L’Instant éternel/L’amour vrai

E. Sansot et Cie (p. 52-54).


L’AMOUR VRAI


C’est l’amour, l’amour vrai, robuste, l’amour plein,
L’amour qui veut, qui ne feint pas, qui se dépêche,
L’amour plus excessif que la soif, que la faim,
Et bon comme une pêche !

Il a vécu soudain, il en est ébloui,
Il est définitif, plus rien ne le transforme ;
De toute son ardeur il est épanoui
Et de toute sa forme.

Il est un, il est seul, il est tout, il est soi,
Il est plus épandu qu’un rêve sous un voile,
Il est plus pénétrant que le glaive et le froid,
Plus fixe qu’une étoile.

Il est complet dans sa substance comme Dieu,
Il est son propre vin, il est sa propre flamme,
Il ne veut s’appliquer, en toute heure et tout lieu,
Qu’à regarder son âme.


Oh ! rien ne le distrait de son amour de lui,
Le monde peut crouler dans un vaste désastre,
Calme, il continuera de se voir, dans la nuit,
Avec ses beaux yeux d’astre.

Il est toujours lui-même ainsi que le ruisseau
Qui, doux, se perpétue à jamais dans sa course,
Et qui porte à la mer, avec sa dernière eau,
Le cœur bleu de sa source.

La beauté ne lui cause aucun étonnement,
Il lui rit comme à ceux qu’on vient de reconnaître,
Elle fut tout en lui dès le premier moment
Qu’il eut le souffle et l’être.

Il se donne, à son gré, du ciel, du jour, du soir,
Il est entier dans la douleur, dans l’allégresse,
Il est, tout à la fois, le raisin, le pressoir,
Et la cuve et l’ivresse.

Il ne craint pas la mort en sa pleine clarté,
Rien ne peut être à lui terreur, mal ou défaite,
Il s’est fait du divin et de l’éternité
Par son heure parfaite.


Il ne désire rien, sinon s’aimer encor,
Se toucher, se mêler, s’écouter, se répondre,
Et dans lui-même, ainsi que dans un fleuve d’or,
S’abîmer et se fondre.