L’Ombre des jours/La Détresse

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 157-158).


LA DÉTRESSE


Et puis surtout, d’abord, le silence et l’oubli ;
Plus rien, ah ! plus d’effort, de voix et de visage !
Laissez, on est mieux seul dans le soir amolli
Pour ces tournants de vie et ces mauvais passages…

— Ne rien entendre, ne rien voir, ne rien vouloir,
Demeurer en soi-même invisible et farouche,
Sentir le cœur se fendre et les larmes pleuvoir,
Ne plus laisser que l’on vous parle ou qu’on vous touche.


Ne plus aimer surtout, ah ! c’est surtout cela !
Combien s’en sont allés mettant leur vie en cendres
Pour avoir vraiment bien su cette peine-là
D’être trop vrais, d’être trop sûrs, d’être trop tendres…

— Les yeux, les yeux, ne plus se souvenir des yeux,
Des yeux qu’on a aimés, mauvais comme des pierres ! …
Ces yeux profonds avec des flèches au milieu
Ah ! qu’ils ferment en nous leurs cils et leurs paupières.

— Amour, allez-vous-en pour qu’on puisse mourir,
Puisque aussi bien c’est vous qui nous forcez à vivre,
Allez-vous-en, prenez vos cris et vos désirs…
— La mort ! comme elle éteint la plaie avec son givre !