L’Islamisme et les Confréries religieuses au Maroc

L’Islamisme et les confréries religieuses au Maroc
Édouard Cat

Revue des Deux Mondes tome 149, 1898



L’ISLAMISME
et les
CONFRÉRIES RELIGIEUSES AU MAROC





Parmi les grandes religions qui gouvernent le monde, l’Islamisme est peut-être celle qui a subi le moins de variations, la seule que le scepticisme n’ait point entamée. Là où elle s’est une fois implantée, l’esprit de libre examen, d’indépendance, d’effort intellectuel n’existe plus. Le temps est sans prise sur elle ; l’espace ne l’arrête point, et de l’Atlantique aux mers malaises, des steppes du Turkestan aux forêts immenses du Congo, 180 millions d’hommes clament à toute heure du jour et de la nuit sa grande formule : « Allah illah, Mohammed rassoul Allah : Dieu est Dieu et Mahomet son prophète. » Loin de décroître, après quatorze siècles d’autorité elle ne cesse de s’étendre ; si l’Europe civilisée et la Chine engourdie dans une civilisation caduque limitent son action au nord, elle progresse dans les pays chauds, et une active propagande lui conquiert chaque jour des multitudes de croyans aux Indes et dans le continent des noirs.

Ce qui explique cette extension et cette immutabilité de l’Islamisme, c’est qu’il est la religion qui aboutit le mieux à détruire la personnalité humaine, à identifier la créature avec Dieu, à tenir l’esprit dans un complet détachement des événemens et des circonstances, dans une sérénité qui va jusqu’à l’insensibilité, dans un calme inerte qui va jusqu’à l’absence totale de pensée ; elle est une de celles qui suppriment le plus le sentiment de la douleur et de l’inquiétude morales.


I

De tous les pays régis par la religion de Mahomet, le plus fervent est sans contredit l’empire du Maroc. Placé à l’extrémité occidentale de l’Afrique, où les flots arrêtèrent la propagande islamique, tout en face de l’Europe chrétienne, s’il ne peut plus songer, comme jadis, à y faire triompher le croissant, il se tient vis-à-vis d’elle sur une énergique défensive ; il se retranche, il s’isole opiniâtrement, il ne se laisse nulle part entamer. Non seulement, comme dans tout le monde musulman, le Coran y est à la fois l’évangile et le code, non seulement c’est par le nom de Dieu que commencent et finissent tous les écrits et tous les actes, en son nom que se donnent l’hospitalité et l’aumône, mais de plus le sultan qui règne est de la famille même du Prophète, l’autorité réelle est partout entre les mains de personnages réputés saints par leur origine ou leurs actes. C’est par milliers qu’on y compte les chérifs ou descendans du Prophète, les marabouts ou religieux, les santons ou inspirés. Les seuls monumens qui se dressent au-dessus des villes en ruines sont des mosquées avec leurs minarets. Dans les campagnes, au Tell comme dans le Sahara, les seules constructions qui attirent le regard sont des koubbas ou tombeaux de saints, des zaouïas ou monastères-écoles, à tel point qu’un peintre qui représenterait un paysage marocain sans une koubba ou dôme à l’horizon manquerait à toute vraisemblance. Il y a mieux : depuis plus de trois siècles, c’est du Maroc que sont venus en Algérie, en Tunisie, en Tripolitaine, même en Orient, presque tous les agitateurs religieux, les prédicateurs les plus ardens, les saints les plus vénérés ; c’est du Maroc que sont sortis les grands maîtres des ordres religieux aujourd’hui prédominans dans toute l’Afrique musulmane.

La plupart des fondateurs de dynasties au Maroc furent des personnages religieux avant d’être des personnages politiques, et, devenus souverains, ils se donnèrent comme pontifes et successeurs du Prophète. Même le sultan de nos jours n’est pas à proprement parler un souverain temporel ; son autorité lui vient de ce qu’il est descendant de Mahomet, de ce que dans cette famille sainte, infiniment nombreuse, il a été choisi pour être le commandeur des croyans, le vicaire du Prophète, une sorte de souverain pontife ; à ses yeux comme aux yeux de ses sujets, il est le chef suprême de l’Islam, et le sultan de Constantinople n’est qu’un usurpateur. Les impôts qu’on lui paye sont des redevances religieuses. Dans l’immense espace appelé Maghreb-el-Aksa (ce que nous nommons le Maroc), ceux mêmes qui sont tout à fait indépendans de lui politiquement, qui ne veulent point recevoir ses agens, qui ne veulent lui payer d’impôts ni lui fournir de soldats, tous du moins le reconnaissent comme leur chef spirituel. C’est en son nom que se dit la prière solennelle, le fatha, bien au-delà des limites de son empire ; c’est en son nom qu’elle se dit dans les pauvres mosquées du Touat, sous le ciel étoile au milieu des campemens des Brabers et des Ouled-Delim, jusque dans la lointaine Timbouctou et dans le Soudan.

Accomplir les actes religieux prescrits par le Prophète est par suite le devoir le plus impérieux du sultan du Maroc. Comme Mahomet, comme les premiers khalifes, il ne manque jamais, en quelque lieu qu’il se trouve, de se rendre le vendredi à la mosquée principale pour y dire le fatha en public. C’est une imposante solennité. Le sultan arrive à cheval avec sa suite et son armée, tandis que le canon tonne. Une foule énorme l’accompagne : nul juif, nul chrétien ne doit se trouver sur son passage, car la vue d’un infidèle souillerait le souverain qui va s’entretenir avec Dieu. Durant tout l’office les portes de la ville sont tenues fermées et les rues semblent désertes : tout le monde est en prières dans les mosquées[1]. Le sultan même malade ou mourant ne se dérobe point à cette obligation : s’il ne peut aller à cheval à la mosquée, on l’y porte en litière. Le jour de l’aïd-el-kebir, une des grandes fêtes de la religion musulmane, l’empereur, au milieu de son armée, de la cour et d’une foule innombrable, tue un mouton en sacrifice ; un courrier, monté sur un cheval, le porte rapidement au palais, et si l’animal arrive avant d’avoir rendu le dernier soupir, c’est un signe de bonheur, de longue vie pour le sultan et de prospérité pour l’empire.

Le sultan du Maroc, en sa qualité de descendant et de vicaire du Prophète, a le pouvoir le plus absolu. Il est représentant de Dieu ; il est de droit divin. Il est maître de la vie et des biens de ses sujets ; nulle représentation nationale, nul corps constitué, nulle loi, nulle coutume ne se dresse en face ou à côté de lui. Notre consul au Maroc au siècle dernier, Chénier, remarquait que son autorité était plus despotique que celle même du grand seigneur, et depuis cette époque rien n’est changé au Maroc ; aucune atteinte, si minime que ce soit, n’a été apportée à ce terrible pouvoir ; nulle tentative même n’a été faite pour le restreindre, tandis que la Turquie au contraire a été forcée d’entrer dans la voie d’un régime quasi parlementaire. Le pouvoir absolu, arbitraire, dans ce qu’il a de plus excessif, l’omnipotence d’un homme, on ne le trouve en aucun lieu de la terre aussi illimité et infini que dans l’empire du Maroc.

Ce pouvoir, infini dans son essence, est arrêté en certaines régions par l’autorité qu’ont su prendre quelques grands chefs religieux, des descendans du Prophète comme le sultan lui-même, quelques marabouts vénérés et les grands maîtres des confréries religieuses. Il est des pays entiers où le sultan n’est pas obéi et où le vrai maître est quelqu’un de ces personnages : ni ministres, ni chefs d’armée, ni gouverneurs des provinces et des villes n’ont une semblable puissance.

Tout le pays montagneux à l’est et au nord de Fez obéit au grand moqaddem de la zaouïa de Sidi-Edriss de Fez ; les tribus de la montagne ont-elles des affaires dans la ville, c’est le moqaddem qui intervient ; quand le sultan veut traiter avec elles, il a recours à son intermédiaire.

Les tribus du Tadla, plus au sud, les Zaïan et bien d’autres ne reconnaissent d’autre autorité que celle du marabout de Bou-el-Djad. Les agens du sultan ou ses soldats n’oseraient s’aventurer dans leur pays ; tout homme qui y passe est attaqué et dépouillé ; mais qu’un fils ou un petit-fils du marabout, armé du parasol, signe de l’autorité, accompagne le voyageur ou la caravane, et ceux-ci seront en sécurité parmi ces impitoyables bandits. La protection des voyageurs est devenue un des revenus de la zaouïa ; d’ailleurs les marabouts ne se montrent pas exigeans, mais malgré leur influence et leurs efforts, ils n’ont pas pu faire disparaître l’habitude des razzias.

Dans les régions du sud, il y a aussi trois chefs religieux dont le pouvoir est immense. Le marabout de Tamegrout, chef de l’ordre des Nacerya, est le vrai souverain des vallées de l’Oued-Draa et de l’Oued-Sous. Le marabout de Metrara, chef de l’ordre des Derkaoua, gouverne tout un district de riches oasis ainsi que les tribus puissantes des Aït-Atta, des Àït-Jafelnan et des Brabers. Le marabout d’Ilighr, Sidi-Hosseïn, est maître du Tazeroualt, un petit État marqué naguère sur les cartes sous le nom de royaume de Sidi-Hescham, et, comme ses ancêtres, il est tantôt l’allié, tantôt l’ennemi du sultan.

Au-dessus de ces grands personnages qui joignent à l’autorité spirituelle la richesse et le pouvoir politique, au-dessus de cette sorte de féodalité religieuse qui a ses grands et ses petits vassaux, s’élève un chérif, descendant du Prophète plus directement que le sultan, le chérif d’Ouazzan. Maître de la région montagneuse qui entoure cette ville au sud-est de Tanger, il a d’innombrables zaouïas et des centaines de mille serviteurs répandus dans tout le Maroc, des serviteurs qui attendent de lui le mot d’ordre pour régler leur attitude. Chef héréditaire du grand ordre des Taybiya, qu’on pourrait presque appeler un ordre national, il sacre pour ainsi dire les empereurs, car il est de tradition depuis deux siècles que le sultan n’est le maître légitime qu’après avoir été reconnu comme tel par le chérif d’Ouazzan.

On comprend par ce qui vient d’être exposé que l’autorité du sultan, illimitée en principe, se trouve en réalité restreinte à un quart à peu près de la surface de ce qu’on appelle l’empire du Maroc ; partout ailleurs elle est sans force réelle, précaire, subordonnée au bon vouloir des marabouts. Aussi sa politique tend-elle le plus souvent à se rendre favorables ces pieux personnages ; il attache près de lui par des honneurs quelques membres de leurs familles ; il leur donne ses sœurs ou ses filles en mariage ou demande pour femme quelqu’une de leurs parentes ; il sollicite leurs conseils ; il leur envoie des présens. Dans la seule année 1880, il envoya des cadeaux au marabout de Metrara pour plus de 90 000 francs. C’est par ces moyens, en leur montrant surtout la plus grande déférence, qu’il obtient assez fréquemment leur appui moral ou matériel contre les tribus révoltées. Parfois, quand il se sent en force, il cherche à réduire leur autorité ou leur indépendance. C’est dans ce dessein qu’il fit en 1882 une expédition contre le Tazcroualt et nomma caïd le marabout, sans pouvoir d’ailleurs se l’attacher d’une façon bien sûre, puisque celui-ci a demandé en 1886 la protection de la France. C’est aussi dans cette intention qu’il a combattu par des menées de tout genre la redoutable influence du chérif d’Ouazzan. Le sultan sent bien que ces personnages pourraient à tout moment précipiter des torrens d’envahisseurs sur le pays qui lui est soumis ; il sent que leur haine pourrait renverser son trône, leur bon vouloir en être le soutien. De là ce caractère confus et parfois inexplicable que revêt la politique marocaine.

La crédulité et le sentiment religieux qui ont produit l’autorité du sultan, des marabouts et des chefs de confrérie, ont aussi créé deux catégories d’hommes qui jouissent d’un grand prestige, qui sont presque au-dessus des lois, ce sont les chérifs et les santons. Les chérifs[2], ou descendans du Prophète par sa fille Fatima, sont en réalité innombrables. Ils courent par les rues des grandes villes ; les campagnes, de l’Océan au Sahara, en fourmillent, et il n’est pas de bourg ou ksar du sud qui n’en compte quelques-uns ; parfois ils forment à eux seuls toute la population d’un village, même d’un district, comme celui de Ksabi-ech-Cheurfa ; des tribus nomades entières se réclament de cette noble origine. Sont chérifs tous ceux qui de près ou de loin sont apparentés à la dynastie régnante, c’est la branche Alaouïa ; d’autres sont apparentés à celle de Moulei-ldris, enseveli à Zerhoun ou à celle de Mouley-Tayeb d’Ouazzan ; ce sont les Drisiin. Sont chérifs aussi tous ceux qui ont quelque accointance avec les dynasties anciennes. En dehors de ceux-là dont l’origine est reconnue, il y en a une multitude qui ont usurpé ce titre ; il n’est point d’agitateur, de prétendant au trône qui ne le revendique ; bon nombre aussi se sont fait établir, à prix d’argent, des généalogies plus ou moins suspectes, écrites sur des rouleaux de parchemin qu’ils portent en sautoir.

Un grand nombre de chérifs ou prétendus tels sont, malgré leur origine, dans un état voisin de la misère ; le sultan leur fait de temps à autre des cadeaux ou bien les envoie en subsistance à la charge d’une ville, d’une tribu. D’autres sont puissamment riches ; leur qualité les exemptant d’impôts, les mettant à l’abri des exactions qui ruinent tous les autres propriétaires, ils sont parvenus à acquérir des biens considérables et les font cultiver par des fermiers ou des métayers. Plusieurs ont ainsi la propriété de véritables villages appelés azib.

Riches ou pauvres, tous les chérifs jouissent d’une grande considération : même les plus pauvres et les moins estimables sont entourés de respects. On les appelle maîtres, moulei, ou seigneurs, sidi ; ils peuvent insulter le père et la famille des autres, ce qui est la grande injure chez les Arabes, et on ne peut leur répondre de même, car ce serait injurier la famille du Prophète. Ils sont exempts d’impôts. Ils vont de temps à autre faire des quêtes lucratives parmi les croyans ; partout ils sont sûrs de trouver l’hospitalité la plus large. S’ils comparaissent en justice, quels que soient leurs loris, ils sont toujours absous, car il n’est pas de juge qui voudrait condamner un descendant de Mahomet, et tous les chérifs d’ailleurs ne sont-ils pas capables d’être un jour sultans ?

Cette inaction de la justice à l’égard des chérifs a amené fréquemment des difficultés entre le gouvernement marocain et les puissances européennes ; les chérifs, vivant de la religion, excitent souvent les musulmans à la haine et au massacre des infidèles. Un d’eux avait fait tuer ainsi un Espagnol qui n’avait pas voulu lui faire place ; sur les instantes réclamations du consul d’Espagne, on pendit un pauvre diable que l’on avait arrêté à la hâte, mais le vrai coupable avait été épargné parce qu’il était chérif. Une fois cependant — et ce fut une stupeur chez les musulmans de Tanger, en 1842 — un chérif qui s’était amusé à tirer des coups de fusil sur des Français dans une barque, fut bâtonné sur la place publique ; le commandant d’un de nos vaisseaux de guerre avait dû, pour obtenir cette satisfaction, menacer la ville d’un bombardement.

Une autre espèce d’hommes jouit à peu près des mêmes privilèges ; ce sont les fous, ou, comme disent les Espagnols, les santons. Les musulmans les vénèrent, logiques en cela, puisque le but de leur religion, c’est l’anéantissement de la volonté, la perte de la personnalité, l’indifférence aux choses de ce monde ; les fous pour eux sont arrivés à l’inconscience, c’est-à-dire à la perfection. Ils croient que la pensée de Dieu habite ces cerveaux laissés vides par la pensée humaine. Ils traitent les fous avec les plus grands égards, recueillent avidement leurs paroles, estiment que les toucher, recevoir leurs crachats ou leurs coups porte bonheur. Il n’est pas de voyageur européen, de touriste même dans les villes du littoral, qui n’ait rencontré quelques-uns de ces malheureux santons, courant tout nus par les rues ou revêtus d’oripeaux, d’autres armés de bâtons et de lances et frappant ceux qu’ils peuvent atteindre. On en a vu se livrer sur les femmes aux derniers outrages, au grand contentement de la famille et du mari. Tout en un mot leur est permis.

« Nous venions dépasser, dit Drummond-Hay, devant l’arsenal du sultan, lorsque nous fûmes frappés de l’aspect dégoûtant, mais assez commun en Barbarie, d’un santon maniaque, nu comme au jour de sa naissance, à l’exception d’une haire de deux couleurs qui lui couvrait les épaules et le dos ; ses longs cheveux étaient nattés ; sa barbe descendait jusqu’au milieu de sa poitrine ; il agitait une courte lance ornée de plaques de cuivre et de morceaux de drap rouge. A son approche nos gens mirent pied à terre, et, courbant la tête, s’emparèrent de sa main pour la baiser. Mon tour arrivait ; peu jaloux de cet honneur, je jetai au sauvage une pièce de monnaie ; là-dessus le pauvre diable bredouille quelques mots de remerciement et marche vers moi à larges enjambées, avec la dignité d’un pacha, puis, de l’air d’une condescendance protectrice, il m’empoigne par le collet de mon habit et me crache sur les yeux. Quoique je fusse assez au fait des coutumes de ces peuples pour ne pas ignorer que c’était là une marque de haute faveur, je faisais une assez triste grimace et je tirais mon mouchoir pour m’essuyer, quand notre mallem s’écria : « Oh ! bienheureux Nazaréen, ce que Dieu a donné, que nul homme ne l’efface. Tu es béni à jamais. Sidi-Momoh, l’inspiré, a craché sur toi ; le bonheur t’attend. » Respect aux superstitions ! Je savais qu’il serait moins dangereux d’insulter l’empereur au milieu de ses gardes que de provoquer le courroux d’un de ces bienheureux idiots. Je laissai donc l’humide marque de tendresse de Sidi-Momoh se sécher au grand air[3]. »

Ces malheureux fous qu’on laisse errer ainsi librement et en armes, vivant dans un milieu toujours exalté et fanatique, peuvent se porter à de graves violences contre des Européens. En 1830, à Tanger, Drummond-Hay reçut d’un certain Sidi-Tayeb deux coups de feu qui, par bonheur, ne l’atteignirent pas ; il se préparait à demander satisfaction quand il aperçut ce même fou dans sa cour, riant aux éclats et venant lui apporter un panier de melons. Dix années auparavant, dans la même ville, notre consul, Sourdeau, avait été frappé d’un violent coup de bâton par un de ces santons. Comme le gouvernement insistait pour que le coupable fût châtié, le sultan Moulei-Souleïman répondit par une lettre célèbre dans les annales de la diplomatie, où il faisait un vrai sermon sur l’oubli des injures commandé par Jésus-Christ.

L’impunité et les privilèges assurés aux santons en grossissent démesurément le nombre ; beaucoup de pauvres diables et de paresseux, des ambitieux même, simulent la folie pour obtenir les faveurs populaires.


II

Ce qui plus que toute autre chose témoigne de la ferveur religieuse des Marocains, c’est le rôle très grand que jouent parmi eux les associations religieuses ou associations de khouan (frères). On sait que ces confréries sont une des manifestations les plus remarquables, une des forces toujours agissantes de la religion musulmane. On n’en compte pas moins de quatre-vingt-dix, s’enchaînant les unes aux autres, les unes datant des premières années de l’Islam, d’autres d’une date beaucoup plus récente, les unes réduites à rien et presque mortes, d’autres en pleine vie ; il en naît même sous nos yeux, car si, comme on l’a remarqué, cette religion du Prophète a surgi en plein cœur des temps historiques et pour ainsi dire près de nous, elle a aussi ce privilège d’avoir des saints vivans et de fournir encore des miracles.

Mahomet avait dit que la prière en commun est vingt-sept fois plus efficace que la prière dite par chacun isolément. Quelques-uns des premiers adeptes de sa doctrine, gens de la Mecque et de Médine, imaginèrent de se grouper pour se mortifier et prier ensemble, se secourir les uns et les autres ; ils mirent leurs biens en commun. Les premiers successeurs du Prophète, Abou-Bekr et Ali, s’entourèrent de petits groupes de ce genre. Les adeptes s’appelaient soufi[4], d’un mot oriental qui veut dire les parfaits, les purs, ou encore fakir, c’est-à-dire pauvres, parce qu’ils renonçaient aux richesses de la terre. Ils professaient un grand détachement des choses humaines, une soumission absolue à la volonté de Dieu ; ils cherchaient par l’abstinence, les veilles, la prière, l’extase, à anéantir la personnalité afin d’atteindre à l’identification avec Dieu. C’étaient les mystiques de l’Islam.

Les confréries, car elles prirent bientôt ce nom, étendirent peu à peu leur action, eurent un nombre de plus en plus grand d’adeptes. Elles offraient un refuge, un milieu de ferveur et de vertu, aux croyans que scandalisaient les hérésies, les désordres des khalifes, les progrès de l’incrédulité. Elles entretenaient l’ardeur religieuse au moment où l’Islam, attaqué par les croisés, avait le plus besoin de se défendre. Les confréries devinrent alors plus militantes et plus considérées, s’organisèrent d’une façon plus savante. Il arriva chez les musulmans ce qui est arrivé aussi dans notre Europe. Tandis que les chrétiens, pour lutter contre les hérésies des Albigeois, puis des réformés, formèrent les ordres des Dominicains et des Jésuites, les musulmans, pour se défendre à la fois contre les sectes et contre le christianisme, s’organisèrent en confréries, dont la plus grande est peut-être celle d’Abd-el-Kader-el-Djilani, qui date du XIIe siècle, est encore très puissante dans le monde musulman tout entier et a son siège à Bagdad. Mais si l’on voulait trouver dans notre Europe quelque chose qui rappelle le rôle de ces confréries musulmanes, il semble qu’on ne pourrait guère les comparer qu’à nos ordres religieux des Templiers ou des Chevaliers de Malte, qui joignaient aux vœux de piété des préoccupations d’ordre politique et militaire. Il va sans dire que dans la société musulmane il ne fut jamais question d’un vœu de chasteté, de l’obligation du célibat. On ne pourrait guère citer qu’un tout petit groupe, de la confrérie de Mouley-Tayeb au Maroc, dont les membres paraissent s’obliger à demeurer célibataires pendant tout le temps qu’ils font partie de ce groupe.

Nous avons peu de données sur les confréries des deux premiers siècles, sur la manière dont elles se sont formées et ont grandi, mais nous savons quelle est la façon, presque toujours la même, dont se sont organisées les autres plus modernes. Le fondateur est un personnage qui a passé une grande partie de sa vie dans les voyages, les études, la prière, la mortification ; quelquefois la grâce de Dieu lui a donné le pouvoir des miracles. Il a reçu du Prophète ou de l’ange Gabriel, le plus souvent dans un songe, l’ordre de prêcher la pure doctrine, de ramener les fidèles à l’observation stricte du Coran. Pour prouver son orthodoxie, il donne la chaîne mystique, selselat : cette pièce expose qu’il a reçu l’enseignement du cheikh un tel, qui l’avait reçu d’un tel autre, et on remonte ainsi jusqu’au Prophète lui-même. Parfois, parmi ces maîtres, il y a déjà un fondateur d’ordre, et alors une partie de l’enseignement de ce fondateur devient la base même de l’ordre, et presque tous les ordres religieux des derniers siècles ne sont ainsi en réalité que des rameaux détachés des ordres dus premiers temps et qui se sont développés ensuite séparément. Après la chaîne, preuve de l’orthodoxie, vient un bref exposé de la doctrine, une sorte de catéchisme, où il est dit quelles sont les obligations des adeptes. Lorsque ceux-ci sont assez nombreux, réunis dans la zaouïa du saint, qui sera plus tard la maison mère de l’ordre et aura de nombreuses succursales, ils se donnent le nom de khouan ou frères ; le fondateur ou cheikh choisit parmi eux des vicaires, khalifa ou moqaddem, qui administreront les divers groupes de frères, enseigneront dans les zaouïas secondaires, iront prêcher la doctrine au loin et recueillir les offrandes et en un mot seront les lieutenans du grand maître, les pasteurs des communautés et les missionnaires de l’ordre. Pour être admis dans la confrérie, il faut être présenté par un des frères, prononcer des sortes de vœux, parfois passer par certaines épreuves, recevoir des mains d’un moqaddem l’ouerd ou la rose de l’ordre, c’est-à-dire l’indication des devoirs à remplir et une sorte de formule d’admission. Dans certains ordres, les femmes mêmes sont admises, ont des réunions spéciales et aussi des moqaddemat, qui remplissent vis-à-vis des sœurs les mêmes fonctions que les moqaddem vis-à-vis des frères. Les khouan se réunissent pour prier ou discuter les intérêts de la confrérie sous la présidence des moqaddem des diverses localités. Ceux-ci, à des époques déterminées ou sur la convocation du chef, se réunissent à la maison mère en chapitre ou hadra.

Ainsi tout ordre comprend un cheikh ou grand maître, des moqaddem ou vicaires, des khouan ou frères ; quelques-uns ont aussi des rekkas ou messagers, qui vont porter les ordres écrits ou secrets des chefs, des khreddam ou serviteurs, sortes de frères laïques attachés au service des zaouïas. Le cheikh, avant de mourir, désigne son successeur, le plus souvent dans sa famille même ; dans d’autres ordres, ce sont les moqaddem qui l’élisent, dans quelques-uns même la généralité des khouan. L’élection étant le principe de succession, il se trouve que les chefs d’ordre sont le plus souvent soit des hommes vertueux très vénérés, soit des hommes très habiles. Un grand nombre ont été des personnages vraiment éminens. Un homme qui les connaît bien, qui a eu entre les mains de nombreuses correspondances émanées d’eux, porte ce jugement : « En Algérie leur correspondance politique avec l’autorité française est tout à fait remarquable et il est peu de chancelleries européennes qui aient des rédacteurs plus habiles dans l’art de tout dire et surtout de tout cacher sous des phrases polies, correctes et parlementaires[5]. »

Tous les ordres sont orthodoxes ; tous prétendent ramener les fidèles à la pure doctrine du Coran, exigent l’observation des prescriptions religieuses : la prière, le jeûne, l’aumône, le pèlerinage ; dans tous leurs catéchismes le but poursuivi c’est le réveil de la foi. Tous aussi sont des associations de secours : les khouan, les frères, se doivent mutuellement protection et assistance, comme faisant partie d’une même famille. On comprend ce que cette idée, qui répond à un des besoins les plus vifs d’une société d’ailleurs anarchique, a dû attirer d’adeptes aux confréries.

La pensée dominante des fondateurs d’ordres a été de faire de ceux-ci des corps mus par un même sentiment, un instrument docile et tout-puissant entre les mains des chefs. Il faut d’abord l’union absolue : « Tu serviras tes frères avec dévouement, dit un des catéchismes entre autres : aime ceux qui les aiment, déteste ceux qui les haïssent, pense avec eux d’un même esprit, agis avec eux d’un même cœur, exalte l’ordre auquel tu appartiens. » Ainsi le dévouement à l’ordre est le premier devoir, et l’ordre a sa personnification la plus haute et son essence même dans le cheikh : « L’adepte, disent la plupart des statuts, doit tenir son cœur enchaîné à son cheikh, écarter de l’esprit tout raisonnement bon ou mauvais sans l’analyser ni rechercher sa portée, dans la crainte que le libre cours donné aux méditations ne conduise à l’erreur. » Un autre catéchisme exprime la même idée avec des images plus énergiques encore : « Tu seras entre les mains de ton cheikh comme un cadavre entre les mains du laveur de morts[6]. Obéis-lui en tout ce qu’il a ordonné, car c’est Dieu même qui commande par sa voix ; lui désobéir c’est encourir la colère de Dieu. N’oublie pas que tu es son esclave, et que tu ne dois rien faire sans son ordre. »

Pour obtenir cette abdication constante de la volonté, cet anéantissement complet de la pensée individuelle, les divers ordres ont rendu obligatoires diverses pratiques, mais tous emploient principalement le dikr, prière qui varie avec chaque ordre et forme le caractère distinctif de chacun. Le dikr consiste dans la récitation de quatre versets du Coran, placés dans un ordre convenu qui peut servir de signo de ralliement, dans celle de prières plus ou moins longues ou de versets du Coran auxquels le fondateur a attaché des indulgences spéciales, enfin dans la répétition un très grand nombre de fois d’une brève formule, comme par exemple : La illaha illa Allah, Mohammed rassoul Allah. Les Quadrya, à chacune des cinq prières du jour, doivent répéter leur formule cent soixante-cinq fois ; les Kerzazya, cinq cents fois ; les Aissaoua disent la leur six cents fois à l’aube, trois mille fois au matin, à midi, la nuit, quatre mille fois au crépuscule. Dans plusieurs ordres il faut dire la formule exactement le nombre de fois qui est prescrit ; la dire une fois en moins ou une fois en plus suffit à en détruire toute l’efficacité. C’est pour la récitation du dikr que la plupart des khouan portent des chapelets, dans lesquels le nombre et la disposition des grains varient suivant les confréries.

Il semble que les musulmans aient compris ce que dit Montesquieu, qu’une religion chargée de beaucoup de pratiques attache plus à elle qu’une autre qui l’est moins. On devine combien cette récitation machinale, cette répétition sans fin de la même formule doivent engourdir l’esprit et la volonté. Afin qu’elles produisent encore plus d’effet, on a déterminé l’attitude que doit prendre le priant, les mouvemens dont il doit accompagner sa récitation, la tonalité de sa prière : on se sert de musique, d’encens, de parfums, on l’habitue au hachich, au kif. Les Aissaoua, par exemple, font leurs invocations sur un rythme rapide que soutient la musique des tambours et des tambourins ; en même temps se touchant les uns et les autres, ils se balancent en cadence ; la musique va toujours s’accélérant, et pour la suivre, à la fin, les frères ne peuvent plus que hurler le nom de Dieu. Tout cela joint aux parfums, aux influences magnétiques réciproques, les fait arriver à un état d’insensibilité physique et d’ivresse cérébrale favorable aux hallucinations, au délire religieux et même aux jongleries. Après des mois et des années de ces pratiques et d’autres semblables, l’homme n’est plus qu’un être faible, énervé, au cerveau vide, instrument inconscient et docile entre les mains des chefs. Aussi tiennent-ils essentiellement à la stricte observation du dikr. « Cette prière, disent-ils, est l’épée avec laquelle les frères repoussent leurs ennemis et se défendent contre les malheurs qui les menacent… »

Après l’observation du dikr, qui a pour résultat d’éteindre la pensée et d’exciter le fanatisme, ce à quoi les cheikh et les moqaddem tiennent principalement, c’est à faire payer régulièrement la ziara par les fidèles. C’est une offrande ou mieux une contribution fournie tantôt en argent, tantôt en nature (nègres, négresses, chameaux, moutons, chèvres, beurre, dattes, blé, orge, etc.) ; chacun donne selon sa fortune pour les besoins de l’ordre et l’entretien de la zaouïa ; un fonctionnaire marocain en 1860 déposait aux pieds d’Abd-es-Selam, sous les yeux du voyageur Rohlfs, une offrande de 5 000 francs ; les plus pauvres même tiennent à donner quelque chose. Quand, par suite de la misère ou parce qu’ils sont devenus moins fervens, les khouan ne s’exécutent pas assez vite, les moqaddem vont les relancer ; personne n’ose refuser à ces serviteurs du cheikh, car ce serait s’attirer la vengeance du saint.

Les choses se passent ainsi même en Algérie, où le gouvernement a dû parfois intervenir pour empêcher la ruine de nos tribus. « Elles payent les ziaras avec plus ou moins de plaisir ; elles désirent toutes, plus ou moins, ne pas se trouver à portée des marabouts ou de leurs exactions ; mais le respect religieux est tel qu’elles se soumettent à tout ce qu’ils exigent plutôt que de réclamer la protection de l’autorité française contre leurs abus. Les Trafi, comme les Chambaa, l’ont maintes fois déclaré eux-mêmes[7]. »

Au Maroc la situation est bien autre ; les chefs d’ordre religieux sont les vrais maîtres du pays ; nul n’oserait se soustraire à l’obligation de la ziara, sous peine de se voir dénoncé par les frères, abandonné, meurtri peut-être et dépouillé. Aussi peut-on affirmer que les ziara, bien plus que les impôts perçus par le sultan, sont la cause principale de la misère des populations.

Les cheikh, enrichis par les ziara, ayant à leurs ordres des masses crédules et dociles, sont des personnages tout-puissans. Sans doute quelques confréries à l’origine ont eu un but exclusivement religieux ; mais dans d’autres le réveil de la foi a pu n’être qu’un prétexte pour obtenir l’autorité temporelle ; les premières même ont peu à peu changé de caractère ; d’ailleurs si quelques grands maîtres se consacrent exclusivement aux choses religieuses, ils peuvent à tout moment avoir des successeurs plus préoccupés des choses humaines. Par les liens qui unissent si étroitement les frères entre eux et avec le cheikh, par les signes qui leur permettent de reconnaître des frères dans des inconnus et en dehors de leur pays, par les intérêts matériels qu’elles protègent, les confréries religieuses sont devenues des sociétés politiques, parfois même des sociétés secrètes, très puissantes.

Elles ont déjà produit bien des maux. Nous avons vu qu’elles ruinent souvent les populations. Par leur formalisme étroit, par leurs pratiques qui annihilent la pensée, elles étouffent les intelligences, et quelque jour on démontrera peut-être que c’est à elles qu’est due la rapide décadence de cette civilisation arabe qui, pendant quelques siècles, a émerveillé le monde. Ce qu’il faut remarquer surtout, c’est qu’elles sont un foyer de fanatisme, de haine, d’excitations contre les chrétiens. Quelle que soit la tolérance apparente de quelques-unes, toutes préparent à la guerre sainte contre les infidèles, parce que le réveil de la religion coranique est leur but commun, et que cette religion, quoi qu’on en ait dit, commande d’abord la haine de tout ce qui n’est pas musulman. En Algérie, dans la guerre contre Abd-el-Kader, dans les insurrections qui ont éclaté depuis, on a constaté la puissance de leur action ; elles peuvent nous créer encore bien des difficultés, soit dans les pays qui nous sont soumis, comme la Tunisie et le Soudan, soit dans ceux qui, comme le Maroc, se ferment à notre civilisation.


III

Les confréries religieuses sont très nombreuses et très puissantes au Maroc ; une vingtaine environ y sont nées et s’y sont développées ; celles même qui ont surtout leur adeptes en Algérie, en Tunisie, en Tripolitaine, les Tedjinya, les Rahmanya, les Derkaoua, les Aissaoua, les Cheikhya, les Senoussia ont une origine marocaine, soit par la nationalité de leurs fondateurs, soit par la source première de leurs doctrines.

La plus importante de toutes, celle dont les khouan sont le plus nombreux, et les zaouïas disséminées sur la plus grande surface, depuis Tanger jusqu’au désert, est celle des Taybiya[8]. On rattache volontiers ses débuts à Moulei-Edris, le fondateur de Fez, et à une confrérie de disciples de l’Université de cette ville vers le Xe siècle de notre ère : en réalité, on ne voit pas qu’elle ait existé avant Moulei-Abdallah, savant chérif qui vint s’installer à Ouazzan, en 1678, et y fonda la grande mosquée. Suivant quelques hagiographes, il aurait reçu les instructions du Prophète pour l’organisation de l’ordre ; d’autres attribuent cet honneur à son fils et successeur, Moulei-Tayeb, qui a donné son nom à la confrérie. Quoi qu’il en soit, l’un et l’autre furent en bons termes avec Moulei-Ismaël, qui venait, en 1672, d’inaugurer la dynastie qui a régné jusqu’à ce jour ; ils l’aidèrent puissamment à s’emparer du pouvoir, et Moulei-Tayeb passe même pour avoir coopéré à la création de la fameuse garde noire des Bokhari. Les sultans se firent inscrire comme khouan de l’ordre, envoyèrent des cadeaux aux chefs, prirent souvent leurs avis, et par suite la congrégation des Taybiya devint comme une secte nationale opposée à celle des Quadrya, qui recevait son mot d’ordre de l’étranger, de Bagdad. On attribue à Moulei-Tayeb ce mot : « Nul de nous n’aura l’empire, mais nul ne l’aura sans nous. » C’est, en tout cas, une tradition que, à la mort du sultan, celui des prétendans à l’empire qui est reconnu par le chérif d’Ouazzan est le sultan légitime. A la mort du dernier sultan, en 1894, il en a encore été ainsi. L’ordre des Taybiya, très tolérant, très mondain presque, peu exigeant en matière de pratiques, a pour adeptes, avec le sultan, presque tous les personnages notables de l’empire.

La famille des chérifs d’Ouazzan a des biens considérables, qui lui appartiennent en propre, des fondouks et des maisons à Tanger, à Fez, ainsi que des mines de sel. Quant aux biens de la zaouïa, ils sont immenses ; outre la ville d’Ouazzan, avec près de 10 000 habitans et de beaux jardins alentour, elle possède des zaouïas dans presque toutes les villes du Maroc, dans la plupart des ksar du Sud ; elle en a un très grand nombre aussi dans le Tafilet, quelques-unes dans l’Adrar, le Haut-Sénégal, et, dit-on, jusqu’à Alexandrie et à La Mecque. La moitié au moins des habitans du Gourara et du Touat sont affiliés à cet ordre, et Rohlfs dut à la recommandation du chérif d’y être bien accueilli. Depuis plusieurs siècles, l’influence du grand maître des Taybiya est très grande. Quand il va dans les villes ou dans les campagnes, la population accourt de très loin à sa rencontre ; on sort des mosquées et on vient incliner devant lui les drapeaux sacrés, verts, jaunes et rouges ; les musiciens en bandes font résonner l’air de leur musique sauvage ; les cavaliers font parler la poudre et exécutent de brillantes fantasias. La foule, hommes, enfans, femmes, l’environne à flots pressés, cherchant à obtenir sa bénédiction. C’est un privilège, un gage certain de la faveur céleste que de pouvoir baiser sa main ; heureux encore celui qui peut toucher le cheval qui le porte. Pour contenter la foule avide, les serviteurs du chérif attachent quelquefois à la housse de longues cordes qui permettent à un plus grand nombre de baiser un objet qui ait approché le saint. Et de minute en minute arrivent de nouveaux drapeaux, de nouvelles troupes de musiciens, des groupes de cavaliers tout frais survenus, une foule sans cesse augmentée à tel point que le saint, malgré les efforts de ses serviteurs, peut à peine avancer et demeure des heures pour faire le moindre déplacement. Ordinairement, il marche avec une suite d’une centaine de personnes, à toutes petites journées, recevant des diffas gigantesques, comblé de présens de toute sorte. On croit qu’il a le pouvoir de remettre les péchés, de concilier les faveurs de Dieu, de donner le bonheur, de faire même des miracles. Sidi-el-Arbi, le grand-père du chérif actuel, qui n’eut qu’un enfant, et sur le tard, avait la réputation de guérir les femmes stériles. Abd-el-Selam, son fils, qui est mort en 1894, lorsqu’il était retiré dans sa demeure et ne recevait pas, passait pour avoir conversation avec un lion qui lui apportait les ordres de Dieu.

Cette puissance est-elle demeurée entièrement intacte ? N’a-t-elle point subi de graves atteintes dans ces derniers temps ? C’est ce qu’il est assez difficile de savoir d’une manière très précise, parce que le Maroc nous est entièrement fermé, parce que les indigènes n’aiment point s’entretenir de ces choses-là avec les infidèles. On a des raisons de croire que, par suite des menées du sultan, jaloux de cette puissance, par suite aussi du caractère et des tendances du grand maître Abd-es-Selam, le prestige du grand chérif a subi quelque éclipse.

C’est une singulière et bien originale figure, parmi les musulmans, que celle de Moulei Mohammed El-Hadj Abd-es-Selam ben-el-Arbi. Devenu chef de l’ordre, à la mort de son père, vers 1850, il se fit remarquer par un esprit ouvert, sa tolérance, son sens pratique. Il avait fait le pèlerinage de La Mecque à bord d’une frégate française, avait vu un peu le monde européen et s’était épris de la civilisation. Il accueillait volontiers les infidèles ; il avait pour intendans deux juifs renégats, vêtus d’uniformes d’officiers français ; il traita fort bien le chrétien Rohlfs, le retint plus d’un an près de lui, et, par la protection qu’il lui donna, lui permit d’explorer des régions que nul Européen n’a pu voir depuis. Il lui disait un jour, avec une certaine amertume : « Le sultan, les grands et les chérifs ne veulent pas entendre parler de progrès ; c’est pour cela que nous sommes battus, même par les Espagnols. Si je pouvais, je voudrais introduire tout ce qu’il y a chez les Européens, c’est-à-dire, avant tout, une législation fixe et une armée régulière. » Lui-même avait porté quelque temps un costume d’officier français, mais cela avait choqué les fidèles et il avait dû reprendre le burnous en disant, avec son sourire de sceptique : « Pour faire venir l’argent, il faut céder aux préférences du peuple. » Il montrait à Hohlfs, à côté d’armes de prix et de fleurs rares, un petit chemin de fer à ressort, un bateau minuscule qui flottait sur le bassin de son jardin ; il le priait de lui jouer d’un piano qu’il avait acquis. A Ouazzan, il donnait à ferme à des juifs des cafés où l’on fumait le kif, où l’on buvait du vin et de l’eau-de-vie ; il avait pour familiers des chérifs qu’on voyait souvent ivres ; lui-même, comme son père d’ailleurs, aimait la dive bouteille.

C’étaient là des habitudes et des idées choquantes pour les musulmans. Le sultan et son entourage ne se faisaient pas faute de répandre sur le chérif les bruits les plus défavorables. Le gouvernement aurait voulu ruiner cette puissance qui lui portait ombrage ; il avait, dès 1860, établi à Ouazzan, jusqu’alors tout à fait indépendant, un caïd et quelques soldats, mais ils étaient sans influence et avaient besoin le plus souvent de la protection d’Abd-es-Selam. Même le chérif, en 1861, par sa seule présence auprès de l’armée du sultan, apaisa toute la province de Rarb, qui se révoltait à la voix du marabout Sidi-Djelloul, et un de ses parens pacifia le Riff sur le point de se soulever.

Le conflit entre le sultan et le chérif couva longtemps, mais enfin devint presque une lutte ouverte. Abd-es-Selam alla séjourner à Tanger, laissant à son fils aîné, Sidi-el-Arbi, le soin de lutter contre les empiétemens du pacha installé à Ouazzan. Il trouvait à Tanger une résidence plus conforme à ses goûts, pouvait au besoin demander protection aux représentans des puissances européennes. Il avait répudié ses femmes arabes pour épouser une jeune institutrice anglaise ; d’autre part, ses intérêts le portaient à rechercher l’amitié de la France. On sait que son ordre a dans notre colonie d’Algérie de nombreux khouan ; en empêchant ou en laissant ses moqaddem y faire leurs quêtes, nous pouvons, à notre gré, contribuer à l’enrichir ou à le ruiner. Comme il nous rendit service en plusieurs occasions, on permit à ses envoyés de récolter en Algérie les ziara, on le couvrit du titre de protégé français, on fit même destituer le pacha de Ouazzan, qui lui avait fait une sourde guerre. Pour lui, il est venu, il y a quelques années, s’entretenir à Alger avec le gouverneur général de notre colonie, et les deux fils qu’il a eus de sa femme anglaise ont été élevés au lycée d’Alger.

Cette politique d’Abd-es-Selam n’avait pas été sans lui aliéner les musulmans. Lenz, qui visita le Maroc en 1880, dit à son sujet : « Le chérif d’Ouazzan jouit d’une certaine influence sur une grande partie du petit peuple ; mais il n’est plus vrai de dire qu’il occupe en quelque sorte la situation d’un pape marocain. Sa considération est à peine plus grande que celle des autres cheurfa. » Cette appréciation, vraie pour les pays soumis au sultan, les seuls à peu près que Lenz ait vus au Maroc, ne semble pas exacte pour les pays demeurés indépendans du sultan : elle ne l’est surtout pas en ce qui concerne Ouazzan, où MM. de Chavagnac et La Martinière ont vu postérieurement le chérif jouir de la plus grande influence. Dans l’extrême Sud son crédit paraît moindre qu’autrefois et sa tentative il y a quatre ans pour nous ouvrir pacifiquement le Touat paraît l’avoir un peu compromis. C’est le sort, semble-t-il, qui menace tous les personnages musulmans qui se font ouvertement nos alliés[9].

Le chérif n’en était pas moins resté un fils du Prophète, un maître de la baraka ou bénédiction, un homme vénéré et influent sur les masses, qui pouvait grandement nous servir.

Abd-es-Selam est mort au commencement de l’année 1894 ; il a eu pour successeur son fils aîné Sidi-el-Arbi, qui, comme les chérifs ses prédécesseurs, a consacré naguère le nouveau sultan. Préoccupé surtout des choses religieuses, qu’il dirigeait déjà en partie du vivant de son père, comme beaucoup d’autres chefs d’ordres, il laisse à l’intendant ou oukil de la zaouïa d’Ouazzan, Sidi-Acharaf, le soin de la politique et des intérêts temporels de la confrérie. Il passe pour un homme intelligent, très pieux, capable de recouvrer ce que son père avait perdu d’autorité sur les musulmans. Il n’oubliera pas sans doute complètement l’appui que nous avons donné à sa famille et la décoration de chevalier de la Légion d’honneur qu’il a lui-même demandée ; son intérêt même, par suite de l’existence de nombreux khouan de son ordre sur notre territoire, doit le rapprocher de nous[10].

L’ordre qui, après celui des Taybiya, paraît avoir le plus d’influence au Maroc est celui des Derkaoua. Ses origines premières remontent au XIIe siècle, au maugrebin Abou-Median ou Bou-Medine dont on voit la magnifique mosquée et le tombeau à Tlemcen. Parmi ses disciples qui passent pour saints, il faut citer Abd-es-Selam ben M’chich, qui vécut dans la région entre Tanger et Tetouan et qui fut le maître de Sidi-Chadeli, de Ceuta. Ce dernier compléta les doctrines de Ben M’chich et d’Abou-Median et fut le véritable fondateur de l’ordre des Chadelya, qui compte d’innombrables adeptes et duquel sont sortis un grand nombre d’ordres secondaires (Habibya, Naceria, Sohelya, Razya, Rachidya Zerroukya, etc.). La plupart des adeptes en ce siècle adoptèrent son dikr tel qu’il fut modifié par un maître d’école de Fez, Mou-lei-el-Arbi et Derkaoui et prirent le nom de Derkaoua. Moulei-el-Arbi affecta une neutralité absolue entre les divers prétendans qui se disputèrent le trône du Maroc, au commencement du XIXe siècle ; nul, malgré ses prières et ses menaces, ne put obtenir de lui une déclaration en sa faveur ; il mourut vers 1822. Aujourd’hui ses khouan sont extrêmement nombreux au Maroc et même en Algérie, mais partagés en groupes assez indépendans les uns des autres ; ceux d’Algérie, parfois appelés Chadelya, ont eu pour chef le cheikh Missoum de Berrouaghia, mort en 1883, et qui a eu pour successeur son fils Si-Ahmed-Mokhtar ; ceux du Maroc, au moins pour la plupart, sont dans la main des successeurs de cheikh Mohammed el-Arbi el-Derkaoui, le marabout si puissant de Metrara.

Si l’on s’en rapporte aux livres qui contiennent la doctrine, aux longues prières que lisent les fidèles, aux méditations que préconise cet ordre, le but principal de la confrérie est de détacher ses khouan de toutes les choses terrestres ; ils ne doivent rechercher ni les richesses, ni le pouvoir ; ils ignorent l’autorité temporelle. Les Derkaoua se reconnaissent entre eux à des gestes particuliers pendant la prière, à des inflexions de voix ; ils laissent croître leurs cheveux, ne portent pour vêtemens que des haillons, parfois des nattes, des morceaux de tapis, des pans de vieilles tentes. Nul riche, dit-on, n’est admis dans leurs assemblées avec un burnous neuf sans le trouer et le déchirer. Celui qui désire être affilié doit tout d’abord marcher pieds nus et se vêtir d’une façon sordide, vivre pendant quelque temps d’aumônes ou d’un peu de rouïna, farine d’orge délayée avec de l’eau.

On n’est pas très d’accord sur les vraies tendances de l’ordre, car les Derkaoua s’enveloppent volontiers de mystère ; peut-être aussi les tendances varient-elles suivant les groupes, selon les croyances particulières et les ambitions des chefs. M. Rinn, qui reçut surtout ses renseignemens du cheikh Missoum, paraît disposé à admettre que les Derkaoua sont vraiment un ordre purement religieux, étranger aux compétitions et aux luttes politiques ; il pense que, quand ils ont joué un rôle dans les révoltes contre nous, c’est à l’instigation de chefs, qui étaient infidèles à la doctrine même de l’ordre, qui ne s’y étaient même affiliés que dans ce but ; il pense que le chef des Derkaoua algériens qui mourut en 1840 était en fait un adversaire d’Abd-el-Kader et il rapporte qu’un bruit a couru qu’il aurait été empoisonné par les parens de l’émir. Bien des faits me semblent aller à l’encontre de cette opinion : les Derkaoua ont toujours été considérés par les Turcs comme des rebelles à toute autorité[11] ; c’est là où ils étaient en grand nombre, dans l’Ouarnsenis et le Dahra, que nous avons eu les luttes les plus rudes à soutenir ; presque toute la famille d’Abd-el-Kader, notamment son frère Sidi-Mustapha et son cousin Sidi Abd-el-Kader Bou-Taleb, ses principaux lieutenans, étaient affiliés à cette secte ; on se souvient qu’en 1845 une bande de Derkaoua mendians tenta avec une audace inouïe de s’emparer du fort de Sidi-bel-Abbès ; enfin ce fut cette confrérie qui donna à l’émir son dernier appui, ses derniers soldats. Que si l’empereur du Maroc fut obligé de le soutenir, c’est que ni lui, ni le grand maître des Taybiya ne purent arrêter l’élan d’enthousiasme que les Derkaoua avaient soulevé en faveur de celui qui représentait la guerre sainte. Le père du chef actuel de l’ordre s’est soulevé une fois contre le sultan et nous avons vu que celui-ci fut obligé de lui faire de riches présens ; commandant à des tribus belliqueuses, comme les Ait-Alta et les Brabers, disposant de milliers de khouan fanatiques, ses fils peuvent tout à la fois agiter l’empire et déchaîner la guerre sainte.

Un ordre qui se rapproche beaucoup du précédent, qui procède comme lui de la doctrine chadelienne, est celui des Naceria. Fondé au milieu du XVIIe siècle par Mohamed ben Nacer-ed-Drai, il a surtout ses adeptes dans la vallée de l’Oued Draa, dans celle de l’Oued Sous et dans le Sahara occidental ; quelques fractions de nos tribus algériennes des Laghouat et des Trafi, émigrées dans ces régions après la révolte de 1864, s’y sont affiliées et reçoivent ses moqaddem. La maison mère est à Tamegrout, où l’on vient en pèlerinage du Tafilet, de Maroc, de Mogador, du Sahel ; le chef actuel, connu et vénéré dans tout l’empire, est Sidi-Mohammed-ou-Bou-Beker, un personnage puissant pour qui le sultan montre en toute occasion le plus grand respect.

Tandis que le centre du Maroc et le Tafilet, pays d’origine des sultans actuels, sont remplis des adeptes de l’ordre national de Moulei-Tayeb, tandis que les tribus du Draa et du Sous obéissent à des ordres révolutionnaires comme ceux des Derkaoua et des Naceria, les populations du désert ont embrassé avec ardeur des ordres qui leur promettaient une protection pour leur existence si précaire et si menacée. Les sédentaires, les ksourions ou habitans des ksar, si éprouvés par les incursions des nomades, par l’oppression que ceux-ci font peser sur eux, n’ont d’espoir qu’en l’ordre des Kerzazia ; les voyageurs, commerçans, caravaniers, qui redoutent les agressions des coupeurs de route et des bandits, se réclament de l’ordre des Zianya.

La confrérie des Kerzazia ou Ahammedin, fondée au XVIe siècle par Sidi-Ahmed Mousa, appartient aussi au groupe des ordres Chadelya. Son dikr est peu compliqué, comme il convient à des hommes qui travaillent la terre, qui cultivent les palmiers, et il n’est obligatoire qu’en hiver ; il admet des tempéramens. Un anneau de fer passé dans le chapelet est le signe auquel se reconnaissent les adeptes. Ils affectent de se tenir en dehors des partis locaux ou Çofs, en dehors des querelles politiques. Ils interviennent pour empêcher l’effusion du sang, pour défendre les ksouriens contre les exactions des nomades. Bien que leur maison mère, la zaouïa de Kerzaz, ait donné asile à des groupes d’Ouled-Sidi-Cheikh révoltés contre nous, leur attitude a généralement été correcte à notre égard et nous avons autorisé le grand maître, pour services rendus pendant l’insurrection, à envoyer ses moqaddem chercher les ziara sur notre territoire. Il a de nombreux fidèles dans le Sud-Marocain et le Sud-Oranais (Beni-Guil, Doui-Menia, Hamian ; en territoire algérien 62 moqaddem et 3 000 khouan au moins) ; il est toujours pris dans la famille du fondateur, ainsi que ses principaux vicaires. Lazaouïa de Kerzaz demeure pauvre, parce que les chefs ont toujours voulu garder les traditions de renoncement et que les moqaddem, étant de la famille, gardent la plus grosse part des contributions.

L’ordre des Zianya a été fondé, au milieu du XVIIe siècle, par Moulei Bou-Zian, d’une famille de chérifs de l’Oued Draa. Après de longs voyages en Orient et en Afrique, après avoir reçu des révélations du Prophète, il vint fonder une zaouia à Kenadsa, sur le territoire de la tribu des Doui-Menia. Il combattit tout le reste de sa vie les brigands qui désolaient cette partie du désert, et le souvenir de ses exploits s’est perpétué par des poèmes et des légendes. On raconte notamment qu’un jour, pendant qu’il priait dans la mosquée, des voleurs s’emparèrent de ses troupeaux, provenant des offrandes des fidèles. Mais Dieu les châtia. Un ange, sous la forme et les traits de Bou-Zian, se présenta tout à coup aux voleurs et les mit en joue avec son bâton et aussitôt ils tombèrent morts. Les bergers qui les avaient suivis en se cachant, furent témoins du fait et ramenèrent les troupeaux au cheikh qui n’avait pas bougé de la mosquée, où, ses prières terminées, il s’était misa instruire les fidèles. Depuis, les khouan de son ordre ont la spécialité de conduire les caravanes ; ils connaissent les moindres chemins du désert ; le chapelet de l’ordre, la crainte qu’ont les voleurs d’une vengeance du saint, assurent la sécurité de ceux qu’ils conduisent. C’est là une source importante de revenus pour l’ordre. Le chef et les vicaires sont toujours choisis parmi les descendans du fondateur ; ils passent pour être pauvres, malgré l’abondance des ziaras ; ils les dépensent en bonnes œuvres et les zaouïas donnent une large hospitalité. Les khouan se font remarquer par leur savoir, leur sagesse, leur esprit de tolérance ; ils se tiennent à l’écart des luttes politiques ; ils ne se sont laissé entraîner à des conflits avec nous ni par le sultan du Maroc, ni par les Ouled-Sidi-Cheikh, et s’ils ont donné asile aux rebelles, s’ils les ont même approvisionnés parfois, considérant cela comme une affaire de conscience et de commerce, ils n’ont jamais excité à la guerre contre nous.

En dehors de ces cinq grandes confréries, qui ont des groupes compacts d’adeptes localisés dans des régions déterminées du Moghreb, il y en a quelques-unes qui ont des khouan répandus un peu partout et qui paraissent avoir des préoccupations d’ordre moins politique. La plus connue du public, à cause de ses étranges pratiques de jonglerie, est celle des Aïssaoua. Son fondateur, Mohammed ben-Aïssa, pauvre quoique chérif, vivait à Mequinez vers la fin du XVe siècle ; il avait voyagé en Orient et en avait rapporté, avec des révélations surnaturelles, des connaissances de médecine et d’histoire naturelle. Sa popularité porta ombrage à un sultan mérinide qui le chassa de la capitale. Les habitans presque tous quittèrent la cité pour le suivre et un jour qu’arrivés, mourant de faim et de fatigue dans un lieu désert, ils lui demandèrent à manger, il leur dit de se nourrir de ce qui était devant eux ; ils dévorèrent des pierres, des serpens et des scorpions, ce qui par la protection miraculeuse du saint ne leur fit aucun mal et aujourd’hui encore les sectateurs de l’ordre jouissent de la même immunité. Cependant la puissance de Ben-Aïssa grandissait chaque jour ; le sultan, dont la cité était demeurée déserte et qui voyait tous les mécontens et les fanatiques se rallier autour du saint, dut le supplier de revenir à Mequinez en allié ; il lui donna un monastère et de nombreuses propriétés et exempta tous ses adeptes d’impôts et de corvées. La légende nous donne un exemple remarquable de l’influence de Ben-Aïssa : un jour que la foule l’acclamait, il dit que le Prophète lui était apparu et lui avait ordonné de faire un sacrifice à Dieu, que par suite il avait fait vœu d’immoler ce qu’il avait de plus cher, les plus fervens de ses disciples : « Que celui d’entre vous, s’écrie-t-il, qui m’aime et veut me donner sa vie, entre dans ma maison pour être immolé à Dieu. » Un disciple se présente, entre avec Ben-Aïssa dans la maison, puis on entend un cri d’agonie et on voit un filet de sang couler par-dessous la porte. Ben-Aïssa sort, demande une autre victime et la même scène se répète quarante fois, et malgré la terreur il reste encore une foule de fidèles prêts à se dévouer. Le marabout arrête le carnage. Chacun des quarante qui s’étaient offerts en victimes avait reçu ordre d’égorger un mouton et c’était le sang de ces animaux qui avait coulé au dehors, tandis que des cris poussés à dessein faisaient illusion aux assistans. Les quarante fidèles demeurèrent les compagnons du saint jusqu’à sa mort survenue en 1524 et formèrent avec lui la hadra ou chapitre général de l’ordre. Ce chapitre existe toujours ; il se tient à la maison mère, à Mequinez, auprès du tombeau du fondateur. Le cheikh et les trente-neuf moqaddem qui le composent ne sortent de lazaouïa qu’une fois par an, à la fête du Mouloud, et ce jour tous les malades ou infirmes qui peuvent approcher d’un d’entre eux sont guéris ou au moins soulagés, selon leur degré de foi.

Les doctrines religieuses des Aïssaoua ne diffèrent pas sensiblement de celles des autres ordres. Elles tendent à développer le mysticisme le plus fervent ; elles recommandent « l’expansion continuelle vers la divinité, la sobriété, l’abstinence, l’absorption en Dieu poussée à un tel degré que les souffrances corporelles et les mortifications physiques ne peuvent plus affecter les sens endurcis à la douleur. » Le dikr des Aïssaoua est remarquable par sa longueur ; nous avons déjà dit qu’il ne compte pas moins de 13 600 fois par jour la répétition de la formule consacrée, plus de longues prières. Il y a même pour les plus fervens un grand ouerd qui est encore plus étendu et où le nombre des répétitions est plus élevé. Ces récitations se font en commun ; des centaines de fidèles y prennent part, se touchant, se balançant ou trépignant en mesure, au son d’une musique endiablée, dans une atmosphère chargée de kif, ce qui amène des manifestations bizarres d’un mysticisme aigu et maladif, identique à celui qui, au XVIIIe siècle, inspirait les convulsionnaires de Saint-Médard.

Les musulmans instruits considèrent certains Aïssaoua comme des saints, jouissant d’une grâce spéciale de Dieu, mais beaucoup d’autres comme des jongleurs et des prestidigitateurs habiles, qui ne font que se couvrir du manteau de la religion. Le peuple les confond tous ensemble et voit en tous des inspirés, qui ont le privilège de chasser le mauvais esprit du corps des malades, comme aussi celui de charmer les serpens, de ne pas souffrir des blessures ou des brûlures, de manger les choses les plus nuisibles sans en être affectés.

Les Européens ont pu souvent assister à des séances d’Aïssaoua ; dans de vastes salles ou sous les tentes, ils ont pu voir des khouan hurler au son du tambour leurs étranges cantilènes, puis, frénétiques, ivres, se larder le corps de broches, de poignards, de coups de sabre, manger des serpens, des scorpions, des clous, des cactus épineux, lécher des pelles rougies au feu, faire grésiller leur chair au contact des brasiers, dévorer des moutons vivans, et tous en ont rapporté un sentiment d’horreur et de pitié indicibles : Paris même a vu de ces représentations sauvages. Nous ne les décrirons point ; nous ne rechercherons pas quelle est la part de la jonglerie, celle de l’hystérie, de l’hypnotisme et du magnétisme dans ces pratiques[12]. Le grand maître lui-même les a parfois dénoncées comme contraires aux doctrines de l’ordre, dans certains cas comme étant l’œuvre d’exploiteurs et de charlatans ; il n’en est pas moins bien établi qu’au Maroc, principalement à Méquinez, elles sont très communes et faites en public.

À Méquinez, presque tous les habitans sont Aïssaoua : la plupart sont exempts de corvées et d’impôts. À la fête du Mouloud et pendant onze jours, ils sont les maîtres dans la ville. Le cheikh à cheval sort de la zaouïa, entouré de ses moqaddem et des drapeaux de l’ordre ; des milliers de khouan l’accompagnent, faisant parler la poudre, frappant à tour de bras sur les tamtams et les tambourins, dansant, sautant, hurlant ; les uns se font d’horribles blessures avec des couteaux ou des sabres et marchent tout couverts de sang ; d’autres se ruent sous les pieds du cheval du cheikh et se relèvent tout meurtris, dans un délire joyeux ; d’autres se jettent sur des moutons, des chèvres, des ânes et les dévorent encore palpitans de vie. Il en est qui sont de la confrérie des lions et imitent les rugissemens de ces animaux ; d’autres sont de la confrérie des chameaux et mangent des herbes dures et marchent à quatre pattes. Un grand nombre sont revenus récemment du Sous où ils ont été chercher des vipères, des serpens, des scorpions, qu’ils manient de toutes façons, par qui ils se font piquer et mordre au point d’être bientôt tout dégouttans de sang et qu’enfin ils finissent par avaler[13]. Dans cette exaltation, dans cette saturnale furibonde, ils injurient et frappent les spectateurs et on dit même qu’une fois ils dévorèrent un juif qui s’était aventuré dans la rue. Parmi eux se mêlent assez souvent des Hamdachas ou Hamdouchias, sectateurs d’un saint qui, ayant eu la tête brisée par un boulet de canon, rapprocha les deux parties et fut guéri aussitôt ; ceux-là, aux exercices habituels des Aissaoua joignent celui de lancer en l’air des pierres énormes ou des boulets de canon qu’ils reçoivent sur leur crâne, maintes fois déjà écrasé et endurci. Ces scènes, qui durent onze jours, sont, de l’avis de tous ceux qui y ont assisté, les plus extraordinaires, les plus démoniaques que l’on puisse imaginer.

Pour compléter la liste des confréries marocaines il faudrait citer celles des Hansalya, des Habibya, des Sohelya, des Razya, des Rachidya, des Zerroukia, des Djazoulya, qui sont marocaines par leur origine à la fois et par la majorité de leurs adeptes ; il faudrait en citer d’autres qui, marocaines par leur origine, ont aujourd’hui la majorité de leurs adeptes en des pays étrangers, par exemple les Tedjinya et les Ckeikia, influens surtout en Algérie et en Tunisie ; il faudrait enfin mentionner celle des Quadrya ou khouan de Sidi-Abd-el-Kader et Djilani, le plus grand saint de l’Islam et dont les fidèles sont répandus de l’Atlantique au-delà de l’Euphrate, plus ou moins en relations avec la maison mère qui se trouve à Bagdad.

Les confréries religieuses, en exaltant le sentiment religieux, le fanatisme, constituent un danger pour le monde chrétien et surtout pour les puissances qui ont, comme la France, un grand nombre de sujets musulmans. Ce qui les a empêchées d’agir, comme elles pourraient le faire, c’est qu’elles ont souvent des intérêts contraires les unes vis-à-vis des autres, c’est que leurs chefs, concurrens pour obtenir les ziaras des fidèles, ne se sont guère entendus pour une action commune. Leur hostilité réciproque a fait leur faiblesse. Mais qu’on suppose le chef d’un ordre ralliant à lui la grande majorité de ces fanatiques, disposant de richesses immenses et de millions de fidèles, et l’on voit de suite ce que serait la guerre sainte prêchée par un tel homme, quel péril il pourrait faire courir à l’état de choses établi, soit dans l’Algérie-Tunisie, soit au Maroc.

Combattre les confréries, chercher à restreindre leur influence serait impossible ; une telle politique aurait au contraire pour résultat de ranimer leur prestige et leur ardeur, d’en faire le refuge de tous les mécontens, de doubler leur puissance. La seule conduite possible à leur égard paraît être de chercher à les maintenir rivales et divisées. Quelques-unes nous sont moins hostiles que les autres, par exemple au Maroc les Kerzazia, les Zianya, les Taybiya ; sans les favoriser ouvertement, ce qui les discréditerait aux yeux des vrais croyans, il convient de ne pas les combattre, de leur fournir un appui lorsqu’elles le demandent, de les traiter toujours avec bienveillance et respect. Pour les autres, telles que celles des Derkaoua, des Naceria, même des Aïssaoua, il faut être sans cesse aux aguets, empêcher dans la mesure du possible qu’elles étendent leur action sur les territoires qui nous sont soumis, chercher même à gagner quelques-uns des chefs les plus influens.

Cette manière d’agir s’impose d’autant plus que depuis une vingtaine d’années on surprend dans le monde musulman une vague tendance à l’unité, un effort encore obscur mais chaque jour plus marqué vers une sorte de panislamisme. M. Duveyrier, l’explorateur africain si regretté, a dénoncé, il y a dix ans, le péril que pourrait faire courir à la civilisation européenne l’ardente propagande des Senoussya. Le fondateur de cet ordre, Mohammed-Ben-Ali-es-Senoussi, originaire de la province d’Oran, vécut assez longtemps à Fez ; à la Mecque, il fut le disciple de Sidi-Ahmed-Ben-Edris, chef de l’ordre des Derkaoua, et, à la mort de celui-ci, devint, vers 1840, le maître d’un groupe réformé de ces khouan qu’il installa au milieu des déserts de la Tripolitaine, à Djerboub, dans l’oasis où fleurit jadis le culte de Jupiter Ammon. Son fils El-Madi y est aujourd’hui tout-puissant ; ses moqaddem règnent sur la Tripolitaine, le Ouadai, une partie du Bornou, tout le Sahara ; et chaque jour voit s’étendre leur sphère d’action.

La confrérie des Senoussya est la plus dangereuse de toutes, celle qui nous est le plus hostile. Son habile fondateur a mis en elle une cause de supériorité sur toutes les autres ; il déclare que tout musulman affilié à une confrérie quelconque peut, sans abandonner celle-là, faire aussi partie de la sienne, et par suite il ne tend à rien moins qu’à réunir dans une association universelle tous les khouan des confréries existantes. Sa doctrine, — et c’est au fond celle des Derkaoua et de la plupart des ordres Chadelya auxquels Es-Senoussi était affilié, — est que le pouvoir temporel n’est qu’une dépendance du pouvoir spirituel, qu’il n’y a d’autorité légitime que celle du Mahdi, qu’il faut combattre par les armes aussi bien le sultan des Turcs que les puissances infidèles, et que, si on ne peut espérer de réussir par la force, le croyant doit s’éloigner des pays où règne le chrétien. Les massacres de nos voyageurs au Sahara semblent tous avoir été provoqués par les Senoussya.

La propagande extraordinairement active des Senoussya s’exerce surtout au désert et dans le Soudan. En Algérie, ils se cachent avec soin et on ignore leur nombre ; il semble qu’ils ont déjà quatre zaouïas au Maroc et que leurs khouan y sont nombreux[14]. Mais ils peuvent le devenir plus encore ; la communauté de doctrines avec les Derkaoua, les Naceria et autres groupes Chadelya, peut du jour au lendemain leur amener des millions d’adeptes. Ainsi ils auraient tourné notre Algérie par le sud ; avec leurs foyers de propagande en Tripolitaine, à Radamès, chez les Touareg, où leur influence a supplanté celle des Tedjinya, au Touat où elle l’emporte depuis peu sur celle des Taybiya, à l’Oued Draa et au sud du Maroc où ils auraient avec eux les Derkaoua et Naceria, ils nous environneraient d’ennemis fanatiques. Et avec eux, ce n’est pas seulement la lutte à main armée que nous aurions à redouter, mais une opposition sourde et patiente qui chez nos sujets d’Algérie rendrait stériles tous les efforts que nous faisons pour relever le niveau moral des musulmans et les rapprocher de nous. Nos administrateurs et nos diplomates ont donc un intérêt supérieur à connaître les confréries religieuses, leur rôle et leurs tendances, les influences qu’elles peuvent subir, et ce ne sera pas trop pour sauvegarder notre avenir dans l’Afrique du Nord d’une surveillance très perspicace et de tous les instans.

Notre gouvernement général d’Algérie n’a point failli à cette partie de sa mission. C’était un conseiller de ce gouvernement, M. Rinn, qui le premier avait fourni des renseignemens complets et sûrs sur les confréries et voici que deux fonctionnaires de la même administration, sous les auspices de M. Cambon, gouverneur général, publiaient récemment un gros travail qui complète sur quelques points et met pour ainsi dire à jour le remarquable travail de leur devancier[15]. Les auteurs de ce nouvel ouvrage sur les confréries religieuses musulmanes ont remonté jusqu’aux origines lointaines de l’islamisme et du peuple arabe lui-même. Le Prophète, le Coran, les traditions, les écoles théologiques, les sectes ont été de leur part l’objet de recherches ardues et patientes. Ils ont étudié le soufisme dans ses multiples manifestations en Orient et en Occident ; et l’histoire des confréries, leur organisation administrative et financière, leur rôle politique, leur statistique n’ont guère de secrets pour eux. C’est dire qu’avec ce livre, joint à celui de M. Rinn, nous savons maintenant tout ce qu’il nous importe de savoir sur ce grave sujet.

Ce que nous disions au sujet de l’attitude que la France doit prendre vis-à-vis des confréries religieuses au Maroc, les auteurs de la récente publication le disent aussi pour ce qui concerne l’Algérie. Mais ici nous avons des devoirs plus compliqués et plus incessans, nous pouvons exercer une surveillance et une action plus directe ; ici nous devons être davantage les maîtres. M. Rinn, à la fin de son ouvrage, préconisait l’organisation d’une sorte de clergé musulman, dévoué à notre cause, MM. Coppolani et Depont arrivent à une conclusion qui n’est pas très différente au fond. Ils pensent qu’on pourrait traiter les chefs et moqaddem des confréries comme des imans honoraires et se servir des khouan pour le développement de nos relations avec les autres pays de l’Islam. Et ainsi, tous les hommes qui ont étudié d’un peu près ces questions sont d’accord pour le reconnaître : dans les pays soumis à la doctrine de Mahomet, il n’y a qu’un seul élément de force, l’idée religieuse, il n’y a qu’une seule organisation un peu puissante, les confréries. Il nous faut surveiller cette organisation et, s’il se peut, utiliser cette force pour la conquête morale des millions de sujets musulmans que nous avons sur la terre d’Afrique.


EDOUARD CAT.


  1. On raconte qu’au XIIe siècle un prétendant au trône profita de cette habitude pour enlever la capitale et s’emparer du pouvoir, pendant que le peuple priait.
  2. Le pluriel arabe de cherif est cheurfa. Nous ne l’avons employé que quand il s’agit de noms propres de localités.
  3. Drummond-Hay, le Maroc et ses tribus nomades, traduction par Mme Belloc ; Paris, 1844. — De Chénier, Recherches historiques sur les Maures et Histoire de l’empire du Maroc ; Paris, 1887, 3 vol. in-8o.
  4. Il y avait des soufis, bien avant l’islamisme, aux Indes, en Perse, chez les Grecs. Le soufisme ou mysticisme est en réalité île toutes les religions ; mais ce sont les premiers philosophes et ascètes arabes qu’on désigne surtout sous ce nom.
  5. Rinn, Marabouts et Khouan, p. 81. Ce livre, plein de documens, fait autorité en la matière et est tout à fait remarquable ; nous lui avons beaucoup emprunté.
  6. C’est évidemment l’origine du perinde ac cadaver de l’ordre des Jésuites : il me semble que l’image est plus naturelle avec les coutumes des musulmans qu’avec celles des chrétiens.
  7. Niox, Géographie physique de l’Algérie, et Gourgeot, Situation politique de l’Algérie en 1882.
  8. On dit plus souvent les Taybin que les Taybiya ; mais cette dernière forme est plus correcte. On appelle quelquefois les khouan de cet ordre Thouama, ou adeptes de Sidi Thami, un des premiers saints de la famille de Moulei-Tayeb.
  9. Il en est advenu ainsi pour l’ordre des Tedjini, dont les maisons mères sont Aïn-Mahdi et Temacin, en Algérie. Depuis que ses marabouts se sont montrés favorables à notre politique, leur influence a diminué ; les Touareg ont tué un de leurs moqaddem qui accompagnait la mission Flatters.
  10. D’après une statistique faite en 1882, ils seraient au nombre de 20 000 environ.
  11. On dit même assez souvent que le mot derkaoui dérive d’un radical arabe qui signifie révolté ; mais M. Rinn repousse cette étymologie.
  12. La description la plus complète des exercices des Aïssaoua, la plus précise à la fois et la plus vivante, est encore celle si connue de Théophile Gautier. On peut lire aussi à ce sujet un article de M. Franck-Puaux, dans la Revue politique et littéraire du 21 mai 1881, un passage de l’ouvrage de M. Dick de Lonlay : En Tunisie, souvenirs de sept mois de campagne ; Paris, 1882 ; un article de M. Paul Bert, dans la Revue de l’hypnotisme, 1887, et un très remarquable récit de M. Masqueray, dans Souvenirs et visions d’Afrique ; Paris, 1892.
  13. Le Sous est le pays des serpens ; c’est aussi celui des saltimbanques et baladins. Il en fournit à tout le Maroc.
  14. Lenz, dans son voyage en 1880, parle à plusieurs reprises de Senoussia : ceux qu’il rencontra, couverts de haillons et mendiant, semblent plutôt être des Derkaoua. Voir aussi l’étude de M. P. d’Estournelles de Constant sur les Sociétés secrètes chez les Arabes, dans la Revue du 1er mars 1886.
  15. Les Confréries religieuses musulmanes, par MM. Depont et Coppolani ; Alger, 1897, gr. in-8o. L’ouvrage contient 1 carte, 4 chromolithographies, 62 gravures.