L’Instant éternel/D’autres lilas

E. Sansot et Cie (p. 67-68).


D’AUTRES LILAS


Le jour où je sentis vous adorer le plus
J’avais de grands lilas couchés près de mon livre,
De grands lilas épars sous la douceur de vivre,
Et comme mes transports se faisaient éperdus,
Tout à coup, sur les fleurs, je posai mon front ivre,
Et leur souffle et le mien restèrent confondus.

Ah ! tout mon cœur battait dans une couleur rose,
Et tout ensoleillée et pleine de senteur,
Mon soupir s’exhalait dans un complet bonheur,
Mon âme se mourait d’être à ce point éclose,
Ma tendresse vivait de toute sa ferveur,
Mon ardeur bourdonnait comme une ruche close.

Unique instant !… Frissons… Silence… Yeux fermés…
Pleurs trop heureux… Odeur des fleurs et de mon âme…
Ô lilas qui brûliez dans votre belle flamme,
Ô lilas excessifs, accablés et pâmés,
Il était plus d’amour dans ma robe de femme,
Qu’il n’était de printemps dans vos tas parfumés.


Ô premier doux espoir qui s’exalte et s’éploie !…
Ô noces des lilas et de l’heure !… Plaisir
D’être jeune, de vivre et de vouloir mourir !…
Le vent semblait, dehors, dévider de la soie,
Une abeille chantait autour de mon désir,
Le soleil était tiède à côté de ma joie…

Incomparable instant qui ne reviendra pas,
Mais qui m’est plus présent que le présent lui-même,
Et par lequel mon cœur a fait ce vœu suprême
De garder son amour pour vous tant qu’ici-bas,
Je pourrai de cette heure évoquer le poème
Et je pourrai poser mon front sur des lilas…