L’Occasion du mariage

La Française, (extrait)année 8, numéro 293, 8 novembre 1913 (p. 2-7).

L’Occasion du mariage.



Les jeunes filles instruites, nous disait-on récemment, sont de la graine de célibataires. Les maris les fuient, à moins que ce ne soient elles qui dédaignent les maris.

Or, vous pourrez voir plus loin notre statistique des vieilles domestiques décorées. Les huit dixièmes ou presque sont des « mademoiselle ». Elles ont de trente à soixante-dix ans de service. Au temps de leur jeunesse l’instruction ne courait point encore les rues à l’usage des futures servantes. Il y a donc toute apparence que ce qui les a écartées du mariage, n’est pas un excès d’intellectualité. Je ne crois point, pour ma part, à une diminution de la proportion des mariages. Si l’on pouvait compter, on trouverait sûrement qu’elle est maintenant plus élevée qu’aux jours où les familles mettaient d’autorité les filles au couvent et les cadets dans les ordres, afin d’assurer la situation des aînés.

Et, des causes qui jadis entretenaient l’espèce des célibataires, l’une que nous pourrions appeler la raison d’état de la famille ayant disparu, l’autre, la vocation religieuse, s’affaiblissant, une troisième seule, non moins ancienne dans notre civilisation latine, demeure.

Je m’avance jusqu’à prétendre que le célibat chez les jeunes filles, et aussi chez les jeunes gens, n’est jamais ou presque jamais un parti pris. De part et d’autre, lorsqu’on ne se marie point c’est que l’occasion déterminante a manqué.

Or, il paraît évident que, si l’on n’y prend garde, cette occasion manquera de plus en plus.

Les sociétés modernes, on le sait, sont admirablement arrangées pour que, selon la prévision du poète « les deux sexes meurent chacun de son côté ». La séparation éducative matérielle et morale entre filles et garçons, se prolonge fatalement dans la jeunesse des uns et des autres. Et l’on sait comment se produisaient, se produisent encore, la plupart des rapprochements décisifs, par l’entremise des parents et des amis, le jeune homme retardant le plus possible la fatale échéance, mais y arrivant tout de même, la jeune fille empressée à dire oui les yeux fermés.

On sait encore quelle somme de mauvais ménages ce système a donné par tous les pays. Aussi, les esprits s’étant éclairés, le système se trouve-t-il désormais compromis. À mesure qu’ils deviendront plus conscients, les jeunes gens et les jeunes filles exigeront, les uns des autres, les garanties qui préparent les unions harmonieuses ; ils se refuseront à reconnaître, dans cette mise une présence préméditée, la rencontre d’où naîtra l’amour de toute une vie. Ils voudront trouver leur compagnon eux-mêmes. On ne peut dire qu’ils auront tort. Mais si l’état actuel des mœurs se prolonge, ils auront souvent tant de peine, que l’institution du mariage se trouvera en grand danger.

Un de nos confrères contait récemment, qu’ayant fait allusion dans un article à quelque correspondant qui souhaitait se marier et ne trouvait pas de femme à son gré, des centaines de lettres lui étaient venues de jeunes gens et de jeunes filles se trouvant dans le même cas. Ceux-là sont déjà de la catégorie des difficiles, à moins qu’ils n’appartiennent à la catégorie des disgraciés trop laids, trop pauvres, ou trop fiers pour que les bonnes âmes de leur entourage aient songé à les apparier.

Ces centaines deviendront des mille aussi bien parmi les riches que parmi les pauvres, si l’on ne s’empresse de renouveler la machine sociale pour l’usage de la jeunesse nouvelle. Les riches toujours, cependant, seront moins à plaindre, puisqu’ils ont le loisir de se fréquenter entre eux assez largement pour que leurs enfants se puissent connaître, et choisir.

Les paysans et le peuple, comme aujourd’hui d’ailleurs, ont eux aussi un train de vie assez en commun pour que l’hymen y trouve son compte. Mais il est d’autres jeunes gens moins heureux.

Je viens de lire ces réflexions précisément dans une lettre infiniment touchante d’une mère de famille, lectrice de La Française.

Elle a des fils et des filles qu’elle ne dote point, mais qui sont pourvus de professions distinguées où ils gagnent bien leur vie. Elle s’inquiète de leur avenir. Les propositions de mariage ne leur ont pas manqué. Mais les jeunes filles offertes aux fils étaient inquiétantes. « Elles parlent, dit la mère, des flirts de leurs amies du lycée, de leur désir d’être mariées pour s’émanciper. Elles veulent un mari d’une taille et d’un physique déterminés. D’amour pur, vrai, simple, elles en sont incapables. Elles ont beaucoup de dehors et pas de dedans. »

Quant aux jeunes gens dont les parents ont demandé ses filles, et dont certains avaient une situation de fortune inespérée, ils offraient moins encore de sûretés morales.

« Et pourtant, ajoute-t-elle, je serais heureuse de bien établir mes enfants, que j’ai si bien élevés, qui seraient de bons époux et de dignes mères de famille dont la France a besoin.

« La classe riche de la société a les réunions mondaines pour y faire rencontrer sa jeunesse ; la classe ouvrière l’atelier, la rue, les bals publics ; mais la classe intermédiaire n’a rien. Elle est pourtant la plus intéressante et la plus forte parce qu’elle est la plus sage ; les abus et les misères mènent les riches et les pauvres à la dégénérescence. Pour qu’un mariage soit parfait, il faut aux époux la même éducation et c’est le difficile à trouver dans notre condition. »

Et l’excellente mère songe avec mélancolie à une idée d’Eugène Suë, qui eut beaucoup d’idées, et qui, dans un de ses romans, L’Orgueil, a imaginé une dame « ouvrant son salon à la classe laborieuse, honnête et choisie à laquelle personne ne pense et pour laquelle personne ne fait rien. »

Hélas ! le rôle du marieur est si discrédité que ni une dame, ni une œuvre n’oserait, je crois bien, l’assumer catégoriquement.

Faut-il donc se résigner à voir de plus en plus le meilleur de notre jeunesse condamné au célibat, faute de rencontres suffisantes pour que, entre toutes, se trouve le compagnon prédestiné. C’est là un souci digne de s’imposer aux réformateurs.

Si on ne veut point — et ce n’est pas la peine de le vouloir, on ne le pourrait — revenir aux mœurs orientales, où pour assurer avec plus de certitude l’institution du mariage on prend la précaution de marier des êtres d’autant plus hors d’état de se discuter l’un l’autre qu’ils ne se sont jamais vus ; si l’on ne veut pas — on ne le pourrait davantage — s’en tenir à la mode de produire, — quel vilain mot ! — de produire, l’âge venu, les jeunes filles afin qu’on les demande sur leur mine et leur dot, il faut énergiquement s’atteler à rapprocher garçons et filles dès l’enfance, selon les conditions naturelles de la vie qui veut que pour bien vivre en commun on soit élevé de même.

La méthode impie de la séparation éducative n’a porté jusqu’ici que trop de fruits. Ne nous disait-on point dernièrement que, un patronage fondé dans un quartier populaire à l’intention des deux sexes, ne compte aucun garçon, ceux-ci ayant formellement refusé de s’y réunir avec ces êtres méprisables que sont les petites filles. Il faut voir là le plus inquiétant des signes ; et pourtant l’opinion est loin d’être convertie à l’idée des institutions mixtes.

Dernièrement quelqu’un, dans une réunion où se discutait un projet de société éducative post-scolaire s’avisa de souhaiter que la nouvelle œuvre admît des filles et des garçons. Un murmure de terreur courut. Mais un assistant se leva bravement et conta qu’une initiative semblable avait été prise déjà et qu’entre autres résultats excellents elle avait produit d’excellents mariages. Personne n’ignore que, depuis que la Faculté de médecine admet des étudiantes, maint heureux ménage s’y est formé. Et partout où se réuniront ainsi, pour le travail commun, jeunes gens et jeunes filles, naîtront les prémisses d’unions autrement belles et sûres que celles dont l’étincelle a jailli dans un tango entre inconnus de la veille.

Plus une société est barbare, plus le mariage y ressemble à une violence ; plus elle s’affine et plus il devient une communion.

Jane Misme.