L’Italie d’hier/Les pestes

Charpentier & Fasquelle (p. 140-141).

LES PESTES

Les trois pestes de Florence, de Rome, de Milan, modelées en cire. Un modelage admirable, mais dont la petitesse de l’exécution enlève l’horreur de ces horreurs, et leur donne un peu le caractère d’un joujou. La peste de Florence. Une montagne de corps livides, culbutés les uns sur les autres, et présentant tous les tons du vert, depuis le vert bouteille jusqu’au vert tendre de la pousse des feuilles, montagne d’où sortent des pieds contractés, aux égratignures de vert-de-gris. Au milieu de ces cadavres, le cadavre d’une vieille en cheveux blancs, qui semble une statue de bronze vert, coiffée d’une perruque poudrée.

Dans la peste de Milan, un squelette couché sur le matelas des chairs tombées de son corps, un squelette de la nuance d’une poterie brune, avec les reflets bleuâtres qui se jouent sur les plats irisés de la Perse, à côté d’un autre cadavre, étendu sur un cénotaphe de marbre blanc, où l’on n’a pas eu le temps de l’enfouir, un cadavre couleur de fiel, où la peau, fendillée, s’ouvre talée et meurtrie, comme les blessures d’un fruit : horribles lézardes d’où s’égoutte de la sanie. Un troisième cadavre n’est plus que l’esquisse pourrie et déformée d’un corps, — un morceau de charogne fienteux d’un être.

La peste de Rome. Ce sont des squelettes, dont les os ne sont plus habillés que d’un je ne sais quoi de visqueux et de brunâtre, ou des cadavres couleur chocolat, comme calcinés de purulence, et aux grands morceaux de chair exfoliés, au-dessus desquels volètent des mouches à viande, au fond desquels s’aperçoivent des vers. Et dans ce charnier, au sol se soulevant, comme sous le rampement d’animaux impurs et vivant de la mort, dans ce charnier, qui semble l’étal de la marche de la corruption, jour par jour, heure par heure, au-dessus de femmes, dont les chairs paraissent encore un peu de la chair vivante, se dresse une femme faisandée, au ventre hideusement gonflé, que fouille un rat. Dans le salon obstétrique, des fœtus de quelques mois, modelés en cire, ressemblant aux idoles qu’adorent les peuples sauvages, — les premiers rudiments du dessin des nations se rapprochant des premiers rudiments de la création, — et une frenia de femme, dépouillée de ses chairs extérieures, est l’image absolue de la fleur de lotus des Égyptiens.