L’Italie d’hier/Le Musée

Charpentier & Fasquelle (p. 184-188).


LE MUSÉE

Un musée contenant les plus curieux spécimens de la peinture byzantine, et où le n° 8, un anonyme, est plutôt un bas-relief coloré qu’un tableau, et où toutes les formes sont saillantes, comme si le peintre, craignant de ne pas trouver un relief suffisant avec la couleur, avait peint sur un léger modelage de mastic, collé sur le panneau de bois.

Parmi ces tableaux des écoles archaïques, il en est quelques-uns de très intéressants, en ce que chez eux commence la lutte des ombres demi-teintées et reflétées avec les ombres solidement noires, et où se rencontre, en même temps, la première origine de la couleur fardée de certains maîtres plus modernes. Oui, dans des innommés, dans des inconnus, ce sont déjà ces préparations de chairs verdâtres qui, couvertes de glacis roses, ne laissent que des ombres légères et comme transpercées d’une pâle vie intérieure, doucement maquillée, — et en étudiant ce petit torse vert-pomme d’un enfant Jésus, on sent très bien qu’avec les atténuations savantes d’un pinceau plus exercé, plus avancé dans l’art, ce torse mènera aux demi-teintes glauques ou bleutées, et au coloris pastellé ton de pêche, de Simon Memmi.

La rue à Sienne. — Vieilles femmes porteuses d’une quenouille, et qui filent en marchant, les deux mains au-dessus d’un gueux, dont l’anse entoure un de leurs bras. — Etaux de bouchers, ayant sur leur seuil, pareilles à des tapis déroulés, des peaux de bœufs encore saignantes, d’où jaillissent de grandes cornes, et tout autour de leur devanture, de petits agneaux, le ventre rose béant, sous leur toison blanche. — Un écriteau suspendu au milieu de la rue, ainsi qu’un réverbère, sur lequel il y a imprimé :

LA TRAVIATA
ossia
VIOLETTA
in tre atti
del signor cav. Giusep. Verdi
a ore otto e 1/2

Des processions de petits moinillons, à la démarche grave, à la mine espiègle, sous de grands tricornes, sous de longs manteaux, que dépasse la bande d’une soutane violette, et des souliers carrés à boucles. — Des portes de maisons garnies de clous, comme les semelles des souliers de la rue Guérin-Boisseau, et audessus desquelles est un petit tabernacle, surmonté d’un lanternon et de pots de faïences peintes, contenant des bouquets fanés. — Un garçonnet en tablier, portant sur l’épaule une planche, où il y a sept miches de pains à cuire. — Des chapeaux de paille, attachés extérieurement au premier étage d’une maison, des chapeaux de paille tout semblables aux chapeaux de paille dont Daumier coiffe ses pères de famille, dans leurs parties de natation. — Des fenêtres, où au bout d’un bâton, sont suspendus de petits drapeaux blancs. — Des hommes bronzés, dans des houppelandes vert de bouteille, au-dessous desquelles passent des bas blancs et des souliers jaunes. — Des boutiques, à la façade toute enguirlandée de fiaschi, dans leur treillis de paille. — Une boutique de barbier, en dehors de laquelle, sont exposés sur des portoirs, deux bustes de femmes en carton peint. — Une boutique pleine de poupées roses et bleues, au-dessus de laquelle une énorme molaire, aux trois racines saignantes, une enseigne de dentiste, se balance sous une couronne. — Une librairie qui annonce comme nouveauté :

Discorsi parrochiali
Brevi e famigliari
del dottor Natale Vincenzo Omboni

— Une apothicairerie, où deux garçons coupent de la pâte de jujube, avec des mains sales, comme des pieds qui n’ont jamais été lavés. — De terribles chiennes de boucher, zébrées, tigrées, aux mamelles balayant le sol. — Une cheminée, où sont peintes à fresque, deux colombes portant une branche d’olivier. — De longs et maigres ecclésiastiques, dans de grands manteaux bleus, à collet de peluche noire remonté jusqu’au nez, un coude saillant dans l’étoffe en avant de la poitrine, et qui ressemblent à de cauteleuses silhouettes de Basile. — Une ouverture béante, dans laquelle sont entassés des fagots, et au-dessus de laquelle se lit : « Forno delle campane. » — Dans la retraite d’un mur lépreux, de maigres haridelles, réunies comme pour relai, dans la cour d’une posada, et un postillon, à la veste écarlate, qui enfourche une de ces rosses, avec ses grandes bottes, sous une madone au cierge allumé.

Et une place entourée d’arcades, pavée de briques, une place qui a la forme et le creux d’une coquille, au fond de laquelle est un palais rouge, surmonté d’une tour blanche, dont le cadran de l’horloge est entouré d’amours peints, supportant les armes de la Toscane. Au milieu de la place sont exposés en vente : un paravent à la grossière imagerie trouée en plusieurs endroits, un cabriolet de voiture, un tableau sans cadre, une sordide malle de prélat en maroquin rouge, gaufrée d’or, deux ou trois buffets aux serrures disloquées, huit ou dix chaises de paille, au dos desquelles sont pendus des chapelets de gros oignons, et là dedans, des femmes, le visage entoilé de linge blanc, qui, la tête en arrière, le ventre en avant, font de sa saillie, une espèce d’éventaire pour les coqs aux crêtes rouges, qu’elles tiennent contre elles : ces femmes mêlées à des hommes, habillés de couleurs passées, déteintes, rouillées, et portant, sur une hanche, des bassines de castagnaccio.

Au fond de la place, un tableau des numéros de la loterie, sortis la dernière fois (68 — 79 — 50 — 24 — 39) : un tableau, dans un cadre jaune, en bas duquel sont deux cornes d’abondance, d’où sortent des pièces d’or et d’argent.

Et encore des rues en échelle, qui semblent des rues, grimpées les unes sur les autres, faisant comme trois étages de maisons superposées, et où la montée des jupes de femmes qui hanchent, de temps en temps, a de longs repos ; et des rues en précipice, où l’on voit, comme à vol d’oiseau, de brunâtres toits de tuile, d’où montent des fumées bleues, et des profils lointains d’églises, et des perspectives de façades de briques, tachées d’immondices suintantes, et le long desquels filent, comme des flèches de fer blanc, les petits seaux, descendant du haut des maisons dans les puits.