L’Instant éternel/À mes vers

E. Sansot et Cie (p. 258-262).


À MES VERS


Ah ! frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie.
Musset.


Jaillirez-vous, bientôt, de mon cœur, mon génie,
Plongerez-vous, bientôt, dans les vagues des cieux ?…
Puisque j’ai la douleur, il me faut l’harmonie,
Mes vers sont aussi vrais que les pleurs de mes yeux.

Oh ! quand donc serez-vous sublimes, mes poèmes ?
Quand vous écrirez-vous sur les murs des cités,
Et quand donnerez-vous aux tours vos diadèmes,
Aux eaux votre cours large et vos bruits enchantés ?…

Quand éveillerez-vous un auguste délire,
Dans l’âme des humains quand mon âme entrera ?…
Quand serez-vous si forts, si poignants que ma lyre
En deviendra divine ou bien se brisera ?…


Quand susciterez-vous un frisson dans la foule,
Qu’un sens mystérieux détourne de l’erreur,
Qui sait de quelle source un poème s’écoule
Et s’il sortit vraiment de la source du cœur ?

Quand dira-t-on : « Ces vers où l’amour s’achemine,
Où bat toute la vie en un rythme puissant,
Sont des vaisseaux pareils à ceux d’une poitrine,
Ils sont pleins de tiédeur, de tendresse et de sang ? »

Quand dira-t-on : « Ce nom à la belle mémoire
Édifiera son arche en un ciel étoilé,
Cette femme a souffert et voici que sa gloire
Est faite de ses nuits où ses pleurs ont coulé ? »

Quand dira-t-on : « Voici qu’elle fut bien humaine,
Elle a prié, gémi… peut-être, elle pécha…
Pas une fois son chant ne fit autre sa peine,
C’est là que le vrai cri, le cri vrai s’épancha ?…

Écoutez ! Tous ces vers sont sortis de sa gorge,
Elle les soupira, les vécut, les râla…
Courageuse, elle entra dans son cœur, dans la forge,
Tragique, elle a forgé son amour… Le voilà !… »


Quand donc, sincères vers, me dira-t-on poète,
Aurai-je le destin que Musset a prédit
À ceux qui n’ont souci que de lever la tête
Et de frapper leur cœur véhément et maudit ?…

Quand donc me ferez-vous l’archange magnifique
Qui tord ses noirs cheveux sur son vêtement noir,
Qui marche dans l’orgueil, le vent et la musique
Et dont le nom est su des étoiles du soir ?…

Quand donc me ferez-vous le poète, le cygne,
Celui qui de sa voix émerveille sa mort,
Et crucifierez-vous, sur la montagne insigne,
Mes bras de dieu martyr avec vos longs clous d’or ?…

Ô mes vers, j’ai pleuré… Je l’ai dit… Je fus triste…
Ma souffrance a flotté parmi mes beaux cheveux…
Apprendrez-vous au monde, ô mes vers, que j’existe,
Vous, ô vers, que je fis des larmes de mes yeux ?

Vous, ô vous que je fis de mon amour déçue,
De ma colère forte ainsi qu’un mur d’airain,
De ma blessure heureuse et, qu’un jour, j’ai reçue
Où se trouvent le plus d’artères sur mon sein ?…


Mes vers, quand serez-vous la pleine mélodie ?
Quand m’entourerez-vous de l’ultime splendeur
Moi qui me meurs d’amour, de tristesse et d’ardeur
Comme le rossignol d’une nuit d’Arcadie ?…

Quand serez-vous, mes vers, aussi grands que mon cœur ?
Quand serez-vous l’azur où s’éploiera mon âme ?
Je vous sens imparfaits… d’une incomplète flamme…
Il me faut l’harmonie… ô vers, j’ai la douleur !…

Apprendrez-vous mon nom aux échos de ce siècle ?…
Qu’on ne m’impute pas un vaniteux espoir,
— J’ai l’esprit droit et pur — Mais j’ai l’orgueil de l’aigle
J’ai fixé le soleil…
J’ai fixé le soleil…Vers, faites-le savoir !…

— « Le génie… ah ! c’est trop… et la gloire est un leurre.
Pourtant, donne ton œuvre… et ton œuvre vivra
Immortelle, infinie et bonne… Il suffira
Qu’en la lisant, un soir, une autre femme pleure… » —