici bientôt l’heure où vous devez paraître.

Elles descendirent et gagnèrent aussitôt le salon où les « numéros » se réunissaient. Presque tous étaient là déjà, et, debout, entouraient en riant et causant un homme de haute taille, impeccablement élégant dans sa tenue du soir.

Mme de Liffré s’écria :

— Odon !

Roselyne s’arrêta. Une oppression lui coupa le souffle, pendant un moment. Puis elle se raidit, fit quelques pas, dans un doux froissement de soie.

La comtesse Borelska s’écria :

— Oui, Odon, qui arrive à l’instant tout équipé pour la soirée ! Quelle surprise !

Tranquillement, Odon s’inclinait, baisait la main de sa grand’mère, expliquait brièvement qu’il en avait assez de Naples… Et il regardait Roselyne, maintenant. Tous la regardaient. Un murmure s’éleva, puis des mots d’admiration…

— Merveilleux !… c’est un rêve !

Une rougeur vive montait aux joues de la jeune fille. Les grands cils s’abaissèrent, voilant les yeux confus. Et Roselyne ne vit pas la tendresse passionnée qui s’échappait des yeux noirs, des longs yeux de Sarrasin.

D’un geste lent, presque sans le regarder, elle tendit la main à Odon.

— C’est une bonne idée, d’être venu aujourd’hui. Vous aurez une très agréable soirée.

Il se pencha, et appuya ses lèvres sur les doigts effilés, un peu tremblants.

— J’aurai surtout le plaisir de vous voir en cette parure d’ondine, qui est faite pour vous.

Quelle phrase banale, ridicule, quand tant d’autres lui brûlaient les lèvres ! Mais devant ces étrangers, il ne pouvait dire que celle-là. Et elle, sa petite ondine, devait contenir aussi sa spontanéité habituelle… Malgré cela, il lui eût été facile de donner à comprendre à son cousin qu’elle se trouvait heureuse de le revoir. Mais elle n’était pas encore bien faite à toutes les finesses du langage mondain, qui permettent de laisser entendre ce qu’on ne peut dire textuellement. Cela viendrait… Cependant il l’aimait mieux comme auparavant, si ingénument sincère. Alors, sans souci de ceux qui étaient là, elle lui aurait dit joyeusement, en le regardant avec de beaux yeux brillants : « Oh ! que je suis contente de vous revoir ! »

Mais voici qu’on l’entourait déjà. Mme de la Roche-Bayenne, une grande femme blonde, infatigable pour son plaisir, jetait des exclamations charmées…

— Qu’est-ce que je disais, ma cousine, quand j’assurais qu’elle serait le clou de notre fête ? Vous verrez toute la salle à vos pieds, ce soir, ma chère mignonne. Ah ! si j’avais pu faire entendre votre voix en solo !… Mais il parait, Odon, que vous ne voulez pas qu’elle chante en public ?

— C’est très exact. Je l’ai formellement recommandé à ma grand’mère.

— Quelle idée ! Enfin, nous discuterons cela plus tard… Eh ! le premier numéro, êtes-vous prêt ?

— Voilà, voilà…

Mme de Liffré prit le bras d’Odon.

— Laissons les artistes, maintenant. Venez dans la salle, d’où nous admirerons tout à l’heure notre petite Roselyne.

Il dit à mi-voix, tout en quittant la pièce :

— Savez-vous que j’ai été sur le point d’envoyer hier un télégramme interdisant cette exhibition de Roselyne ?

Elle le regarda, stupéfaite.

— Un télégramme ?… Une exhibition ?

Il dit d’un ton de sourde impatience.

— Nous en reparlerons. Ce n’est pas le moment ici. Sachez seulement que je suis très mécontent de vous voir ainsi méconnaître les désirs exprimés par moi, au sujet de ma cousine.

Elle balbutia :

— Mais, mon enfant, tout le monde le fait…

— Roselyne n’est pas tout le monde.

Elle n’osa répliquer. À l’accent du jeune homme, elle le devinait profondément irrité. En silence, il la conduisit à un fauteuil, salua les nombreuses personnes qu’il connaissait dans cette réunion, serra quantité de mains en répondant brièvement aux questions qu’on lui adressait. Puis il regagna le salon qui servait de foyer aux artistes.

Mme de la Roche-Bayenne s’écria :

— Mon cher, nous sommes déjà trop ! Il fait une chaleur, ici ! Et je n’ose ouvrir, car la température, au dehors, est vraiment presque froide ce soir.

M. de Montluzac dit tranquillement :

— Un de plus, cela ne compte pas, Marguerite.

— Oui, parce que cet « un » est vous, beau Montluzac, et que vous savez bien qu’on se gênera, pour vous faire place.

Elle rit, en donnant sur la manche du jeune homme un léger coup d’éventail. Puis, baissant la voix, elle ajouta :

— Regardez donc Robert, et lord Holwill, et Sombreval. Ils n’ont d’yeux que pour votre cousine. Il est de fait qu’elle est adorable, cette petite ondine !

Odon n’avait pas attendu l’invitation pour diriger son regard vers l’angle du salon où se tenait assise Roselyne, parmi les autres ondines. Des hommes en habit, d’autres, costumés selon leur rôle, l’entouraient. La tête un peu levée, elle les écoutait, et répondait avec un sourire. Au moindre de ses mouvements, les nénuphars de diamants étincelaient dans les cheveux aux tons d’or ardent, et la robe tissée d’argent frissonnait sur son dessous de soie vert d’eau. Sous leurs grands cils un peu baissés, les yeux restaient dans l’ombre. En répondant à chacun de ses admirateurs, Roselyne semblait n’en regarder aucun particulièrement.

Elle avait toujours son air simple et gai, sa grâce naturelle, si ravissante. Et cependant, elle était autre… Odon, dans un éblouissement, pensa : « La petite fille n’existe plus. Elle est femme aujourd’hui, et si admirable ! En quelques mois, un tel changement ! »

Il s’approcha. Roselyne tourna la tête vers lui, et eut un sourire — le même petit sourire tranquille et réservé qu’elle avait pour tous les autres.

Un grand jeune homme blond, aux yeux bleus très francs, tendit la main à Odon.

— Enchanté de vous voir, monsieur ! Sombreval m’apprenait précisément votre arrivée. C’est une vraie surprise.

M. de Montluzac répondit quelques mots brefs. Ce jeune homme était lord Holwill, celui que Mme de Liffré lui désignait comme le prétendant le plus sérieux de Roselyne. Auparavant, il le trouvait sympathique. Aujourd’hui, il le détestait.

Il y avait là aussi le marquis de Sombreval, le sportsman fameux, et ce mauvais sujet de Robert de la Roche-Bayenne, qui avait mangé les trois quarts de sa fortune, et d’autres encore, qui faisaient leur cour empressée à la reine des ondines. Une colère sourde s’agitait en l’âme de M. de Montluzac, à la vue de tous ces regards attachés sur Roselyne, et l’admirant. Ah ! s’il pouvait l’emmener, l’emporter, loin de tous !… Du moins, il demeurerait près d’elle. Elle aurait la protection de celui à qui elle avait dit un jour : « Je me sens tellement en sûreté près de vous ! »

Demeurer près d’elle ! Comme c’était facile ! Voici qu’une des ondines, la blonde marquise de Révillet, l’interpellait, l’obligeait à s’asseoir sur le canapé où s’étalait la gaze argentée de sa robe. Il lui fallait répondre à de puérils propos de mondaine, glisser un compliment en réponse à des avances coquettes, tandis que près de là, d’autres continuaient d’entourer la seule femme qui existât au monde, pour lui.

Il entendait sa voix, pure, douce, un peu voilée, ce soir. Il lui avait trouvé la physionomie fatiguée, en dépit de la teinte pourprée que la chaleur, ou l’émotion, faisait monter à son teint délicat. Cette existence mondaine était absurde pour elle. Dès demain, il écrirait au curé que sa jeune pupille lui arriverait dans les premiers jours de la semaine suivante.

Mme de la Roche-Bayenne apparut, très animée…

— Allons, les ondines, dans les coulisses !

Mme de Révillet se leva, et prit le bras de M. de Montluzac.

— Venez-vous ?

Il répondit machinalement :

— Mais oui.

Toute son attention se concentrait sur Roselyne. Elle se tenait debout maintenant, et il constatait qu’elle avait grandi, que sa taille, frêle encore deux mois auparavant, s’était admirablement développée. Sa beauté apparaissait tellement saisissante, en cette merveilleuse parure de fée des eaux, que Mme de Révillet murmura avec un peu de dépit :

— On ne regardera que votre cousine, monsieur ! Il n’est pas permis d’être aussi jolie !

Il protesta par un compliment, machinalement. Ses habitudes d’homme du monde lui permettaient d’agir ce soir correctement, en automate, tandis que toute sa pensée restait occupée de Roselyne. Il la vit accepter le bras que lui offrait lord Holwill. Cet Anglais lui devenait horriblement antipathique. Jamais il ne lui donnerait Rosey ! Ah ! certes non !

Et ce grand fat de Sombreval qui s’emparait de l’éventail de la jeune fille ! En voilà un, par exemple, qui pouvait s’attendre à un refus tout net, s’il s’avisait d’oser prétendre à la main de Roselyne ! Quant à Robert, l’exécution serait encore plus prompte, en pareille occurrence.

Dans les coulisses du petit théâtre, il chercha à se rapprocher de sa cousine. Mais Mme de Révillet ne le lâchait pas. Si, au moins, cette petite Rosey avait regardé vers lui, si elle avait eu l’air de l’appeler… Mais non, elle ne tournait même pas les yeux de son côté. Elle semblait calme, elle riait, doucement, en écoutant Robert qui avait des mots spirituels. Naguère, en semblable circonstance, elle se serait réfugiée près de son cousin Odon, il aurait rencontré sans cesse son regard d’appel confiant, de timidité demandant à être rassurée. Quel changement, en si peu de temps !

La voix de Mme de la Roche-Bayenne s’éleva…

— Allons, en scène !

Les ondines disparurent, lentement. Alors, les habits noirs s’éclipsèrent, et gagnèrent la petite salle de théâtre. Odon se plaça près d’une porte, à l’écart. De là, grâce à sa haute taille, il pouvait apercevoir la scène. Sur celle-ci, une habile combinaison de lumières produisait une clarté pâle, changeante, dans laquelle évoluaient les ondines. Mme de la Roche-Bayenne avait minutieusement réglé les attitudes, les mouvements. En longue chaîne souple, les fées des eaux glissaient dans cette clarté, qui prenait les teintes mouvantes de l’eau vive. Puis la chaîne se soudait, aux deux extrémités, et un chant s’élevait, lent, mystérieux, d’un charme pénétrant. En ronde maintenant, les ondines glissaient toujours. Dans la lumière pâle, la robe de Roselyne avait un doux éclat d’eau argentée. Les nénuphars brillaient dans ses cheveux, autour de son délicieux petit cou de nymphe. Ses cils restaient baissés, et son visage devenait aussi blanc que les bras voilés, du coude à l’épaule, d’un tulle léger.

Odon frissonnait d’admiration passionnée. Rien n’existait plus pour lui, en cette minute, hors la reine des fées aquatiques, sa Roselyne aux yeux d’ondine, sa petite bien-aimée.

Il reconnaissait sa voix, au milieu des autres, sa voix d’un timbre si chaud, si velouté, dont il avait délicieusement joui quand elle chantait pour lui, dans le salon de l’hôtel de Montluzac. Était-ce une idée ? Il lui trouvait aujourd’hui un accent de tristesse, de lassitude…

Lentement, le rideau se baissait, au bruit des applaudissements, des exclamations. Odon s’élança vers les coulisses. Roselyne apparut, parmi ses compagnes rieuses et animées. Elle seule était pâle, silencieuse, et ses lèvres tremblaient. Autour d’elle, elle jeta un regard d’angoisse, un furtif regard chercheur, qui rencontra celui d’Odon. Puis elle étendit la main, saisit le dossier d’une chaise, en chancelant…

Mme de Révillet s’écria :

— Eh ! qu’avez-vous ?

Odon s’élança et retint la jeune fille entre ses bras.

— Elle se trouve mal… Des sels, je vous prie… Quelle idée de…

Il leva furieusement les épaules. Ce regard de Roselyne, il l’avait compris. La jeune fille avait cédé aux instances de Mme de Liffré, à contre-cœur, elle avait dominé sa timidité, sa répugnance à se donner ainsi en spectacle, ses émois de petite fleur très blanche. Mais en se voyant sur cette scène, exposée à l’admiration de tous, l’émotion avait été trop vive pour la pauvre petite ondine. Et en se retirant, à bout de forces, elle avait cherché le secours, l’appui, par ce regard… L’appui de qui ? Odon n’avait pas le loisir de se le demander, en ce moment. Il emportait sa cousine dans le salon voisin, puis l’étendait sur un fauteuil. Penché vers elle, il soutenait la jolie tête inerte, pendant que Mme de la Roche-Bayenne approchait des narines de la jeune fille son flacon de sels. L’émotion inquiète de M. de Montluzac n’échappait à aucun de ceux qui étaient là. Et elle paraissait trop significative, de la part surtout d’un homme connu pour son indifférence égoïste. Robert de la Roche-Bayenne, revenu avec lord Holwill et M. de Sombreval, murmura à l’oreille de l’Anglais :

— Eh bien, mon vieux, si celui-là se met sur les rangs, il n’y a plus rien à faire ! Nous n’avons qu’à nous éclipser.

Avec un tendre regard vers Roselyne, l’Anglais riposta :

— Oh ! je ne renoncerai pas ! Nous verrons bien !

Roselyne soulevait ses paupières. Les beaux yeux couleur de l’onde apparurent, regardèrent Odon qui se penchait, anxieusement, puis se dérobèrent de nouveau sous leurs cils.

Mme de la Roche-Bayenne s’écria :

— Allons, c’est fini ! Une coupe de champagne, après cela, et vous serez tout à fait bien, chère mignonne.

Odon dit fermement :

— Ma cousine a besoin de repos. Il faut qu’elle se retire dans son appartement.

Des exclamations s’élevèrent :

— Par exemple !… Elle ne se fatiguera plus maintenant… Et puis c’est passé… Nous voulons admirer encore la reine des ondines, Montluzac…

— Désolé, mais la santé de ma cousine passe avant tout.

Roselyne se souleva, en disant avec un peu de hâte :

— Oui, j’ai besoin de me reposer. Je ne me sens pas bien encore.

Elle se leva, en s’appuyant au bras de M. de Montluzac. Celui-ci dit à mi-voix :

— Je vais vous accompagner jusque chez vous.

Elle inclina un peu la tête pour prendre congé de ceux qui étaient là, et sortit au bras de son cousin. Dans les corridors, dans l’escalier, il soutint avec sollicitude sa marche chancelante. Une joie profonde le pénétrait, à la sentir ainsi tout près de lui, de nouveau sous sa protection. Il l’emmenait, sa délicieuse ondine, il l’enlevait à toutes ces admirations étrangères… et il comprenait trop bien maintenant que jamais il ne pourrait la donner à un autre.

Roselyne s’arrêta devant une porte, au premier étage.

— C’est ici. Je vous remercie, Odon.

— Sonnez votre femme de chambre, n’est-ce pas, et demandez ce qui vous est nécessaire ? Puis faites prévenir Mme Berfils.

— C’est inutile. Le repos, seul, me sera bon.

Il lui prit la main, et chercha à rencontrer les yeux qui se dérobaient toujours sous leurs cils tremblants.

— Je suis très mécontent que ma grand’mère vous ait forcée à jouer ce rôle. Mais ceci ne se renouvellera plus, Rosey, je vous le promets.

— Vous avez compris combien cela m’était pénible ?

— Oui, j’ai compris que ma pauvre petite fée était bien malheureuse, ce soir.

Un tressaillement léger courut sur le visage de Roselyne. Il y eut un court silence, pendant lequel Odon contempla avec ravissement la merveilleuse vision, dans la pénombre du large corridor éclairé à distance par quelques lampes à globes opalisés. Puis Roselyne dit de cette voix tranquille, un peu voilée, qu’avait déjà remarquée Odon ce soir :

— Je vous demande pardon de vous avoir donné cet ennui…

— Quelle plaisanterie ! L’ennui, ce n’est pas de vous qu’il vient, c’est de ma grand’mère, et de ma cousine Marguerite, qui vous ont tourmentée pour obtenir ce qu’elles voulaient… Mais allez vite vous reposer. Nous causerons demain, très longuement.

Il porta à ses lèvres la main délicate, agitée par un léger tremblement. Roselyne la retira avec un peu de hâte en disant :

— Bonsoir, Odon, et merci encore.

La porte se referma derrière elle. Machinalement, Odon revint à l’escalier. D’en bas montaient des bruits de voix, des rires, le son d’une harpe. Le jeune homme passa la main sur son front. Qu’avait-elle donc, cette petite Rosey ? Il la retrouvait tellement différente, à son égard ! Presque froide, un peu cérémonieuse… Cependant, n’était-ce pas lui que cherchait ce regard de détresse, tout à l’heure ? Si ce n’était lui, qui donc, alors ?

Oui, qui donc l’avait remplacé dans le cœur de Rosey ? Pour qui, maintenant, brillait la merveilleuse clarté d’amour dans ces yeux couleur de belle eau vive ?… cette clarté qui l’avait ébloui, naguère, et qu’il avait en vain guettée ce soir ?

Il pensa : « Peut-être lui a-t-on dit quelque chose de moi, de ma vie. Et son innocence s’effraye, se recule. Je connais des êtres capables de cela, et même d’augmenter, de dénaturer les faits. Alors, ce serait donc fini de sa confiance, de son affection si naturelle, sans arrière-pensée ? Ce serait fini de son amour ? »

Il descendit quelques marches, sans savoir ce qu’il faisait. Pourquoi le regard de Rosey se cachait-il obstinément, ce soir, derrière ses grands cils bruns ? Autrefois, elle lui laissait lire jusqu’au fond de ce pur regard d’enfant. Qu’avait-elle donc à lui dérober, aujourd’hui ? Sa défiance ?… sa tristesse de le savoir si différent de celui qu’elle avait imaginé ?

Il se trouva sans trop savoir comment à l’entrée du hall illuminé, où circulaient quelques groupes. A sa droite, une porte ouverte laissait voir le fumoir, transformé ce soir en salle de jeu. Odon gagna une table de bridge, et s’y installa pour le reste de la soirée, en dépit d’une malchance extraordinaire qui fit grommeler au vieux général d’Orches, son partenaire :

— Eh bien, mon cher, si l’on en croit le dicton, vous devez être joliment heureux en amour ! Palsambleu ! Quelle déveine !