L’Onanisme (Tissot 1769)/Article 3/Section 10/A


L’air.


L’air a sur nous l’influence que l’eau a sur les poissons, & même une beaucoup plus considérable. Ceux qui sçavent à quel point cette première influence s’étend, qui n’ignorent pas que les gourmets connoissent non-seulement la rivière, mais encore l’endroit de la rivière où un poisson a été pris, & qu’ils distinguent,

.  .  .   Lupus hic, Tiberinus, an alto
Captus hiet ? pontesne inter jactatus, an amnis
Ostia sub Tusci ?

Ceux-là, dis-je, sentiront combien il importe pour les malades de respirer un air plutôt qu’un autre. Ceux qui sont entrés une fois en leur vie dans une chambre qu’on habite sans l’aërer ; ceux qui auront côtoyé des marais dans les chaleurs, habité dans des lieux bas entourés d’éminences de tous côtés ; ceux qui auront passé d’une ville peuplée dans la campagne, qui auront respiré l’air au lever du soleil ou à midi, avant ou après une pluie ; tous ces gens-là, dis-je, comprendront comment l’air peut influer sur la santé.

Temperie cœli corpusque animusque juvatur. Ovid.

Les foibles ont plus besoin du secours d’un air pur, que les autres ; c’est un remede qui agit, (& c’est peut être le seul), sans le concours de la nature, sans employer ses forces ; il est par-là même de la plus grande importance de ne pas le négliger. Celui qui convient le mieux à une atonie générale, c’est un air sec & tempéré : un air humide, un air trop chaud sont pernicieux. Je connois un malade de cette espece que les grandes chaleurs jettent dans un épuisement total, & dont la santé varie en été, suivant l’alternative des jours plus ou moins chauds. Un air trop froid est beaucoup moins à craindre, & cela doit nécessairement être ainsi : la chaleur relâche les fibres déjà trop lâches, & dissout les humeurs déjà trop fondues ; le froid, au contraire, remédie à ces deux maux. Quand les Caribes sont attaqués de paralysie, à la suite de ces terribles coliques convulsives auxquelles ils sont sujets, lorsqu’on ne peut pas les envoyer aux bains chauds qu’on trouve dans le nord de la Jamaïque, on se contente de les envoyer dans quelque endroit plus froid que leur pays ; & ce seul changement d’air opère toujours très favorablement. Une autre qualité essentielle de l’air, c’est qu’il ne soit point chargé de particules nuisibles ; qu’il n’ait point perdu, par son séjour dans des lieux habités, cette espece de qualité vivifiante qui en fait toute l’efficace, & qu’on pourroit appeller l’esprit vital, aussi nécessaire aux plantes qu’aux animaux : & tel est l’air qu’on respire dans une campagne bien aërée & jonchée d’herbes, d’arbres & d’arbrisseaux. Que le malade, dit Arétée[1], demeure auprès des prés, des fontaines & des ruisseaux ; les exhalaisons qui en émanent, & la gaieté que ces objets inspirent, fortifient l’ame, animent les forces, & rétablissent la vie. L’air de la ville, sans cesse inspiré & expiré, continuellement rempli d’une foule de vapeurs ou d’exhalaisons infectes, réunit les deux inconvénients d’avoir moins de cet esprit vital, & d’être chargé de particules nuisibles. Celui de la campagne possede les deux qualités opposées ; c’est un air vierge, & un air imprégné de tout ce qu’il y a de plus volatil, de plus agréable, de plus cordial dans les plantes, & de la vapeur de la terre qui, elle-même, est très-salubre. Mais il seroit inutile de se choisir une demeure dans un bon air, si on ne le respiroit pas ; l’air des chambres, si on ne le renouvelle pas continuellement, est à peu près le même dans toutes : ce n’est presque pas en changer que de passer d’une chambre fermée en ville dans une chambre fermée à la campagne. L’on ne jouit de toute la salubrité d’une atmosphere saine qu’en pleins champs. Si les infirmités ou la foiblesse ne permettent pas de s’y transporter, l’on doit renouveller plusieurs fois par jour l’air de la chambre, non pas en ouvrant simplement une porte ou une fenêtre, ce qui le renouvelle peu, mais en faisant passer dans la chambre un torrent d’air frais, en ouvrant tout à la fois dans deux ou trois endroits opposés. Il n’y a aucune maladie qui n’exige cette précaution ; mais alors il convient de soustraire le malade à une trop grande impression, ce qui est toujours très-aisé.

Il est aussi extrêmement important de respirer l’air du matin : ceux qui s’en privent pour rester dans une atmosphere étouffée entre quatre rideaux renoncent volontairement au plus agréable & peut-être au plus fortifiant de tous les remedes. La fraîcheur de la nuit lui a rendu tout son principe vivifiant ; & la rosée qui s’évapore peu-à peu, après s’être chargée de tout le baume des fleurs sur lesquelles elle a séjourné, le rend véritablement médicamenteux. L’on nage au milieu d’une essence de plantes qu’on inspire continuellement, & dont rien ne peut suppléer le bon effet. Le bien-être, la fraîcheur, la force, l’appétit qu’on sent pendant le reste du jour, en est une preuve à la portée de tout le monde, plus forte que tout ce que je pourrois ajouter. J’en ai vu encore très-récemment les effets les plus sensibles sur quelques personnes valétudinaires, sur celles sur tout qui étoient hypocondriaques ; elles éprouvoient, de la manière la plus marquée, que si elles humoient l’air au lever du soleil, elles se sentoient beaucoup plus gaies le reste du jour ; & ceux qui le passoient avec elles n’auroient pas pu se tromper à cette marque sur l’heure de leur lever. L’on sent combien cet effet est important pour les malades de la consomption dorsale, qui sont si souvent hypocondriaques. Le retour de la gaieté démontre seul d’une façon invincible un amendement général dans la santé.

  1. De curat. acutor, l. 2, c. 3, p. 102.