L’Ombre des jours/Emportement

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 173-174).


EMPORTEMENT


De la musique ardente et farouche d’abord,
Le son des voix, le son du fer, le son du cor.
Et puis quand nous serons en pleine chevauchée,
Les désirs turbulents et forts, l’âme hachée
Des striures d’argent et de pourpre des sons,
Voir la vie et la mort mêler leurs deux frissons
Et trébucher ensemble au gouffre de l’espace…
— La musique parfois passe comme une chasse
Au travers du cœur sombre où tremble son galop,
Alors tous les efforts serrés comme des flots,

S’élancent, éperdus, au beau lieu de la guerre.
C’est fini, les tourments, les craintes de naguère
Les besoins coutumiers, les soucis diligents,
Que de cris, que d’espoir, que de voix, que de gens !
Un immense soleil dore cette bagarre.
Ô beauté des regards que le désir égare,
Folie âpre et roulante où sombre la raison,
Avoir les bras aussi larges que l’horizon,
Et tandis que le cœur flambe comme une forge,
Périr du cri profond et rauque de sa gorge
Au son tumultueux tremblant et violent
Du cor épouvanté qui fit mourir Roland…