L’Onanisme (Tissot 1769)/Article 4/Section 11


SECTION XI.


Les pollutions nocturnes.


Jai montré les dangers d’une évacuation trop abondante de semence par les excès vénériens & par la masturbation, & j’ai dit au commencement de cet ouvrage qu’elle se perdoit aussi par les pollutions nocturnes dans des songes lascifs, & par cet écoulement connu sous le nom de gonorrhée simple ; j’examinerai brièvement ces deux maladies.

Telles sont les loix qui unissent l’ame au corps, que lors même que les sens sont enchaînés par le sommeil, elle s’occupe des idées qu’ils lui ont transmises pendant le jour.

Res, quæ in vitâ usurpant homines, cogitant, curant, vident,
Quæque aiunt vigilantes agitantque, ea si cui in somno accidunt,
Minus mirum est. A c c.

Une autre loi de cette union, c’est que sans troubler cet enchaînement des autres sens, ou, pour ôter toute équivoque, sans leur rendre la sensibilité aux impressions externes, l’ame peut dans le sommeil faire naître les mouvements nécessaires à l’exécution des volontés que les idées dont elle s’occupe lui suggerent. Occupée d’idées relatives aux plaisirs de l’amour, livrée à des songes lascifs, les objets qu’elle se peint produisent sur les organes de la génération les mêmes mouvements qu’ils y auroient produits pendant la veille, & l’acte consomme physiquement, s’il se consomme dans l’imagination. L’on sçait ce qui arriva à Horace dans un des gîtes de son voyage à Brindes.

Hic ego mendacem stultissimus usque puellam
Ad mediam noctem exspectco : somnus tamen aufert
Intentum veneri : tum immundo somnia visu
Nocturnam vestem maculant, ventremque supinum.

Ces organes, à leur tour, irrités les premiers ne réveillent quelquefois que l’imagination, & suscitent des songes qui se terminent comme les précédents. Ces principes servent à expliquer les différentes especes de pollutions.

La première est celle qui vient d’une surabondance de semence ; c’est celle des gens à la force de l’âge, qui sont sanguins, vigoureux, chastes. La chaleur du lit venant à raréfier les humeurs, & la liqueur spermatique étant plus susceptible de raréfaction qu’une autre, les vésicules irritées entraînent l’imagination qui, dénuée des secours qui lui feroient voir l’illusion, s’y livre toute entiere ; l’idée du coït en produit l’effet dernier, l’éjaculation. Dans ce cas cette évacuation n’est point une maladie, c’est plutôt une crise favorable, un mouvement qui débarrasse d’une humeur qui, trop abondante & trop retenue, pourrait nuire ; & quoique quelques Médecins, qui n’ajoutent foi qu’à ce qu’ils ont vu, l’aient nié, il n’en est pas moins vrai que cette liqueur peut, par son abondance, produire des maladies différentes du priapisme ou de la fureur utérine.

Qu’on me permette une courte digression sur cette question ; elle n’est pas étrangère à mon sujet.

Galien nous a conservé l’histoire d’un homme & d’une femme que l’excès de semence rendoit malades, & qui furent guéris en renonçant à la continence qu’ils s’étoient imposée[1] ; & il regarde la rétention de cette humeur comme capable de produire des accidents très-fâcheux. J’ai vu à Montpellier une observation semblable en tout à celle de la femme dont ce grand homme parle. Une veuve très-robuste, âgée de près de quarante ans, qui avoit joui très-souvent, pendant long-temps, du physique de l’amour, & qui en étoit privée depuis quelques années, tomboit de temps en temps dans des accès hystériques si violents, qu’elle perdoit l’usage des sens ; aucun remède ne pouvoit dissiper les accès ; on ne pouvoit les faire finir que par de fortes frictions des parties génitales, qui lui procuroient un tremblement convulsif suivi d’une abondante éjaculation ; & dans le même instant elle recouvroit ses sens. L’on a publié depuis la première édition de cet ouvrage trois observations entièrement analogues, l’une de M. Weber, Médecin à Waslrode, dans l’électorat d’Hanovre, qui l’a insérée dans un recueil de très-bonnes observations, qu’il publia successivement[2] ; les autres sont de M. Betbeder, Médecin à Bordeaux & se trouvent dans le recueil que publia M. Richard[3]. Elles concourent à prouver que les Médecins ne doivent pas perdre entièrement de vue cette cause de maux, puisqu’elle se présente quelquefois.

Zacutus Lusitanus rapporte une observation très-semblable. Une fille, dit il y étoit dans un paroxysme convulsif très-violent ; elle étouffoit, sans sentiment, sans connoissance, avec un tremblement général, les yeux renversés, &c. tous les autres remedes étoient inutiles : je fis appliquer un pessaire âcre qui produisit une abondante évacuation spermatique, & elle recouvra sur-le-champ ses sens[4]. M. Hoffman nous a aussi conservé l’histoire d’une Religieuse qu’on ne pouvoir tirer du paroxysme hystérique qu’en excitant la même évacuation, & Zacutus, dans le même ouvrage que je viens de citer, parle de deux hommes auxquels la suppression des plaisirs de l’amour nuisit : l’un fut attaqué d’une tumeur à l’ombilic qu’aucun remède ne put diminuer, & que le mariage dissipa : l’autre, affoibli par ses débauches en ce genre, les quitta tout-à-coup ; six mois après il eut des vertiges, & bientôt des attaques de véritable épilepsie, qu’on attribua à un vice de l’estomac : on le traita par des stomachiques qui aigrirent le mal, & il mourut dans un violent accès. L’on trouva tout en bon état dans le cadavre, excepté les vésicules séminales & le canal déférent qui étoient remplis d’un sperme verd, & ulcérés dans plusieurs endroits[5].

Un Médecin, respectable par son sçavoir & par son âge, qui a suivi longtemps les armées Autrichiennes en Italie, m’a dit avoir remarqué, que ceux des Soldats Allemands, qui n’étoient pas mariés, & qui vivoient sagement étoient souvent attaqués d’accès d’épilepsie, de priapisme, ou de pollutions nocturnes ; accidents qui venoient d’une sécretion plus abondante de semence, & peut être de ce que cette semence avoit plus d’âcreté, dans un pays plus chaud, & où la diete est plus succulente.

L’on a du même Docteur, Jacques, que j’ai cité dans le second article de cet ouvrage, une these[6], dont M. de la Mettrie a donné la traduction[7], dans laquelle il cite beaucoup de maladies produites par la privation des plaisirs vénériens ; & M. de la Mettrie en indique une autre, du D. Reneaume, sur la virginité claustrale, donc l’objet est le même.

M. Zindel a publié à Basle, une dissertation, dans laquelle il a recuelli les observations éparses des maladies produites par une trop grande chasteté[8] ; & l’on peut placer ici ce que dit M. de Sauvages des dangers de la chasteté pour les femmes, au tempérament desquelles elle ne convient pas ; elles sont d’autant plus les victimes de leur feu, qu’elles cherchent à le cacher plus soigneusement, & elles tombent dans la tristesse, l’insomnie, le dégoût, la maigreur, les pollutions. Il ajoute une observation qui fournit peut-être l’exemple de la plus rude épreuve, à laquelle le tempérament combattu ait jamais été exposé, c’est celle d’une jeune fille qui, dévorée par son feu, & conservant son ame pure avec une force étonnante, étoit sujette a des pollutions, même dans le temps qu’elle gémissoit de son malheur aux pieds d’un Confesseur décrépit & dégoûtant[9].

Une jeune femme qui épouse un vieux mari, disoit une nouvelle mariée à son amie, ferait mieux de se jetter dans la rivière avec une pierre au col.

Enfin, sans parler de quelques autres, M. Gaubius met la continence excessive dans la classe des causes de maladies. Il est : rare, dit-il, qu’elle produise quelques maux, on l’a vu cependant dans quelques hommes nés avec beaucoup de tempérament, & qui forment beaucoup de semence, & dans quelques femmes[10] ; il fait ensuite l’énumération de ces maux. L’on ne doit donc point en nier l’existence, mais l’on peut en affirmer la rareté, surtout dans ce siecle, qui paroît être celui de la foiblesse ; & l’on se trompe tous les jours, en attribuant indistinctement à cette cause toutes les maladies qui attaquent les personnes nubiles du sexe, & en leur conseillant le mariage pour tout remède ; remède souvent mal indiqué & souvent nuisible, parce qu’il ne peut pas détruire les vices qui entrerenoient la maladie, & qu’il ne fait qu’ajouter aux maux passés ceux que la grossesse & les couches produisent ordinairement dans les personnes languissantes. Je reviens aux pollutions.

L’on a vu que la première espece, produire par une surabondance de semence qu’elle évacue, n’étoit pas un mal en elle-même ; mais elle peut le devenir en revenant trop fréquemment, & lors même qu’il n’y a plus de surabondance nuisibie. J’ai déjà observé qu’une évacuation disposoit à une suivante, tant est grande la force de l’habitude, qui consiste en ce que la réitération des mouvements les rend plus faciles, & qu’ils se produisent par la plus légère cause, observation d’une grande utilité pour l’intelligence de l’économie animale, sur laquelle Galien[11] & sur-tout M. Maty[12] ont dit d’excellentes choses, mais qui n’a cependant pas encore été pleinement traitée ; & il en résulte cet inconvénient, c’est que les évacuations en deviennent une suite, indépendamment du besoin, & lors même qu’il n’existe pas. Alors elles sont très-fâcheuses, & elles ont tous les dangers de l’évacuation excessive, procurée par d’autres moyens. Satyrus, surnommé Gragropilex, demeurant à Thasus, eut, dès l’âge de vingt-cinq ans, de fréquentes pollutions nocturnes ; quelquefois même la semence s’écouloit pendant le jour. Il mourut de consomption dans sa trentième année[13].

M. Zimmermann me parle d’un homme d’un très-beau génie, à qui les pollutions avoient fait perdre toute l’activité de son esprit, & dont le corps étoit exactement dans l’état décrit par Boerhaave. L’on a vu, page 11, les maux que M. Hoffman observa après des pollutions. Les symptômes les plus ordinaires, quand le mal n’a pas fait encore de bien grands progrès, c’est un accablement continuel, plus considérable le matin, & de vives douleurs de reins. L’on me consulta, il y a quelques mois, pour un vigneron âgé de cinquante ans, très-robuste auparavant, & que des pollutions fréquentes depuis trois ou quatre mois, avoient si prodigieusement affoibli, qu’il ne pouvoit travailler que quelques heures par jour, souvent même il en étoit empêché par des douleurs de reins qui le retenoient au lit, & il maigrissoit journellement. Je donnai quelques conseils, dont j’ai ignoré l’exécution & l’effet.

J’ai connu un homme devenu sourd pendant quelques semaines, après un long rhume négligé, qui, quand il avoit une pollution nocturne, étoit beaucoup plus sourd le lendemain, avec beaucoup de mal-aise ; & un autre affoibli par plusieurs causes, qui, après la pollution, se réveille dans un si grand accablement & un engourdissement si général, qu’il est comme paralytique pendant une heure, & fort abattu pendant plus de vingt-quatre.

L’on peut mettre dans cette première classe les pollution de ceux qui ayant été accoutumés à ie fréquentes émissions, les suspendent tout-à-coup. Telles étoient celles d’une femme dont parle Galien ; elle étoit dans le veuvage depuis quelque temps, & la rétention du sperme lui procuroit des maladies de l’utérus ; elle eut, dans le sommeil, des mouvements des lombes, des bras & des jambes qui étoient convulsifs, & qui furent accompagnés d’une émission abondante de sperme épais, avec la même sensation que dans le coït[14]. Une danseuse fut blessée par hazard près du sein gauche fort légèrement ; le Chirurgien lui prescrivit une diète assez sévere, & lui défendit les plaisirs dont elle étoit en usage de jouir souvent. La troisieme nuit de cette privation, à laquelle elle se soumit en négligeant la diète, elle eut une pollution, qui revenant plusieurs fois toutes les nuits suivantes, la maigrissoient à vue d’œil, & lui causoient des violents maux de reins. La plaie ne laissoit pas que de guérir, & l’eût été tout-à-fait si elle s’étoit ménagée pour les aliments & la boisson. Le Chirurgien ferme dans ses principes, continuoit son interdiction, la saignoit & la purgeoit. Ennuyée & affoiblie, elle laissa les remèdes, reprit son ancien train, la foiblesse & les douleurs se dissiperent bien vîte.

Mais qu’on se garde bien de conclure de cette observation l’inutilité du précepte des plus grands maîtres en chirurgie, qui, fondés sur d’autres observations, interdisent sévérement le coït aux blessés ; il n’y a point de praticien qui n’ait pu se convaincre par soi-même combien il leur est nuisible. J’en rapporterai un seul exemple dans lequel la masturbation fut mortelle, & dont G. Fabrice de Hilden nous a conservé l’histoire. Cosme Slotan avoir coupé la main à un jeune homme qui l’avoit eu meurtrie par un coup de feu ; comme il le connoissoit très-ardent, il lui défendit sévérement tout commerce avec sa femme, qu’il avertit aussi du danger. Mais quand tous les accidents furent dissipés, & que la guérison étoit en bon train, le malade se sentant des désirs auxquels sa femme ne voulut pas répondre, il se procura, sans coït, une émission de semence, qui fut immédiatement suivie de fièvre, de délire, de convulsions, & d’autres accidents violents, dont il mourut au bout de quatre jours[15].

J’ai vu un jeune marié qui, se jettant étourdiment du siege d’un cabriolet, tomba à côté ; la roue de derrière lui passa sur le pied, entre le talon & la cheville ; il n’eut ni fracture, ni luxation, mais une forte contusion ; se trouvant bien au bout de cinq jours, il se conduisit comme s’il n’eût point eu d’accident. Deux heures après, toute la jambe enfla, avec des douleurs inouïes, & une forte fièvre qui dura près de trente heures. Revenons.

Ce que j’ai dit au commencement de cette section, sur la liaison entre les rêves & les idées dont l’ame s’est occupée pendant le jour, sert à expliquer pourquoi les masturbateurs sont si sujets aux pollutions nocturnes : leur ame, occupée pendant tout le jour d’idées vénériennes, se représente pendant la nuit les mêmes objets, & le songe lascif est suivi d’une évacuation qui est toujours prête à se faire quand les organes ont acquis un degré considérable d’irritabilité.

Il est important de prévenir de bonne heure les progrès de l’habitude ; &, quelle que soit la première cause des pollutions, de ne pas les laisser invétérer. Quand elles ont duré longtemps elles se guérissent très-difficilement. Il n’y a point de maladie, dit M. Hoffman, qui tourmente plus les malades, & donne plus de peines aux Médecins, que les pollutions nocturnes qui ont duré long-temps, & qui sont devenues habituelles, sur-tout si elles reviennent tous les jours. L’on emploie les meilleurs remedes presque toujours inutilement, souvent même ils font plus de mal que de bien[16].

Tous les Médecins, qui ont écrit sur cette maladie, en ont dit la guérison très-difficile, & tous les Médecins, qui ont eu occasion de la traiter, l’ont éprouvé eux-mêmes, & l’on ne doit point en être surpris. A moins que l’on ne pût ou redonner aux organes leur force, & diminuer leur irritabilité pendant le temps qui s’écoule entre deux pollutions, ce qui est impossible, ou prévenir tout-à-coup le retour des songes lascifs, ce qui n’est pas plus aisé, on doit être sûr que la pollution reviendra, & qu’elle détruira presque tout le bien que peut avoir opéré la petite quantité de remede qu’on a employée depuis la dernière : on ne peut donc gagner d’une pollution à l’autre qu’un infiniment petit, & il faut en accumuler un grand nombre avant que d’obtenir un effet sensible.

Cœlius Aurelianus a rassemblé tout ce que les anciens ont dit de mieux sur le traitement. Il veut 1°. que le malade évite autant qu’il est possible toute idée vénérienne ; 2°. qu’il soit couché sur un lit de matière dure & rafraîchissante ; qu’il applique sur ses reins une mince plaque de plomb, qu’il applique sur toutes les parties qui sont le siege de la maladie, des éponges trempées dans de l’eau & du vinaigre, ou des choses rafraîchissantes, comme les balaustes, l’acacia, l’hypociste, le pyllium ; 3°. qu’il ne fasse usage que d’aliments & de boisson qui rafraîchissent & qui resserrent. Il lui conseille 4°. les fortifiants, 5°. l’usage du bain froid, 6°. de ne jamais se coucher sur le dos, mais toujours sur le côté ou sur le ventre. Ce conseil est plein de bonnes choses ; mais voyons plus distinctement qu’elle est l’indication qui se présente. C’est de diminuer la quantité de la semence, & de prévenir les rêves.

La diete & le régime général sont beaucoup plus propres à la remplir que les remedes. Les aliments les plus convenables sont ceux qui sont tirés du règne végétal, les légumes & les fruits. Parmi les viandes, celles qui contiennent le moins de substance. Dans l’une & l’autre classe, il faut faire choix de ceux qui n’ont aucune âcreté. L’on a déjà vu plus haut l’influence de ce régime sur la tranquillité du sommeil ; on ne peut trop le recommander aux personnes affligées de pollutions nocturnes, à qui cette tranquillité est si nécessaire. Elles doivent surtout renoncer au souper, ou au moins ne souper que très-légérement ; cette seule attention contribue plus à opérer la guérison que tous les remedes.

J’ai vu, il y a plusieurs années, un jeune homme qui avoit presque toutes les nuits une pollution nocturne, & qui avoit déjà eu quelques accès de cochemar. Un Chirurgien barbier lui ordonna de boire en se couchant quelques verres d’eau chaude, qui sans diminuer les pollutions, augmentèrent la dernière maladie ; les deux maux se réunirent & revinrent toutes les nuits ; le phantôme du cochemar étoit une femme qui occasionnoit en même temps la pollution. Affoibli par cette double maladie, & par la privation d’un sommeil tranquille, il marchoit à grands pas vers une consomption. Je lui ordonnai de ne prendre à souper qu’un peu de pain & quelques fruits cruds, de souper de bonne heure, & de prendre, en entrant au lit, un verre d’eau fraîche avec quinze gouttes de liqueur anodyne minérale d’Hoffman. Il ne tarda pas à reprendre un sommeil tranquille, les deux maladies se dissiperent entierement, & il recouvra bientôt ses forces.

Les viandes indigestes, les viandes noires, sur-tout le soir, sont un véritable poison pour ce mal ; &, je le répète, si l’on ne prend pas le parti de souper très-peu & sans viande, les autres remèdes ne sont d’aucune utilité. Le vin, les liqueurs, le café nuisent par plusieurs endroits. La meilleure boisson est l’eau pure, sur chaque bouteille de laquelle on peut dissoudre avec succès une dragme de nitre. J’ai cependant vu, il n’y a pas long-temps, un malade à qui le nitre nuisoit, en lui procurant de plus fréquentes pollutions : j’attribuai cet effet à deux causes ; l’une, c’est qu’il avoir les nerfs très foibles, & dans ces tempéraments le nitre agit comme irritant ; l’autre, c’est qu’il augmentoit considérablement les urines ; la vessie se remplissoit plus promptement pendant la nuit, & l’on sçait que la tension de la vessie est une des causes déterminantes des pollutions.

Le précepte, que donne Cœlius d’éviter les lits mous, est de la plus grande importance ; il n’y faut point souffrir de plume ; la paille seroit de beaucoup à préférer au crin, & j’ai vu quelques malades qui se sont bien trouvés de couvrir le matelas d’un cuir. Le conseil de ne pas se coucher sur le dos est également nécessaire ; cette situation nuit en contribuant à rendre le sommeil plus agité, & en échauffant davantage les parties génitales. Enfin comme l’habitude a ici une très grande influence, & qu’il importe de la rompre, l’observation suivante pourra fournir un moyen d’y réussir. Je la tiens d’un Italien respectable par ses vertus, & l'un des plus excellents hommes que je me rappelle d’avoir vus. Il me consultoit pour une maladie très-différente ; mais afin de mieux m’instruire il me fit toute l’histoire de sa santé. Il avoit été incommodé, cinq ans auparavant, de pollutions fréquentes qui l’épuisoient totalement. Il résolut fortement le soir de se réveiller au premier moment où une femme frapperoit son imagination, & s’occupa long-temps de cette idée avant que de s’endormir. Le remède eut le plus heureux succès ; L’idée du danger & la volonté de se réveiller unies étroitement la veille à l’idée d’une femme, se reproduisirent au milieu du sommeil en même temps que cette dernière ; il se réveilla à temps ; & cette précaution réitérée pendant quelques soirs dissipa le mal[17].

Mais que ces deux derniers cas n’inspirent pas trop de sécurité, il en est contre lesquels les meilleurs remèdes échouent ; celui que M. Hoffman rapporte[18] en est un exemple} & l’on doit d’avance donner aux malades l’avis qu’il donnoit au sien ; c’est que, sans une longue persévérance dans l’usage des remèdes, on ne doit en attendre aucun effet, ou plutôt, dans ce cas où le régime est l’essentiel, ce n’est souvent qu’en l’observant longtemps qu’on peut éprouver un soulagement sensible. Si l’on emploie des remèdes ils doivent être fondés sur la même indication que le régime. Il n’y a pas long-temps que j’ai vu une saignée assez abondante emporter le mal. Les poudres nitreuses, la limonade, les esprits acides, les laits d’amandes peuvent être d’usage.

M. Hoffman employa pour le masturbateur qui, après avoir quitté ses infamies, tomba dans des pollutions, la poudre suivante.

Ƶ. C. C. pphicè ppati. ossis sepiœ aa unc. S. S. succini cum instillat. olei tartar. per deliquium ppat. dr. II. cascar. dr. I. dont il prenoit une dragme le soir avec de l’eau de cerises noires ; le matin les eaux de Selter & le lait ; pour boisson une ptisane de santal, de racines de chine, de chicorée, de scorsonere & de cannelle. Moyennant ces secours, & une diete convenable, le malade guérit en quelques semaines. M. Zimmermann a guéri, par l’usage de la même poudre, des pollutions très-fréquentes, suivies des langueurs ordinaires, & qui avoient duré quelques années, chez un jeune homme de vingt-un ans. Il n’est pas aisé d’expliquer comment cette poudre, qui n’est qu’un simple absorbant, fait du bien ; mais j’ai vu de bons effets du camphre.

Une autre espece de pollutions, ce sont celles des hypochondriaques. La circulation chez eux se fait lentement, surtout dans les veines du bas-ventre ; par-là même les parties d’où elles rapportent le sang sont souvent engorgées ; les nerfs sont aisément mis en mouvement ; leurs humeurs ont un caractere d’âcreté très-propre à irrite ; leur sommeil est ordinairement troublé par des songes : voila bien des raisons de pollution ; aussi ils y sont extrêmement sujets. L’imagination, dit M. Boerhaave produit souvent pendant le sommeil des émissions de semence. Les gens de lettres les plus assidus, & les rateleux, sont sujets à cet accident, & l’écoulement de la semence est souvent si considérable qu’ils tombent dans l’atrophie[19]. Cette maladie a pour eux des suites d’autant plus fâcheuses qu’ils ne se livrent jamais à quelques excès dans ce genre sans en être extrêmement incommodés. M. Fleming l’a heureusement exprimé ;

Non veneri crebro licet unquam impunè litare.

Il n’y a qu’un moyen de curation, c’est d’attaquer la maladie principale. L’on commence par détruire les engorgements, ensuite l’on emploie les bains froids, & cette salutaire écorce que Dieu veuille nous conserver. C’est alors véritablement le cas de ces deux puissants remèdes, auxquels on peut quelquefois allier le mars. Si les attentions sur le choix des aliments sont nécessaires dans tous les cas, elles le sont plus particulièrement dans celui-ci. Les hypochondriaques font généralement très mal les digestions ; les aliments mal digérés produisent des gonflements flatueux qui, troublant la circulation, les disposent aux pollutions de deux façons : 1°. en gênant le retour du sang dans les veines génitales ; 2°. en troublant la tranquillité du sommeil, & en disposant par-là même aux rêves. L’on sent par là la raison de la défense que Pythagore faisoit à ses disciples de manger des aliments flatueux ? qu’il regardoit avec raison comme nuisibles, tant à la netteté & à la force des fonctions de l’ame, qu’à la chasteté. Outre les deux raisons que j’en ai données, pourrois-je hazarder d’en indiquer une troisieme, que j’ai eu fortement lieu de soupçonner chez deux malades ? c’est l’expansion de l’air, dégagé des fluides, dans les corps caverneux, ce qui produisoit une érection & le prurit vénérien. Personne n’ignore que toutes nos liqueurs sont imprégnées de ce fluide, mais que tant qu’elles sont parfaitement saines, il y est comme incarcéré & privé de toute élasticité. De grands Physiciens avoient cru qu’il n’y avoit que deux moyens de la lui rendre ; un degré de chaleur plus considérable qu’on ne l’observe jamais dans le corps animal, & la putréfaction. Mais une foule d’observations de maladies, produites par l’air ainsi dilaté, ont prouvé qu’indépendamment de ces deux causes il y avoir d’autres altérations dans les fluides qui opéroient le même effet ; & ces altérations paroissent plus fréquentes chez les hypochondriaques : ainsi il n’est point étonnant que les corps caverneux soient le siege de ce développement d’air maladif ; il n’y a au contraire point de partie qui paroisse devoir y être plus exposée, & si l’on n’y a pas fait attention plutôt, c’est vraisemblablement manque d’observateurs plutôt que d’observations. Celles-ci font sentir toute la nécessité d’éviter ces aliments qui, plus chargés d’air que les autres, incommodent & par celui qui s’en sépare dans les premières voies, & par celui qu’ils portent dans le sang. Tout le monde sçait que la bière nouvelle, qui est extrêmement flatueuse, occasionne de violentes érections, & j’ai vu depuis la dernière édition de cet ouvrage, que M. Thiery, un des plus sçavants Médecins, & des plus célèbres Praticiens de France, a connu ces érections flatueuses.

L’on peut placer ici, comme analogue à cette dernière espece de pollution, & attaquant principalement les mélancholiques, une maladie qu’on pourroit appeller fureur génitale ; elle diffère du priapisme & du satyriasis ; je la peindrai par une observation que j’avois déjà publiée dans la première édition latine de cet ouvrage, & omis dans la françoise. Un homme âgé de cinquante ans en étoit atteint depuis plus de vingt-quatre, & dans ce long terme il n’avoit pas pu se passer vingt-quatre heures de femme ou de l’horrible supplément de l’Onanisme ; & il réitéroit ordinairement les actes plusieurs fois par jour. Le sperme étoit âcre, stérile ; l’évacution très-prompte. Il avoit les nerfs excessivement affoiblis, des accès de mélancholie & de vapeurs très violents, les facultés abruties, l’ouïe très-pesante, les yeux extrêmement foibles : il est mort dans l’état le plus triste. Je ne lui ai jamais conseillé de remedes ; il en avoit pris un grand nombre ; plusieurs ne lui avoient rien fait ; tous ceux qui étoient chauds lui avoient nui ; le seul quinquina infusé dans du vin, que lui avoit ordonné M. Albinus, l’avoit soulagé ; & l’autorité de ce grand Médecin est un nouveau témoignage bien respectable en faveur de ce remede. On trouve parmi les consultations de M. Hoffman un cas à peu près semblable ; le prurit vénérien étoit presque continuel, & l’âme & le corps étoient également énervés[20].

  1. De locis affectis. l. 6, c. 5, Charter, t. 7, p. 519.
  2. Christ. Weber observationum medicerum fasciculus alter. Cellis 1765, observ. 20. Il finie ainsi l’histoire de la maladie… Abdominis tandem mira ista contractio cogitationem mihi injiciebat, numne forsan partium genitalium frictio huic agrotæ eodem modo ac viduœ Monspeliense, de qua ex. Tissot mentionem fecit, in paroxysmo conducat, & ecce… multo citiùs acantea ad se redibat virgo, vividiorque erat. Totum autem cubiculum : am fœtido & hircino replebatur odore, ut vix perferri possit, anusque frictionem in œgrâ exercens de lecto decedere deberet.
  3. Recueil d’observations de Médecine des Hôpitaux militaires, fait & rédigé par M. Richard de Hautesierck, in-4°. 1766, t. 1, p. 182.
  4. Prax. admirand. l. 21, obs. 85.
  5. Ibid. obs. 109, 110.
  6. An ex negato veneris usu morbi, 1712.
  7. Pénélope, c. 8, des qualités nécessaires au Médecin.
  8. Nicolaus Zindelius, de morbis ex castitate nimia oriandis. Basileæ, 1745.
  9. Nosolog. medic. t. 4, p. 341.
  10. Institutiones pathologicæ. §. 563.
  11. Galenus libro de çonsuetudinibus. Charter, t. 6, p. 541.
  12. M. Maty, dissertatio de consuetudinis efficacia in corpus humanum, Leid. 1740. M. Pujati a aussi donné de très-bonnes réflexions sur cette Matière dans son traité de la diète des fiévreux, p. 57, &c. Les Métaphysiciens qui paroissent l’avoir mieux saisie sont, M. Locke, Essay, &c. l. 1, c. 32. M. de Condillac, Traité des animaux, p. 2, c. 2 & 9 ; & l’Auteur anonyme des Eléments de Psycologie, c. 61, 62, 63, 64. Je connois un homme qui, ayant été éveillé, il y a plus de vingt ans, à une heure après minuit, par le bruit d’un incendie, s’est constamment réveillé toutes les nuits, dès cette époque, précisément à la même heure.
  13. Epidem, l. 6, f. 8, n. 52, Foes 1201.
  14. De femine. l. 2, ch. 1, Cherter, t. 3, p. 213.
  15. Observat. Chirurg. cent. I,  obs. 22.
  16. Conf. 102.
  17. J’ai vu des jeunes gens qui avant essayé de se lier la verge le soir s’en sont bien trouvés ; il y en a eu d’autres pour qui cet expédient a été inutile. L’on a l’obligation à M. Ziegler, Médecin à Vinthretour, d’avoir imaginé une machine dont il m’a envoyé un modèle qui m’a paru propre à remplit son but.
  18. Cas. 102.
  19. Institut. §. 776.
  20. Consult. cent. 2 & 3, oper. t. 3, p. 214.