L’Inde (Congreve)/Préface

P. Jannet (p. vii-xi).

PRÉFACE


Ma précédente brochure sur Gibraltar[1] fut entreprise à la suggestion d’Auguste Comte et écrite avec son approbation. Le présent opuscule[2] paraît dans des circonstances bien différentes : car je suis réduit à déplorer, avec tous ses disciples, la perte de ce guide et maître. C’est dans l’assurance que ce dont il me dissuadait l’an dernier lui paraîtrait opportun cette année, que j’entreprends ce nouveau travail. Je l’offre comme un tribut à sa mémoire, comme un gage que le noble exemple de son dévouement à la cause de l’Humanité ne saurait être perdu. Sa voix ne peut plus se faire entendre, mais son esprit vit en nous ; et l’énergie croissante de notre action mutuelle montrera, je respire, que ses disciples sont résolus à poursuivre son œuvre, Je l’offre encore comme une preuve de sympathie à tous ceux qui partagent ma foi. Je le mets enfin au service de l’Humanité.

Il faut payer de sa personne. Quand j’attaque aussi ouvertement, je ne songe pas à m’abriter. Je ne me fais pas non plus illusion sur l’accueil réservé aux opinions que ces pages renferment. Cependant, je n’ai pas écrit avec mépris pour les idées qui sont encore en vigueur dans ce pays, ni dans un esprit d’opposition frondeuse envers le sentiment de la majorité.

 « Io parlo per ver diro,
Non per odio d’altrui, nè per disprezzo. »

Je demanderais volontiers aux lecteurs impartiaux de me juger d’après l’épigraphe de ma premiere page, qui rend l’esprit dans lequel ce travail a été conçu. Car, je crois que le temps est venu de proclamer hautement les enseignements du Positivisme, et de produire au grand jour, sans hésitation comme sans réticence, les solutions morales fournies par ce système aux grandes questions qui agitent la société tout entière. Je ne décline pas le périlleux honneur de l’avant-garde.

Il ne s’agit point ici d’exposer les bases dogmatiques ni le système religieux qui constitue le Positivisme ; je dois me renfermer, comme pour Gibraltar, dans l’application de ses principes àt un cas special. C’est à ce point de vue que mon travail doit être jugé, pour qu’on puisse apprécier convenablement les motifs qui m’ont amené à y introduire des formules qui, au premier abord, sembleraient étrangères à mon raisonnement ; d’autre part, quelques personnes trouveront que j’ai heurté sans nécessité les croyances actuellement existantes. Cependant je n’ai dit de la religion que ce qui était indispensable à mon sujet. L’élaboration consciencieuse de ses propres opinions sur de semblables questions entraîne une disposition d’esprit peu propre à choquer ou irriter autrui. Cet effort donne le courage de s’exprimer ouvertement, et doit inspirer en même temps le respect et la sympathie.

South-fields, Wandsworth, 9 novembre 1857.

  1. Gibraltar, or foreign Policy of England. London, John Chapman, King William street, Strand, 1856.
  2. India, London, John Chapmann, 1857.