L’Italie d’hier/Fra Giovanni da Fiesole, dit l'''Angelico''

Charpentier & Fasquelle (p. 143-147).

Fra giovanni da fiesole, dit l'Angelico. — De ce peintre tout particulier, tout personnel, qui n’a ni maître, ni élève, et qui parait peindre, sous le coup d’une espèce d’hallucination du ciel chrétien entr’ouvert, citons tout d’abord cette « Mort de la Vierge » du palais Pitti, où est représentée cette morte nimbée d’or, qui a, dans sa réduction de poupée, l’allongement gothique des statues du portail de Chartres, et où la finesse du camée antique se marie au sentiment chrétien. Citons encore ce tableau des Uffizi, cette vierge dans cette robe couleur d’aurore, les yeux palpitants de respect et d’amour, en un regard qui a l’air de joindre les mains et s’agenouiller, et cet autre tableau, où les têtes sont traitées avec le travail précieux de la miniature, où la coloration des figures et des vêtements, semble la montée naissante de toutes jeunes couleurs dans des fleurs en boutons, où le noir des ombres est remplacé par un ton léger et neutre de crépuscule, où le Christ et la Vierge sont assis dans une gloire de rayons, gravée sur l’enduit peint, où les crosses des évêques sont gaufrées en relief, où les nimbes sont niellés comme des nimbes de cuivre doré. Mais à l’Académie des beaux-arts, on peut seulement étudier, pénéirer cet Angelico. Là, est le musée, exposition des œuvres les plus pieusement jolies de ce peintre, — qui ne peignit jamais un crucifix, sans répandre des larmes, — de ce coloriste vraiment paradisiaque, dont les femmes, qu’il prend pour modèles sur la terre, ont des coquetteries mystiques, qui leur font, si on ose le dire, faire l'œil au ciel. C’est d’abord une « Descente de croix » avec son ciel d’outremer, sur lequel courent des souffles de nuages, pareils à l’écume blanche du dessus des vagues, et où des encensoirs montent dans le firmament, comme des cerfs-volants, une Descente de croix, avec sa terre stellée de petites fleurettes, et sous une lumière qui montre les choses et les êtres éclairés d’un prisme céleste, et où les douleurs apparaissent enfermées en elles-mêmes, et les désolations discrètes, et les désespoirs ne touchant pas aux traits du visage, mais tout contenus dans la prière des mains, dans l’espoir confiant des yeux.

C’est encore « l’Ensevelissement du Christ » qu’on pourrait appeler l’hymne pieux et désolé des couleurs claires, et où la douleur, sur ces visages, sur ces fronts ronds et polis, ne semblant contenir que des idées d'innocence, est exprimée presque seulement par une pâleur exsangue, comme si par les blessures du Christ, avait coulé tout le sang de ce monde désolé ! Mais, où ce peintre est tout à fait surprenant, et va au delà de l’art humain de la peinture, c’est dans ce tableau suavement lumineux de son « Jugement dernier ».

Parmi la lumière froidement blanche d’un jour de printemps, et où le bleu, le rose, le violet des vêtements, semblent tissés dans la soie céleste de fils de la Vierge, des saints et des martyrs, des vieillards à barbe blanche, des moines tonsurés, dans des robes de toutes couleurs, sous des manteaux de pourpre descendant jusqu’à leurs pieds posés sur des nuages, les mains jointes et croisées sur la poitrine, ou tenant un lis, une croix, un livre, un rouleau de parchemin, dans la tranquille et intérieure allégresse des Bienheureux, ont le regard tourné vers la gloire de Dieu : Rex æternæ gloriæ…vers un voile d’azur, d’où part le rayonnement diffus d’un soleil d’or, cerclé dans le haut par une sorte d’arc-en-ciel, où volètent les ailes de pourpre d’une multitude infinie, innombrable, de petits anges. Au bas les tombeaux ouverts. À gauche de Dieu, l’enfer dans lequel se voient des cardinaux, des papes condamnés au feu éternel. À droite des gens d’église et des laïques, des hommes, des femmes, les mains tendues vers le Tout-Puissant. Au milieu de ces élus, des anges à la grâce presque féminine embrassent de jeunes moines, ces jolis et candides moinillons, que l’artiste peint si amoureusement, et les retiennent dans leurs embrassements, d’une manière saintement douce, tandis que d’autres, à la porte d’un jardin enchanté, tout plein de fruits, les convient de la main à une danse de séraphins, couronnés de marguerites, et enlacés dans une ronde lentement tournante sur un gazon, émaillé de fleurs, ainsi qu’en une ronde de mai des cœurs, s’aimant en Dieu.