L’Instant éternel/Rêves d’avenir

E. Sansot et Cie (p. 155-159).


RÊVES D’AVENIR


Mon bien-aimé m’a dit : « Je chéris ce pays
Où s’échappe des monts le cri vif des rivières,
Où s’écoule le rire ému des lavandières,
Où, sous cet arbre mort, mon aïeul s’est assis.

J’ai ce vieux fief couvert de ronces et de roses ;
Sublime, en plein azur, en pleine immensité,
Il meurt de poésie, il meurt de vétusté :
Le temps s’est endormi contre ses portes closes.

Mais allons dissiper son magique sommeil,
Ses portes s’ouvriront à ma voix amoureuse,
Ses murs intérieurs ont une face heureuse,
Ils sont encore chauds d’un passé de soleil.

Oh ! si, toujours, là-haut, vous étiez ma compagne,
Je serais bon d’avoir ouï le fer crier,
D’avoir vu les grands bras justes de l’ouvrier
Et d’être le fils rude et doux de la montagne !…


Venez, vous aimerez ces sites merveilleux
Où l’air est une mer aux flots de giroflées ;
L’eau fait rouler le ciel à travers les vallées,
Et c’est la neige et l’aigle et l’or sur les pics bleus…

Venez sur les monts purs où la lueur légère
De la lune est semblable à la plainte du cor,
Où chaque vol de vent est plein de genêts d’or,
Où la paix sent si bon la sagesse et la terre.

Dans l’abîme profond, c’est le noir train qui fuit,
En fer, en feu, tragique et beau comme une forge,
C’est, d’étoiles mouillé, le talus de la gorge
Où la voix du crapaud semble aspirer la nuit.

Nos cœurs seront unis dans les roches arides,
Je monterai, le soir, vers le ciel et l’amour,
Un long chant de berger nous dira quand le jour,
Doucement, dans la source, ouvre ses yeux limpides.

Chez nous, vous entendrez, dans un calme enchanté,
Bien loin des faux plaisirs, des secrètes embûches,
L’hiver, les feux ardents enfonçant dans les bûches
Leurs hautes piques d’or dans un vol de clarté.


Des troupeaux passeront dans la trompe qui sonne,
Des feuilles danseront sous les pieds du berger,
Nos bras d’heureux amants béniront le verger
Roux de miel, de rayons, de fruits mûrs et d’automne.

Nous serons sains et forts et, dans notre maison,
Chantera le travail avec sa voix sonore…
Nous nous revêtirons de silence et d’aurore
Et d’un beau vêtement semblable à la saison.

Vous avez consenti d’une larme infinie…
Vous souriez à Dieu de pleurer dans mes bras…
Écoutez, de son lent, de son céleste pas,
La lune, sur les eaux, qui fait, de l’harmonie…

Le silence s’écarte au passage des chars
Et se referme…
Et se referme…Ô solitude !…
Et se referme… Ô solitude !…Je vous aime…
Votre cœur a donné son battement suprême
Et toute la nuit bleue entre dans vos regards… »



J’ai dit : « Protégez-moi !… Soyez le vrai, le maître,
Car une âme de femme est une âme d’enfant,
Elle aime le grand geste absolu qui défend
Et les yeux sérieux qui souriront, peut-être…


Oh ! mon ami, surtout, vous aurez la bonté,
Cette active bonté qui réchauffe et qui dore,
Celle qui fait germer, celle qui fait éclore…
De la bonté de Dieu a coulé la clarté…

Du peuple vous direz les angoisses obscures,
Et vous voudrez sauver l’âme des ouvriers
Qui, dans un cri haineux, triomphent des leviers
Et font broyer leur cœur aux lourdes filatures.

Vous serez grave et fier et j’aurai peur de voir,
Quoique vous dévoiliez des ardeurs irréelles,
— Ainsi l’esprit du fer jaillit en étincelles !… —
Quelle ténacité calme est dans votre œil noir.

Je ferai l’humble tâche en gestes grandioses,
Au jardin j’offrirai les rustiques travaux ;
Oh ! le blanc linge épars qui, sur les longs cordeaux,
Sèche dans un zéphir tout plein de passe-roses !…

Vous me direz la force et la bonté des vents,
Et quand j’aurai pleuré dans la nature auguste,
Vous, vous me serrerez sur votre cœur de juste,
Et tous les blés seront autour de nous mouvants.


De science et de rêve emplissant nos paroles,
Dans des après-midi nous parcourrons les prés,
Les fleurs aspireront les pollens enivrés
Quand l’âme de Linné chante dans les corolles…

Nous suivrons, droits et purs, le destin ingénu,
La Grèce apparaîtra quand vous tiendrez un livre,
Et quand je porterai, dans le soir bon à vivre,
Une amphore d’albâtre au creux de mon bras nu.

Comme en une vallée, un magnifique chêne,
Je vous veux, à la fois, paisible, audacieux…
Ah ! vous serez si beau, quand, dans l’onde sereine,
Vous ferez avec l’aigle une ombre sur les cieux !… »