L’Instant éternel/Paroles du bien-aimé

E. Sansot et Cie (p. 162-164).


PAROLES DU BIEN-AIMÉ


Aimons la vie, enfant, malgré tout et toujours,
Faisons que l’eau soit pure en reflétant nos âmes,
Et pense que la terre, en ses heureux contours,
Est belle de la grâce éternelle des femmes.

Aime la vie, enfant, la vie aux bras nerveux,
Aime le blé donné par les bonnes déesses,
Et la santé qui fait l’éclat de tes cheveux,
Et les larmes qui font plus tendres tes caresses.

Aime la vie, enfant, puisque tu dois mourir,
Vénère dans les fleurs le travail de l’abeille,
Et louange les fruits en allant les cueillir
Avec ta soif rieuse et ta blanche corbeille.

Aime les animaux qui sont aimés des dieux,
Nul homme n’a comme eux l’attachement fidèle,
Et sache voir qu’ils ont, dans l’ombre de leurs yeux,
Comme nous, un rayon de la vie éternelle.


Aime l’amour perpétué par le soleil,
Par les hautes moissons, par les larges vendanges,
Et ne fais pas de lui, dans un trouble sommeil,
Le dieu du rire amer et des vouloirs étranges.

Dis-toi qu’il est debout sur le vaste univers,
Qu’il doit être loué par les eaux abondantes,
Que de son souffle vif naissent les arbres verts,
La fleur chaude du sang et les roses ardentes.

Il promet à ton flanc le poids lourd et sacré,
En même temps qu’il jette à l’automne l’ivresse,
Il est la bonne route, il est le jeune pré,
Et le ciel du matin azuré d’allégresse.

Des âmes et des soirs il est l’embrasement,
La saveur de l’air bon que, sans fin, tu consommes.
Il unit tous les yeux et tout le firmament,
Il fait chanter les dieux dans les lyres des hommes.

Dis-toi qu’il n’est cruel que pour les cœurs méchants,
Qu’il ne peut être impur que dans une âme impure,
Il est la sève d’or des êtres et des champs,
Il est le pain offert à toute la nature…


Prends et goûte l’amour avec des doigts parfaits,
Un regard de respect, une nudité fière,
Avant, trempe ton corps dans les eaux des forêts,
Après, étreins la terre et dors dans la lumière…