L’Inde après le Bouddha/Livre 1/Chapitre 2

CHAPITRE II
LE PREMIER CONCILE BOUDDHIQUE

Pour empêcher que la doctrine du maître ne se perdit en mille traditions et interprétations divergentes, et surtout que la discipline ne se relachât parmi les religieux, Kaciapa, le disciple de Bouddha, qui avait le plus d’autorité par sa science et sa perfection et que les modernes Bouddhistes appellent le premier patriarche, réunit en Concile, avec l’appui du roi Azadatah, 300 religieux, dans la grotte de Sattapani qui existe encore dans la montagne de Vaihara près de Radzagio.

On posa d’abord et on admit un unanimement deux principes :

1o Il n’y a d’orthodoxe que ce qui a été enseigné par Bouddha, et d’obligatoire que ce qu’il a déclaré tel expressément.

2o Tout ce qui est d’accord avec le bon sens, ou en parlant d’une manière générale, avec les circonstances, est d’accord avec la vérité et doit être pris pour guide, et c’est cela seul qu’a pu enseigner Bouddha.

Bouddha avait toute sa vie, insisté sur ces deux principes, en vue de garder ses disciples de l’exagération ; et des extrêmes dans la conduite de la vie, des subtilités et de l’absolu dans la doctrine.

Mais, à mesure que l’on s’éloigna davantage du point de départ, on interpréta le second principe dans un esprit tout-à-fait opposé et on admit que tout ce qui pouvait par le raisonnement, même le plus subtil et le plus ardu, être déduit directement ou transversalement (nous retrouverons cette expression plus loin) de l’enseignement attribué à Bouddha, pouvait être introduit dans la doctrine, ce qui conduisit à des écarts extraordinaires.

Les Brahmes opposés au Bouddhisme s’appuyèrent sur ce principe, admis comme fondamental, pour appeler les religieux Bouddhistes qui ne pouvaient s’y refuser, à des joutes publiques de dialectique où ceux-ci furent défaits, car l’objection est toujours facile et la réfutation difficile et peu de doctrines résistent à une controverse publique et continuelle contre des ennemis acharnés.

Tout le concile adopta par acclamation et répéta jusqu’à ce qu’elles fussent gravées dans la mémoire, les paroles de Bouddha reproduites par Oupali, en ce qui concerne le Vinaïa et les règles de l’État Religieux et, pour ce qui regarde à la fois les religieux et les laïques, le Dharma, la Morale Générale.

Quant à la Métaphysique les Cingalais (habitants ou École de Ceylan) admettent qu’elle fut arrêtée par Kaciapa, mais on ne fait remonter généralement qu’au IIe siècle de l’ère Bouddhique, c’est-à-dire après le concile de Vaïçali, les Abidarmas les plus rudimentaires. Un traité spéculatif rédigé par Çariputra (le patriarche) obtint la consécration canonique au 3e concile puisque, dans une inscription de Piadaci, il est indiqué comme faisant partie de la Loi (Bouddhique).

Les promoteurs et les adhérents du 1er concile prirent le nom de Saûtrantikas ou Suttavadas ; ils ne reconnaissaient que l'autorité des Sutras et rejetaient celle de l’Abidarma.

Le Pèlerin Chinois Hiouen Tsang rapporte que l’on donna, à l’École qui maintint les doctrines sobres et sévères du 1er concile, le nom de Staviras (anciens) par opposition à l’École des Mahasanghikas (la Grande Assemblée) dont il explique ainsi l’origine :

Ceux que Kaciapa avait exclus du concile, se réunirent non loin de là au nombre de plusieurs milles, tant laïques que religieux, et se fondant sur le principe de l’égalité entre tous ses disciples qu’avait admis le Bouddha, ils formèrent une collection qui comprit, outre les 3 recueils, admis par le concile, Vinaia, Darma et Abidarma, 2 autres, celui des mélanges et celui des formules magiques.

Très vraisemblablement, les deux derniers recueils, aussi bien que les trois premiers, n’ont été arrêtés, dans leur forme définitive qu’après le 2e ou le 3e concile, néanmoins il faut croire que, dès le premier concile, il se forma en opposition une secte qui contrairement au sentiment de Bouddha et de Kaciapa, s’adonnait aux sortilèges et à la magie ; peut-être même la condamnation de ces pratiques, fut-elle l’objectif principal qu’eut en vue le promoteur du 1er concile. Il faut remarquer toutefois que la plupart des auteurs ne font remonter qu’au 2e concile la division des Bouddhistes en Staviras ou Ariahstaviras et Mahasanghikas.

Peu de temps après le 1er concile, Azadatah prit et ruina Véthalie et détruisit la confédération des clans Vajjian de l’autre côté du Ganges ; de là entre le Magadha et les royaumes voisins de Kosambi et de Sravati, une série de luttes qui se terminèrent par le triomphe et une vaste extension du Magadha. C’est sans doute de cette extension que date dans l’Inde l’idée que la légende a fait remonter jusqu’avant Bouddha d’un roi Tsékiawade ou Universel ; car pour les Hindous d’alors, l’Inde ou même la partie de l’Inde qu’ils connaissaient était l’univers. Ces luttes relevèrent les basses Castes auxquelles il fallut faire appel et abaissèrent, par là même, les oligarchies Aryennes dominées par les Brahmes. Cette révolution politique fut de même sens que celle du Bouddhisme.

Le roi Açadatah, parricide, on s’en souvient, mourut la 25e année de l’ère Bouddhique de la main de son fils qui lui-même eût un sort pareil. Le petit-fils, après quelques années de règne, fut expulsé par le peuple de Palipoutra et Katalhoka fonda une nouvelle dynastie.

Vers cette époque, les religieux Bouddhistes mendiants étant devenus trop nombreux à Benarès pour pouvoir être entretenus par les habitants, un certain nombre émigrèrent au Kachemir sous la conduite de Madayantika disciple d’Ananda qui avait succédé à Kacyapa dans le patriarchat bouddhique. Il y a probablement lieu d’attribuer à une cause semblable, autant qu’à l’esprit de prosélytisme, la diffusion des religieux Bouddhistes en tant de lieux et des idées Indiennes presque partout. Ces idées ont pu aussi naître séparément dans plusieurs pays par une évolution naturelle du développement humain.

C’est aux travaux du 1er Concile qu’il faut rechercher, comme à la source la plus pure, le véritable enseignement de Bouddha, les circonstances et le caractère de sa prédication et les détails de sa vie. C’est aux écrits bouddhiques arrêtés d’après travaux ou s’inspirant d’eux qu’il faut se référer, comme reflétant seuls fidèlement les impressions que Bouddha a laissées à ses disciples, ses préceptes et sa doctrine. Dans les écrits postérieurs surviennent : les exagérations et amplifications et le surnaturel si fort dans le goût des Hindous, l’influence consciente ou non des idées personnelles de l’auteur ; puis celle des milieux ambiants et des idées régnantes, fort différentes de l’esprit primitif du Bouddhisme ; ces défauts s’accentuent davantage à mesure qu’on avance dans l’ère bouddhique.

Peu de croyances reposent sur un aussi petit nombre de dogmes et imposent au sens commun aussi peu de sacrifices que l’enseignement primitif de Bouddha, le principe du mérite et du démérite attaché aux actes est une idée commune et, même encore aujourd’hui populaire sous cette forme : « une bonne action porte bonheur, une mauvaise, malheur ». La conception de Bouddhas ou de sages extraordinaires venant successivement apporter aux hommes la lumière et le salut a beaucoup de grandeur et de pureté, surtout si on la compare à celle des Avataras ou Incarnations de Vichnou —. Socrate a dit que la vérité doit être figurée par une statue enveloppée de voiles que les grands sages, les Instituteurs du genre humain viennent successivement arracher. L’idée des prophètes successifs que l’on trouve dans le Judaïsme et l’Islamisme est à peu près la même.

Gautama avait promis à plusieurs de ses convertis qu’ils deviendraient un jour des Bouddhas accomplis ; il n’est pas rare dans les écrits bouddhiques de voir des religieux qui font le sacrifice de leur vie dans l’espoir de devenir des Bouddhas. Cette aspiration est la source d’une dévotion désintéressée, faite de compassion et de charité. Beaucoup de ces dévots devant devenir des Bouddhas, il leur fallait une situation exspectante. De là l’invention des Pratyéka Bouddhas (limités) et des Bodhi Sattvas, puis du Maitreya Bouddha, des Bagavat et des Tatagathas.

Les Bodhi-Sattvas possèdent l’essence de la Bodhis, c’est-à-dire l’intelligence et la nature d’un Bouddha. Pour, les Brahmanes, la Bodhi signifiait la connaissance parfaite et l’acte de tenir l’esprit éveillé pour la connaissance.

Le Thatagata est à la fois Bouddha (éclairé) et Baghavat (magnanime), génie sans bornes et bonté infinie. Il ne peut exister qu’un Thatagata à la fois dans un même monde.