L’Islam (Landrieux)/Préface

Lethielleux (p. v-viii).



PRÉFACE


Les vaillants petits peuples des Balkans viennent d’écrire dans l’Histoire une page superbe. Un moment, on a cru qu’elle allait clore le chapitre des luttes épiques du chrétien contre le Maure.

Si le choléra ne leur avait brusquement barré la route, ils auraient terminé à coups de canon, ce que Charles Martel avait commencé, au VIIIe siècle, à grands coups d’épée : la tâche où l’Espagne des temps héroïques s’attarda pendant tout le Moyen-âge et à laquelle l’effort répété des croisades n’avait pu donner qu’une solution précaire et sans lendemain, la tâche compromise par le retour offensif de 1453 qui ramenait le Croissant à Stamboul, la tâche que laissaient encore inachevée et le triomphe des flottes catholiques à Lépante, en 1571, et la victoire de Sobieski, à Vienne, en 1683.

Trois semaines ont suffi aux Bulgares, aux Serbes, aux Monténégrins, appuyés par les Grecs, pour bousculer et balayer cet empire turc dont les grandes puissances cherchaient en vain depuis si longtemps, sans oser s’y résoudre, à débarrasser l’Europe.

Si tous ces bulletins de victoires, mêlés, dans la presse, aux échos de la campagne du Maroc, n’avaient ramené tout à coup au premier plan de l’actualité, le monde de l’Islam, ce petit livre, vraisemblablement, n’aurai pas vu le jour.

Mais tout ce qui peut projeter un peu de lumière sur le mystère où s’enveloppe toujours l’âme musulmane, excite aujourd’hui la curiosité publique ; et, plus encore que le désir de répondre aux questions qui sont sur toutes les lèvres, le besoin de protester contre les informations fantaisistes qui tombent parfois de haut et qui encombrent les journaux, détermine ceux qui ont pu l’approcher de plus près à dire, en toute loyauté, ce qu’ils en savent.

D’ailleurs, la France, la France tout court, s’il est permis de rétrécir ainsi, comme le font nos politiciens de fortune, le concept de la nation française, la France catholique surtout n’a pas le droit de se désintéresser de l’Islam. Car l’Islam est à nos portes, il est chez nous : « La France, de fait, est une grande puissance musulmane ! »

L’Algérie et la Tunisie représentent exactement, en étendue, notre territoire continental : l’Algérie pour les 4/5, la Tunisie pour 1/5. Le Maroc à lui tout seul le dépasse d’un tiers. Quant au Sahara français, le 1/3 à peu près de l’immense désert africain, il est 6 fois grand comme la France.

Nous avons donc des raisons toutes spéciales de nous occuper, de nous préoccuper de l’Islam. J’ai été en contact, à plusieurs reprises, avec l’Islam, en Afrique et en Orient, en Algérie, en Tunisie, chez les Kabyles et dans le M’Zab, au Caire, à Jérusalem, à Damas, hier encore à Constantinople, et j’ai résumé, dans cette étude, ce que j’en ai vu et ce qu’on m’en a dit, mes impressions personnelles, mais contrôlées et mises au point, sur place, par l’expérience et la documentation d’hommes graves, établis dans le pays, en relation constante avec les populations musulmanes et dont le jugement repose sur une observation méthodique et prolongée.

Si ce travail a quelque crédit, il le devra à leur compétence et à leur autorité.

Reims, le 15 novembre 1912.
Mce Landrieux