L’Israël des Alpes ou les Vaudois du Piémont/03

L’Israël des Alpes ou les Vaudois du Piémont
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 76 (p. 668-708).
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L'ISRAEL DES ALPES
OU
LES VAUDOIS DU PIEMONT

III.
LES ANCIENS ET LES NOUVEAUX PROTESTANS.

Nous avons laissé la secte vaudoise à l’entrée du XVIe siècle, mutilée, réduite par les persécutions et les croisades antérieures, mais toujours retranchée sur la montagne sainte, d’où elle rayonne silencieusement par ses émigrans et ses prophètes sur l’Italie et la France[1]. Pendant les deux siècles qui ont précédé, d’autres formes de protestation ont éclaté dans le monde et ont détourné de celle-ci l’attention et les efforts de l’ennemi commun : d’abord la secte de l’Évangile éternel du Calabrais Joachim de Flore, puis les hérésies des fraticelli et des umiliati, nées en Italie au sein de ces ordres mendians et prêcheurs que Rome avait appelés à son secours et qui n’avaient pas tardé à se tourner contre elle, ensuite la secte plus politique que religieuse des arnaldistes, ainsi nommée de son fondateur Arnaldo du Brescia, qui ne voulait détruire que la papauté temporelle, enfin le terrible hussisme slave et ses deux subdivisions, les calixtins et les thaborites de Bohême, dont la dernière subsiste encore sous le nom d’unité des frères moraves. La grande église a été tenue en éveil par toutes ces oppositions, qui lui ont donné une rude besogne, surtout la dernière, le hussisme du Thabor, plus remplie que les autres de l’esprit de l’ancienne alliance, guerrière et violente, pénétrée du précepte de Moïse, œil pour œil, dent pour dent. Elles ont fourni un immense contingent de victimes humaines à la grande unité dévorante, et, à la faveur du tumulte causé par toutes ces diversions, l’humble valdisme a pu passer sinon inaperçu, du moins sans être entièrement détruit, jusqu’au moment solennel de l’histoire où nous l’avons laissé : église occulte, insaisissable, fuyante, se mêlant à tout ce qui proteste dans la limite du christianisme, et donnant la main à quiconque se lève pour combattre au nom de la foi ancienne contre l’innovation romaine. Cette disposition à faire cause commune avec les autres sectes a égaré le jugement de plusieurs historiens, qui ont vu le valdisme sous les manifestations diverses des wicklefites et des lollards anglais, des hussites slaves, des fraticelli italiens et des beghards flamands. C’est une pure illusion analogue à celle qui avait assimilé les vaudois aux cathares albigeois. Le valdisme a gardé au milieu de toutes ces apparitions sectaires sa personnalité mobile, mais vivace, se laissant facilement plier sous le poids de l’oppression orthodoxe, mais élastique, toujours prêt à se redresser dès que le poids diminue ou est déplacé par les événemens. Le moment est venu pourtant où il va changer de nature. Ce moment est celui auquel nous sommes arrivés, il date de la réforme. Alors il subit une transformation à vue. Tout à coup, aux premiers rayons de la lumière nouvelle qui se lève sur le monde, la protestation amoncelée sur les sommités pendant la nuit froide du moyen âge s’échauffe, entre en fusion, s’évapore dans la protestation générale, et à la place de l’ancien valdisme apparaît l’église vaudoise nouvelle, semblable à toutes celles qui surgissent ailleurs. Ce n’est plus la secte antique avec ses doctrines hérétiques mêlées d’orthodoxie catholique, elle a perdu les traits qui la distinguaient, le vaudois des anciens jours s’est transformé en huguenot, et le barbe errant, cette figure singulière d’autrefois, n’est plus qu’un ministre luthérien ou calviniste. Comment s’est accomplie cette métamorphose étonnante ? C’est ce que vont nous apprendre deux documens historiques qui nous montrent la secte avant et après sa transformation. L’un est la correspondance des barbes avec les réformateurs en 1530[2], l’autre est la « briève confession » formulée deux ans après par le concile national des populations alpestres tenu à Angrogna sur le versant italien.


I

Avec leur habitude traditionnelle de courir le monde deux à deux, les barbes de la région du Viso ne furent pas longtemps à ignorer la révolution religieuse qui se préparait au dehors. Aux premiers retentissemens de la protestation allemande, ils sortent de leur retraite, et vont à la recherche de ces écrits nouveaux que la papauté maudissait avec tant de fracas. L’un d’eux, le barbe Martin Gonin, au retour de l’un de ces voyages, est reconnu à Grenoble aux écrits qu’il portait cousus sous la doublure de son habit, il est condamné à mort et noyé dans l’Isère avec ses livres et une pierre au cou ; mais d’autres peuvent passer et rapporter aux montagnes ces livres précieux, qui sont lus avidement par les docteurs de la secte. En plusieurs points, les doctrines nouvelles sont conformes aux leurs : elles restituent au peuple chrétien le droit imprescriptible de lire la Bible en langue vulgaire ; elles la proclament première autorité de l’église, supérieure à la tradition, juge souverain des controverses, règle et canon de la foi ; elles donnent gloire au nom du Christ, seul sauveur, médiateur unique de la nouvelle alliance, et suppriment tous les autres modes de salut et de médiation ; enfin, — trait de ressemblance plus séduisant encore, — elles déclarent une guerre à mort à l’éternel oppresseur des consciences. Sur d’autres points toutefois, les affirmations théologiques des nouveau-venus paraissent étranges aux anciens sectaires, et l’esprit vaudois est violemment froissé des idées absolues de Luther et de Calvin sur le libre arbitre et la prédestination. Réjouis d’un côté en apprenant les grandes choses qui s’accomplissent en Allemagne, troublés de l’autre par ces idées qui leur semblent détruire la liberté humaine, les barbes dans leur perplexité prennent le parti d’entrer en relation avec les réformateurs allemands, et écrivent à celui qui leur paraît le plus rapproché par la distance et les doctrines, à Ecolampade de Bâle, une longue lettre dans laquelle se découvrent naïvement au regard l’ancien valdisme, ce qu’il croit et ce qu’il’ est, sa foi, son organisation et ses mœurs.

On connaît déjà cette curieuse association du preverage ; mais c’est pour la première fois que tous les rouages secrets en apparaissent dans un document authentique, et sont décrits par un de ses membres, le barbe George Morel, qui révèle ce qui n’a pu être que soupçonné jusqu’ici. Au moment où cette lettre fut écrite, en 1530, le preverage vaudois se recrute toujours dans le séminaire mystérieux dont nous avons déjà parlé. Les élèves qui désirent y entrer présentent leur demande aux barbes assemblés, fléchissent le genou devant eux, et prient Dieu d’être rendus dignes d’un si grand ministère. Ce sont pour la plupart des pâtres et des laboureurs sans aucune culture littéraire, dit le correspondant d’Écolampade. On les envoie d’abord au séminaire, où ils passent les mois d’hiver pendant trois ou quatre ans, occupés à des tours de force de mnémotechnie, apprenant par cœur des livres entiers de la Bible ; puis ils sont placés « dans un lieu où ils habitent avec des femmes appelées sœurs, qui passent leur vie en virginité. » Après une année ou deux de cette épreuve, qui trahit un reste d’ascétisme albigeois, le candidat vainqueur, fortement trempé contre les faiblesses de la chair, est enfin reçu dans l’ordre par l’imposition des mains et la communion eucharistique, et on l’envoie dans son ministère sous la conduite d’un plus ancien dont il est comme l’ombre, marchant avec lui, assis à ses côtés devant l’assemblée, parlant lorsqu’il a parlé, obéissant en toute chose, « non par crainte de pécher, dit le barbe, mais pour l’honneur de la discipline. » Cette coutume singulière d’aller évangéliser deux à deux, l’un soumis à l’autre, imitée plus tard par la chevalerie errante du jésuitisme dans une intention d’espionnage mutuel, est observée chez les barbes non-seulement par ceux qui sont en voyage dans les pays étrangers, mais encore par ceux qui restent attachés à la congrégation des Alpes. Ceux-ci également sont en mouvement sans cesse, allant d’une vallée ou d’un versant à l’autre pour ne pas attirer le regard de l’ennemi par un séjour trop prolongé dans le même poste. Cette règle ne souffre d’exception que pour les barbes très vieux ; il leur est permis de s’arrêter et de mourir à leur place. Tous ces mouvemens sont dirigés par un organe d’autorité qu’on aperçoit très clairement dans la correspondance du barbe, par une espèce de synode occulte et mobile aussi, qui se réunit clandestinement tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre. Cette autorité se combine avec le principe de l’élection. Elle institue les barbes élus par les congrégations, elle veille au maintien de la discipline et des mœurs, elle envoie les apôtres au dehors, enfin elle reçoit et distribue les fonds de l’association. Ce fonds commun était divisé en trois parts, l’une pour les barbes résidans, l’autre pour les barbes itinérans, iter facturis, et la troisième pour les pauvres. C’était l’unique ressource des conducteurs spirituels du petit troupeau, car, ayant fait vœu de pauvreté, ils ne pouvaient être propriétaires, (mais ressource suffisante, abondante même, si l’on en croit le correspondant d’Ecolampade, qui rend à ses ouailles ce beau témoignage, qu’elles donnent de leur abondance et de leur pauvreté : grand enseignement pour ces églises qui se tiennent collées à l’état, craintives et tremblantes de perdre le denier dégradant de César ! Jamais on ne vit un peuple croyant laisser dans le besoin son ministre ou son prêtre, et s’il ne croit plus, à quoi bon ministre ou prêtre ? A l’époque où le valdisme entre en rapport avec la réformation, il forme une église invisible, souterraine, qui mine le sol sous les pieds de l’église romaine sur une étendue de pays que le correspondant déclare être de quatre-vingts milles des deux côtés des Alpes, embrassant, d’après un autre témoignage qui nous inspire moins de confiance, d’après Perrin[3], 800,000 adhérens répandus sur toute la région dont le Viso est le point culminant. La foi vaudoise s’y dissimule sous des conformités réelles ou apparentes avec la foi officielle, et les mouvemens du preverage y sont secrets partout, excepté dans les vallées les plus rapprochées de la chaîne centrale, où le clergé catholique n’ose pas s’aventurer. Ce fut en 1517 qu’un prince de l’église, Claude de Seyssel, archevêque de Turin, mit les pieds pour la première fois dans les hautes vallées du versant italien, et il se loue fort de son courage dans un écrit qui parut trois ans après cette visite pastorale[4]. « Plein de foi et d’espérance, dit-il, nous sommes parti sous la protection de Dieu pour ces retraites où jamais nos prédécesseurs n’avaient abordé. » Le caractère occulte de la secte donnait lieu nécessairement à de nombreux compromis, à des dissimulations indignes d’une conscience droite, que la crainte des persécutions faisait néanmoins tolérer par les barbes. Ainsi, quand le vaudois craignait d’être découvert, il allait à la messe, quoique, d’après le correspondant d’Ecolampade, il la tînt devant Dieu pour une abomination ineffable, pro nefanda abominatione coram Deo. Il recevait même les sacremens de la main de celui que George Morel appelle dans sa haine « le membre de l’antechrist. » Pour mettre à l’aise sa conscience, il murmurait entre ses dents chaque fois qu’il entrait dans une église la parole de colère : « Dieu te confonde, caverne de brigands ! » Le barbe dans la réunion occulte prêtait au sacrement ainsi reçu un sens caché qui lui ôtait sa signification d’adhésion à l’église officielle. « Nous donnons aux sacremens, dit Morel dans sa lettre, un sens spirituel, afin qu’on ne se confie en aucune manière aux cérémonies de l’antechrist, et qu’on prie au contraire pour qu’elles ne soient point imputées à péché à ceux qui sont forcés d’y assister. » Ce sens caché, c’est que, le sacrement étant le signe visible d’une grâce invisible, peu importe le signe matériel, pourvu que l’on possède la chose signifiée. Cette doctrine ruinait par la base le système orthodoxe, qui attache le salut à l’acte extérieur. Dès lors il devenait indifférent pour un vaudois d’y prendre part quand il s’agissait d’éviter la persécution.

Nous voyons en outre par cette lettre que l’état de la secte est bien triste. L’esprit vaudois a perdu son antique énergie. S’il n’est pas entièrement dompté, il est bien près de l’être. Il flotte incertain, hésitant sur une foule de questions de dogme, de culte et même de simple morale. « Nous ne sommes pas au clair sur beaucoup de choses, » écrit le barbe, et il demande curieusement si l’on doit en conscience obéir aux lois civiles qui régissent les peuples, si le magistrat a le droit de punir de mort, car il est écrit : Leges populorum vanœ sunt. Cette question trahit l’ancienne idée cathare, que la vie humaine est inviolable, et qu’à Dieu seul, qui l’a donnée, appartient le droit de l’ôter ; mais cette idée elle-même s’est obscurcie. La servitude et l’oppression ont fait le vide dans la conscience vaudoise. La question de mort intéressait particulièrement la secte de deux manières : d’abord parce que ce droit terrible revendiqué par l’adversaire était une menace perpétuelle suspendue sur les vaudois, ensuite parce qu’ils en avaient besoin eux-mêmes pour se défendre contre leurs ennemis connus et inconnus, contre les inquisiteurs et les faux frères. Des catholiques déguisés en sectaires ou des sectaires apostats tenaient la congrégation occulte dans des transes terribles. « Ils s’introduisent parmi nous, dit le correspondant, et ils vont ensuite révéler aux moines et aux évêques le lieu de nos réunions. Ils disent aux membres de l’antechrist : Combien voulez-vous nous donner, et nous vous livrerons les docteurs des vaudois, car nous savons où ils se cachent ? » La conséquence de ces trahisons, on la devine. « Nous sommes assaillis à l’improviste par des gens armés, dit le barbe, et le plus souvent nous sommes brûlés misérablement, et nos miseri plerumque urimur. » Devant ce fléau des faux frères, l’ancien principe de l’inviolabilité était ébranlé dans la conscience vaudoise. Le peuple demandait qu’on les mît à mort ; mais les barbes résistaient encore à la raison brutale du salut public, leur patience chrétienne n’était pas encore à bout, et ils s’adressaient à Dieu pour être à couvert des Judas inconnus. Dans un de leurs plus beaux poèmes, lo Payre eternal, on lit cette supplication touchante :

O pasteur grand et bon des brebis qui te suivent,
Garde-les des ours, des lions et des loups méconnus[5] !


Au moment de la réformation, le mal s’est aggravé, et dans sa lettre le barbe Morel demande avec anxiété à Ecolampade si la congrégation aie droit de se faire justice à elle-même et de mettre a mort les traîtres. Il demande bien d’autres choses, et ses questions découvrent chez les vaudois un état religieux et moral bien différent de celui qu’on leur a supposé plus tard, bien différent en tous les cas de l’orthodoxie luthérienne ou calviniste.

Pour avoir plus vite et plus sûrement la réponse à cette lettre, George Morel résolut d’aller la chercher lui-même. Ce voyage, qui allait avoir sur les destinées du valdisme une influence décisive, s’accomplit encore conformément à la règle ancienne. George partit de sa vallée natale de Freyssinières, sur le versant français, avec un jeune barbe nommé Pierre Masson, qui lui fut donné comme coadjutor. Celui-ci n’est connu que par son abnégation et son martyre, Ils arrivèrent tous les deux à Baie sans rencontre fâcheuse, et ils revenaient par la Bourgogne avec les réponses et les instructions des réformateurs allemands, lorsqu’en passant à Dijon ils furent reconnus comme hérétiques et jetés en prison. La persécution sévissait alors en France ; les parlemens, transformés en commissions inquisitoriales, envoyaient sommairement à la mort tous les gens suspects d’hérésie. L’affaire de nos deux prisonniers fut bientôt réglée, non pas si promptement toutefois qu’entre la sentence et l’exécution George Morel ne trouvât le moyen de s’échapper par le dévouement de son coadjutor, qui demeura seul entre les mains de l’ennemi. Le 10 septembre 1530, le vaudois monta sur le bûcher avec le courage et les espérances éternelles du héros chrétien pendant que son compagnon fuyait à travers champs. Celui-ci arriva aux montagnes sans autre incident avec les réponses écrites d’Écolampade. Dans sa lettre à la communauté vaudoise, le réformateur bâlois insiste fortement sur la nécessité de sortir de cet état occulte dans lequel elle s’est renfermée. « Notre Dieu est vérité, dit-il, et il veut être servi en vérité, sans dissimulation aucune ; il est jaloux, et il ne souffre pas que les siens portent le joug de l’antechrist. » Écolampade déclare qu’il s’est réjoui des choses merveilleuses qu’on lui a dites du peuple vaudois, de cette lumière si grande qu’il n’a pas laissé éteindre à travers les ténèbres du moyen âge ; mais il s’est affligé d’apprendre que cette lumière est tenue cachée par la crainte des persécutions, « Quelle mort, s’écrie-t-il, quel supplice ne faudrait-il pas préférer plutôt que d’agir contre sa conscience, et de donner ainsi aux impies des sujets de blasphèmes ? Je connais votre faiblesse ; mais il convient d’être fort à qui a cru qu’il est racheté par le sang du Christ. Qui croira vraie notre foi, si elle faiblit devant la persécution ? Frères, nous vous exhortons à bien examiner la chose, car, s’il est permis de se cacher sous les dehors de l’antechrist, pourquoi ne le serait-il pas de prendre ceux du Turc, de Dioclétien, et d’aller aux autels de Jupiter et de Vénus ? »

Ce langage dut paraître bien dur à des hommes placés sous le couteau du persécuteur. Aussi, de tous les conseils donnés au valdisme par les nouveaux protestans. c’est celui de se découvrir franchement devant l’adversaire, qui rencontra les plus vives résistances. La secte se transforma sans beaucoup de difficulté, comme nous le verrons bientôt, elle prit rapidement les mœurs religieuses et les formules dogmatiques de la reformations et se dépouilla rapidement de celles qui n’étaient pas conformes à la règle nouvelle ; mais quand il s’agit de ne plus se cacher et de ne plus dissimuler, elle hésita, elle se troubla, et il fallut, pour l’y décider, faire violence au caractère montagnard, déjà naturellement replié sur lui-même, dont le ressort était d’ailleurs détendu par le poids d’une longue oppression. Les réformateurs ne s’arrêtent pas aux timides objections vaudoises, ils n’ont égard ni à la faiblesse numérique de la secte, ni à son isolement au milieu de populations ennemies. Ces considérations, dictées par une prudence qu’Écolampade appelle humaine, n’ont aucune prise sur l’esprit de la protestation nouvelle, qui a derrière elle des peuples et des souverains déjà gagnés. La croyance n’est plus indécise et flottante comme celle des vaudois. Celle-ci se marie encore sur quelques points avec la croyance romaine, cherche à faire avec elle bon ménage en dissimulant ses incompatibilités ; mais l’autre est un dogme défini par des confessions de foi d’une précision en quelque sorte mathématique, ne présente plus qu’un front hérissé et ennemi à la grande église.

On connaît les dogmes de la réformation. Il est maintenant passé de mode d’affecter de ne voir dans ce grand mouvement religieux qu’une simple négation et une révolte de la raison. La critique sans parti-pris y trouve au contraire une explosion de foi comme le monde n’en avait pas vu depuis les jours du Christ et de ses apôtres, une affirmation puissante, violente même, sur certaines doctrines de l’Évangile que l’enseignement de l’église avait laissé obscurcir dans la conscience catholique. C’est surtout sur le mode du salut chrétien que la réformation des premiers jours a poussé l’affirmation dogmatique jusqu’à l’exagération. Le mode enseigné par Paul aux églises qu’il avait plantées en terre grecque, dans l’Asie-Mineure et en Europe, retenu par les trois premiers siècles, vaguement entrevu par les sectaires du moyen âge, ce mode, qu’on a appelé la justification par la foi, avait complètement disparu de l’enseignement officiel au XVIe siècle devant la doctrine du salut par les œuvres et les pratiques- dévotes. Le nouveau mode n’intéressait pas seulement la théologie, comme on serait porté à le croire ; il a eu au point de vue social et économique des conséquences incalculables. L’acte spirituel et libre une fois éliminé de la religion par l’acte matériel, par l’opus operatum, comme disent les théologiens, le monde s’est rué dans les œuvres commandées par l’église pour acquérir le salut, et ces œuvres sont devenues la grande, l’unique affaire. A certaines époques, l’humanité a été saisie d’une sorte de monomanie religieuse, de l’idée fixe de faire son salut éternel en se soumettant à une discipline effrayante. Au moyen âge, cette idée absorbe toutes les autres. Les peuples suent sang et eau sous le fardeau sans cesse augmenté des pratiques et des observances dont l’église les charge, et, comme leur conscience inquiète les avertit qu’ils n’ont jamais assez sué ni assez mérité pour être sauvés, les malheureux roulent et roulent toujours le rocher qui retombe sans cesse ; ils en oublient de se vêtir, de se nourrir, de s’instruire. L’église fait un pas de plus dans cette énorme déviation du spiritualisme primitif. L’œuvre extérieure, matérielle, et les mérites qu’elle confère au dévot étant devenus la grande affaire de la religion, il se trouva bientôt des moines mendians et spéculateurs qui établirent comme corollaire qu’il y a des hommes, des saints, qui ont fait plus d’œuvres qu’il n’était besoin et qui ont gagné plus de mérites qu’il n’en fallait pour leur salut personnel. Que faire de cet excédant accumulé dans les trésors éternels par les saints hommes de tous les siècles ? Une chose bien simple, le répartir moyennant finances à ceux qui sont en déficit. C’est ainsi que fut inventée la fameuse théorie des indulgences, qui a fait couler sur Rome, par tous les canaux de la superstition, des richesses immenses. A la veille de la réformation, le commerce des indulgences avait atteint des proportions colossales ; des commis voyageurs partis de Rome parcouraient l’Allemagne, installant leur marché dans les cathédrales et sur les places publiques, vendant au plus offrant leur marchandise imaginaire, et ayant recours, pour attirer les chalands, à tous les artifices connus du commerce ordinaire. La conscience allemande, la plus foncièrement religieuse de ce temps, en fut scandalisée ; Martin s’irrita. « Je crèverai ce tambour, » s’écria-t-il, et l’arme dont il se servit fut précisément ce dogme primitif de saint Paul, « la justification par la foi sans les œuvres de la loi, » poussé violemment contre la doctrine opposée.

Telle est la grande affirmation du XVIe siècle, affirmation exagérée, disons-nous, sinon dans son principe, du moins dans les développemens théologiques et pratiques qu’elle a reçus. L’église avait exagéré la part de l’homme dans le salut jusqu’à annuler celle de Dieu, la réformation tomba dans l’excès contraire : elle écrasa le libre arbitre humain sous le dogme de la prédestination divine. Dans son ardeur révolutionnaire contre la domination ecclésiastique sur les âmes, elle affirma la domination divine jusqu’à nier la liberté humaine. Ce fut évidemment un excès, mais moins dangereux après tout que l’autre, car il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et les peuples ainsi rendus esclaves de Dieu sont devenus les plus libres de la terre. Dogme de combat, la prédestination a perdu la rigidité que lui avaient donnée Luther et Calvin pour les besoins de la lutte, et la théologie l’a conciliée depuis avec la liberté et la responsabilité morale ; mais quand les barbes se trouvèrent pour la première fois en face de ce dogme qu’ils n’avaient pas connu, ils éprouvèrent une étrange perplexité. Dans leur réaction séculaire contre le matérialisme ecclésiastique, ils n’étaient point allés jusqu’à l’abdication absolue de leur liberté devant Dieu. Quant au mode du salut, s’ils ne le faisaient pas découler entièrement de l’œuvre accomplie, ils avaient du moins toujours insisté sur l’effort que l’homme doit s’imposer pour observer non la loi cérémonielle, car ils étaient en révolte contre elle, mais la loi morale. Tous leurs écrits religieux antérieurs à la réformation ont une tendance pratique, ascétique même, et respirent une dévotion naïve qui leur donne un air de parenté avec le célèbre traité de l’Imitation. On n’y voit pas trace de ces destinées éternelles, fatales, indépendantes du pouvoir et de la volonté de l’bomme. Partout au contraire celui-ci est sollicité à vouloir, à travailler, à être « ouvrier avec Dieu, » selon le mot profond de l’apôtre Paul. L’auteur inconnu du Novel sermon exprime un souhait pieux qui caractérise à ce sujet la foi vaudoise. « Je voudrais bien, dit-il, que tous les hommes qui sont au temps présent eussent volonté, pouvoir et entendement de servir le Seigneur… Par ces trois choses, l’œuvre a complément, — savoir quand l’homme a volonté, pouvoir et entendement. »

D’un autre côté et par d’autres écrits, principalement par le petit poème intitulé lo Payre eternal, hymne inspiré où l’on sent passer un grand souffle religieux et poétique, l’homme est ramené sous la dépendance du regnador souverain et sous la foi au Christ pour être sauvé. En un mot, les anciens vaudois s’étaient tenus à égale distance entre l’œuvre sans la foi et la foi sans l’œuvre, entre la liberté humaine et la fatalité divine, et quand ils se trouvèrent en présence de ce dogme de la prédestination, qui écrasait leur raison, ils se récrièrent, firent des objections sérieuses. « Rien ne nous trouble plus dans notre ignorance, écrit George Morel, que ce que nous avons lu dans les livres de Luther sur le libre arbitre et la prédestination. Nous avions cru jusqu’ici que Dieu avait connu avant la création ceux qui seraient sauvés et ceux qui seraient damnés, mais qu’il les avait tous créés pour le bonheur éternel, et que ceux-là seuls en sont exclus qui n’ont pas voulu lui obéir. Si toutes choses arrivent nécessairement, si les prédestinés au salut ne peuvent être damnés, et réciproquement, par la raison que la prédestination divine ne peut être en défaut, alors à quoi bon la révélation, les Écritures, la prédication et les prédicateurs ? »

Ce n’est pas pourtant sur ce dogme que porta principalement la résistance vaudoise à la réformation, c’est sur le conseil de se manifester au grand jour. La secte avait contracté l’habitude du mystère ! dans ses conventionnés secrets, elle y avait trouvé sa sécurité, le pli était pris, et il lui en coûtait de rompre avec des mœurs invétérées. D’ailleurs les nouveaux amis qui l’invitaient à sortir du mystère étaient bien éloignés. Pourront-ils la défendre contre l’ennemi toujours menaçant ? Que deviendra l’imperceptible église, si elle montre franchement son visage hétérodoxe ? Entourée de toutes parts de son ancienne persécutrice et isolée de ses amis, elle sera infailliblement dispersée ; comme. elle l’a déjà été autrefois dans le midi de la France. Peut-être y avait-il aussi dans ces objections vaudoises un reste d’attachement à la grande église, car la position des anciens protestans était bien différente de celle des nouveaux. Ceux-ci protestaient du dehors et ceux-là du dedans. Les vaudois se considéraient encore comme des catholiques, ils étaient révoltés contre certaines superstitions, mais non contre le principe catholique. Ils faisaient, pour employer une formule moderne, une opposition constitutionnelle, nullement révolutionnaire et radicale, position véritablement intéressante et qui provoque en leur faveur la sympathie et les regrets. Que n’a-t-elle pu être maintenue ! Si l’église avait toléré l’opposition et le contrôle dans son sein, elle se serait ménagé le moyen pacifique et légal de se réformer elle-même, de corriger ses déviations, et l’on n’aurait point à suivre dans l’histoire ces proscriptions de minorités, ces persécutions atroces, ce torrent de sang qui coule, à la honte de l’humanité, jusqu’au seuil de notre siècle pour des questions religieuses. Vains regrets ! l’aveuglement de l’autorité a toujours rendu la révolution nécessaire, et il est dans la nature des majorités dont le principe est absolu d’écraser les minorités ou d’être écrasées par elles. L’église avait encore au XVe siècle prêté l’oreille au fameux cri de l’opposition légale : ecclesia indiget reformatione ; mais au XVIe siècle elle est complètement sourde, elle a étouffé toute liberté de conscience, et s’est enfoncée plus avant dans son évolution matérialiste et païenne d’où elle ne peut plus être retirée que par le coup de foudre de la révolution religieuse. L’opposition chrétienne, irritée, désespérée, brise les cadres d’une orthodoxie désormais immuable, et entraîne dans la révolte la moitié de l’Europe. Toute position intermédiaire a cessé d’être tenable, il faut que le valdisme fasse son choix, qu’il retourne à l’église qui l’a rejeté et maudit, ou qu’il se fonde avec la protestation nouvelle, qui lui tend une main amie à travers les Alpes.

Cette nécessité devint évidente après le retour de George Morel. Un parti révolutionnaire se forma au sein de la congrégation et se mit à travailler dans le sens de la réunion avec les protestans. Pour triompher de la timidité des vaudois, ce parti leur montra des amis plus rapprochés des Alpes dans les réformateurs français et suisses. Ceux-ci étaient en effet, et par la distance et par la constitution ecclésiastique, plus près des vaudois que les Allemands. Ils étaient par conséquent plus à portée de couvrir le noyau sectaire des montagnes contre les attaques de l’inquisition. On fit justement appel à l’homme qu’il fallait pour les grandes crises., à maître Guillaume Farel, fils d’un seigneur du Dauphiné, allié à la famille des Riquetti, ancêtres du fameux Mirabeau. Guillaume Fanel était comme celui-ci un destructeur énergique, ayant en même temps un génie puissant de reconstruction ; « il démolissait et édifiait avec une égale énergie, » dit Merle d’Aubigné. Le caractère impétueux de son éloquence est ainsi décrit par Calvin : « En l’entendant, on ne sentait pas quelques légères pointes et piqûres ; mais on était navré et percé jusqu’au fond. » Farel était en Suisse dans le pays de Vaud quand il reçut l’appel vaudois. Il part secrètement avec son collègue Saunier, tous les deux remontent le Rhône, franchissent le Saint-Gothard, traversent le Piémont sous de faux noms, Farel sous celui d’Hilerme Cusemeth, et Saunier sous celui d’Antoine Almeutes, et arrivent par la plaine de Pignerol dans le Chanaan des barbes. D’après le signalement donné aux paysans apostés aux abords des vallées pour surveiller les mouvemens du clergé catholique et indiquer la route aux voyageurs, maître Guillaume est un grand et bel homme, — barbe rousse, figure imposante, monté sur un cheval blanc. Son compagnon est d’apparence moins noble, et n’attire l’attention des paysans que par sa barbe et sa monture toutes noires. Un troisième personnage est avec eux. On a pensé que ce pouvait être Robert Olivétan, parent de Calvin, savant modeste, versé dans la connaissance des langues de la Bible et auteur de la première traduction complète en français ; mais la préface de l’édition de Neuchâtel de 1535, à laquelle nous empruntons le récit de ce voyage, ne dit pas qu’il fût lui-même avec Farel et Saunier.

Aussitôt que ces étrangers furent arrivés, le 12 septembre 1532„ on convoqua les adhérens de la secte à un concile qui se réunit sur les hauteurs d’Angrogna, à proximité de la forteresse naturelle du Prà del Tor, au sommet d’une colline plantée de châtaigniers séculaires d’où la vue embrasse le spectacle le plus propre à frapper les imaginations et à élever les âmes vers l’infini. De ce point en effet, on peut mesurer du regard le vaste cercle des Alpes et des Apennins qui entourent la Haute-Italie et en distinguer les points saillans, — le grand Viso à droite, les monts Rosa et Saint-Gothard à gauche, en arrière les créneaux granitiques de la barrière qui sépare la France de l’Italie. En avant se dessinent nettement les détails d’un horizon immense inondé de lumière, les splendeurs d’une végétation exceptionnelle, les villes, les bourgs, les châteaux seigneuriaux pressés dans toutes les directions, les cours d’eau étincelans que le Pô recueille, les ondulations des collines étagées descendant de l’enceinte des montagnes. Parmi ces éminences, la Rocca di Cavour s’élève tout près de l’entrée de la patrie vaudoise, haute de 200 mètres et d’une circonférence de 5 kilomètres à la base, couverte de son riche manteau d’arbres, de vignes, de champs, et de prés, et portant encore sur son dos les restes du château des Benso di Cavour, de la famille qui a donné à l’Italie son plus grand ministre. La situation singulière de ce bloc de rocher, droit au milieu de la plaine de Saluces, isolé des Alpes et de l’Apennin, dont la formation est restée un problème, avait déjà frappé l’attention du naturaliste Pline, qui l’appelle Caburrum, d’où est venu le nom de Cavour.

C’est en face d’un tel spectacle, en plein air, à l’ombre des grands châtaigniers, que se réunit l’Israël des Alpes pour délibérer sur son adhésion à la réforme. La première séance s’ouvrit par la formule des conciles de l’église primitive : « en présence de Dieu, des docteurs et du peuple, » omni plebe adstante, ou, selon le texte vaudois donné par George Morel : en presencia de Dio, de tuit li ministri, eciam del populo. Les barbes de l’autre versant et des colonies provençales et calabraises y étaient venus avec un grand nombre de leurs ouailles, qui, mêlées aux vaudois piémontais, formaient une grande réunion couronnant la colline. Les étrangers ne purent contenir leur joie en voyant, dit un témoin oculaire, assemblé en si grand nombre « ce peuple de constante fidélité, cet Israël des Alpes à qui Dieu avait remis en garde pendant tant de siècles l’arche de la nouvelle alliance, » et l’émotion de Farel éclata en une de ces prières ardentes qu’il savait faire et auxquelles sa voix tonnante donnait un accent irrésistible, improvisations impétueuses qui étonnèrent si fort les prélats du XVIe siècle, habitués à prier dans leurs formulaires liturgiques… Après ce début entraînant, le concile s’occupa d’abord de la traduction de l’Écriture sainte. Aucune question ne pouvait mieux que celle-là rapprocher les anciens des nouveaux protestans. Les vaudois possédaient en manuscrit quelques portions de la Bible traduites dans leur dialecte roman, et c’est avec ces traductions qu’ils avaient un moment ébranlé la domination de l’église sur le midi de la France. On en mit sous les yeux de l’assemblée des exemplaires sauvés des bûchers, et les réformateurs, ajoute le témoin, « considérant avec intérêt ces traductions vénérables, copiées correctement à la main depuis si longtemps qu’on n’en avait point souvenance, s’émerveillèrent de la faveur céleste qu’un si petit peuple avait reçue en partage, et rendirent grâces au Seigneur de ce que la Bible ne lui avait jamais été ôtée. » Il fut décidé d’un commun accord qu’on en ferait une traduction complète, car à cette époque il n’y avait encore en français que les quatre Évangiles traduits par Lefèvre d’Étaples, et Robert Olivétan, ce personnage que l’on a cru avoir accompagné Farel et Saunier, fut chargé de ce grand travail. Pour couvrir les frais de l’entreprise, les pâtres des Alpes s’imposèrent pour la somme considérable de 1,500 écus d’or. L’ouvrage parut trois ans après à Neuchâtel en Suisse. Dans la préface, datée « des Alpes, ce 7 février 1535, » l’auteur put dire à juste titre que sa traduction était un don de joyeux avènement de l’ancienne protestation à la nouvelle. « Le pauvre peuple qui te fait ce présent, s’écria-t-il en s’adressant à la France, fut déchassé et banni de ta compagnie il y a plus de trois siècles ; c’est le vrai peuple de patience, lequel en foi, en espoir et en charité a silencieusement vaincu tous les assauts et efforts que l’on a pu faire à l’encontre de lui. »

Il n’y eut pas d’opposition sur les questions dogmatiques, du moins l’opposition, s’il y en eut, n’a laissé aucune trace dans les documens ; mais quand on en vint à la nécessité de se découvrir en face de l’église romaine et d’opposer publiquement autel contre autel, le petit peuple sentit son cœur défaillir à la pensée des tempêtes que sa manifestation allait déchaîner. Il se rappela les épreuves des ancêtres, la grande tribulation du midi, la croisade et ses bûchers, les assauts multipliés qu’il avait subis chaque fois qu’il avait voulu professer ouvertement son culte. Aussitôt que cette question fut mise à l’ordre du jour, l’assemblée, jusque-là d’un même esprit et d’un même cœur, fut agitée par des courans opposés, et se scinda en deux fractions d’inégale force. L’une, la plus faible, conservatrice des anciens usages, dirigée par les deux barbes Daniel de Valence et Jean de Molines, alla tenir ses séances sous un châtaignier, non loin du groupe principal, présidé par Farel, et qui résolut de professer sa foi publiquement, coûte que coûte. En dehors de ces deux fractions, il s’en formait çà et là d’autres dispersées sur le flanc de la colline ; on y discutait vivement la question. Il fallut toute l’éloquence de maître Guillaume pour retremper les volontés, affermir les cœurs et retenir en un seul faisceau l’Israël des Alpes, menacé d’un schisme. Pendant sept jours, il parle, il prêche, il prie, il tonne, et sa voix retentissante frappe à la fois les oreilles des deux assemblées, atteint jusqu’aux groupes populaires dispersés sous la châtaigneraie. « Le temps des dissimulations est passé, s’écrie-t-il ; laissons ce fard par lequel on défigure l’Évangile, ne cherchons pas à complaire servilement à l’adversaire, allons rondement en besogne. Si nous nous accommodons en quelque pratique, toute la doctrine ira bas, tout l’édifice sera renversé. » Sa haute taille, ses manières de grand seigneur, son attitude inspirée, sa parole, qui avait, dit un historien, l’éclat et l’ampleur de celle du tribun sorti de sa parenté, frappèrent vivement l’imagination d’un peuple déjà préparé par les barbes à subir l’ascendant de l’esprit et de la foi. Toutes les résistances tombèrent, les timides reprirent courage, les dissidens se rapprochèrent, et tous, à l’exception, de nos d’eux barbes conservateurs, qui s’exilèrent volontairement et allèrent rejoindre les frères de Bohême, tous signèrent la fameuse confession d’Angrogna, le second de nos documens, celui qui nous montre l’Israël des Alpes manifesté, uniformisé et mis au pas de la réformation de langue française.

Ce n’est plus le valdisme tel que nous l’avons connu jusqu’ici qui se montre dans la « briève confession » de 1532. Tous les liens, toutes les conformités avec l’église officielle sont rompes : plus de célibat, plus de confession des péchés à la mode romaine, plus de vœu de virginité, plus d’interdiction de la propriété aux barbes ! Les sacremens sont réduites aux deux que la réformation a retenus comme étant seuls d’institution divine, au baptême et à la cène. Avec les anciennes conformités de pratique imposées par la terreur disparaissent les mœurs de la maison de servitude, les lâches compromis de la conscience, héritage dégradant des peuples depuis longtemps opprimés. En donnant la main d’association aux nouveaux frères, Israël se sent fortifié, et il déclare à la face de la terre qu’il veut servir désormais l’Éternel en toute vérité. Il a franchi sa Mer-Rouge, il renie tout ce qu’il avait conservé jusque-là de la religion d’Égypte. Il ne rejette pas seulement les anciens rapports de croyance et de culte avec Rome que nous avons rappelés ; on regrette de le voir faire aussi bon marché de ces idées et de ces mœurs naïves qui lui avaient donné une physionomie à part, de sa répugnance à prêter le serment déféré par les magistrats, de ses objections contre la peine de mort, de son principe de l’inviolabilité de la vie humaine. Tous ces traits moraux s’effacent au moment de sa manifestation, et désormais nous le verrons professer la soumission au magistrat en tant que le magistrat ne commande rien de contraire à la loi de Dieu, accepter le serment déféré, courir aux armes chaque fois qu’il sera injustement attaqué. Les barbes renoncent à leur vœu de pauvreté et à leur vie errante, ils proclament leur droit naturel de posséder des biens pour nourrir leur famille. La foi aussi se dépouille de ses anciennes formules élastiques où pouvait se loger une part d’orthodoxie catholique, et elle revêt les formules de Luther et de Calvin, précises, nettes, parfois étroites. Le dogme de la prédestination lui-même, qui avait excité de si vives objections, est accepté avec toutes ses conséquences religieuses et morales. En un mot, dans cette confession, le valdisme renouvelé croit, adore, prie et parle comme tous les autres échappés de la sainte mère église. Ce brusque mouvement vers la réformation se communiqua non-seulement à tous les adhérens de la secte sur les deux versans des Alpes, mais encore aux colonies de la Calabre et de la Provence, qui payèrent cher, comme on l’a vu dans une autre étude, cette manifestation religieuse.


II

L’apparition sur les hauteurs du Viso d’une église professant la même doctrine que les autres a produit dans le monde réformé use illusion qui n’est pas encore entièrement dissipée : on crut qu’elle n’en avait point changé, que cette doctrine qu’elle professait maintenant au grand jour, c’était sa doctrine ancienne, et on vit en elle la dépositaire et la continuatrice du christianisme primitif. On croit facilement ce qui est dans la tendance générale des esprits. Rien de plus faux que le point de vue de l’école qui considère la réformation comme une rupture avec le passé. Ce fut au contraire un retour à l’antiquité chrétienne, aux sources vénérables du christianisme. Le passé du reste attire violemment tous les esprits du XVIe siècle : novateurs et conservateurs, protestans et catholiques, y sont également ramenés ; mais, tandis que les uns, franchissant le passé chrétien, vont s’abreuver aux sources enivrantes de la littérature païenne, les autres s’arrêtent à la littérature biblique, à l’Ancien et au Nouveau Testament, et y puisent une foi qui ne parut nouvelle que parce qu’elle avait été oubliée pendant de longs siècles. De ce double mouvement de retour à l’antiquité sont sorties la renaissance et la réformation ; la renaissance restaura les idées et les formes païennes dans les arts, dans les lettres et jusqu’à un certain point dans la religion ; la réformation restaura la foi des premiers jours, ensevelie sous la légende et la tradition. La donnée primitive s’était chargée d’une couche épaisse de superstitions en traversant les milieux obscurs et impurs du moyen âge. Les réformateurs ont frappé à coups redoublés sur cette gangue grossière pour dégager le diamant divin. C’est l’idée générale des réformés du XVIe siècle, et cette idée leur a communiqué une énergie extraordinaire, que ce qu’ils élevaient à la place du catholicisme des papes, c’était la cité chrétienne des premiers jours, telle qu’elle était sortie des mains du Christ et des apôtres. Bien plus, ils sont persuadés que leur église a toujours eu des représentans dans le monde, qu’à travers tous les âges il y a eu un noyau fidèle, connu ou inconnu, qui a retenu la vérité primitive sans alliage et l’a transmise à la réformation.

C’est cette idée d’une succession apostolique protestante qui a produit l’illusion dont nous parlons. L’humble église des barbes, dont on pouvait suivre les manifestations depuis le XIe siècle jusqu’au XVIe apparut comme la chaîne qui reliait le christianisme ancien au christianisme nouveau. C’est par cet obscur canal qu’avait certainement passé la tradition primitive. L’illusion fut facile, car les événemens que nous avons rappelés, le voyage de Farel et de Saunier aux Alpes, le concile d’Angrogna, les discussions, les luttes, les résistances du valdisme et enfin sa soumission à l’orthodoxie réformée, toute cette crise de transformation, dont nous nous rendons parfaitement compte aujourd’hui, avait passé inaperçue au milieu des bouleversemens de l’époque. Le passé des sectaires montagnards n’était pas connu exactement. On ne savait alors qu’une chose, c’est qu’ils avaient été rejetés de l’église romaine, excommuniés, persécutés en divers temps et par divers papes ; mais la critique n’avait pas encore passé au crible leurs croyances particulières, leur discipline et leurs mœurs. En quoi ces échappés des bûchers et de l’épée différaient de leurs persécuteurs, en quoi ils leur ressemblaient ; sur toutes ces questions on était fort peu édifié du temps de Luther et de Calvin. Les documens de la littérature vaudoise qui nous les montrent sous leur véritable aspect, c’est-à-dire protestans par certains côtés et catholiques par d’autres, ces documens n’étaient pas encore sortis de la chaumière des Alpes et livrés au public lettré. Personne ne connaissait l’état antérieur de la secte, excepté les deux réformateurs allemands qui étaient entrés en rapport avec elle et les deux Français qui étaient allés la chercher dans ses retraites, qui l’avaient dépouillée de son enveloppe moitié catholique, moitié protestante, et lui avaient donné la robe sans tache de la réformation. Quand elle fit son entrée solennelle au banquet sous son vêtement nouveau, les autres crurent qu’elle l’avait toujours porté, que cette « briève confession » qui éclatait sur les Alpes était l’explosion providentielle de la foi ancienne et du culte ancien, abandonnés par la grande église. A l’argument dédaigneux de l’adversaire : « où étiez-vous avant Luther et Calvin ? » on avait enfin trouvé une réponse triomphante : nous étions avec ces chrétiens des Alpes et du midi, avec ces vaudois et ces albigeois que vous avez torturés et brûlés. Ce qu’ils ont scellé de leur sang, c’est ce que nous vous annonçons ; ce qu’ils ont cru, c’est ce que nous croyons. « C’est le peuple de joyeuse affection et de constante fidélité, s’écrie la réformation française par l’organe de l’un de ses synodes, son nom est le petit troupeau, son règne n’est point de ce monde, sa devise est piété et contentement ; c’est l’église qui a combattu sous l’ardeur du soleil, brune et hâlée au dehors, belle et de bonne grâce au dedans, et dont la plupart d’entre nous avaient méconnu les traces. »

Cette erreur ne fut pas exclusivement le partage des réformés, les catholiques eux-mêmes s’y trompèrent. Les défenseurs de Rome virent aussi dans les protestans les continuateurs de ces sectaires odieux excommuniés jadis. Eck et Vimpina, deux controversistes romains, reprochent à Luther de renouveler l’hérésie vaudoise et albigeoise. Jean de Cardona fait le même reproche à Calvin, et, pour prouver sa thèse, il donne une nouvelle édition de l’historien le plus passionné des guerres religieuses du XIIIe siècle, du moine Pierre de Vaux-Cernay[6], en tête de laquelle on lit ces deux mauvais vers qui résument toute la pensée de l’éditeur :

Tout cela que commet la secte genevoise,
L’hérétique albigeois l’avait plus tôt commis.


Un jésuite va plus loin et prétend avoir découvert vingt-sept articles de la foi vaudoise qui seraient, d’après lui, identiques à ceux des nouveau-venus. C’est au XVIIe siècle seulement que la controverse catholique s’est aperçue que l’argument dépassait le but, et que la doctrine rivale ainsi vieillie n’en était que plus imposante. Alors on adopta une tactique contraire : on s’efforça de prouver que la réformation était un effet sans cause, qu’il n’y avait eu avant Luther et Calvin aucune protestation, aucun doute exprimé sur l’infaillibilité de l’église. Pour les Bossuet et les Arnaud, le passé protestant n’existe pas, et toute cette histoire curieuse qui nous a occupés jusqu’ici est un rêve. Cependant tout n’est pas vain, on le sait, dans cette exégèse de la réformation. Celle-ci est bien réellement le développement de la semence jetée dans la conscience religieuse par ces semeurs errans dont nous avons suivi les traces. Les barbes ont été les porte-drapeau de la libre pensée. Quand le monde est courbé sous le niveau de la règle émanée de Rome, ils en appellent à une règle supérieure, à la Bible ; ils la traduisent, la commentent, l’apprennent par cœur et l’opposent à la tradition. Toute la réformation est là ; mais croire que les révoltés antérieurs y avaient lu exactement les mêmes dogmes que les protestans du XVIe siècle, c’est là l’illusion, la grosse illusion.

Il est curieux de voir comment le valdisme renouvelé essaya de démontrer qu’il n’avait pas changé. Les vaudois s’efforcèrent de s’arranger un passé religieux conforme à celui qu’entrevoyait la sympathie trop complaisante de leurs nouveaux coreligionnaires. Ils avaient rejeté ces restes de catholicisme que nous avons observés chez eux, les vœux de pauvreté et de virginité, le célibat des barbes, la confession auriculaire, le nombre traditionnel de sept sacremens, etc. Tous ces débris de l’ancienne croyance juraient avec la nouvelle orthodoxie réformée. Il fallut les reléguer dans une ombre discrète, et autant que possible les faire disparaître des vieux documens. De là un travail accompli à la sourdine aussitôt après leur transformation, travail singulier qui a égaré la critique jusqu’à nos jours. Des barbes inconnus ont porté la main sur leurs manuscrits, qui ne sont arrivés aux bibliothèques étrangères que défigurés et portant la marque des violences qu’ils ont subies. Ainsi la fameuse correspondance des barbes qui nous a montré l’ancien valdisme a été mise deux fois à la torture, la première fois par un traducteur vaudois anonyme, la seconde fois par un écrivain français. Le premier lui a enlevé son cachet de lettres échangées entre les barbes et les réformateurs, et en a fait disparaître tout ce qui pouvait trahir l’antique doctrine bigarrée du valdisme. Cette dissimulation du passé n’a point paru assez complète à un compilateur plus habile. Le manuscrit de la bibliothèque de Trinity-College, à Dublin, porte entre les lignes ou en marge des notes écrites en français qui ont toutes pour but d’établir l’identité religieuse des vaudois avant et après la réformation. Un docteur anglais, M. J. Henthorn Todd[7], a pu saisir en flagrant délit cette main mystérieuse et nommer le compilateur français. Il a retrouvé ces notes imprimées dans Perrin, le premier historien qui a érigé en système la prétendue identité religieuse des vaudois et des albigeois et l’opinion que les vaudois ont toujours professé la même doctrine. Ces indices paraissent convaincre M. J. Henthorn Todd que l’auteur de l’Histoire des vaudois et des albigeois qui parut à Genève en 1618 et le second compilateur de la correspondance des barbes sont un seul et même personnage, le Lyonnais Jean-Paul Perrin. Cet écrivain n’en était pas à son coup d’essai. Un professeur allemand[8] l’a saisi aussi en flagrant délit d’altération de la confession de foi des thaborites de Bohême, adressée à leur roi Vladislas vers l’an 1490. Cette confession fut éditée en 1533 par Luther, qui la trouva conforme sur beaucoup de doctrines à celle d’Augsbourg. Perrin s’en empara comme d’un document du valdisme ancien, la refondit avec d’autres documens d’une origine réellement vaudoise, et composa du tout les trois traités vaudois de l’Almanac spiritual, du Purgatori soima et de l’Antichrist, portant des dates du XIIe siècle avec le langage, les idées et la marque évidente du XVIe. La Nobla Leyczon elle-même, l’épopée des vaudois, n’a pas été à l’abri de ces falsifications. La découverte toute récente d’une altération portant sur la date a fait grand bruit en Angleterre et en Allemagne parmi le public qui s’occupe de ces questions rétrospectives. Elle nous a surpris nous-même, car nous avions, sur la foi du manuscrit de Genève, assigné à ce poème la date de l’an 1400, exprimée en toutes lettres dans le sixième vers.

Ben ha mil e cent ancz compli entierament.

Mais voici qu’on vient de retrouver à la bibliothèque de Cambridge le fameux manuscrit dit de Morland que cet envoyé de Cromwell à la cour de Turin avait rapporté en 1655 des vallées vaudoises. Au vers en question, il y a entre mil et cent un espace blanc qui a vivement attiré l’attention du bibliothécaire, M. Bradshaw, le savant modeste qui a retrouvé le manuscrit. De cet espace blanc inusité, il a pu faire ressortir un quatre en chiffre arabe. qui avait été gratté. Dans un autre manuscrit qui ne renferme que les treize premiers vers du poème, également retrouvé par lui, il a lu à la même place un quatre en lettres romaines, ce qui ramène la composition de la Nobla Leyezon vers l’an 1400. On ne s’explique pas le but de cette falsification, qui ne porte que sur la date, car l’existence du valdisme avant cette époque n’est pas mise en doute, et la preuve qu’il existait bien avant comme secte constituée, ce sont les brefs et les bulles d’excommunication, les sommes théologiques énormes, les efforts et les guerres dirigés contre cet ennemi dès les premiers temps du moyen âge. Ce n’est donc point l’ancienneté du valdisme qui est en question, c’est l’identité des doctrines religieuses professées avant et après la réformation que toutes les autres altérations signalées ont pour objet de faire passer dans l’opinion protestante. Que la Nobla Leyezon soit du XIIe ou du XVe siècle, cette identité n’en est pas moins un pur mirage historique.

La critique a jeté les hauts cris à la découverte de ces fraudes pieuses, et, l’esprit de parti s’en mêlant, on s’est attaqué aux dogmes qu’elles avaient pour but de vieillir et de montrer comme ayant été professés par les vaudois antérieurement à la réformation. Sur le dos de ces compilateurs peu scrupuleux, on a voulu frapper l’orthodoxie des confessions de foi du XVIe siècle. Essayists anglais, professeurs allemands et libéraux de France ont triomphé sur toute la ligne. Pour nous, qui ne sommes ni des uns ni des autres, ni de Pierre, ni de Paul, ni d’Appolas, nous nous garderons bien de nous mêler à ce concert de récriminations. Qu’y a-t-il dans ces fraudes de si extraordinaire ? Toutes les légendes se forment de la même manière. Quand une idée s’est emparée violemment de l’esprit, elle produit partout les mêmes phénomènes moraux, et il se rencontre toujours un moine Isidore ou un barbe illuminé pour la faire pénétrer de gré ou de force dans les faits antérieurs et pour lui fabriquer les documens les plus authentiques, les fausses décrétales et les fausses donations. La légende protestante qui a fait de pauvres pâtres des Alpes les précurseurs et les ancêtres de la réformation a suivi les mêmes procédés que celle qui a donné les papes pour successeurs des pêcheurs de Tibériade et, pour vicaires de celui dont le royaume n’était pas de ce monde. Illusion pour illusion, l’une vaut l’autre. Devant celle dont les vaudois étaient l’objet et qui venait à eux de tous les points du monde réformé, ils eurent un mouvement d’orgueil bien naturel. Les voilà, élevés sur le pavois, portés en triomphe par la grande famille réformée, ces méprisés, ces maudits du moyen âge ! Comment auraient-ils résisté à la tentation de se composer un visage, une histoire, conformes à l’idée qu’on avait d’eux ? Ils n’avaient du reste que peu à changer dans leurs traits pour offrir le type d’orthodoxie. qu’on cherchait. Nous allons les voir occuper dignement la place d’honneur à laquelle ils viennent d’être élevés.

La transformation de l’ancien valdisme en église du type calviniste s’était accomplie à un moment où l’empire et le sacerdoce avaient bien d’autres préoccupations que celle de réprimer ce mouvement. Les cadres de la grande église rompaient partout sous l’effort de la pensée nouvelle, et par les brèches ouvertes s’échappaient des peuples entiers. Assaillie dans sa capitale même par les bandes du connétable de Bourbon, l’église catholique venait de voir son maître-autel saccagé, ses temples, objets de la vénération du monde, pillés et profanés, ses cérémonies tournées en dérision, les vêtemens de ses pontifes endossés par des reîtres en belle humeur réunis en conclave et proclamant Martin Luther successeur de saint Pierre, et le pape Clément VII avait assisté à ce spectacle inouï d’une fenêtre de sa prison du château Saint-Ange. Les deux grandes puissances qui avaient jusque-là porté l’épée pour sa défense, la France et l’Autriche, sont en guerre, et entraînent toutes les autres dans leurs rivalités sanglantes. Celle qui aurait pu réprimer le mouvement religieux qui s’accomplissait dans les Alpes, la maison de Savoie, ayant voulu conserver la neutralité entre les deux rivales, est emportée dans un retour offensif de François Ier contre Charles-Quint. Elle disparaît pendant vingt-trois ans du nombre des familles régnantes. Soumis à la domination française, les vaudois profitèrent de cette politique décousue de François Ier, qui brûlait à Paris sous ses yeux les religionnaires qu’il protégeait au dehors pour les opposer à son rival : ils purent s’organiser, bâtir des temples, nouer des relations avec les réformés du dehors. C’est pendant cette période française que s’acheva la réforme vaudoise commencée par Farel, et que les barbes arrangèrent leur histoire selon les idées nouvelles. Une fois en communion avec le reste des réformés, ils furent saisis du même zèle de propagande qu’ils avaient autrefois montré à l’arrivée en Occident des cathares gréco-slaves, et ce zèle provoqua une cruelle répression. Avant même l’occupation du pays par les troupes de François Ier, la région des Alpes avait abrité une vie religieuse intense qui déborda sur la plaine piémontaise, sur le Dauphiné et la Savoie. L’Israël des Alpes avait pris pour emblème une lumière qui luit dans les ténèbres, lux lucet in tenebris, l’ancienne devise de ces comtes de Luserne qui avaient jadis protégé la secte contre l’inquisition, et il s’efforça en effet de répandre sa lumière. Ses apôtres et ses colporteurs de livres se répandent de nouveau sur les deux versans, prêchant cette fois l’Évangile sans détour, sans les déguisemens et les naïvetés d’autrefois, allant franchement à l’adversaire et lui opposant un christianisme épuré. Ce réveil de la foi excita le fanatisme des moines de l’Abbadia de Pignerol, qui suppléèrent aux défaillances du bras séculier. A la faveur de l’anarchie qui accompagne toujours un changement de domination, ces anciens ennemis des vaudois organisèrent contre eux, avec l’aide de quelques seigneurs locaux, des razzias qui tombaient à l’improviste dans une vallée, et se retiraient aussitôt avec des captifs voués à des tortures atroces. Un certain Ugon Chiamp, pris du côté de Suse, fut mis à mort d’une horrible façon : on vida ses entrailles dans un vase pendant qu’il respirait encore. Un Geymonat, pris à Luserne, au débouché de la vallée du Pellice, périt avec un chat vivant introduit dans le ventre par une large incision. On le voit, le fanatisme du XVIe siècle se montre plus ingénieusement féroce que celui du XIIIe. Quelquefois ces attaques étaient vivement repoussées par les habitans des vallées. « Un matin, raconte Crespin dans son Histoire des Martyrs, ceux d’Angrogna, étant dans leurs muandas ou chalets du côté de Saint-Germain, ouïrent quelques arquebusades devers ce lieu, et peu à peu ils aperçurent une troupe de pillards, au nombre de cent vingt, qui marchaient contre eux. Alors ils se mirent incontinent à crier pour avertir les leurs, et, s’étant rassemblés, ils se formèrent en deux troupes de cinquante hommes chacune qui prirent l’une par le haut, l’autre par le bas, et, se ruant sur l’escouade des brigandeaux, qui étaient tous chargés et embarrassés de butin, les mirent en fuite, et les poursuivirent jusqu’au bord du Chisone, où il s’en noya la moitié. »

Après que la domination française fut régulièrement constituée, l’initiative des persécutions passa de l’église à l’état, de l’inquisition aux chambres ardentes instituées dans les parlemens. François Ier avait transporté sur les deux côtés des Alpes, en Savoie et en Piémont, les institutions judiciaires de la France, alors bien supérieures à celles des autres pays. Les parlemens français de Chambéry et de Turin, amenés par la conquête et qui furent à l’œuvre de 1538 à 1559, ont laissé des traces ineffaçables : la jurisprudence fut renouvelée, le latin barbare dont on s’était servi jusque-là au palais fut remplacé par la langue usuelle, le français à Chambéry et l’italien à Turin. En courbant sous la loi commune les plus hautes têtes de la féodalité et de l’église, ils ont aplani les chemins à la maison de Savoie, rentrée en 1559 en possession de ses états par le traité de Cateau-Cambrésis ; mais ils ont laissé aussi des souvenirs sinistres de condamnations à mort pour crime d’hérésie, tombées en grande partie sur les missionnaires sortis de la terre vaudoise. Ces deux compagnies judiciaires semblent s’être donné pour mission d’isoler le foyer des barbes et d’empêcher que l’incendie ne se communiquât aux pays subalpins. Placé entre Genève, qui venait d’embrasser la réforme, et les Alpes, le parlement de Chambéry arrêtait au passage et brûlait impitoyablement les religionnaires qui se rendaient d’un point à l’autre. Les jeunes gens des vallées vaudoises allaient étudier la théologie aux écoles de Genève et de Lausanne, car l’école du Prà del Tor ne répondait plus aux besoins nouveaux, et de la Suisse partaient sans cesse des touristes zélés pour visiter les retraites de l’église primitive. La route la plus directe était par la Savoie. Nous savons par un procès fameux jugé en 1555 à Chambéry qu’ils entraient dans la vallée de l’Arve, qui appartenait alors en grande partie à la Suisse, et que, tournant au midi à la hauteur de Bonneville, ils s’engageaient dans le massif de montagnes qui sépare cette vallée du bassin de l’Isère, franchissaient les cols de la Maurienne et du Briançonnais, et parvenaient sur le versant italien. Au mois de juin de cette année 1555, une caravane composée de cinq ministres et d’un néophyte piémontais suivait cette route à petites journées, évangélisant les bergers des hauts pâturages, couchant la nuit dans les chalets et y laissant discrètement leurs enseignemens et leurs livres religieux. Ils ne se doutaient pas que les gens du parlement, avertis de leur entrée dans la partie française de la Savoie, les attendaient au col de Tamié, au débouché des Beauges, sur la vallée de l’Isère. Arrêtés, conduits à Chambéry, ils furent condamnés, par sentence du 17 août, à être brûlés après strangulation, selon la jurisprudence des parlemens de Chambéry et de Turin, adoucissement à la jurisprudence antérieure, qui brûlait vif. Rien ne put les sauver de la mort, ni les représentations diplomatiques de Genève et de Berne, ni la requête que les condamnés adressèrent au roi de France. Leurs réponses aux juges civils et ecclésiastiques avaient été claires, sans tergiversation : ils avaient énergiquement réprouvé la foi du pape et confessé celle de l’église primitive. On avait de plus trouvé sur eux un corps de délit qui suffisait alors pour conduire au feu celui qui en était porteur, savoir une lettre de l’homme extraordinaire qui avait fait de Genève le quartier-général de la réformation. Devant cette preuve accablante, le parlement n’hésita point, et la sentence eut son cours le 25 octobre, en grande cérémonie, sur le bord du torrent qui traverse Chambéry.

Un procès qui n’eut pas moins de retentissement est celui du colporteur vaudois Barthélemy Hector, condamné l’année suivante par le parlement de Turin et exécuté de la même manière. Ce procès nous montre de plus près le tempérament religieux des apôtres du nouveau valdisme. Barthélémy Hector avait pour mission d’aller de lieu en lieu, vendant ou donnant l’Écriture sainte et l’expliquant au peuple. De Genève, où il s’était approvisionné de livres, il avait suivi la route ordinaire des montagnes de la Savoie, courbé sous son précieux fardeau, harassé, mais « joyeux et bénissant Dieu, » dit Crespin. Il était arrivé au mois de juillet 1555 dans la terre promise des barbes, sur les hauteurs de la Vachère, entre la chaîne centrale et l’abîme du Prà del Tor. En cette saison de l’année, la population déborde sur les hauts lieux, la vie monte aux cimes élevées qui se hâtent de fleurir sous le chaud rayon du soleil et de donner leur tribut annuel d’herbe fine et serrée que viennent brouter la vache et le mouton. Le colporteur avait fait aussi son ascension à l’alpe sauvage, heureux s’il s’y était tenu ; mais, ayant voulu descendre dans la vallée de San-Martino, sur les terres d’un seigneur allié de la fameuse Abbadia et ennemi héréditaire des vaudois, il fut saisi, conduit à Pignerol et de là dans la prison du parlement de Turin, où le catalogue de ses livres l’avait précédé. Les divers interrogatoires auxquels il fut soumis à Pignerol et à Turin devant le tribunal de l’inquisition et la cour du parlement mettent en lumière un caractère doux et aimant, mais en même temps très ferme. Le magistrat civil est visiblement ébranlé, et veut lui sauver la vie. « Si vous ne voulez pas, lui dit-il, abjurer votre foi, rétractez au moins vos premières déclarations.. — Prouvez-moi qu’elles sont erronées. — Il ne s’agit pas de prouver, répond le magistrat, il s’agit de vivre. — Ma vie est dans ma foi, c’est elle qui m’a fait parler. » Le parlement, ne sachant que faire de cette conscience inébranlable, le renvoie au saint-office, où on lui renouvelle l’assurance de la vie sauve sur une simple rétractation. « J’ai dit la vérité, répond-il, comment puis-je changer de langage ? Peut-on changer de vérité comme de vêtement ? » Ce fut là son dernier mot. L’église le déclara hérétique et le livra, selon la formule canonique, au bras séculier, c’est-à-dire à la mort. Le 19 juin 1556, il fut conduit au lieu des exécutions A travers les flots pressés du peuple accouru au spectacle. Il ne laissa pas échapper cette dernière occasion de publier la doctrine pour laquelle il allait mourir. « Il parlait au peuple, dit un témoin, et le peuple pleurait et s’étonnait qu’on fît mourir un tel homme. » On le menaça de lui couper la langue ; mais la sentence n’avait pas prévu le cas, et il continua jusqu’au lieu du supplice de crier à la foule de se convertir et de croire. Devant le bûcher, un envoyé du parlement vint encore lui offrir la vie et la liberté, s’il voulait seulement dire un mot de rétractation. Au lieu de lui répondre, il fléchit le genou et ne parla plus qu’à Dieu. Sa prière révèle l’esprit qui animait ces apôtres du valdisme renouvelé. « Seigneur, dit-il, fais-moi la grâce de persévérer jusqu’à la fin, pardonne à ceux dont la sentence va délier mon âme de son corps : Seigneur ! ils ne sont pas iniques, mais ils sont aveuglés. » Ce n’est là ni l’enthousiasme théâtral des émissaires vaudois que nous avons vus quelques siècles auparavant, ni leur emportement contre l’église dominante. La foi de ceux-ci est plus éclairée, leur attitude devant le supplice est plus chrétienne, c’est-à-dire plus conforme à l’exemple du Christ, le type parfait du dévouement et du martyre.

Ce n’était là qu’un commencement d’épreuves. Irrité de cette dissidence qui s’épanchait sur la plaine malgré ses arrêts, le parlement de Turin nomma en 1557 une commission pour aller explorer la région vaudoise. Elle s’y fit précéder d’un édit menaçant pour les sectaires qui refuseraient de se soumettre à la religion du roi, mais plein de promesses séduisantes pour ceux qui obéiraient. Promesses et menaces, tout fut inutile, pas un vaudois ne se soumit. On fuyait, on gagnait les hauteurs à l’approche des parlementaires, qui ne trouvèrent personne à qui parler, excepté quelques familles d’Angrogna qui furent conduites à Pignerol. L’un des commissaires, le président de Saint-Julien, ordonne à l’un des prisonniers d’observer l’édit et de faire rebaptiser son enfant. Le vaudois se tira d’embarras par une réponse qui désarma le président : « Qu’il vous plaise, dit-il, me donner auparavant un écrit signé de votre main par lequel vous me déchargez du péché que je pourrais commettre en faisant rebaptiser mon enfant. » Étonné de ce trait, le parlementaire, qui était Français et homme d’esprit, renvoya le paysan en lui disant : « Ote-toi de devant mes yeux, j’ai assez à répondre de mes péchés sans me charger des tiens. » Le parlement rendit, sur le rapport de sa commission, un édit souverain qui obligeait les vaudois à se conformer, sous peine de mort, au rite dominant ; mais les événemens extérieurs détournèrent pour un moment la tempête prête à fondre sur la dissidence alpestre. Par un de ces brusques retours de la fortune si fréquens dans son histoire, la maison de Savoie venait de reparaître avec éclat sur la scène politique. Emmanuel-Philibert, injustement dépouillé par François Ier, venait de reconquérir le trône de ses ancêtres sur les champs de bataille de Gravelines et de Saint-Quentin. C’est lui désormais, ce sont ses successeurs, qui vont entreprendre l’œuvre ingrate de ramener l’Israël des Alpes sous le niveau de la foi commune.

III

On voudrait effacer du brillant tableau historique de la maison de Savoie cette entreprise obscure qu’elle n’a pu heureusement achever. Rien n’est pénible pour l’historien libéral comme de voir une race royale remarquable entre toutes par son tempérament débonnaire sortir de sa tradition et de son caractère. On sent qu’elle n’est pas libre de faire autrement, et c’est là son excuse. Elle est poussée par la force inexorable qui mène à la croisade les grandes monarchies, l’Espagne, l’Autriche, la France elle-même, et ce n’est qu’à contre-cœur qu’elle s’engage dans ce duel contre la dissidence religieuse. Après chaque persécution, elle est saisie de pitié, son naturel revient, elle pardonne, elle accorde un édit de tolérance et de paix ; mais elle est ramenée à la charge, excitée, irritée par un spectateur invisible et partout présent. Rome menace, le pape lance des brefs et des bulles d’extermination, le clergé séculier et régulier s’agite en-deçà et au-delà des Alpes, la fameuse association de propaganda fide et exterminandis hœreticis, fondée à Turin dès la fin du XVIe siècle et qui a compté parmi ses membres tous les grands noms de l’aristocratie piémontaise, entoure le prince, et lui montre sa gloire, la sécurité et l’unité de la monarchie intéressées à la destruction des vaudois. La secte aurait infailliblement disparu, si elle n’avait pas été, elle aussi, environnée d’une nuée de témoins qui l’ont soutenue de leurs regards, de leurs sympathies et de leurs bras. La longue résistance des vaudois paraîtrait un effet sans cause, si on n’entrevoyait pas à l’arrière-plan la réformation debout derrière eux. Chaque fois qu’ils sont pressés par l’ennemi et en danger de périr, le monde protestant est saisi d’une vive émotion ; d’énergiques représentations diplomatiques arrivent à la cour de Turin, on fait des collectes dans les églises, on prie, on s’agite, des bras s’arment, et par les cols des Alpes passent secrètement les huguenots français, les rudes compagnons des Mouvans, des Coligny, des Lesdiguières, qui tombent comme l’avalanche sur l’agresseur venant de la plaine italienne. Cette double intervention du catholicisme d’un côté, de la réformation de l’autre, est visible dans les affaires vaudoises. Elle rétablit l’égalité des forces entre les deux combattans, et explique comment ce petit peuple a pu triompher d’ennemis si puissans et si nombreux.

La première persécution eut lieu aussitôt après le retour d’Emmanuel-Philibert dans ses états. Heureux du changement de domination qui les délivrait du parlement de Turin, de ses commissions et de ses arrêts, pleins d’espérance en la bonté du nouveau souverain et de sa femme Marguerite de France, « la bonne duchesse, » comme l’appellent les écrivains vaudois, que l’on disait incliner aux idées nouvelles, les montagnards se hâtèrent de lui faire parvenir à Nice leurs humbles requêtes et une exposition de la foi qu’ils avaient, disaient-ils, professée de tout temps, da ogni tempo, du tempo immemoriale. Fermes sur la croyance, mais coulans sur les traditions, ils reçoivent celles qui servent au bon ordre, à l’honnêteté et à la dignité du saint ministère ; « quant à celles, disent-ils, qui sont proposées sous intention de mérite pour lier et obliger les consciences contrairement à la parole de Dieu, nous les rejetons formellement, et ne les accepterions pas de la main même d’un ange. » Devant cette fermeté, le duc hésita d’abord sur le parti à prendre. Devait-il tolérer deux religions dans ses états ? La duchesse inclinait de ce côté, si l’on en croit l’historien Gilles, et la conduite du duc à l’égard des religionnaires prouve que lui-même était porté à tolérer ce dualisme ; mais il voulut prendre conseil de Rome, et envoya au pape les requêtes et la confession vaudoises. Cette démarche était une grande faute, elle constituait un engagement de réduire les religionnaires par la force, et Rome le lui fit bien voir. « Je ne souffrirai pas, répondit Pie IV, qu’on mette en discussion les points arrêtés canoniquement. La dignité de l’église veut que chacun se soumette à ses constitutions sans contester en rien, et les devoirs de ma charge sont de procéder en toute rigueur contre ceux qui ne voudraient pas s’y assujettir. » Tout au plus consent-il à envoyer dans les vallées des Alpes un légat pour recevoir les vaudois dans l’église « sans dispute ni examen. » Le légat choisi fut le fameux jésuite Possevino, qui avait déjà eu l’art de circonvenir le duc et de se faire donner la commanderie de Fossano en Piémont. Les barbes le reçurent avec tous les égards possibles, mais sur l’article de la religion ils demeurèrent inébranlables. Il retourna auprès d’Emmanuel-Philibert, qui était toujours à Nice, et comme le duc reculait devant la guerre : « Pourquoi, lui dit-il avec hauteur, avez-vous consulté le saint-père, si vous ne voulez pas respecter sa décision ? » Il fallut obéir, et dès lors la maison de Savoie entra au service sanglant de la papauté. Au mois d’octobre 1560 parut un édit qui obligeait les vaudois à se soumettre à l’église sous peine de mort, et la persécution commença d’abord contre ceux qui étaient disséminés sur la plaine. Ils fuient vers les montagnes pour éviter de prendre les armes contre leur souverain légitime, emmenant avec eux leurs femmes, leurs enfans, leur bétail. « Pendant huit jours, dit l’auteur de la Memorabilis historia publiée deux ans après[9], on ne voyait par les chemins pierreux que gens aller et venir, portant hardes et petits meubles, tout ainsi qu’au temps d’été les fourmis ne cessent de courir et cheminer de çà et de là, s’approvisionnant pour les jours mauvais, et d’entre ces dignes gens nul ne regrettait ses biens, tant ils étaient délibérés d’attendre patiemment la bonne volonté de Dieu. » Ils chantaient comme le peuple d’Israël au sortir de la maison de servitude. « On n’entendait, dit Gilles, chanter que des psaumes et des cantiques des vallons aux montagnes par ceux qui transportaient les malades, les personnes faibles, les vieillards, les femmes et les enfans dans les retraites les plus sûres des rochers. » Un fait qui donne une haute idée des mœurs vaudoises, c’est qu’une partie des habitans des vallées, sans distinction de religion, suivit cette ascension aux montagnes pour se soustraire à la brutalité des soldats de la foi ; les femmes et les filles des catholiques se retirèrent dans la forteresse des barbes, au Prà del Tor, sous la garde de la foi vaudoise.

Cette fuite n’était pas, comme on l’a cru, une ruse de guerre, elle était commandée par un sentiment plus élevé : les vaudois fuyaient non pas devant l’ennemi, mais devant la nécessité de verser le sang. L’ancien principe de l’inviolabilité de la vie humaine n’était pas encore entièrement extirpé de leur conscience. C’est à ce principe que fait allusion une lettre du commandant ennemi, adressée au duc le 28 octobre et dont l’original se trouve aux archives de cour à Turin ; ce commandant était Philippe de Savoie, descendant de la branche d’Achaïe, qui avait régné à Pignerol au XIVe siècle, et sous laquelle les sectaires avaient longtemps vécu en paix. Il informe le duc de l’attitude singulière des vaudois devant l’armée. « Ils persistent, dit-il, dans leur opinion, et ne veulent point prendre les armes contre leur souverain. Les uns, s’en vont, les autres attendent le martyre dans leurs maisons avec leurs femmes. C’est une grande compassion, è gran compassione, que de les voir. « Le général ne veut plus d’une guerre, contre un ennemi qui ne se défend pas, et il se retire dans sa terre de Raconigi, d’où il ne sortira que pour négocier la paix. La place laissée vacante par la retraite de Philippe fut donnée à un homme que sa férocité y appelait naturellement, au comte Costa della Trinità, le Simon de Montfort de la première croisade contre les vaudois, nom odieux qui a été changé par les écrivains nationaux en celui de comte de la Tyrannie. Il marcha contre la région maudite à la tête d’un corps d’armée qu’une lettre adressée des vallées à un seigneur de Genève[10] évalue à 4,000 hommes de pied et 200 chevaux. Il incendia et ravagea les parties découvertes pendant le reste de l’automne de 1560, et au printemps, voulant frapper le grand coup, il fit donner l’assaut à la forteresse naturelle du Prà del Tor. C’est là qu’il rencontra la première résistance sérieuse. Acculé dans sa dernière retraite, le petit peuple se dépouilla tout à fait de ses anciennes objections et de ses anciens scrupules sur le droit de défense et d’effusion du sang ; au lieu de ces timides fuyards que le comte espérait prendre d’un coup dans la gorge du Prà del Tor, il rencontra des héros qui repoussèrent victorieusement quatre assauts successifs. Dans le dernier, l’armée vaincue se retira en désordre jusqu’à la Rocca di Cavour, sur la plaine de Saluces. Les catholiques, qui souffraient de cette guerre presque autant que les dissidens, s’étonnaient en voyant la déroute des croisés qu’ils ne fussent pas poursuivis dans leur fuite par les vaudois ; « mais, dit Gilles, les principaux chefs et surtout les ministres ne voulurent pas consentir à cette poursuite, car ils avaient décidé dès le commencement que, lorsqu’ils seraient forcés de se défendre par les armes, on se tiendrait toujours dans les limites de légitime défense tant par respect des supérieurs que pour épargner le sang humain. »

D’où venait aux vaudois cette ardeur nouvelle, ce courage et cette intrépidité ? Que s’était-il donc passé pendant l’hiver ? Un grand événement : l’esprit guerrier de la réformation française avait soufflé à travers les Alpes. Les huguenots français ont formé de bonne heure un parti armé dans la nation. Ce fut leur force, et en même temps ce fut leur faiblesse. Devenue un parti politique, la réformation française ne puisa point dans cette attitude belliqueuse une plus grande force d’expansion ; au contraire, elle s’arrêta court devant une force supérieure de même nature, devant la majorité catholique. Au lieu d’une guerre de l’esprit où l’ancienne foi aurait été probablement vaincue, elle ne fit plus qu’une guerre de soldats où le petit nombre devait nécessairement succomber. Les chefs religieux s’étaient d’abord énergiquement opposés aux prises d’armes ; mais tous leurs conseils devinrent inutiles, car c’est la fatalité de la France que toute idée lancée, même celle de paix, se transforme en instrument de guerre. Ce tempérament belliqueux se communiqua pendant l’hiver aux anciens vaudois. En voyant leurs frères, ou plutôt leurs pères du versant italien voués à la destruction, les protestans des vallées françaises passèrent les cols de la montagne au milieu des neiges, et vinrent organiser la défense et souffler leur ardeur aux persécutés. Au fond de la vallée du Pellice est une montagne appelée le Puy. C’est là, le 21 janvier 1561, sous une neige qui tombait à gros flocons, que les délégués des deux versans jurèrent sur la Bible une alliance éternelle. « Au nom des églises vaudoises des Alpes, du Dauphiné et du Piémont, qui ont toujours été unies et dont nous sommes les représentans, nous promettons ici, la main sur la Bible et devant Dieu, que toutes nos vallées se soutiendront courageusement les unes les autres pour fait de religion, sans préjudice de l’obéissance due à leurs légitimes supérieurs. Nous promettons de maintenir la Bible entière et sans mélange, selon l’usage de la vraie église apostolique, persévérant en cette sainte religion, fût-ce au péril de notre vie, afin de pouvoir la laisser à nos enfants intacte et pure comme nous l’avions reçue de nos pères. » Après ce serment, les délégués s’occupent de la défense, ils forment un corps de chasseurs montagnards que les écrivains vaudois nomment la compagnie volante, toujours prête à se porter sur les points menacés ; ils élèvent des retranchemens avec des arbres abattus, préparent sur les hauteurs des blocs de rocher destinés à être roulés sur l’agresseur, et quand au printemps le comte della Trinità revint à la charge, il fut reçu de la manière que nous savons. « Dieu bataille pour eux, et nous leur faisons tort, » disaient les catholiques de la plaine en voyant passer les débris mutilés de la croisade.

Les vaudois profitèrent de la terreur que leur nom inspirait pour faire une nouvelle tentative auprès de leur souverain, qui avait enfin mis les pieds sur le sol du Piémont après vingt ans d’absence. Sa capitale n’étant pas encore évacuée par la France, il était venu à Vercelli, puis à Fossano, près du théâtre de la guerre, d’où, il pouvait voir la région ravagée. Ce n’est pas volontairement, nous le savons déjà, que le héros de Saint-Quentin s’était jeté dans cette persécution, et dans une entrevue qu’il eut avec les députés vaudois à Vercelli il leur dit franchement : « C’est en vain que le pape, les princes d’Italie et mon conseil lui-même me pressent d’exterminer ce peuple ; j’en ai pris conseil de Dieu dans mon cœur, il me presse plus fort encore de ne pas le détruire[11]. » La « bonne duchesse » était probablement entrée aussi dans ce conseil de son mari avec Dieu. C’est à elle que les députés vaudois s’adressent, c’est par elle qu’ils font passer leurs requêtes, et elle leur donne toujours d’encourageantes paroles. « Vous ne sauriez croire, leur dit-elle, tous les mauvais rapports qu’on nous fait chaque jour contre vous ; mais ne vous troublez point. Soyez gens de bien, soumis à Dieu et à votre prince, paisibles envers vos voisins, et tout ce qu’on vous a promis vous sera tenu fidèlement. » Le duc, ne voulant pas traiter directement avec des sujets qu’il considérait comme rebelles, rappela de sa retraite son parent Philippe de Savoie. Avec un tel négociateur, la paix fut bientôt conclue à Cavour le 5 juin 1561. Le culte vaudois est reconnu et toléré dans les trois vallées et sur une zone de la plaine embrassant les bourgs de Bibiana, Briccherazio, Campiglione et Fenile. Toutefois, sur cette zone qui touchait à la Rocca di Cavour, on ne pourra élever des temples ; mais les dissidens seront libres de se rendre dans ceux des montagnes. Faculté pleine et entière d’aller et de venir, de vendre et d’acheter dans les états de son altesse, avec la restriction de ne pas s’y établir et d’éviter la propagande, amnistie du passé, restitution des biens confisqués, confirmation des privilèges anciens, tel est en substance ce fameux traité de Cavour.

Cette législation a régi les vaudois jusqu’en 1655. Pendant cette période de près d’un siècle, ils n’ont pas eu de guerre à soutenir contre leur souverain ; mais leur existence a été un combat continuel contre l’Abbadia, contre les bandits à sa solde et contre les moines introduits dans les vallées en vertu d’une stipulation du traité de Cavour. « Ils arrivaient par bandes, écrit Jean Léger[12], et célébraient la messe au grand étonnement de la population. » Pour comprendre dans quels termes se trouvaient les barbes avec eux, il faut assister à une scène de controverse dans le temple de Saint-Jean, où ce même Léger joue le principal rôle. « Je ne fus pas plus tôt installé à Saint-Jean comme pasteur, dit-il, que voilà une nouvelle volée de pères missionnaires fraîchement envoyés de Rome. Leur préfet s’appelait padre Angelo, grand colosse quant au corps, mais estimé bien plus grand quant à l’esprit. Il vint me surprendre un mercredi au prêche, quand j’avais déjà prononcé tout mon exorde. J’avais ce jour-là commencé ma prédication en français, et, sachant que cette langue était barbare aux nouveau-venus, je me mis à l’italien, et relus mon texte en cette langue. » On peut juger par ce texte de la fureur de controverse qui animait les deux religions. Il est tiré de l’Apocalypse, IX, 3, où il est question de sauterelles immondes « sorties du puits de l’abîme et qui ont un pouvoir semblable à celui des scorpions. » Le prédicateur s’ingénia pendant une heure sur ce verset. « Je n’omis, dit-il aucun des rapports qu’on peut établir entre les sauterelles et les moines. » Padre Angelo et son escorte bondissaient à leur place, et quand le sermon fut fini, ils éclatèrent en argumens de la même force contre le démon de la réforme et ses suppôts. Ces jeux de mots ne faisaient de mal ni à l’un ni à l’autre des deux partis en présence, car ce n’est point par des controverses passionnées qu’une croyance est diminuée ou augmentée. Les moines passèrent à des choses plus positives. Soutenus par les fonds du conseil de la propagande, ils fondèrent dans chaque commune vaudoise une sorte de banque des consciences, des monts-de-piété à la mode italienne, entretenus par les libéralités de l’aristocratie piémontaise, qui prêtait largement aux pauvres vaudois sur une seule signature d’abjuration. On regrette que la cour de Turin soit entrée de compte à demi dans ce commerce odieux par l’exemption d’impôts accordée à ceux qui vendaient ainsi leur conscience. La régente de Savoie, Christine de France, fille d’Henri IV, qui ne ressemble guère à son glorieux père que par ses mœurs légères, fit une loi expresse pour exempter des tailles les vaudois qui se feraient catholiques[13], et pour assurer l’exécution de la loi elle confia aux moines la perception des impôts dans la région hérétique.

Avec la plaie des sauterelles, pour parler le langage du controversiste, les vaudois eurent à supporter la peste, la famine et des avalanches terribles. En 1629, la récolte ayant manqué sur tout le versant italien, les curés de la plaine défendirent à leurs fidèles de donner du travail aux vaudois qui venaient offrir leurs services pour quelques boisseaux de blé. La même année, le 23 août, vers huit heures du matin, un déluge s’abattit sur les cimes du Julian, et remplit les deux côtés de la montagne, les vallées de Saint-Martin et de Luserne, d’un effroyable débordement d’eau, de terres, de gravier et de blocs de rochers. L’année suivante, la peste noire, ainsi appelée à cause de la couleur sombre du nuage épais qu’un vent sec et froid amassait contre les Alpes, enleva tous les barbes, à l’exception d’un seul, de l’historien Gilles, et il fallut les remplacer par des ministres de langue française. C’est depuis cette époque que le français a envahi la prédication et la liturgie vaudoises, et fait disparaître le dialecte de la Nobla Leyczon avec les derniers vestiges de l’ancien valdisme. Les hommes et la nature semblaient avoir décrété la destruction de la secte antique ; mais elle avait la vie dure, et, tout en paraissant mourir chaque jour, comme parle saint Paul, elle vivait néanmoins pour prouver qu’il est une force qui triomphe de toutes les tyrannies. Chacune de ses souffrances retentissait douloureusement dans la conscience du monde protestant, et la sympathie générale s’appliquait à fermer ses blessures, opposant les collectes et les secours de l’Angleterre, de la Hollande et de la Suisse aux monts-de-piété des moines, aux fonds de conversion des seigneurs et des grandes dames du Piémont.

C’est ainsi que le valdisme renouvelé a traversé la période qui s’est écoulée depuis le traité de Cavour jusqu’en 1655, période terrible pour les autres églises de la réformation, marquée en France par la Saint-Barthélémy, en Hollande par les exterminations du duc d’Albe et du prince de Parme, en Allemagne par les grandes guerres de religion. On peut dire que les vaudois, malgré toutes leurs épreuves, l’ont traversée dans une certaine sécurité, à l’abri du traité de Cavour, qui fut respecté dans ses principales dispositions par les souverains de la maison de Savoie ; mais le moment est venu où cette faible barrière va être emportée, où le tempérament débonnaire du prince ne pourra plus tenir contre le fanatisme de ses peuples. Déjà en 1622 une clause de ce traité qui accordait aux vaudois le droit de s’établir et d’acquérir des biens dans la plaine avait été révoquée par un édit de Charles-Emmanuel Ier, rendu (c’est le prince lui-même qui le déclare pour dégager sa responsabilité) en conformité d’un ordre venu de Rome, in conformità del breve fatto publicare dalla santità di nostro signor papa Gregorio XV. Plus tard, en 1650, un autre édit plus pressant avait refoulé vers leurs montagnes les vaudois que le trop-plein de la population forçait d’abandonner les hauteurs ; Cependant on n’avait pas tenu bien rigoureusement la main à l’exécution de ces mesures d’intolérance, et les religionnaires avaient fini par se considérer comme chez eux dans les bourgades de Briccherazio, de Bibiana, de Campiglione et de Fenile ; mais voici qu’au mois de janvier 1655, en plein hiver, un ordre de Turin leur enjoignit, sous peine de mort, de rentrer dans leurs vallées. Ce fut le prélude du grand massacre connu sous le nom de pâques piémontaises, qui produisit dans le monde protestant une émotion aussi grande que celle de la Saint-Barthélémy, et attira sur la cour de Turin un orage formidable de protestations.

Charles-Emmanuel II, qui régnait alors, était livré aux fatales inspirations de l’association de la Propagande. Cette société, dont le nom est déjà revenu plusieurs fois sous notre plume, a fait dévier du caractère traditionnel de leur maison le duc Philibert, les deux Emmanuel et Victor-Amédée II. Elle a rempli auprès d’eux le rôle d’un mauvais génie en leur inspirant toutes les mesures de persécution contre les sectaires des Alpes. Ceux qui connaissent l’histoire politique du règne de Charles-Albert auront l’idée de cette association, car ce prince, le libéral et le constitutionnel de 1821, a été retenu pendant dix-sept ans dans le vieil absolutisme par la société de la Cattolica, analogue au conseil de la propagande. Le sanfédisme de 1830 est la reproduction exacte de la propagande de 1655. L’organisation est la même, le but seul est différent. L’un était dirigé contre les principes de liberté politique, l’autre poursuivait l’extermination du valdisme. Sous le règne de Charles-Emmanuel II, le conseil de propaganda fide se composait des plus hauts personnages de la cour, entre autres du général marquis de Pianezza, de Gastaldo, lieutenant de la couronne dans les vallées vaudoises, de l’archevêque de Turin et du confesseur du prince. La partie la plus agissante de l’association, c’étaient les grandes dames de l’aristocratie. Elles se réunissaient chez la marquise de Pianezza, leur présidente, femme d’une beauté égale à son fanatisme, sorte de Simon de Montfort en jupon, qui, ne pouvant tenir l’épée de la foi dans ses mains trop délicates, passait sa vie à faire des collectes pour le fonds de l’association. On la voyait dans les rues arrêtant sa voiture tantôt devant un palais, tantôt devant une taverne, quêtant chez le riche et chez le pauvre pour soutenir l’œuvre de la propagande et les hospices destinés à recevoir les enfans volés aux hérétiques. Pour exciter le zèle de ses compagnes, elle avait toujours dans sa voiture un ou deux de ces petits Mortara vaudois somptueusement habillés, dont elle faisait parade. L’usage d’avoir pour laquais un barbetto, enfant de barbe, qui s’est continué parmi l’aristocratie turinoise jusqu’à la révolution de 1789, date de la célèbre marquise, qui le mit à la mode. Son zèle orthodoxe pour les petits enfans en avait fait la terreur des dissidens, et encore aujourd’hui la mère vaudoise ne parle de la terrible Pianezza qu’en serrant son fils contre son cœur. Nous avons entendu raconter sous la chaumière des Alpes la légende effrayante de sa mort. Elle voyait des flammes monter rouges autour de son lit. « Élevez-moi ! élevez-moi ! encore ! encore ! » criait-elle à ses serviteurs, et ceux-ci tiraient la poulie qui tenait son lit suspendu au plafond. Quand l’accès était passé, on la redescendait doucement ; mais aussitôt que le lit touchait le parquet, la frayeur des flammes éternelles la saisissait de nouveau, et il fallait recommencer l’ascension. C’est ainsi qu’elle mourut, déjà la proie, ajoute la légende, du ver qui ne meurt point et du feu qui ne s’éteint point. La plupart des grands persécuteurs des vaudois ont laissé des traces profondes dans l’imagination populaire, qui nous les montre éprouvant dès cette vie l’effet des vengeances divines. Ce peuple croyant n’a pu concevoir que Dieu ait laissé vivre et mourir naturellement des hommes qui lui ont fait tant de mal.

C’est sous la pression de ce milieu d’intolérance que le duc signa l’édit de janvier qui refoulait les vaudois dans leurs vallées étroites. Dans l’espérance qu’il y aurait des résistances armées, le conseil de la propagande obtint de Charles-Emmanuel, alors allié de la France contre l’Espagne, un ordre verbal pour loger dans la région vaudoise quatre régimens français de l’armée de Lombardie sous le commandement du maréchal de Grancey et une troupe d’irréguliers irlandais à la solde de Louis XIV. Pendant que ces régimens s’avancent sur les vallées pour y prendre leurs quartiers d’hiver, des émissaires venus de Turin se répandent parmi les vaudois et leur persuadent que ces étrangers arrivent contre la volonté du prince et qu’il faut leur barrer le passage. Les religionnaires, croyant obéir à leur souverain, se mettent bravement sur la défensive et ferment aux Français l’entrée de la vallée du Pellice. Le maréchal, irrité de cette résistance en pays allié, commande l’assaut des retranchemens, et l’extermination préparée par le sanfédisme turinois eût été accomplie par des mains françaises sans une heureuse rencontre de l’historien Léger avec le capitaine français de Corcelles, qui était protestant. Celui-ci, qui connaissait l’historien, l’ayant aperçu sur la colline de la Torre au milieu des siens, poussa son cheval sur lui, et Léger, saisissant vivement la queue de la monture de son ami, traversa au galop les régimens déjà engagés dans le combat, et vint se jeter aux genoux du maréchal pour lui dévoiler le stratagème de la propagande. « Monseigneur, lui dit-il, il y a des capucins, il y a des seigneurs de la vallée et même des ministres de son altesse royale qui ne cessent de persuader à ce pauvre peuple que c’est au grand déplaisir de son altesse royale que votre excellence veut loger ses troupes dans ces vallées, qui déjà sont remplies des siennes, et que, si elles reçoivent encore celles de votre excellence à moins que d’y être forcées, on les traitera comme perfides et rebelles. Il n’y a que cette seule appréhension, monseigneur, et la fidélité qu’elles doivent à leur souverain qui les aient poussées à faire quelques résistances. Par les compassions de Dieu, ayez le moindre billet de son altesse royale qui témoigne qu’elle consent à ces logemens, et faites alors des vallées à votre discrétion : elles auront patience qu’on les foule aux pieds, moyennant qu’elles n’encourent pas l’indignation de leur prince. »

Cet incident montre à nu les ressorts secrets de l’intrigue. Les metteurs en scène de la sombre tragédie, n’ayant pu la faire jouer par les Français seuls, amenèrent sur le théâtre d’autres acteurs. Le marquis de Pianezza arriva dans les vallées, maintenant ouvertes par les Français, avec les deux régimens savoyards de Chablais et de Ville, et le régiment piémontais de San Damiano, qui furent logés chez les habitans pêle-mêle avec les Français et les Irlandais. Ils encombrent toutes les vallées, à l’exception de la gorge inhabitable en hiver du Prà del Tor, où nous verrons se reformer pour le combat les réchappés du massacre le plus épouvantable dont fasse mention l’histoire moderne après celui de la Saint-Barthélémy. Le signal en fut donné du haut du clocher de l’église catholique de la Torre, le 24 avril, la veille de Pâques. La plume recule devant cet épisode de sang. Les écrivains du temps, qui n’avaient pas les nerfs aussi délicats que ceux de nos jours, entrent dans tous les détails de cette boucherie, et font assister leur lecteur au spectacle hideux de femmes et de jeunes filles violées, mutilées, empalées et ensuite plantées, nues et palpitantes, au bord des chemins. L’historien Léger, entre autres, ne tarit pas sur ces détails horribles. Échappé au commencement du massacre sous une grêle de balles et en rampant sur la neige, il avait pu, du haut du rocher de la Vachère, qui domine la partie la plus peuplée de la vallée du Pellice, suivre de l’œil le drame affreux, compter, pour ainsi dire, les victimes, et quant aux scènes de meurtre qui s’étaient passées dans les autres vallées, il en avait fait dresser un rapport détaillé qui fut envoyé aux puissances protestantes. « Je me suis moi-même, dit-il, porté de communauté en communauté pour recueillir les témoignages authentiques des survivans, qui déposaient devant deux notaires qui m’accompagnaient. Ici le père avait vu ses enfans déchirés par le milieu du corps à la force du bras ou à coups d’épée, là la mère avait vu sa fille violée ou massacrée en sa présence. La fille avait vu mutiler le corps vivant de son père ; le frère avait vu remplir de poudre la bouche de son frère, les persécuteurs y mettre le feu et faire voler la tête en éclats ; des femmes enceintes ont été éventrées, et l’on a vu leur fruit sortir vivant des entrailles. Que dirais-je ? ô mon Dieu ! la plume me tombe des mains… » S’il laisse tomber la plume, c’est pour prendre le crayon du dessinateur. La première édition de son histoire, qui parut à Leyde en 1659, est illustrée de dessins qui représentent des cadavres plantés sur des pieux, des enfans écartelés, des cervelles plâtrées contre les rochers, des tronçons de corps humains sans bras, sans jambes ni tête, d’autres attachés aux arbres la poitrine ouverte et le cœur arraché. Il y a un dessin qui excite entre tous des nausées : il représente des Irlandais anthropophages qui se repaissent des seins d’une jeune fille dont le cadavre est là gisant. Et l’historien fait de tous ces procès-verbaux de clinique une circulaire diplomatique aux princes réformés… On devine l’impression produite.

La nouvelle des pâques piémontaises souleva un mouvement d’indignation et d’horreur. Le poète Milton, secrétaire intime de Cromwell et correspondant de Léger, se rendit l’écho du sentiment public de l’Angleterre dans son terrible sonnet qui commence par ces mots :

Avenge, o lord, thy slaughter’d saints whose bones
Lie scatter’d on the Alpine mountains cold[14].


À cette voix inspirée pleurant sur le martyre de l’Israël des Alpes, l’Angleterre éprouva une émotion généreuse. Le protecteur ordonna trois jours de jeûne et d’humiliation ; pendant trois jours, le travail national fut suspendu, l’Angleterre et l’Ecosse ne furent occupées que des malheurs d’une imperceptible peuplade alpestre. On fit dans les temples des collectes qui donnèrent la somme considérable de 956,025 fr. Cromwell seul donna 50,000 fr., et de plus il décréta une somme de 300,000 fr. destinée à l’entretien des ministres vaudois. En France, l’émotion ne fut pas moins intense. La partie protestante de la nation fit comme l’Angleterre, donna au sentiment dont elle était saisie une expression chrétienne, jeûna, pria, leva au ciel des mains suppliantes, et chanta dans les églises le cantique de douleur composé pour la circonstance :


Seigneur, le sang d’Abel
Crie encore…


Une autre corde vibra dans les cœurs français, car l’âme de la France n’est pas exclusivement chrétienne. Dans un morceau de poésie, où l’auteur anonyme décrit la nouvelle Saint-Barthélémy, on sent déjà passer le génie vengeur qui va bientôt inspirer Voltaire et la révolution. La haine et le mépris éclatent contre les gens d’église, contre


Ces moines animés de fureurs infernales,
Marchant en colonels sous les aigles papales,
Dans la crasse du froc volant de rang en rang,
Respirant, croix en main, le carnage et le sang.


Cromwell se fit auprès des souverains protestants et même catholiques l’organe de l’indignation publique. Le 25 mai 1655, il fit partir des courriers porteurs de lettres pour les rois de Suède, de Danemark et de France, pour l’électeur de Brandebourg, le père du premier roi de Prusse, pour le prince de Hesse, les États-généraux de Hollande, pour les cantons protestans de la Suisse, afin de les inviter à réunir leurs efforts aux siens dans l’intérêt des vaudois. Il ne parlait que le latin dans ses rapports avec les puissances, et les lettres sont écrites en cette langue ; on y reconnaît la main de Milton, son secrétaire, latiniste exercé, qui savait donner à sa phrase l’ampleur de la période cicéronienne. Toutes ces lettres font un vif tableau des violences commises et invitent les princes à peser de toute leur influence sur la cour de Turin en faveur du peuple opprimé. Le motif pressant du concours demandé est avant tout d’un caractère religieux : les vaudois sont nos frères dans la foi. Le protecteur laisse percer l’idée que Milton avait exprimée dans son fameux sonnet, savoir que ce petit peuple « avait déjà la vérité pure quand nos pères adoraient encore le bois et la pierre. »


… Who kept thy truth so pure of old
When all our fathers worshipp’d stocks and stones.


Il exprime plus clairement cette idée dans sa lettre aux états-généraux de Hollande. « Si le duc de Savoie, dit-il, se laisse émouvoir par nos prières, nous serons largement récompensés de nos fatigues et de nos démarches ; mais s’il persiste à détruire ce peuple parmi lequel notre religion s’est conservée intacte et pure, soit qu’il l’ait reçue des premiers apôtres de l’Évangile, soit qu’il l’ait rétablie de ses mains dans sa primitive simplicité, nous déclarons dans ce cas que nous sommes prêts à faire cause commune avec nos frères et alliés de la foi réformée, et à délibérer sur les moyens les plus efficaces de consoler et de sauver ce peuple si cruellement opprimé[15]. » Ce qui prouve le vif intérêt que le protecteur portait aux vaudois, c’est sa lettre à Louis XIV, où il ne craint pas de lui dire qu’il s’agit de réparer un crime que ses troupes ont commis de compte à demi avec celles de Savoie. « Il m’a été rapporté, lui dit-il, mais je ne suis pas encore certain du fait, que ce massacre a été exécuté par vos propres troupes, conjointement avec celles du duc de Savoie. » Louis XIV nia toute participation, et Cromwell lui répond le 31 juillet : « Je suis heureux d’apprendre de votre majesté que je m’étais trompé, que ces assassinats n’ont pas eu lieu par votre commandement et par votre autorité. »

Les deux interlocuteurs étaient dans le vrai : les troupes françaises avaient bien réellement trempé dans le massacre, mais sans en avoir reçu l’ordre du roi ni même de leurs chefs immédiats, ainsi qu’il résulte des documens que nous avons consultés. Ce n’est pas du maréchal que l’ordre est venu, puisqu’il n’était plus aux vallées le 24 avril. Il avait vu à quelle œuvre on voulait faire concourir sa brigade, et il s’était retiré en France. L’année suivante, rencontrant à Paris l’historien Léger, il lui dit : « Je reconnais fort bien maintenant qu’on se voulait servir de moi pour vous couper à tous la gorge, et puis me faire trancher la tête à moi-même. » L’ordre n’était pas venu des capitaines des régimens, car nous possédons la déclaration de trois d’entre eux faite à Pignerol le 27 novembre suivant. Du Petit-Bourg, capitaine du régiment de Grancey, rejette énergiquement toute responsabilité dans le sang versé. « Je nie formellement, dit-il, et proteste devant Dieu que rien des cruautés commises n’a été exécuté par mon ordre ; au contraire, voyant que je n’y pouvais apporter aucun remède, je fus contraint de me retirer et d’abandonner la conduite de mon régiment pour n’assister à de si mauvaises actions. » Dans un post-scriptum de la lettre dont nous avons l’original sous les yeux, le capitaine Saint-Hilaire, du régiment d’Auvergne, et le capitaine Dufaure, du régiment de Sault, attestent la vérité de cette déclaration ; mais, s’il est vrai que les chefs n’ont pas donné d’ordre, il n’est pas moins vrai que les soldats, encouragés par l’exemple des Piémontais et des Irlandais, ont pris part à cette œuvre abominable. D’ailleurs leur présence seule a paralysé la défense vaudoise. On le vit bien quand les Piémontais et les irréguliers irlandais se trouvèrent seuls en face des survivans du massacre.

On n’avait pu tout détruire d’un coup. Un grand nombre de vaudois étaient restés sur les hauteurs depuis leur expulsion de la plaine et l’entrée des Français dans les vallées, errans au milieu des neiges et en communication avec leurs frères de l’autre versant. On les appelait les banditti, parce qu’un édit de Charles-Emmanuel II les avait bannis de leur pays. Ce sont ces bandits qui ont sauvé l’Israël des Alpes. Ils avaient établi leur quartier-général sur l’alpe nommée Pelaya di Geymet. Leur noyau se grossit d’abord de tous ceux qui, comme l’historien Léger, purent échapper aux égorgeurs du bas des vallées, ensuite des recrues qui leur arrivèrent du versant français. Les vieux soldats de Lesdiguières n’avaient pas fait comme leur chef, ils étaient restés huguenots, et à la première nouvelle du danger qui menaçait l’église vaudoise ils étaient accourus à son secours. On désertait les garnisons de Grenoble, de Lyon et de Valence, et l’on voit dans la correspondance de Lesdiguières que la régente de Savoie et Louis XIV font appel à la loyauté du vieux général pour qu’il empêche ces désertions[16]. Tous ces élémens, organisés par deux héros vaudois, Jahier et Janavel, tombent des hauteurs sur les hordes enrégimentées du marquis de Pianezza et sur les bachi-bouzouks irlandais, en nettoient promptement le bas des vallées, et les poursuivent jusque sur la plaine du Piémont. A la prise du bourg de San Secondo par les vaudois, huit cents Irlandais sont passés au fil de l’épée. Nous sommes bien loin de l’ancien esprit vaudois et du principe de l’inviolabilité de la vie humaine. Le désespoir a fait de ces pâtres, que nous avons vus naguère patiens jusqu’au martyre, des hommes de sang et des justiciers inexorables. Le marquis de Pianezza veut les arrêter en mettant leurs têtes à prix, et il obtient de la cour de Turin un édit qui fixe les sommes que l’on donner à pour chaque tête. C’est une liste curieuse, où l’on trouve les noms de l’état-major vaudois. La tête des deux Jahier est tarifée 600 ducats chacune, celle de Janavel 300 ducats, et celle de Léger, de l’écrivain redoutable qui remplissait l’Europe du récit des souffrances de son peuple, est mise au prix extraordinaire de 800 ducats. C’est lui en effet qui était l’âme de la défense. Aussitôt après le massacre, il avait raffermi les cœurs abattus, il s’était vivement opposé à la proposition d’abandonner la terre natale. La première réunion des fugitifs se tint sur la montagne de la Chapelle ; on résolut de s’adresser aux puissances protestantes, et c’est Léger qui fut choisi pour faire les manifestes déchirans dont nous avons parlé. Maintenant que ces manifestes produisent le résultat attendu, on comprend que sa tête ait été mise à un tel prix par les persécuteurs.

Les lettres de Cromwell commençaient en effet d’émouvoir les princes protestans, et la cour de Turin était assaillie chaque jour de représentations en faveur des vaudois. Les ambassadeurs arrivaient et les notes pleuvaient de tous les points de l’horizon. Les conseillers de Charles-Emmanuel II voyaient avec terreur grossir la tempête d’indignation et d’horreur qu’ils avaient provoquée. Ce fut pour eux, ce fut pour le duc de Savoie une grande humiliation que d’avoir à entendre toutes ces représentations écrites ou verbales dont quelques-unes sont d’une violence extraordinaire, entre autres celles de Morland, l’ambassadeur de Cromwell. Morland arrivait à Turin le 21 juin, et demandait immédiatement à être reçu par le duc en personne. La cour, prévoyant un éclat, était allée s’établir au château de Rivoli pour esquiver l’audience ; mais il la poursuivit dans cette retraite, et la crainte d’irriter le puissant protecteur de l’Angleterre, dont Louis XIV recherchait en ce moment l’alliance, fit accorder le 24 juin à l’impétueux envoyé la séance solennelle qu’il demandait. Elle eut lieu en présence de Madame royale Christine de France, de Charles-Emmanuel, du prince Thomas et des dignitaires de la cour, les Pianezza, les Gastaldo, les San Tommaso, qui avaient ordonné ou exécuté les pâques piémontaises. Après les complimens indispensables, l’envoyé exposa l’objet de sa mission en des termes que certainement aucun souverain de nos jours ne consentirait à entendre. C’est Morland lui-même qui a reproduit dans son History of the evangelical churches of the valleys le discours latin qu’il prononça. « Le sérénissime protecteur vous conjure lui-même, dit-il, d’avoir compassion de vos propres sujets des vallées si cruellement maltraités. Après le massacre est venue la misère ; ils sont errans par les montagnes, ils souffrent la faim et le froid, leurs femmes et leurs enfans traînent dans le dénûment une vie languissante et désolée. Et de quelles barbaries n’ont-ils pas été victimes ! » Ici l’orateur s’anime, et, empruntant à Léger ses tableaux sanglans, il s’écrie : « Heu ! fumantia passim tecta, laceri artus,… leurs maisons incendiées, leurs membres déchirés, mutilés, écartelés, quelquefois même dévorés par les meurtriers, des vieillards centenaires brûlés dans leurs lits, des enfans écrasés contre les rochers, virgules (nous ne pouvons traduire cela) virgines post stupra differto lapillis ac ruderibus utero misère efflarunt animas ! O Dieu, souverain seigneur des cieux et de la terre, détourne de dessus la tête des coupables les justes vengeances qu’appelle tant de sang répandu ! »

Après ce discours, où se montre l’énergie sauvage des têtes-rondes qui ont renversé le trône des Stuarts, l’envoyé fut congédié sans obtenir aucun engagement en faveur des vaudois ; mais la cour se hâta de négocier sous main avec Louis XIV pour n’avoir pas à traiter directement avec un homme aussi redoutable, ni avec les autres envoyés protestans. Le 18 août parut le traité de Pignerol, dit patentes de grâces, rédigé à la hâte par Servient, l’ambassadeur de la France ; traité dérisoire qui, tout en pacifiant les vallées, les laissait en butte aux nouveaux exploits du conseil de la propagande. Les puissances protestantes réclamèrent, et Cromwell recommença son agitation. Il écrivit à Louis XIV, le 26 mai 1656, une lettre irritée dans laquelle il lui dit que ce traité sans garantie n’est pas même exécuté dans ses clauses libérales, et il lui signale des violations nombreuses. « On n’a pas cessé, dit-il, de persécuter ; les sentences contre les bannis ne sont pas rapportées, on construit dans les vallées des forts qui se remplissent de troupes, on invite les catholiques à se retirer de la région vaudoise pour éviter d’être enveloppés dans le nouveau massacre que l’on médite. » Le protecteur signale à l’attention du roi de France l’inconvénient qu’il y aurait pour sa gloire à laisser violer ainsi un traité conclu par son ambassadeur.. « Je conjure votre majesté, ajoute-t-il, de ne pas souffrir de pareilles monstruosités sur votre frontière. Rappelez-vous que ce peuple s’est mis sous la protection de votre grand-père Henri IV, et que le duc de Lesdiguières a trouvé un passage commode dans ces vallées réformées et une base d’opérations très utile à la France. » Il suggère à Louis XIV l’idée singulière d’une cession à la France du versant italien, dans la pensée que cette cession sauvegarderait à toujours l’existence de la population vaudoise en l’arrachant à ses persécuteurs piémontais. Nous verrons dans une dernière étude que cette cession eût produit, si elle s’était accomplie, un résultat diamétralement opposé à celui que Cromwell en attendait. Les vaudois au contraire n’ont échappé à une destruction totale que parce qu’ils n’étaient pas sous la domination du souverain qui a signé la révocation de l’édit de Nantes. Cromwell mourut avant d’avoir pu faire réformer le traité de Pignerol, et la persécution continua. L’Israël de la réformation devait encore passer par des épreuves et des luttes tout aussi dramatiques que celles que nous avons déjà fait connaître avant d’être introduit dans la terre promise de la liberté moderne.


HUDRY-MENOS.

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1867 et du 1er avril 1868.
  2. Das Schreiben des Barben Morel an OEcolampadius und dessen Antwort an die waldensischen Gemeinden, Die Waldenser im Mittelalter, von Dieckoff ; Gœttingen, 1851.
  3. Histoire des Albigeois et des Vaudois ; Genève, 1618.
  4. Claud. Seysselli advenus sectam valdensium disputationes ; Paris, 1520.

  5. Pastor grant e bon de las feas seguent tu,
    Garda las d’ors e de leou e de lop mosconegu.
  6. Petrus Vallium Ceroaii, Historia Albigentium.
  7. The Waldensian manuscripts, by James Henthorn Todd ; London et Cambridge, 1865.
  8. Die Waldenser im Mittelalter, von Wilh. Dieckhoff ; Gœttingen, 1851.
  9. Memorabilis historia persecutionum bellorumque in populum vulgo valdensem appellatum ; 1562, traduction de Crespin.
  10. Lettre du Napolitain Scipion Lentulus, dans Morland’s history of the valleys.
  11. Lettre du barbe Etienne Noël.
  12. Histoire des églises évangéliques des vallées vaudoises, Leyde, 1659.
  13. « Per dar animo, dit la régente dans son édit du 2 janvier 1642, à tutti i sudditti heretici di catholizarsi, vogliamo ed espressamente commnndiamo che tutti quelli che sono venuti nel passato e che verrano à l’avenire à la santa fede, godano dell’ esenzion ed immunità d’ogni qualunque carico reale e personale. »
  14. Venge, venge, Seigneur ! tes élus massacrés
    Dont les froids ossemens gisent aux flancs des Alpes.
  15. Voici ce curieux passage dans l’original : Sin ea in sententia perstiterit, ut apud quos nostra religio vel ab ipsis Evangelii primis doctoribus tradita, par manus et incorrupte servata, vel multo antequam apud cæteras gentes sinceritati pristinæ restituta est, eos ad summam desperationem redactos, deletos funditus ac perditos velit, paratos nos esse testamur aliquod vobiscum cæterisque reformatis fratribus ac sociis consilium capere, qua maxima ratione saluti atque solatio tot hominum afflictorum consulere commodissime queamus.
  16. Lettre de la duchesse de Savoie du 2 juin 1655, de Louis XIV du 4 et du 18 juillet. — Archives de Turin.