P.-V. Stock (p. 301-324).

XI

Quelques mois s’étaient écoulés ; ainsi que l’on devait le prévoir, la chambre avait trouvé dans le sénat son sosie d’opprobres. Un sous-Trouillot, du nom de Vallé, avait rempli avec quelques terrines de son eau de vaisselle l’auge de la rue de Tournon et les vieux glandivores s’étaient ventrouillés dans le purin de cette éloquence et avaient voté, haut la patte, la loi ; les congrégations étaient bel et bien étranglées ; le but si patiemment poursuivi depuis tant d’années était atteint.

Le Pape avait parlé, réprouvant les dispositions de la nouvelle loi, mais laissant, chacun, libre, sous certaines réserves, d’être traîné, s’il le jugeait opportun, sur la claie des cultes. Tout accord étant impossible entre des communautés rivales et d’esprit différent, il n’y avait même pas à songer à une résistance en masse qui eût évidemment été la seule attitude digne, la seule attitude propre ; la détermination, prise par Rome, était donc, en de telles circonstances, sage.

Les quelques moines, agités d’idées belliqueuses, étaient bien obligés d’en convenir. En ce cloître du Val des Saints jadis si paisible, les soucis, jusqu’alors écartés de l’avenir, naissaient ; tous les pères envahissaient le scriptorium où étaient les revues et les journaux catholiques que recevait le monastère ; ils les lisaient silencieusement et, pendant la récréation, les commentaient, en les agrémentant parfois des plus cocasses gloses.

Tout ce petit monde qui n’était au courant de rien et qui s’était moqué, Dieu sait combien, jusqu’alors de la politique, se demandait quel mal il avait bien pu commettre pour qu’on le pourchassât de la sorte.

Et ce trouble se répercutait dans le noviciat.

Ce que vous avez fait, mais, aux yeux de vos proscripteurs, vous avez commis le plus impardonnable des crimes, celui de n’en pas commettre contre Dieu, dit Durtal, au petit frère Gèdre, qui le consultait, ahuri par ce bourdonnement de ruche qu’on enfume.

Tous erraient dans les corridors, aux écoutes. Le révérendissime était à Solesmes et l’on attendait avec impatience qu’il écrivît au père prieur pour savoir quand et comment s’effectuerait le départ.

Il n’y a pas de nouvelles, dit M. Lampre à Durtal qui sortait avec lui de la grand’messe, mais la résolution du chapitre des abbés est si parfaitement connue d’avance qu’une lettre de Dom Bernard ne nous apprendrait rien que nous ne sachions ; c’est l’exil à bref délai ; le lieu choisi du bannissement demeure seul ignoré et pour longtemps encore, je pense.

Et Durtal s’apprêtant à le quitter sur le seuil de l’église : — Voyons, reprit-il, puisque vous déjeunez aujourd’hui à la maison, au lieu de vous rendre chez moi à l’heure imperturbable du repas, arrivez dès maintenant ; nous feuilletterons, en guise d’apéritif, mes enluminures.

— Ah ça, je veux bien, dit Durtal.

L’habitation de M. Lampre, située à deux pas de l’église et du couvent, était une de ces grandes bâtisses indifférentes, telles qu’il en prospère dans tous les bourgs. Elle sentait la province, l’odeur mélangée de la colle à poisson et de la pomme, mais elle était, à l’intérieur, assez bien distribuée et munie de vieux meubles confortables. M. Lampre la tenait de famille, ainsi que ces ruines du cloître qu’il avait données avec de vastes arpents de terre aux moines.

Il s’était simplement réservé un spacieux jardin qu’il avait séparé par un mur de celui de l’abbaye, pour que chacun fût chez soi ; et ce jardin, planté d’arbres séculaires, était traversé par des allées bordées de fleurs ; l’une arborait des massifs de roses de toutes formes, de toutes teintes, parmi lesquelles figurait la variété, assez laide du reste, de la rose verte. Sa collection de roses, entretenue à grands frais, était, en Bourgogne, cotée.

Pourtant, disait-il, un jour, à Durtal, je n’ai nullement la marotte de l’horticulture ; je me force par devoir à m’en enticher et ne dépense de l’argent que pour m’y intéresser.

Et comme Durtal qui admirait le feu d’artifice de certaines touffes jaillies du sol, le regardait sans comprendre.

— C’est bien simple, reprenait-il, je suis si paresseux, si peu marcheur, que je ne bougerais pas de chez moi, que je ne descendrais pas me promener dans le jardin, si je n’étais mu par le sentiment, très médiocre d’ailleurs, de m’assurer que je ne perds pas, en voyant des arbustes qui poussent, l’argent que leur achat et que leur entretien me coûtent. Je considère une plate-bande, je scrute une corbeille et, sans y prêter attention, je trottine ; l’horticulture me dégourdit plus les jambes qu’elle ne m’égaie les yeux ; c’est un point de vue un peu spécial mais il a, puisqu’il m’est utile, sa raison d’être.

Que diable a-t-il bien pu faire dans la vie ? Se demandait parfois Durtal. Ce que l’on savait de précis sur son compte se réduisait à presque rien. M. Lampre avait été, dans sa jeunesse, élève à l’école des chartes et avait longtemps habité Paris. Il était resté célibataire et ne possédait plus pour toute famille que la fille de sa sœur mariée à un M. De Garambois, préfet sous l’empire. Sa sœur et son mari étaient morts et sa nièce, il ne l’avait guère fréquentée, car elle avait toujours vécu chez des religieuses ou près des cloîtres de Solesmes. Leurs relations jadis si espacées ne s’étaient réellement resserrées que depuis qu’elle s’était fixée au Val des Saints ; et ils s’aimaient, en se disputant, sans trop se voir.

À en croire les potins du monastère, M. Lampre, dont la fortune avait été considérable avant qu’il ne l’eût écornée par de nombreuses frasques, avait mené pendant sa jeunesse, à Paris, une existence de petit coq en émoi ; puis, il s’était converti et il avait désormais vécu, dans sa maison du Val des Saints, bienfaisant et rageur, très retiré.

Lui et Durtal s’entendaient bien ; des goûts communs les rapprochaient ; M. Lampre était peu au courant de la littérature contemporaine et tout à fait arriéré pour ce qui concernait l’art de notre temps. Il était, en sa qualité de collectionneur, confiné en un nombre de matières fort restreint. Il s’arrêtait, en peinture, avant même les tableaux des primitifs, aux enluminures et, en histoire monastique, il n’appréciait que les monographies et les cartulaires.

Il en détenait des collections très complètes ; il possédait surtout d’admirables livres d’heures du quatorzième et du quinzième siècles que lui enviait l’abbaye à laquelle il avait promis d’ailleurs de les léguer. Il avait naguère dépensé d’imposantes sommes à ces achats ; mais des époques moins débonnaires étaient venues ; il avait dû aider à l’installation, pourvoir même, pendant les premières années, à la subsistance de ces moines qu’il avait demandés à Solesmes et il était à la fois furieux contre eux qui l’empêchaient de continuer des dépenses somptuaires et satisfait de les secourir.

Les jours de mauvaise humeur, il grommelait son habituelle plainte : qu’est-ce que je leur réclame, en échange des belles occasions que j’ai, à cause d’eux, ratées ? De devenir des saints et j’y suis de ma poche, car ces mâtins-là me leurrent ; et, soulagé par quelques grains de débinage, il était de nouveau prêt à leur rendre service.

En sus de sa passion pour les cartulaires et les miniatures, il était encore, en sa qualité de Bourguignon, féru d’un autre amour, celui d’une bonne cave et, mélancoliquement, à table, il se remémorait les années où il n’avait pu acquérir une petite provision de Beaune-Hospice, parce que ces sacrés Bénédictins l’avaient mis à sec.

Ces regrets enchantaient sa nièce à laquelle il reprochait sa gourmandise.

— Voilà, disait-elle, il faut être indulgent les uns pour les autres, car chacun a sa petite manie et son gros péché ; moi, ce sont les friandises ; mon oncle, ce sont les vieux crus de la Bourgogne.

Mais il n’admettait pas cette assimilation ; l’amour des grands vins, disait-il, est un amour presque noble, car il y a une certaine beauté, un certain art dans la saveur, dans la couleur, dans le bouquet d’un Corton ou d’un Chambertin, tandis que la convoitise des chatteries et des gâteaux relève d’un sentiment bourgeois et décèle des instincts grossiers, des appétences viles ; et il la rabrouait, tandis qu’amusée de l’entendre grogner, elle se tordait.

En attendant qu’elle arrivât, — car ce matin-là elle devait déjeuner aussi, chez lui, — M. Lampre introduisit Durtal dans la pièce où s’alignaient sur des rayons de chêne les histoires monastiques et les cartulaires.

La pièce était vaste, tapissée d’un papier fleuri de coquelicots sur champ gris, meublée de bergères en velours d’utrecht citron, de tables d’acajou, d’un secrétaire empire avec serrure à trèfle.

Durtal explorait les bibliothèques, mais quelques-uns seulement de ces gros bouquins l’intéressaient car, de même que dans toutes les collections, il y avait, pour faire nombre et compléter les recueils, un tas de volumes illisibles que, pas plus que lui, M. Lampre n’ouvrait.

Ce qui captivait davantage Durtal, c’étaient les livres d’heures : ceux-là étaient rangés dans le secrétaire et enfermés dans des écrins. M. Lampre ne désirait généralement pas les montrer ; il les gardait jalousement pour lui. Il les avait pourtant exhibés déjà, plusieurs fois, à Durtal, mais il fallait que ce fût, lui-même, qui proposât de les regarder, sinon il demeurait sourd à toute invite.

Il avait offert, ce matin-là, de les examiner ; cela allait donc tout seul et il en sortit de leurs gaines quelques-uns.

C’était toujours un régal que l’apparition de ces fraîches merveilles ; je n’en ai pas beaucoup disait-il, mais je crois n’avoir râflé dans les ventes que des pièces de choix et il soupirait, avouant le prix de trente mille francs payé pour l’un de ces livres, magnifique du reste « Horae beatae Mariae Virginis », un petit in-quarto avec reliure du seizième siècle, à larges dentelles, un manuscrit de l’école flamande francisée de la fin du quatorzième siècle, en lettres gothiques, sur vélin, paré de cadres de branchages et de rinceaux, à chaque page ; et ce volume de près de 300 feuilles contenait une cinquantaine de miniatures à fonds d’or plat ou diapré, étonnantes, des vierges de nativité, à peine pubères, mélancoliques et mutines, des saint Jean, jeunes et imberbes, écrivant près d’un aigle, dans des intérieurs charmants, éclairés de croisées à résilles de plomb ouvertes sur de verts paysages à allées très pâles, menant à de petits donjons ; et de grandes scènes, telles que l’annonciation aux bergers, la visitation, le Calvaire étaient traitées avec une bonhomie de réalisme et un sentiment de piété naïve, vraiment touchants.

— Voici, dit M. Lampre, un diurnal de moindre prix, mais bien curieux ; remarquez la façon dont l’artiste a peint la sainte trinité ; elle diffère absolument du modèle connu, adopté par la plupart des enlumineurs du Moyen-Age : le saint esprit, planant sous la forme d’une colombe au-dessus du père et du fils. Ici, le père, couronné ainsi qu’un pape du trirègne, et assis sur le rebord d’une gloire, pareille à une amande d’or, les pieds appuyés sur l’escabeau du monde, tient en son giron Jésus qui tient, lui-même, de la même manière le Paraclet, figuré par la souriante personne d’un gamin blond. Est-ce étrange !

— Et ce qui est non moins étrange aussi, c’est la conservation de ce manuscrit ; les teintes sont en fleur, comme lorsqu’elles naquirent, s’écria Durtal, stupéfié, en effet, par ce coloris clair et jeune, par ces rouges restés intacts, par ces ors inaltérés, par ces ciels bleuâtres demeurés limpides.

— Ah ! ils n’acquéraient point leurs produits chez des marchands et l’aniline n’était pas encore inventée, répondit M. Lampre. Ces gens broyaient, eux-mêmes, leurs couleurs qu’ils extrayaient de certains minéraux, de certaines terres, de certaines plantes.

Nous n’ignorons pas leurs recettes ; ce blanc un peu pâteux que vous voyez là, est du blanc d’os, celui-ci plus léger est de la céruse : ce noir provient du charbon pulvérisé d’un sarment de vigne ; ce bleu est du lapis ; ces jaunes sont de l’herbe à foulon et du safran ; ce rouge vif du minium et ce brun rouge qui correspond à notre ocre est de la terre maigre, de la macra de Naples ; ce vert est tiré de la fleur de l’iris ou de la baie du nerprun ; ce bleu, tournant au violet, n’est pas, ainsi que vous le pourriez croire, obtenu par un mélange de bleu et de rose, il est issu du tournesol et il entrait dans sa composition des éléments assez hétéroclites, tels que de l’urine d’homme ayant bu du vin.

Ils se repassaient des ordonnances singulières mais efficaces, puisque aucune de leurs nuances n’a bougé. Le blanc d’œuf qui était l’ingrédient le plus usité pour la détrempe, ils en détruisaient la viscosité avec de l’eau de lessive vieille de quinze jours et l’écume avec un peu de cerumen, de cire d’oreille. Pour fixer leur or, découpé dans des feuilles, ils commençaient par frictionner le parchemin avec de la colle à bouche, en ayant soin de ne l’employer que lorsqu’ils avaient terminé leur digestion ou étaient à jeun ; puis, ils usaient d’enduits adhérents dans la confection desquels figuraient de la gomme adragante, du bol d’Arménie et du miel ; d’après un récipé découvert dans les comptes de Dijon, à propos du peintre Malouel, ils se servaient aussi d’une gélatine extraite des nageoires de la morue.

Mais Durtal ne l’écoutait plus ; il considérait les éclatantes floraisons de ces vélins. Ah ! fit-il en refermant le livre, la délicieuse et la frêle et la fine petite fille, aux yeux d’azur et aux cheveux d’or, que cette enluminure qui enfanta, en une longue gésine, une fille si énorme, la peinture, qu’elle mourut, en lui donnant le jour !

— Oui, mais elle ne trépassa point sans avoir atteint l’apogée suprême de son art, avec Fouquet, Jacquemart de Hesdin, André Beauneveu, Simon Marmion, les frères de Limbourg et, dans ses dernières années, avec cet étonnant Bourdichon, qui peignit les Heures d’Anne de Bretagne.

Ceux-là qui travaillèrent pour les princes et les rois, nous les connaissons, car l’on a retrouvé leurs noms et l’état civil de leurs ouvrages dans les layettes des archives et les registres des trésoreries, mais combien restent inconnus ! Et, dans les clôtures où la miniature naquit et où les moines ne mentionnèrent pas toujours par écrit les noms de leurs praticiens, combien de chefs-d’œuvre anonymes ou perdus, combien attribués à des laïques qui furent leurs imitateurs ou leurs disciples !

Certainement, reprit M. Lampre, après un silence, en ouvrant les heures de la vierge, ce manuscrit est une merveille, mais, à vous parler franc, mon rêve, à moi, eut été de posséder des peintures moins parfaites peut-être, mais antérieures à celles-ci et d’origine monastique plus sûre, cette bible, par exemple, dont il est question dans la chronique de Cluny et qui avait été copiée et enluminée par Albert de Trèves et parée par les ornemanistes du cloître d’une reliure sertie d’or et œillée de béryls et de rubis ou bien encore un volume de ce religieux nommé Durand qui illustrait si magnifiquement les livres liturgiques de l’abbaye que l’abbé voulut, en signe de reconnaissance et d’admiration, que la communauté doublât pour lui, après sa mort, l’office que l’on chantait pour chacun des frères défunts.

J’aurais vendu maison, champs, tout le bazar, pour les acquérir. Qu’étaient ces moines dont les travaux ravirent leurs contemporains ? Je l’ignore : les histoires de Cluny et les biographies de quelques-uns des abbés sont parfois disertes, mais elles nous renseignent mal sur la vie de ces miniateurs qu’elles signalent, pêle-mêle, avec les architectes, les joailliers, les relieurs, les tailleurs d’images, les verriers, avec tous les ouvriers d’art, issus de toutes les régions, qui remplissaient le monastère, car ce fut une véritable école d’art mystique, sous toutes ses formes, que Cluny !

— Sans compter, fit Durtal, les écrivains, tels que saint Mayeul, saint Odilon, saint Hugues, Pierre le Vénérable, d’autres qui ne furent point canonisés et qui nous laissèrent d’instructives monographies, Syrus, celle de saint Mayeul, Jotsand, celle de saint Odilon, enfin le célèbre Raoul Glaubert, dont l’histoire universelle est, tant de fois, depuis le Moyen-Age, citée.

Mais la gloire de l’abbaye, ce furent surtout ses architectes qui l’assurèrent. Je me rappelle avoir visité ces restes devenus une école professionnelle et un haras ; les ruines de la basilique suggèrent l’idée contradictoire de la sveltesse et de l’énormité ; cette église gigantesque avec sa forêt de clochers, son vestibule grand à lui seul comme Notre-Dame de Dijon et précédant la réelle église, immense, avec ses cinq nefs, ses futaies de piliers aux chapiteaux sculptés de feuillages, d’oiseaux, de bêtes chimériques, ses trois cents fenêtres dont les personnages brûlaient en des torches de couleur, ses deux cent vingt-cinq stalles de religieux, dans le chœur, suscitait l’impression d’un monument colossal, décelait le type d’un style roman qui ne subsiste que là et dont les proportions formidables n’ont pas été dépassées par le gothique.

Il n’y a pas à barguigner, c’étaient de fiers lapins, les deux moines qui érigèrent cette basilique géante, Gauzon qui en traça les plans et Hazelon qui les exécuta !

— Et il n’y eut point que ces deux-là, dit M. Lampre, des architectes dont les noms sont oubliés et qui étaient, eux aussi, des clunistes, ont rayonné de toutes parts et créé ces sanctuaires superbes de Paray-le-monial, de Saint-étienne de Nevers, de Vézelay, de la Charité-sur-loire, de Montierneuf, de Poitiers, de Souvigny, de combien d’autres encore !

Les Abbés n’avaient imposé aucune formule, aucun gabarit d’esthétique à leurs ateliers ; ils respectèrent le tempérament de chacun et cette déférence explique l’extrême variété de ces constructions et convainc d’erreur Viollet-le-duc qui voulait qu’il y eut un style Clunisien — et il n’en a pas existé de proprement dit ; — il y a eu un style roman et des architectes clunisiens l’utilisant, mais, tous, d’une façon différente, travaillant pour la gloire de Dieu, selon leurs conceptions personnelles, selon leurs forces !

— Ah ! ce Cluny ! s’exclama Durtal, ce fut vraiment l’idéal du labeur divin, l’idéal rêvé ! ce fut lui qui réalisa le couvent d’art, la maison de luxe pour Dieu ; je ne cesserai de le répéter, c’est à cette source-là que la congrégation moderne de France doit remonter, si elle veut conserver sa raison d’être.

— Vous en causez à votre aise ; il faudrait découvrir des gens de talent et pieux, dans tous les génies, ou en créer et ce n’est pas commode, fit M. Lampre.

— Evidemment ; mais, imaginez, à Paris, un cloître et une église édifiés par Dom Mellet, l’architecte monastique de Solesmes et une colonie venue de cette abbaye, chantant, sous la direction de Dom Mocquereau, le plain-chant ; imaginez des cérémonies magnifiques, des ornements, des statues, tout à l’avenant. Le succès des Bénédictins eut été prodigieux ; le snobisme s’en serait même mêlé, ainsi que pour la troupe des cabots de Saint-Gervais, mais il aurait aidé à attirer les foules.

Et ils auraient certainement gerbé des vocations d’artistes fascinés par la splendeur de ce milieu et récolté tout l’argent qu’ils auraient voulu. Ajoutons qu’ils auraient singulièrement avancé l’heure du triomphe du chant grégorien, en l’implantant, en plein cœur de Paris et qu’ils auraient pu occuper dans l’art une telle place qu’aucun gouvernement n’aurait osé les toucher.

Afin d’obtenir un semblable résultat, il eût été nécessaire, pour parler la langue industrielle, de faire grand, d’exposer une maîtrise impeccable, de dérouler sous d’imposantes voûtes un habile cortège de fastueux liturges. Seul, Solesmes était de taille à réaliser un pareil concept ; mais par suite de circonstances désastreuses, indépendantes de sa volonté, l’abbé n’a pu établir un monastère à Paris. La malechance s’en est mêlée comme autrefois à Solesmes même, lorsque Dom Couturier voulut rénover l’enluminure.

— Tiens, vous savez cela ?

— Dame, Dom Felletin m’a raconté ce projet et nommé un oblat fort expert en cet art désuet…

— Anatole Foucher, oui, je l’ai jadis fréquenté…

— Et qui a façonné des élèves à sainte Cécile de Solesmes.

— Et aussi chez les Bénédictines de la rue monsieur, à Paris, car les miniatures se sont maintenant réfugiées dans les cloîtres féminins de l’ordre. J’ai vu, d’ailleurs, des vélins dessinés et coloriés par ces moniales de Paris et aussi par celles de Dourgne et qui révélaient, en sus d’une savoureuse adresse de métier, des surgies d’âmes vivant en Dieu, vraiment charmantes.

Il y a bien aussi les dames du monde qui historient le parchemin, mais je n’ai pas besoin de vous décrire leurs contre-sens liturgiques et la fadeur de leurs imageries dignes de figurer sur des boîtes de baptême ou dans les pieuses et bébêtes chromos d’un Bouasse.

— Celles-là, je les connais ; je les ai autrefois visitées à Paris, où la société de ces nobles gribouilleuses les exhibait en de précieux salons ; mais il y a encore pis, une nouvelle école, appliquant les procédés du moyen-age, à des sujets contemporains et profanes ; celle-là, composée de pénibles virtuoses, plaque sur des fonds, en relief, une boue d’or qui sert de monture à des turquoises d’occasion et à des bouts de perles. C’est le rastaquouérisme de l’enluminure ; je doute qu’elle puisse jamais être traitée avec un goût plus vil et un dessin plus bas.

— Je vous l’ai dit, avant de disparaître complètement, elle se survit en Foucher et en ses quelques disciples, perdus derrière les grilles des cloîtres. À noter encore — j’ai lu cette annonce quelque part — que les Bénédictines de Maredret, en Belgique, ont illustré un superbe manuscrit de la règle de saint Benoît offert à l’empereur d’Allemagne, par l’abbé de Maria Laach ; c’est tout ce que je sais.

— J’arrive en retard, s’écria Mlle de Garambois qui entra en coup de vent dans la pièce ; mais c’est la faute du père Felletin que j’avais fait demander à l’auditoire…

— Le déjeuner est prêt, fit M. Lampre, en voyant la bonne ouvrir la porte de la salle à manger ; allons, à table ; vous vous excuserez après.

— Je suis furieuse, dit-elle, lorsqu’ils furent assis ; je n’ai pu communier, ce matin, parce que, malgré sa promesse, Dom Felletin ne m’a pas confessée, hier au carmel de Dijon. Il vient de m’expliquer qu’il avait été requis au dernier moment et mis dans l’impossibilité de prendre le train… vous avouerez que, depuis la nomination de ce curé, Notre Situation devient absurde au Val des Saints !

— Je vous crois, repartit Durtal, quand je pense que le jour de la pentecôte, le jour de la fête du saint esprit, les pères n’ont pas officié à l’église parce que c’était un dimanche et que ledit curé n’avait pas jugé à propos de leur prêter son immeuble, c’est inouï ! Il a fallu se contenter d’une messe chantée dans ce malheureux petit oratoire où l’on étouffe et où aucune cérémonie n’est possible.

Lorsque je me rappelle pareille fête, l’année d’avant, avec l’office pontifical, la théorie des moines dont les coules noires et les aubes blanches tranchaient sur la pourpre et l’or des ornements, lorsque je me rappelle le « veni creator » enlevé par tous les moines et projeté jusqu’aux voûtes par la trombe des orgues et que je songe à la misère de ce que j’ai entendu et vu dans le brouhaha et l’asphyxie de ce pauvre refuge, j’enrage et voue à tous les cinq cents diables et l’épiscope et son curaton !

— Vous avez la messe et les vêpres de la paroisse, dit, en riant, M. Lampre.

— Ah ! s’écria Durtal, figurez-vous que, dimanche dernier, je me suis glissé, à l’heure du salut, dans l’église et que j’y ai assisté à l’un des spectacles les plus bouffes qui soit. Le baron des atours était debout devant un harmonium dont son grand cadet-lagingeole de fils lubréfiait de ses doigts humides les touches.

Et le baron, après s’être nonchalamment passé sur le stérile boulet de son occiput une main qu’allumaient des bagues, a retroussé la brosse à dents de sa moustache militaire et, les yeux au ciel, d’une voix acétique, a débité un étonnant couplet dont je n’ai retenu que la fin.

Jésus sera mon ambroisie

Et mon doux miel,

Je serai sa maison chérie,

Son petit ciel.

Voyez-vous le baron devenu le petit ciel du Christ ! Les paysannes ahuries ouvraient des bouches en valves d’huîtres et notre curé dodelinait du chef et souriait, déférent et heureux.

— Oui, certainement, répliqua M. Lampre, avec sa morgue et ses prétentions vocales, le baron des atours est bien ridicule, mais sorti de là, il faut dire, pour être juste, qu’il est un brave homme qui rend d’appréciables services aux sociétés philanthropiques de Dijon. Son fils est également beaucoup moins godiche qu’il n’en a l’air. C’est un honnête garçon, très travailleur, mais dame ! Il n’a jamais quitté sa province ! — Tenez, bien qu’il soit provincial aussi, celui-là, je vous le recommande, poursuivit-il, en débouchant avec des soins infinis une bouteille. Ce vin est du clos de la commaraine ; il est produit par des vignobles dépendant du finage de Pommard ; nos pères le qualifiaient de « loyal, de vermeil et de marchand ». Il est, dans tous les cas, bouqueté par l’âge et de bonne garde ; regardez, c’est de l’escarboucle liquide qui coule dans le verre.

— Et il me reprochera ma gourmandise ! s’exclama Mlle de Garambois.

— Ma nièce, les grands crus sont des œuvres monastiques comme l’architecture, comme l’enluminure, comme tout ce qui est bel et excellent, ici-bas. Le clos Vougeot et le Chambertin, l’honneur de notre Bourgogne, ont été cultivés, l’un par les moines de Cîteaux, l’autre par les moines de Cluny ; Cîteaux a possédé des vignobles dans les climats de Corton et de la Romanée ; les chartes de Volnay mentionnent, sur le territoire de cette commune, le clos saint Andoche, qui appartenait à l’abbaye Bénédictine de ce nom. Le monastère cistercien de Maizières et, plus tard, les Carmélites exploitèrent de nombreuses chevances à Savigny-les-beaune et vous savez que l’on appliquait alors au vin de Beaune les laudatives épithètes de vin « nourrissant, théologique et morbifuge » ; l’on ne peut le nier, les climats les plus renommés de notre province sont issus de l’art viticole des cénobites.

N’est-ce pas naturel, d’ailleurs ? Le vin est une substance sacramentelle. Il est exalté dans maintes pages de la bible et notre-seigneur n’a pas trouvé de plus auguste matière pour la transformer en son sang. Il est donc digne et juste, équitable et salutaire de l’aimer !

— Les médecins le prohibent maintenant, dit Mlle de Garambois.

— Les médecins sont des imbéciles, reprit M. Lampre ; outre que le vin réjouit le cœur de l’homme, ainsi que l’énoncent les saintes ecritures, il est d’un réconfort autrement puissant, autrement sûr, que les fers qui ne s’assimilent point et les autres drogues ; on l’interdit aujourd’hui aux gens qui se plaignent de maux d’estomac et nos pères l’employaient au contraire pour la cure de ces maux, témoin Erasme qui relate que l’on guérissait, de son temps, ce genre d’affections avec des doses réfractées de vieux Beaune ; la vérité est que notre-seigneur a justement choisi, pour nous les signaler et pour les anoblir, les deux substances qu’il jugeait les plus précieuses et qu’il destinait à assurer la santé du corps et de l’esprit : le pain et le vin ; aussi est-ce faire fi de ses enseignements, que de n’en pas user !

— Bien, mon oncle, mais il existe encore un autre point de vue que vous me paraissez négliger, le point de vue liturgique ; vous reconnaissez avec moi, n’est-ce pas, que l’idéal de Cluny, de célébrer les louanges de Dieu avec pompe, de lui dédier ce que nous avons de plus beau et de meilleur, est un idéal légitime et magnifique et, comme dirait notre frère Durtal, surélevé…

Elle se tut, attendant de son oncle un signe d’approbation.

Mais, sentant qu’elle préparait de loin une attaque, il resta impassible.

Elle reprit, considérant ce silence tel qu’une adhésion.

— Ne vous semble-t-il pas dès lors que le vin présenté au sauveur pour transsubstantier son précieux sang devrait être, lui aussi, à l’avenant des cérémonies liturgiques, du luxe et du confort dont on l’entoure, en notre ordre ; par conséquent les plus admirables crus des vins blancs devraient être distribués aux moines pour le service des messes et vous qui détenez d’exacts Montrachet et d’authentiques Pouilly vous feriez certainement une œuvre pie, en vous dépouillant en faveur de l’autel.

Vous me prêcheriez, par la même occasion, un exemple du mépris de la table et de la fine chère qui me serait sans doute profitable…

— Ah ! C’est à cela que vous en vouliez venir, à la gourmandise pour le bon Dieu, je vous reconnais, là ! — eh bien, je ne veux pas, sous le prétexte d’honorer le très-haut, inculquer à ses prêtres des distractions de gourmets pendant la messe ; péché pour péché, il vaut mieux, tout bien considéré, que ce soit moi qui le commette, car il est moins grave, moins offensant pour Dieu, devant un verre, à table, que devant un calice, à l’église. Je conserverai donc, ne vous en déplaise, dans l’intérêt même de la religion, mes Montrachet et mes Pouilly, et avec la piété et le bon sens qui vous caractérisent, ma nièce, vous me donnerez, en y réfléchissant, raison.

— Je n’ai pas de succès, fit en riant Mlle de Garambois ; à vrai dire, je m’y attendais un peu ; mais voyons, mon cher Durtal, pour en revenir à notre malheureuse situation au Val des Saints, comment s’arrange la brave Mme Bavoil pour accomplir ses devoirs religieux, car elle est logée à la même enseigne que moi !

— Dame, ne pouvant se rendre souvent à Dijon pour y joindre le P. Felletin, car il n’y aurait plus de ménage et de cuisine possibles, elle se contente du curé ; mais elle n’y va qu’à son corps défendant et gémit d’être confessée, dit-elle, par un petiot qui ne sait rien ; j’essaie de la consoler en lui démontrant la parfaite sapience de Dieu qui l’a privée de toute grâce sensible, pour qu’elle n’ait pas de discussions mystiques avec cet homme — ça ne prend pas !

— C’est peut-être un bien, car ces ennuis l’aideront à supporter plus aisément le départ d’ici, si vous filez à la suite des moines.

Durtal eut un geste vague.

— L’idée de déménager mes livres et de charroyer l’amas de mes bibelots et de mes meubles m’abêtit à un tel point, soupira-t-il, que j’aime mieux n’y pas songer.

— Mais, fit M. Lampre, tous les pères ne déserteront pas la commune.

— Pourquoi ?

— Ecoutez, il y a d’abord la vigne qui est la principale ressource de l’abbaye et il faudra toujours bien laisser le P. Paton et les convers qu’il emploie pour la soigner. Il faudra, peut-être aussi, un ou deux religieux pour garder les immeubles ; il en restera donc forcément, quelques-uns, ici.

— Et si le gouvernement s’empare des bâtiments et de la vigne ?

— Turlututu ! j’ai offert à l’abbaye l’ancien prieuré et les terres qui en dépendent, mais je n’ai point été assez bête pour ne pas adopter des dispositions qui garantissent contre toute spoliation légale, et les pères et moi ; autrement dit, je loue aux Bénédictins leur maison que j’ai fait rebâtir — les devis, les factures sont à mon nom et c’est moi qui ai réglé, en personne, les mémoires des entrepreneurs et de l’architecte. — Les Bénédictins, suivant des baux consentis et enregistrés en bonne et due forme, me paient, chaque trimestre, contre quittance, les arrérages d’un loyer de dix mille francs par an. Je leur rends l’argent après ou ne le reçois pas, poursuivit, en souriant, M. Lampre, mais les pièces sont là ; je suis seul propriétaire de l’immeuble et des terres ; et comme ces biens me viennent de famille et que l’on ne peut arguer que je les ai acquis spécialement pour y loger des moines, aucune chicane de personne interposée n’est possible.

De même pour la vigne ; elle a été achetée à mon nom, soldée par moi, chez notaire — les actes en témoignent — et je suis également censé de leur avoir louée pour la faire valoir ; mes droits sont, au point de vue juridique, incontestables.

— Oui, mais ils peuvent empêcher les Bénédictins d’être vos locataires.

— Tout est possible, avec des happe-lopins de cette espèce ; mais personne ne peut interdire au père Paton, une fois relevé de ses vœux, d’entrer dans le clergé séculier du diocèse de Dijon dont il est originaire, et de me louer, en qualité, non plus de moine, mais de simple particulier, ma vigne ; de même encore pour les convers qui quitteront, eux aussi, l’habit monastique, et seront engagés au titre de domestiques.

J’en ai déjà causé avec le révérendissime et c’est ainsi que, d’un commun accord, nous agirons.

Par conséquent, quoi qu’il arrive, quitte à soutenir des procès que je me charge de prolonger pendant des ans, le cloître ne sera pas complètement vide et il y aura peut-être moyen de monter des offices, d’organiser quelque chose.

— Le père Paton, qui est-ce ? Jamais on ne le rencontre. Il paraît aux heures canoniales puis s’en va par la porte de la sacristie ; personne n’a de rapport avec lui.

— Le père Paton est un ancien curé, très fort en viticulture, un cénobite macéré, dur, comme il serait désirable qu’il y en eût beaucoup au Val des Saints ; il est, au demeurant, un excellent homme qui trime, du matin au soir, ainsi qu’un paysan, et qui, à cause même de son genre de travail, vit très à l’écart. J’ajoute qu’il a des vertus laïques, c’est-à-dire qu’il ne dénonce pas ses confrères et ne considère point la délation, telle qu’une vertu… nous aurons en lui un directeur rugueux mais dévoué, aimant vraiment les âmes…

— Ah ! vous me versez du baume dans le cœur ; peut-être que l’on pourrait alors ne pas partir. Si vous saviez combien cette perspective d’aller à Paris ou je ne sais où, devient maintenant, pour moi, un cauchemar !

— Attendez, cela tournera mieux que vous ne croyez ; vous verrez que nous nous en tirerons.

— Au fond, mon oncle, c’est vous qui tenez la clef de la situation, dit Mlle de Garambois.

— Oui, en partie, du moins ; je suis le paravent, un paravent blindé de procédure ; et je vous jure qu’il faudra déchaîner une sacrée brise pour l’abattre.

— J’ai visité, une fois, pendant une promenade, la vigne des pères, reprit Durtal. Elle est spacieuse et bien située ; ils fabriquent avec des vins de messe ?

— Oui, pas mauvais, d’ailleurs. Le coteau sur lequel le vignoble est placé est un sol argilo-calcaire, coloré de rouge par des oxydes de fer ; il ressemble à la terre de certains des climats de Pommard ; le père Paton y a planté des cépages de pinots et, dans quelques années, si les saisons sont propices, ce ne seront plus de simples vins de messe mais des vins de table plus qu’ordinaires qu’il y récoltera ; ce jour-là, l’abbaye sera riche.

En attendant, la vente des vins blancs suffit presque à compenser la dépense de la communauté ; aussi faut-il sauver à tout prix ce clos, car si les moines se fixent à l’étranger, ce sera grâce à lui qu’ils vivront, sinon, ce sera la disette et, à bref délai, la débâcle.

— Bien, admettons que le gouvernement ne puisse confisquer le vignoble ; il n’en restera pas moins impossible à Dom Paton et à ses domestiques de résider chez eux, dans la clôture, car ils seraient poursuivis sous inculpation de former ou de reconstituer une congrégation non autorisée.

— Il n’est pas utile que le P. Paton et les frères lais habitent le monastère même. Ils demeureront au dehors ; nous en recueillerons chacun un et l’office aura lieu, même si le commissaire de police appose les scellés sur les portes de la chapelle du noviciat et de l’oratoire, dans une pièce quelconque que l’on arrangera à cet effet, chez l’un de nous.

— Que Dieu vous entende ! s’écria Durtal qui se leva pour prendre congé.

— Eh bien, quoi, vous vous retirez, mais il n’est pas quatre heures !

— Si, à force de bavarder, nous avons atteint l’heure des Vêpres. Ecoutez tinter les premiers coups.

— L’heure des Vêpres ! dit M. Lampre, qui regarda sévèrement sa nièce ; c’est, ma foi, vrai ; et vous osez arborer des rubans blancs à votre chapeau et une cravate de la même teinte ! Et la sainte liturgie, qu’en faites-vous ?

— Mais, répondit Mlle de Garambois ahurie, c’est aujourd’hui une fête simple de la vierge et la couleur du jour est le blanc.

— Pardon, les Vêpres sont dimidiées ; elles sont panachées ainsi que des glaces mi-vanille blanches et mi-pistache, vertes ; elles sont marquées sur l’ordo, comme étant, à partir du capitule, du suivant, c’est-à-dire de demain dimanche, (de Ea), neuvième dimanche après la pentecôte, vert. Or, une liturgiste de votre envergure ne peut ignorer que le conopée du tabernacle change en ce cas-là, et arbore le ton de la deuxième partie, alias du lendemain. Vous devriez donc porter à cette heure des rubans et une cravate verts ; les avez-vous au moins sur vous, pour changer ?

— C’est la vengeance du Montrachet et du Pouilly demandés pour le service de l’autel, s’exclama Durtal, en riant.

— Je lui revaudrai cela, fit Mlle de Garambois, en riant, à son tour.

— Que M. Lampre nous conserve ici, des moines et vous ne lui revaudrez rien du tout ; et nous le bénirons, en chœur, au contraire.

— Ah certes, répliqua-t-elle, en se coiffant, car vivre sans mon office, c’est impossible et je filerai plutôt, si je le puis, à la remorque du monastère, en Belgique.

— Elle en serait bien capable, grogna son oncle, qui enfila son paletot pour se rendre avec elle, aux vêpres, dont le deuxième coup venait de sonner.