Charpentier (p. 305-308).

XXIX

Dimanche, 21 mai.

La dernière séance avait été chaude. Trois membres de la minorité s’étaient présentés pour déclarer qu’avant tout ils voulaient la lutte sans merci contre l’ennemi, et qu’ils revenaient sur leur résolution de ne pas reparaître à l’Hôtel-de-Ville si le peuple pouvait croire que leur colère contre le Comité de Salut Public n’était qu’un prétexte à fuir les responsabilités sanglantes.


Ah ! mieux vaut sombrer sous le pavillon fait avec les guenilles de 93, mieux vaut accepter une dictature renouvelée du déluge et qui nous a paru une insulte à la révolution nouvelle, mieux vaut tout ! — que paraître abandonner le combat !

Et la paix s’est faite ; on l’a signée verbalement, et sur un coup de canon qui a, soudainement, fait trembler les vitres et fait sauter les cœurs. Il a éclaté à l’improviste, et a retenti formidable et lugubre.

La main dans la main, camarades !


Aujourd’hui, la séance est plus solennelle encore.

Pour sceller la réconciliation d’avant-hier, on vient de nommer président Vingtras, celui dont le journal a été l’organe des dissidents depuis le commencement de la lutte.

Et ceux de la minorité qui, comme Tridon, avaient mis leur courage à ne pas venir, restant fidèles quand même à la résolution votée, ceux-là ont, cette fois, regagné leur place, parce qu’il est écrit, dans la Déclaration blâmée par les faubourgs, que s’il y avait, un jour, à juger l’un des nôtres, on rendrait la justice tous guidons réunis, toutes haines éteintes, dans la salle de la Commune repeuplée et érigée en tribunal suprême.

Or, Cluseret, l’accusé, va être amené.


Le voici ! Son sort va se décider.


Qu’a-t-on dit ?…

Les rancunes se sont apaisées, les défiances assoupies.

On devine que la liberté est au bout du débat, mais il se déroule imposant. Les orateurs sont réfléchis et l’auditoire muet.


À ce moment, une porte s’ouvre, celle par où entrent d’ordinaire les membres du Comité de Salut public, et Billioray apparaît.

Il demande la parole.

— Quand Vermorel aura terminé, ai-je répondu.

— Il s’agit d’une communication à faire à l’Assemblée… d’une communication des plus graves !

— Parlez !…

Il lit le papier qu’il tient à la main.

C’est une dépêche de Dombrowski :

« Les Versaillais viennent de forcer l’entrée… »


Comme une nappe de silence !


Cela a duré le temps pour chacun de faire ses adieux à la vie !

Il m’a semblé, à moi, que tout mon sang descendait vers la terre, tandis que mes yeux devenaient plus clairs et plus grands dans ma face pâlie.

Il m’a semblé entrevoir loin, bien loin, une silhouette grotesque et défigurée. Je me suis vu couvert de boue !

Oh ! la peur de la torture n’y est pour rien ! mais pour rien !! — C’est mon orgueil qui râle. Vaincu ! tué ! avant d’avoir rien fait !…

En une seconde, ces pensées m’ont sabré l’esprit.


Président de l’agonie de la Commune, comment vas-tu sonner le glas de sa mort ?


Laissant le silence planer — le temps de montrer à l’histoire que le calme n’avait pas déserté les âmes à la nouvelle de la défaite et devant les premières affres du supplice — j’ai repris d’une voix que j’avais armée de sérénité, en m’adressant à Cluseret :

— Accusé, vous avez la parole pour vous défendre !

Il me semble que c’est bien de finir sur un mot de justice, de paraître oublier tout le danger pour ne pas retarder un verdict d’où dépendent l’honneur et l’existence d’un homme.


C’est fini. — Acquitté !

La séance est levée !


Je vais à mon banc chercher des paperasses qui traînent, et sur lesquelles j’avais griffonné les premières lignes d’un article pour demain.