L’Obstacle (Germain Nouveau)

Pour les autres utilisations de ce mot ou de ce titre, voir L’Obstacle.

L’Obstacle (Germain Nouveau)
Le Feu follet (p. 597).
L’OBSTACLE




Je suis un célibataire endurci et impénitent. Pourtant, comme tout le monde, j’ai eu un roman dans ma vie. Je garde au fond du cœur, religieusement, une image chère, dont le culte a survécu et survivra jusqu’à ma dernière heure.

Je l’avais rencontrée un soir, dans une fête, grande, blonde, avec des airs de reine et des yeux bleus de sphinx ; une taille souple de déesse et des dents à rendre jalouses toutes les perles de l’Orient.

Des lors je l’adorai et, dans l’enivrement de mon rêve fou, j’osai espérer.

Un soir, dans le tourbillon alanguissant d’une valse, mon bras frémissant enlaçant sa taille divine, il m’avait semblé voir dans ses grands yeux charmeurs et décevants un sourire qui était presque une promesse. J’osai rêver de décrocher l’étoile ! Hélas ! le rêve fut court et le réveil affreux. Au moment où, la valse terminée, je m’inclinais devant elle, mes yeux éblouis s’abaissèrent et je vis entre nous — comme un reflet de sa chevelure — un monceau d’or qui s’élevait, formant peu à peu une infranchissable barrière.

Je reculai atterré, hagard et, toujours entre nous, je voyais l’horrible obstacle montant, montant encore jusqu’à la dérober à mes regards.

Alors, pour la première fois de ma vie, je compris l’infrangible puissance du métal vil, et, courbé devant sa fatale influence, je m’enfuis, emportant au cœur l’inguérissable blessure.

Je n’en suis pas mort pourtant, mais je suis resté vieux garçon.

HUMILIS.