L’Ombre des jours/L’étreinte

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 91-93).


L’ÉTREINTE


MÉLISSA

Ô Rhodon, nos deux cœurs en nous sont épanchés,
Comme si nous avions goûté leur eau vivace
Ainsi que nous mordions les fruits des branches basses,
Appuyés à l’arbre pêcher.

RHODON

Tous tes jeux jusqu’ici, les rires et les danses,
Et les brusques chagrins, l’espoir et ses détours,
Appelaient ma venue et préparaient l’amour,
Mais les embrassements ont bien d’autres stridences.


MÉLISSA

Sur le chemin par où mes yeux t’ont vu venir,
Un jour je te suivrai, les paupières baissées,
Afin de retenir dans l’ombre des pensées
Toute la force du plaisir.

RHODON

La suivante saison ne sera plus si belle,
Viens, laisse ta maison, tes sœurs, tes jeux épars.
Vois, il n’y a que toi, que moi, que nos regards
Qui comme des ramiers dans la forêt s’appellent.

MÉLISSA

Je tremble, tout s’efface, il n’y a plus que nous ;
Le ciel est chancelant, l’espace se resserre,

RHODON

Il n’y a plus que toi et que moi sur la terre
Et l’étroit hiver rapproche nos genoux.


MÉLISSA

Autour de mon corps las que ton image habite
J’ai porté tout le jour ton ardent souvenir
Roulé comme un ruban d’angoisse et de désir
Qui m’enserre et me précipite…

RHODON

Ah ! quel effroi divin en mon audace hésite !

MÉLISSA

Mon cœur est comme un bois où les dieux vont venir ! …