L’Incohérence dans la Marine - L’Administration centrale, l’Artillerie, les Arsenaux

L’Incohérence dans la Marine - L’Administration centrale, l’Artillerie, les Arsenaux
Revue des Deux Mondes5e période, tome 48 (p. 588-612).
L’INCOHÉRENCE DANS LA MARINE




L’ADMINISTRATION CENTRALE. — L’ARTILLERIE.
LES ARSENAUX.




La commission sénatoriale, chargée d’une enquête sur la catastrophe de l’Iéna et sur les accidens dont la marine nationale a souffert dans ces dernières années, a fait, à l’unanimité, deux constatations : « 1o Défaut de liaison entre le corps naviguant, l’artillerie, le génie maritime ; 2o absence d’un organisme supérieur harmonisant les divers services dont les rivalités paraissent être une des causes profondes de la situation de notre marine. »

L’incohérence règne dans la marine, et les preuves en sont si nombreuses que l’on courrait risque de s’égarer à leur recherche, si l’on ne délimitait nettement par avance un champ d’exploration. C’est pourquoi nous concentrerons nos critiques sur l’administration centrale, l’artillerie et les arsenaux. L’organisation décousue de la première expliquera, dans une certaine mesure, le flottement des deux autres. Remontant des effets aux causes, nous exposerons les moyens d’établir la cohésion indispensable à la marche ponctuelle des services vers un but fixe. L’heure paraît opportune. M. Alfred Picard vient fort heureusement interrompre la succession des ministres parlementaires. Espérons qu’il sera le réformateur nécessaire et désiré.


Jadis, le département de la marine administrait la flotte, les colonies, la marine marchande et des corps de troupes ; mais il a jeté beaucoup de lest dans ces dernières années. Contraint par la nécessite, serré de près par des concurrens ambitieux et tenaces, il n’a pas pu, pas su ou pas voulu résister. Plusieurs opérations chirurgicales l’ont amoindri considérablement. Le découpage a commencé par les colonies (1894), devenues un ministère à part. À la vérité, l’extension de notre domaine colonial justifiait cette mesure. Puis, avec moins d’à-propos, on a rattaché les troupes navales à la Guerre. Enfin, pour un motif resté impénétrable, la marine marchande a subi également une dissection complète ; on en a déposé les lambeaux de chair au ministère du Commerce et laissé le squelette dans les bureaux de la rue Royale. Que reste-t-il à la marine ? La flotte de guerre. C’est peu, et c’est beaucoup. L’administration de la flotte, avec, pour but suprême, son utilisation en vue du combat, réclame l’intime collaboration de nombreux services, un effort continu, des règles fixes, de la ténacité, de l’acharnement. Le ministère de la rue Royale possède-t-il ces règles et ces qualités ? On ne saurait le soutenir. Le manque d’esprit de suite, parfois le défaut d’orientation, créent une situation générale que les officiers traduisent en disant : « La marine n’est pas commandée. »

L’extrême mobilité des fonctions ministérielles a contribué à entretenir le flottement et l’incertitude. Le ministre en effet, grâce à son autorité excessive, j’allais dire absolue, exerce une influence très réelle sur la marche de l’ensemble. Juge en dernier ressort, il a carte blanche, non seulement pour réformer tel ou tel point, mais pour modifier profondément l’organisme naval, à l’aide de simples décrets. Rien ne limite ses décisions, pas même, pour les choses du métier, l’opinion des techniciens. Il préside le Conseil supérieur, en restant libre de considérer ses décisions comme non avenues. Il peut imposer son opinion personnelle en faveur des cuirassés, des croiseurs ou de la poussière navale. N’est-il pas responsable ? En France, le mot « responsabilité » jouit d’une respectueuse fascination, bien qu’il paraisse vide de sens, quand on l’applique au chef d’un département ministériel. Vit-on jamais un ministre frappé pour avoir pris une mesure inopportune ? En pratique, la responsabilité du ministre est fictive : elle n’a d’autre sanction que sa chute.

Le choix du personnage à investir de ces hautes fonctions a donc une importance primordiale. Après la guerre, on l’a pris d’abord dans le cadre naval ; mais bientôt le choix s’est porté de préférence sur l’élément civil, et l’amiral Besnard, dernier ministre technique (1898), semble avoir clos, pour un temps, l’ère des marins. Est-ce un bien ou un mal ? En général, les amiraux sont peu préparés à la vie politique. Au Parlement, ils manquent sinon de prestige, au moins d’influence. Et puis, ces hommes d’action deviennent rarement de bons administrateurs. Par tempérament, ils considèrent les difficultés d’un œil moins tranquille que le parlementaire rompu à la tactique de couloirs. Le militaire enfonce les obstacles, le politicien les tourne. De plus, un député, assure-t-on, n’appartenant à aucune coterie maritime, voit les choses sous un angle plus juste. Ici, une réserve s’impose : le parlementaire n’a pas de coterie maritime, mais, ce qui est pire, il a une clientèle politique.

Depuis un demi-siècle, le ministre, malgré la gravité de son rôle, était parfois fort peu préparé à ses fonctions, quand il venait s’asseoir devant la table de Colbert. Que fallait-il pour occuper, de but en blanc, le sommet de la hiérarchie navale ? Appartenir au Parlement. Cette règle souffrait peu d’exceptions.

Le titre d’ancien rapporteur du budget de la marine ne gâtait rien, sans être indispensable. D’anciens officiers de l’armée de terre n’ont-ils pas rempli ce rôle de rapporteurs du budget de la marine où ils couraient risque de s’enlizer ? C’est que la nuance politique importait seule. La compétence technique, personne ne s’en préoccupait.

Une fois membre de la combinaison nouvelle, l’heureux élu entreprenait son initiation. Car, le plus souvent, n’ayant aperçu la grande machine maritime que de fort loin, il n’avait sur elle que des idées vagues, insuffisantes pour mener à bien la tâche qu’il acceptait. Entré au ministère avec le désir très ferme de réaliser d’utiles réformes, pouvait-il faire tout le bien rêvé par avance ? Non, certes, même en supprimant par la pensée l’inertie des bureaux. Avant de monter au Capitole, il sacrifiait au moins une fraction de son indépendance, résigné à rester le serviteur, sinon le prisonnier de son parti. Cette considération rétrécissait singulièrement son champ d’action. Comment refréner l’audace des syndicats des arsenaux ? Comment sabrer pour améliorer ? Comment poursuivre sans relâche le mieux, cet idéal si fugitif ? Cependant, le ministre entreprenait une série d’améliorations. Et quand on lui criait : « Halte-là ! » il opérait en hâte un rapiéçage insuffisant, au lieu d’une remise à neuf nécessaire.

La discussion du budget est un gué difficile à franchir, surtout quand le ministre présente un programme naval. Par avance, le Conseil supérieur détermine l’espèce et le nombre des unités à construire. À peine le ministre porte-t-il devant la Chambre cette opinion concrète, qu’un orateur reprend le travail du Conseil, pour discuter le bien fondé de ses décisions techniques et professer dans le vide un cours de stratégie navale. Nous voici en pleine incohérence, en tout cas, fort loin du contrôle financier.

À la fin de 1906, la marine passa par un moment d’angoisse. La construction des six cuirassés de 18 000 tonnes était en jeu, et le vote de leur mise en chantier ne pouvait nous empêcher de voguer vers le quatrième rang comme puissance navale. Un parlementaire proposa de surseoir à la mise en cale de trois de ces unités « pour attendre le progrès. » Un autre menaça l’existence du groupe des six navires, en posant cette question : « Les flottes de haut bord sont-elles nécessaires ? » On taxait le cuirassé de réactionnaire, le croiseur et le torpilleur de républicains. Or, aucun de ces types de bâtimens ne représente une opinion politique ; aucun d’eux ne spécifie une tactique rétrograde. À chacun son rôle. Les cuirassés forment le corps de bataille ; les croiseurs opèrent des raids contre l’ennemi ou contre son commerce maritime ; les torpilleurs attaquent la nuit par surprise.

M. Thomson, qui réussit à enlever le vote des six Danton, est tombé le 19 octobre dernier, victime de fautes accumulées depuis longtemps. Bridé par la politique, il sut éviter les heurts avec habileté ; il fit des améliorations de détail, sans réaliser les réformes profondes que réclamait la marine. M. Alfred Picard, président de section au Conseil d’État, lui succéda.

Comme don de joyeux avènement, chaque ministre métamorphose les bureaux de l’administration centrale ; il confectionne avec les services une savante olla podrida, enlevant d’un côté, ajoutant de l’autre, bouleversant à son gré tous les rouages. Voici sa structure actuelle, qui n’est certainement pas définitive :

Cabinet du ministre.

État-major général 
3 sections.
Mouvemens de la flotte.
Service hydrographique

Flotte armée.
Personnel de la flotte.
Service administratif.
Revues.
Subsistances, habillement, hô­pi­taux.
Approvisionnemens, trans­ports, af­fré­te­mens.
Magasin central de la marine.
Flotte en construction. 1o Direction centrale des constructions navales.
2o Direction centrale de l’artillerie.
3o Service central des travaux hydrauliques.

Direction de la comptabilité générale.
Navigation et pêches maritimes.
Service du contrôle.
Invalides de la marine.

Sur les ailes du ministère siègent vingt-quatre conseils ou commissions d’importance diverse, au premier rang desquels se placent deux groupes consultatifs : le Conseil supérieur, qui fixe les élémens généraux des problèmes, et le Comité technique, qui discute les projets. Les ministres ne mettaient pas toujours leurs lumières à contribution, même pour des affaires de première importance. Ainsi, le Comité technique n’a pas été saisi de la question du remplacement des machines alternatives par des turbines sur les cuirassés de 18 000 tonnes. Une substitution aussi grave méritait pourtant une discussion approfondie. La section technique (chargée des plans des bâtimens), après étude de cette transformation, proposa le changement, et M. Thomson l’approuva.

Le « cabinet du ministre, » à première vue bien modeste en tête de la liste ci-dessus, composa parfois à lui seul un petit ministère. Il a parcouru une courbe très sinueuse. Vers 1885, le ministre avait un cabinet civil et un cabinet militaire, qui répartissaient les affaires, selon leur nature, entre les bureaux. Plus tard, une lutte sourde s’établit entre le cabinet militaire et l’état-major général. Sans doute, pour aller plus vite, celui-là suppléait à l’action de celui-ci et attaquait directement les services, « par ordre du ministre. » C’était fausser l’institution. L’élément civil, toujours vigilant, rétablit la concorde en chassant le cabinet militaire, au nom du Cedant arma togæ. Enfin, comme certaines étoiles, le cabinet civil se dédoubla. Ce fut le décret du 3 mars 1905 qui créa ce dualisme[1], en faisant du cabinet du ministre une chose très compliquée.

M. Alfred Picard, simplifiant cet ensemble, a concentré de nouveau les cabinets civil et technique en un seul, dirigé par un capitaine de vaisseau. Cette mesure semble indiquer que le ministre a l’intention de s’appuyer enfin sur l’utilisateur.

Paris veut tout examiner, tout contrôler, tout diriger. C’est la centralisation à outrance, avec les lenteurs obligées. L’ensemble de la correspondance officielle passe par le cabinet du ministre, véritable plaque tournante aiguillant l’avalanche quotidienne des plis sur les services compétens. Un rapport concerne-t-il la coque ou les machines ? On le fait passer à la direction centrale des constructions navales. Concerne-t-il les affûts, les projectiles, les appareils de visée ? On l’envoie à la direction de l’artillerie. Chacun de ces services devient ainsi juge et partie. Après examen, le directeur répond parfois que « la question est à l’étude ; » et, quand aucun crédit n’est en jeu, il signe « pour le ministre. »

Ces procédés, qui n’excèdent pas les prescriptions réglementaires, rappellent vaguement la navigation « à la part, » et on cherche instinctivement l’autorité chargée de centraliser les questions, et d’en activer les solutions. Car le passage à travers la filière des bureaux n’est point rapide. Une affaire intéresse-t-elle trois services ? À raison de quinze jours pour chacun d’eux, la solution ne rentre au lieu d’origine qu’au bout d’un mois et demi. Quelquefois même, elle n’y rentre point : qui n’a gardé le souvenir des appareils frigorifiques de l’Iéna ? Il y a bien la « Conférence des services d’action, » récemment créée ; mais, combien de temps lui faudra-t-il pour vaincre l’apathie des bureaux ? Pourquoi ne pas résoudre sur place les affaires peu importantes ? Pourquoi nommer au commandement des arsenaux un officier général du grade le plus élevé, si l’on ne laisse rien ou presque rien à son initiative et à ses décisions ?

La solution dans les ports d’une foule de petits problèmes opérerait un triage entre les grosses questions et les affaires courantes ; elle opposerait une digue à cette marée de lettres dont les flots déferlent alternativement sur Paris et les cinq arsenaux. Pourquoi ne pas conférer à ces autorités provinciales la faculté de régler les choses qui n’engagent aucun principe et ne dépassent pas une somme déterminée, mais assez importante, au moins de 20 000 francs, comme on l’a proposé ? Cette simplification très désirable déchargerait Paris d’une partie de ses occupations parasitaires ; elle arrêterait quelques dossiers au lieu même de leur naissance, diminuant ainsi leurs chances de fourvoiement dans le maquis administratif. Le bon sens commande cette division du travail ; car les procédés en usage ne sont ni industriels, ni rationnels, ni rapides.

Depuis une vingtaine d’années, les ministres passent, mais l’état-major général reste, constituant les dossiers, classant les affaires, conservant les traditions et les méthodes de travail. Une saute de vent politique n’entraîne plus le bouleversement de l’organisme tout entier. Noyé dans l’ensemble des bureaux, ce service mérite pourtant une place en vedette. De ses trois sections, la première centralise les renseignemens étrangers ; la deuxième entretient les défenses fixes et mobiles ; la troisième prépare les opérations navales et la mobilisation de la flotte.

Le chef d’état-major, qui a sous ses ordres ces trois sections, dirigeait en même temps autrefois le cabinet du ministre. Rien ne lui demeurait étranger ; c’était la cheville ouvrière du ministère. Sous son autorité, les directions formaient un bloc cohérent. Une seule porte séparait son cabinet de celui du ministre : d’où collaboration étroite et incessante de ces deux hommes. Ce coopérateur de tous les instans, choisi le plus souvent dans le cadre des vice-amiraux, exerçait une influence considérable qu’il tenait des règlemens aussi bien que de ses services antérieurs, de son expérience technique, de sa connaissance profonde des besoins de la marine et de son grade élevé.

En 1899, on découvrit que le chef d’état-major était surchargé de besogne. Il traite, disait-on, des milliers de questions, et son rôle capital, la préparation à la guerre, disparaît sous la frondaison touffue de ses occupations journalières. Un contre-amiral en sous-ordre le débarrassait pourtant des broutilles du service. Néanmoins, un décret du 18 juillet 1899 enleva au chef d’état-major la direction du cabinet du ministre et annula pratiquement son autorité sur les chefs de service.

Un nouveau décret du 31 janvier 1902 le diminua encore en lui refusant toute voix au chapitre pour l’attribution des commandemens et pour les nominations à certains emplois spéciaux. Désormais, on lui notifia les décisions prises, au lieu de le consulter, ou même, dans la plupart des cas, de sanctionner simplement ses propositions, propositions étayées sur une connaissance exacte des hommes et des choses, de la valeur technique des officiers et de leur aptitude à remplir tel ou tel emploi. Ces officiers, le chef d’état-major les avait coudoyés pendant sa carrière et il gardait le contact avec eux. Aujourd’hui, nous avons changé tout cela. Écoutez M. de Lanessan, qui a vu les choses de près : « Lorsqu’un député ou un sénateur demande à un ministre une nomination ou un avancement inéquitable, il ne manque jamais d’insister sur le républicanisme de son favori. » Or, il ne s’agit point de cela.

Au départ du dernier vice-amiral, le ministre conserva le contre-amiral en sous-ordre comme faisant fonctions de chef d’état-major. Diminué en surface et en autorité, il ne joua qu’un rôle secondaire ; mais il fut moins encombrant et cessa d’occuper toutes les avenues, prêt à défendre pied à pied les intérêts maritimes dont il avait conservé si longtemps la garde.

Comme le ministre ne saurait agir seul et régler lui-même toutes les affaires de quelque importance, il fallut remplacer par un autre conseiller le chef d’état-major amoindri. D’où ce mouvement de bascule vers le chef de cabinet. Le ministre trouva-t-il ainsi un appui équivalent ? Remplaça-t-il avantageusement le marin avisé, connaissant les détails assez à fond pour découvrir les répercussions inattendues que peut entraîner une mesure d’apparence inoffensive ? C’est improbable ; car une expérience de quelques années a ramené pas à pas à une conception plus rationnelle. Un décret du 16 novembre 1907 a rétabli en faveur du chef d’état-major certaines prérogatives supprimées en 1902, par exemple la faculté de choisir les officiers à envoyer en mission et de formuler des observations avant la nomination des titulaires aux postes importans. Ce nouveau décret institua en outre une « conférence des services d’action » où les directeurs échangent des vues pour coordonner les travaux et hâter la solution des questions relevant de plusieurs services. Le visa préalable des bureaux intéressés réalisait jusqu’ici, d’une façon plus sommaire, cette action commune.

Le rapport au Président de la République, qui précède ce décret, renferme de prudentes déclarations, par crainte, semble-t-il, d’effaroucher le monde politique. En voici quelques échantillons :

« Jusqu’en 1899, les ordres ou instructions que donnait le chef d’état-major étaient immédiatement exécutables. Il ne saurait être question de reprendre une disposition d’ordre aussi général… Toutefois, en certaines circonstances où les décisions multiples d’un intérêt militaire immédiat doivent intervenir dans un temps extrêmement restreint, il serait avantageux, en vue de gagner du temps, que le ministre pût déléguer une partie de ses pouvoirs au chef d’état-major. Cette délégation ne serait pas permanente ; elle serait, quant à sa durée et à son étendue, subordonnée aux circonstances qui en démontreraient la nécessité et ne s’exercerait qu’après avoir été notifiée par le ministre aux autres chefs de service. »

Quel luxe de précautions ! Cette délégation de pouvoirs sera non seulement limitée en durée, mais aussi en étendue. C’est, une fois de plus, la consécration de l’indépendance des directions, que la phrase suivante met en relief : « Les nouvelles dispositions fortifient les moyens d’action du chef d’état-major général, sans cependant augmenter ses attributions d’ordre administratif. »

En somme, ce décret marque un pas en avant, mais combien timide ! On dirait vraiment que l’organisation de la flotte en vue du combat n’est qu’un hors-d’œuvre, un accessoire, une simple branche de l’administration. Or, la France n’a ni le monopole du bon sens, ni celui des justes attributions à répartir entre les services. Regardons autour de nous. Interrogeons sir John Fisher, premier lord naval de l’Amirauté anglaise, qui déploie tant d’énergie pour l’entraînement des escadres britanniques et leur concentration auprès des points où peut surgir le danger. Demandons-lui quel rang la préparation de la guerre navale occupe dans ses préoccupations. Posons la même question à l’amiral von Tirpitz, qui poursuit avec une ténacité indomptable l’exécution de programmes de plus en plus vastes. Inutile de faire une semblable demande à l’Italie car elle a reconnu la prépondérance absolue des questions de guerre et la nécessité d’élargir l’autorité du chef d’état-major : un décret royal, du 5 avril 1901, consacre en termes précis le nouveau rôle de ce haut fonctionnaire. Sous l’autorité du ministre, un vice-amiral exerce des fonctions multiples : préparation à la guerre navale ; maintien à leur plus haut degré d’efficacité des forces navales, des places maritimes, des dépôts de charbon, de munitions, de vivres et des navires auxiliaires ; étude des caractéristiques des unités à construire, des refontes à effectuer, des propositions relatives à la radiation des bâtimens vieillis ou dépourvus de valeur militaire ; contrôle des constructions neuves et des réparations. Pendant les manœuvres navales, cet officier général est embarqué comme chef d’état-major du commandant en chef, ou bien il en exerce la direction supérieure, ou enfin il commande soit l’ensemble des bâtimens, soit un simple groupe d’entre eux. C’est une manière de juger par lui-même de l’efficacité des règlemens et de l’opportunité des modifications à y introduire. Les Italiens ont imprimé ainsi à l’ensemble des organes une activité et une précision inconnues jusqu’alors.

Sans calquer toutes les dispositions de ce décret, nous lui ferions utilement quelques emprunts en vue de diriger le bloc des services vers un but unique et bien défini : la guerre.


On parle beaucoup de l’artillerie navale, depuis le désastre de l’Iéna et les éclatemens prématurés d’obus dans les tirs de l’escadre. On n’en parlera jamais trop. Le rôle de cet organisme a motivé des jugemens sévères ; on a même prononcé le mot de « faillite de l’artillerie. » Tous les accessoires, dit-on, appareils de chargement, de visée, de pointage, tout cela est inférieur.

Arbitre plus que jamais des combats de mer, le canon réclame un service particulièrement strict, une connaissance exacte des voies que l’on suit à l’étranger, des études approfondies et de longue haleine. Or l’artillerie navale est le symbole de l’incohérence et de l’instabililé. Nous allons essayer de le démontrer.

Le matériel utilisé par les navires, comprend : des canons, des affûts et accessoires, des poudres et projectiles, des soutes à munitions pour emmagasiner les charges, des tourelles comme logemens protecteurs des pièces, de leurs affûts et des servans.

Trois corps différens concourent à la production de ce matériel et à sa mise en place :

Les ingénieurs des poudres et salpêtres (ministère de la Guerre) fabriquent les explosifs.

L’artillerie coloniale (ministère de la Guerre) usine les canons, les affûts et les installe à bord.

Le génie maritime (ministère de la Marine) aménage les soutes à munitions ; il dessine et commande les tourelles, avec le concours de l’artillerie.

Bien que ces deux derniers services se pénètrent sur plusieurs points, la plate-forme de la tourelle sert de démarcation entre les artilleurs qui travaillent au-dessus et les ingénieurs qui sont au-dessous. L’artilleur étudie donc les organes placés dans la chambre de tir. Pourquoi pas tous les dispositifs de manœuvre des canons, aussi bien les monte-charges que les appareils de pointage et de visée ? S’il en était ainsi, peut-être n’aurait-on pas la surprise de constater l’installation d’un seul monte-charge pour deux pièces dans chacune des grosses tourelles du Charlemagne et du Gaulois. Cette disposition, tout à fait insuffisante, ne permet de desservir qu’un seul canon.

Artilleurs et ingénieurs s’entendent souvent, pas toujours, ainsi qu’en témoigne ce dialogue, arrangé sans doute, comme certains mots historiques, pour les besoins de la cause, mais qui résume bien la situation :

— Faites-nous des soutes moins chaudes, demandent les artilleurs.

— Donnez-nous des poudres plus stables, répondent les ingénieurs.

Plusieurs questions découvrent ces points de vue différens. Prenons pour exemple les tourelles. L’ingénieur, limité par le déplacement et assailli de demandes pour y faire entrer des élémens imprévus, sans cesse en lutte contre la surcharge, tente de réduire au minimum les dimensions des tourelles, afin d’en diminuer le poids. L’artilleur, au contraire, que n’hypnotise point le nombre des tonnes du déplacement, réclame, avec raison, des tourelles plus vastes. On ne saurait en effet s’inspirer du seul souci de loger les pièces. Ne faut-il pas manœuvrer les canons, les charger, les pointer, les tirer ? Songeons donc aussi aux servans.

Jusqu’ici, le génie maritime a imposé ses vues sur ce point. On a tellement réduit les dimensions des tourelles du Desaix que le servant de hausse n’y manœuvre qu’avec difficulté. Le pointeur ne peut pourtant faire tout lui-même. L’exiguïté des tourelles des cuirassés Patrie et République, entrés à peine en service, n’est plus un secret.

La difficulté que le personnel éprouve à se mouvoir dans ces espaces trop resserrés occasionne des retards sérieux : les Anglais tirent deux fois plus vite que nous[2].

Donc, artilleurs et ingénieurs collaborent à la même œuvre d’une manière intermittente et, parfois, ils suivent des routes qui ne convergent pas au même point. Aucun organe ne concilie ces intérêts opposés.

Sans critiquer la compétence technique qui préside aux installations, on peut donc dire que celles-ci ne répondent pas toujours aux nécessités indiquées par les officiers combattans.

L’aménagement des soutes à munitions en fournit un autre exemple. Leur disposition laisse à désirer. Les tuyaux de vapeur des auxiliaires serpentent dans le voisinage immédiat des soutes, entretenant au fond des compartimens une chaleur insolite, malgré le feutrage peu conducteur dont on a soin d’habiller ces tuyaux. Il y a dix ans, les commandans se résignaient à combattre ces excès de température si nuisibles aux poudres B, par l’installation de rideaux d’eau à l’extérieur des soutes, moyen de fortune archaïque, incommode, illusoire.

Ce n’est pas tout. Par une ironie singulière, il entre beaucoup de bois dans le lambrissage de ces magasins, alors qu’on s’ingénie à proscrire ce corps combustible dans toutes les autres parties du navire. Du moins, en cas d’incendie, pourra-t-on rapidement inonder ces dangereuses chambres explosibles ? Il y aurait imprudence à l’affirmer. Le noyage des soutes, fondé sur le principe des vases communicans, s’opère à l’aide d’un collecteur d’eau de mer, d’où rayonnent sur chaque soute, ou groupe de soutes, des branchemens à faible section. Sur le cuirassé Saint-Louis, en théorie, si tout marche bien, il faut trente-deux minutes pour noyer la soute à obus de 305 millimètres arrière, ce qui laisse au bâtiment le temps de sauter au moins trente-deux fois. Et, si l’on veut submerger la soute de 47 millimètres (en communication avec la précédente), il faut aussi noyer celle de 305. La durée de l’opération, indifférente s’il s’agit d’un incendie extérieur à la soute, réduit à zéro son efficacité en cas d’inflammation spontanée à l’intérieur. Il conviendrait d’augmenter notablement la section des tuyaux noyeurs et de faire aboutir leur orifice, non pas à la partie inférieure de la soute (contrairement à tout bon sens), mais au plafond, de manière à asperger le contenu, par la simple ouverture d’un robinet.

Donc, ce service d’une importance capitale pour la sécurité du bâtiment, n’est pas assuré. On n’a rien fait depuis la mise en service des poudres B, malgré les accidens successifs enregistrés. Quel est le coupable ? Le constructeur ? L’artilleur ? L’un et l’autre ? Le Conseil des travaux qui a examiné les plans ? La Commission d’essais qui a laissé passer sans observations ? Les commandans, qui n’ont pas signalé ce grave défaut avec assez de véhémence dans leurs devis de campagne ?

Une décision récente vient enfin de régler la question des températures : les croiseurs Edgar-Quinet, Waldeck-Rousseau et les six cuirassés type Danton, recevront des machines frigorifiques qui maintiendront à 25o la température de leurs soutes. Il a fallu dix ans et l’explosion de l’Iéna pour en arriver là.

Examinons de près le fonctionnement de l’artillerie navale. Cet important service est assuré par l’artillerie coloniale, corps dépendant autrefois de la marine, mais versé à la guerre, en 1900. Depuis huit ans, nous vivons dans le provisoire, en empruntant à ce ministère le personnel nécessaire à la marche de l’ensemble. Ces officiers ne conservent leurs droits à l’avancement qu’à la condition stricte d’assurer la relève aux colonies D’où, bouleversemens incessans dans les services. En 1907, les mutations des capitaines ont atteint 20 p. 100. Les listes de départ colonial du 1er décembre 1907 et du 1er mars 1908 réunies englobaient 2 officiers supérieurs et 10 capitaines, employés à Paris et dans les ports. En 1908, à la fonderie de Ruelle, 5 officiers sur 6 (parmi eux le directeur) sont partis pour les colonies. Comment ne pas attribuer à de si fréquentes mutations les accidens signalés un peu partout, dont les derniers en date sont ceux des pièces de 47 millimètres du Victor-Hugo, si graves, que le ministre a dû condamner toute l’artillerie légère de ce croiseur ?

Avant 1900, la marine récompensait ces officiers ; mais leur carrière dépend aujourd’hui du ministère de la Guerre, et les services accomplis dans la marine ne constituent pas un titre au tableau d’avancement. Donc, aucun avantage à servir dans l’artillerie navale, et il y a fréquemment un certain nombre de postes sans titulaires, bien que 38 p. 100 des capitaines soient désignés d’office. Cet organisme impuissant, disloqué, pourtant premier facteur de notre établissement maritime, réclame impérieusement une complète réorganisation.

Bien entendu, ceci ne vise point les officiers, techniciens justement estimés et travailleurs infatigables. C’est leur instabilité qui est en cause, comme éminemment préjudiciable aux intérêts de la marine. Pour y pourvoir, M. Thomson a étudié la création d’un corps stable d’ingénieurs-artilleurs dont le département disposerait à son gré. Ce projet, adopté une première fois par la Chambre, remanié et voté au Sénat, reviendra sans tarder à l’ordre du jour de la Chambre.

En attendant, la marine et l’artillerie coloniale s’ignorent réciproquement. La Commission de Gâvres est le seul organe de liaison entre le constructeur et l’utilisateur. Marins et artilleurs y discutent, non pas dans le vide, mais sur le vif, en présence de données expérimentales. Cette collaboration intime offre de précieux avantages, malgré la prédominance excessive de l’artillerie : sur 17 membres titulaires, la Commission compte 11 artilleurs et 1 ingénieur contre 5 marins. Et pourtant, les utilisateurs devraient avoir le dernier mot, dans ces questions de matériel. Si nous n’avions pas perdu de vue cette grande vérité, nous aurions des lunettes de visée depuis quinze ans[3], et, sans doute aussi, la flotte serait munie du genre de projectiles que réclament les officiers de vaisseau. En général, les marins préfèrent les obus en acier, à grande charge d’explosif, contrairement aux artilleurs, atteints, pour la plupart, de la manie de la perforation. De quoi s’agit-il, en somme ? Non point tant de couler l’adversaire, que de le mettre hors de combat. Cela étant, ne vaut-il pas mieux démoraliser l’ennemi par le fracas d’explosions précipitées, l’envelopper d’une nappe de flammes à très haute température et de nuages de gaz délétères, asphyxier les servans dans les tourelles, et même les chauffeurs dans les fonds du navire ? Car alors, au lieu d’air frais, les ventilateurs n’envoient plus en bas que des gaz irrespirables.

La question des poudres est un sujet inépuisable. D’abord, une cloison étanche se dresse entre le service fabricant et l’artillerie navale. Celle-ci fixe les conditions balistiques à remplir. Puis, les poudriers soumettent leurs manipulations aux règles surannées qui régissent la construction des bateaux sous-marins. Les règlemens interdisent à tout officier de marine de pénétrer dans un chantier où se perpètre la construction d’un sous-marin. De même, paraît-il, un artilleur naval ne peut suivre les diverses phases de la fabrication des poudres B… Tout s’opère dans un profond mystère, sans aucune intervention de la marine, qui surveille pourtant ses autres fournisseurs avec un soin scrupuleux. Onze ingénieurs et de nombreux agens techniques contrôlent les matières premières et suivent pas à pas la création des objets commandés à l’industrie. Rien de pareil pour les explosifs. Le producteur agit à sa guise et, quand il livre ses produits, un de ses propres ingénieurs le représente dans la commission de recette, avec voix délibérative. L’artillerie de terre, plus puissante que l’artillerie navale, a vainement tenté de contraindre ce fabricant à soumettre à une commission de membres du service consommateur le coton-poudre destiné à la fabrication de la poudre B… « On ne mord pas sur le granit. »

L’usine du Moulin-Blanc (près de Brest) fournit à la marine le coton-poudre nécessaire au chargement des torpilles. On soumet les recettes de cet explosif à des conditions encore plus originales. Autrefois, la commission comprenait : le directeur de l’établissement, un ingénieur des poudres et salpêtres et un lieutenant de vaisseau représentant le service preneur, qui, de la sorte, se trouvait en minorité. C’était une façon nouvelle de comprendre les recettes de matériel, c’est-à-dire les achats à un fournisseur.

Depuis la suppression de la direction des Défenses sous-marines dans les ports, on a éliminé tout simplement la voix de l’utilisateur, en substituant un artilleur au lieutenant de vaisseau.

À la vérité, le ministre, au vu du procès-verbal, peut faire procéder à une contre-épreuve par un service qu’il désigne. Mais, en cas de désaccord entre les deux départemens à la suite de la contre-épreuve, le comité consultatif des poudres et salpêtres, c’est-à-dire le fabricant, décide en dernier ressort.

Ainsi, l’artillerie navale transmet à la marine le coton-poudre, comme elle lui transmet la poudre B. Une fois les explosifs livrés, le service producteur s’en désintéresse, abandonnant aux artilleurs la surveillance et la responsabilité, aux marins le danger. Car l’utilisateur, ignorant à peu près tout des poudres sans fumée, sait qu’à bord des navires, il vit sur un volcan et que les altérations de ces poudres causent parfois des relèvemens de pression assez importans pour rendre le réglage du tir difficilement réalisable.

Malgré ces inconvéniens, contraint et forcé, il accepte la poudre B les yeux fermés, sans avoir la possibilité, même en cas d’urgence, de procéder à sa visite. L’artillerie, nous venons de le dire, est chargée de cette opération. Donc, nécessité d’entrer dans un port pour toute vérification, et transports continuels de munitions entre les bâtimens et la Pyrotechnie. Ajoutons que ces visites ne donment jamais une certitude absolue.

En résumé, l’insuffisance du matériel d’artillerie paralyse la doctrine du tir. Aussi, l’utilisateur, désireux de rattraper l’avance prise par les autres puissances, ne cesse-t-il de réclamer, par ses porte-paroles autorisés, des améliorations indispensables dont voici le résumé :

1o Nouvel aménagement des blockhaus, aujourd’hui si étroits, que l’officier de tir est obligé d’en sortir pour observer l’extérieur ;

2o Tourelles assez vastes, permettant aux servans de manœuvrer leurs pièces avec l’aisance nécessaire ;

3o Installation du pointage optique, découverte française adoptée par tous les étrangers ;

4o Approvisionnement plus rapide des pièces ;

5o Faculté de charger les canons dans une position quelconque, sans perdre plusieurs secondes pour les mettre au pointage négatif ;

6o Accroissement, à terre et à bord, de l’approvisionnement en munitions ;

7o Fixation définitive de la question des projectiles ;

8o Enfin, les marins demandent avec insistance des poudres plus stables, plus égales dans leurs effets, et la limitation stricte de leur existence.

La commission d’artillerie de l’escadre, qui résume les travaux et réunit les vœux de tous les commandans, ne cesse de réclamer et de protester ; mais on ne l’écoute que d’une oreille distraite et chacun couche sur ses positions.

Dans tout ceci, la marine a perdu la notion des rôles ; elle a interverti l’ordre des facteurs, malgré les enseignemens précieux que nous offre l’étranger. Les services producteurs étant les fournisseurs de la flotte, l’officier de marine, en qualité de client, a le droit et le devoir de leur commander un matériel répondant à certaines exigences, à des conditions dont lui, marin, reste seul juge, parce qu’il connaît le but multiple à remplir par un bâtiment de combat. Ne vous semble-t-il pas que nous côtoyons l’évidence ? On irait plus vite et l’on ferait de meilleure besogne si l’État-major général fixait les idées en disant aux constructeurs et aux fabricans : Voilà ce qu’il nous faut !

En Angleterre, où l’on a beaucoup de sens pratique, la marine proclame ses desiderata, qu’il s’agisse de bâtimens ou de canons, et les fait exécuter. Non seulement l’Amirauté (six membres : deux parlementaires et quatre marins) achète elle-même ses canons et ses munitions, mais son inspection d’artillerie navale, de création récente, contrôle minutieusement ces achats. En réalité, l’Amirauté dirige la fabrication des armes et des munitions de la flotte.

Par quelle aberration la marine française est-elle sortie de cette voie ? Pourquoi n’a-t-elle pas résisté aux empiétemens successifs des services producteurs ? Ici, la responsabilité est effective, et quand une affaire tourne mal, n’est-ce pas l’utilisateur qui est justiciable des Conseils de guerre ? Pourtant, en temps ordinaire, l’officier de vaisseau n’a d’avis à émettre et de conseil à donner, ni pour la construction, ni pour la fabrication. À Paris, dit-on, les conseils chargés d’examiner les plans comprennent des marins en majorité. Cela est vrai ; mais le Conseil supérieur, le Comité technique, planent très haut ; ils arrêtent les lignes principales et le détail infini leur échappe. Or, en artillerie surtout, rien n’est indifférent pour arriver à la précision ; chaque détail a son importance. Une réforme d’ensemble est donc urgente ; car rien ne changera, tant que les services désunis, conservant jalousement leurs monopoles, continueront à imposer leurs poudres, leurs projectiles, leurs canons et leurs tourelles. Actuellement, l’utilisateur ne peut tirer de l’artillerie tout ce qu’elle devrait rendre : le pointage manque de précision, le tir est trop lent, et la portée, souvent incertaine.


Si l’artillerie navale est le symbole de l’instabilité, on peut considérer l’arsenal comme étant celui de la confusion. Aussi réclame-t-on depuis longtemps une réorganisation devenue indispensable. Et si les ministres reculent tous devant une refonte générale, c’est que la limitation des crédits et la multiplicité des arsenaux ne leur permettent pas autre chose que l’adoption d’expédiens au jour le jour. Tout est prêt, néanmoins, pour une œuvre d’ensemble, les enquêtes ayant fourni les élémens désirables au sujet des approvisionncmens, de la modernisation de l’outillage, des procédés administratifs et des conditions du travail.

L’organisation des arsenaux remonte à 1844, époque où fleurissait la marine à voile. C’est ce règlement, vieux de soixante-quatre ans, que l’on ne cesse de rapiécer pour l’accommoder à de nouveaux besoins.

En 1844, le ministre de la Marine jouait déjà un double rôle militaire et industriel. Depuis lors, le côté industrie a pris une extension considérable ; il exige l’exploitation de vastes usines et l’on considère le département de la marine, avec ses 27 000 ouvriers, comme le « premier usinier de France. »

Mais, ici, comme en matière de chemins de fer, l’État est un déplorable industriel. Ne lui manque-t-il pas l’aiguillon de la concurrence ? Aussi, loin de chercher à obtenir plus de célérité et des prix de plus en plus bas, végète-t-il dans une routine plus aisée à déplorer qu’à combattre. D’autres marines n’ont pas hésité à couper le mal dans sa racine. En 1906, le Congrès américain chargea une commission de réorganiser ses arsenaux. Comprenant l’importance du choix des personnes à interroger, il désigna trois ingénieurs civils, sur cinq membres. Ces ingénieurs ont apporté au sein du groupe des idées saines, neuves, radicales, pratiques, dont profiteront largement les établissemens à rénover. L’Angleterre a opéré de même en 1905 : le Comité de sept personnes comprenait quatre membres civils. Le résultat fut, parait-il, excellent, et nous n’en sommes point surpris. Aurons-nous le courage d’employer un procédé aussi révolutionnaire ?

Chaque arsenal maritime, grand ou petit, possède le même nombre de hauts fonctionnaires. D’abord, un vice-amiral préfet maritime, à la fois chef militaire suprême et chef d’industrie comme directeur de l’arsenal, assisté de six directeurs formant sous sa présidence le Conseil d’administration du port : le contre-amiral major général, chargé de la flotte construite ; le directeur des constructions navales, de la flotte en construction ; le directeur d’artillerie ; le directeur des travaux hydrauliques ; le directeur du service de santé ; le commissaire général.

De ces six directions, la plus importante est celle des constructions navales. Elle occupe le premier rang par le chiffre des crédits dont elle dispose, le nombre de ses ouvriers, l’étendue de ses ateliers et de ses bureaux. Par la force des choses, elle exerce en pratique une prédominance incontestable, sinon incontestée. Ses avis sont très écoutés et, généralement, elle a le dernier mot. Le directeur de cette section, beaucoup plus stable que le préfet, puise dans cette permanence une partie de sa force ; il appartient à ce corps du génie maritime qu’a illustré Dupuy de Lôme et qui comprend des officiers d’une très haute valeur.

L’artillerie et l’atelier central de la flotte viennent ensuite, et opèrent des travaux analogues. Ces trois directions emploient un outillage à peu près semblable, des ouvriers des mêmes professions, ajusteurs, chaudronniers, fondeurs, tôliers, riveurs… Pourtant, chacune d’elles a son personnel particulier et ses ateliers, de sorte que plusieurs installations font triple emploi. Et si l’on prend l’ensemble des services de l’arsenal, on arrive à des résultats surprenans. L’un des arsenaux a quatre magasins de bois (constructions navales, artillerie, travaux hydrauliques et atelier de la flotte). Un autre a douze dépôts de charbon. Certaines directions ont pléthore d’ouvriers et manque de travail, tandis qu’à côté, il y a pléthore de travail et pénurie d’ouvriers. Au lieu de constituer une vaste usine, l’arsenal est donc un conglomérat d’arsenaux minuscules, ayant leurs besoins, leur matériel, leur personnel. L’autonomie, dont jouissent les directions, accentue encore le particularisme. Est-il excessif de dire que l’arsenal est le type de l’exploitation irrationnelle ?

D’autre part, ces usines dans l’usine ont un outillage insuffisant, parce que le Parlement vote généralement des lois incomplètes. Le programme ne porte point, en face des unités à construire, les modifications correspondantes que réclame l’outillage. Par suite, c’est le poids du progrès qui pèse sur notre établissement naval. Les bassins de radoub sont trop courts ; les ateliers sont trop éloignés les uns des autres ; les machines-outils, de modèles antédiluviens ; nos moyens de ravitaillement tout à fait inférieurs ; nos dépôts de munitions, trop dispersés. Le Parlement a voté pour la première fois en 1901, parallèlement au programme de la flotte, les crédits nécessaires à ces transformations indispensables dans les ports et les points d’appui. En 1906, le ministre a demandé 1 million pour améliorer l’outillage. En 1907 et 1908, la somme affectée à cet objet n’a pas dépassé 200 000 francs. Ce n’est malheureusement qu’une goutte d’eau dans la mer, et cet outillage laisse fort à désirer. Brest et Toulon n’ont pas assez de bassins de radoub. Bizerte en a deux et manque d’ouvriers.

Après ce rapide examen de l’outillage et de l’utilisation des arsenaux, notre esquisse serait incomplète si nous n’ajoutions quelques mois au sujet des ouvriers dont l’indiscipline et les prétentions dépassent fréquemment toute limite tolérable.

Il y a beaucoup à dire à ce propos. D’abord, ce personnel inamovible est trop nombreux. Sans doute on le réduit par voie d’extinction. Mais, ici encore, une demi-mesure admet trop d’apprentis à combler les vides et la condensation ne s’opère point avec la rapidité désirable.

En second lieu, les ouvriers ont une influence marquée sur le rendement, mauvais au double point de vue de la production et du prix de revient. Il est vrai que si l’on met en cause le manque de zèle du personnel et la trop grande autorité qu’ont usurpée les syndicats, on ne doit pas omettre non plus l’organisation défectueuse des conditions du travail, l’outillage insuffisant et démodé, la mollesse d’un pouvoir central désireux de ménager trop d’intérêts, enfin, des tarifs douaniers qui nous placent dans une situation inférieure en élevant le prix des matières premières. Aussi, construisons-nous plus lentement et à un prix plus élevé que les étrangers. On calcule que, pour la même somme, nous construisons deux cuirassés alors que l’Angleterre en construit trois.

La journée de huit heures occasionne des pertes considérables. À l’époque où commença l’application de ce règlement, chacun des contre-torpilleurs Sabre et Francisque ont absorbé 70 000 journées. Un peu plus tard, le Coutelas et le Fleuret, du même type, en ont demandé 82 000 et 87 000. Ajoutons que l’exécution est moins consciencieuse, et que les malfaçons, autrefois très rares, deviennent fréquentes.

M. Cuvinot cite comme exemple de mauvais rendement la production de l’atelier des torpilles de Toulon :

Prix de la main d’œuvre
En 1902, on y a fabriqué 127 torpilles. 784 francs.
En 1903, 107
En 1904, 98
En 1905, 69 1 942 francs.

Le nombre des torpilles livrées descend régulièrement, tandis que le prix de la main-d’œuvre monte d’une façon inquiétante.

Cependant, on traite ce personnel avec une grande bienveillance. Récemment, le ministre appelait les ouvriers à siéger dans les commissions de classement chargées de désigner les candidats dignes de passer au choix. Désormais, comme corollaire, l’autorité supérieure prononcera les peines de la rétrogradation et du licenciement, après avis d’un Conseil de discipline où les ouvriers auront des représentans. Ceux-ci trouveront-ils jamais une rétrogradation méritée ? Et un licenciement ? Ce règlement démocratique, assez mal accueilli par les intéressés, contribuera-t-il à l’amélioration du rendement des arsenaux ? Nous en doutons fort.

Avant d’établir cette règle nouvelle, le ministre avait consulté les syndicats. Vaine mesure de prudence qui n’empêcha pas les protestations : il n’y eut, paraît-il, qu’un seul tour de scrutin pour l’élection des délégués, et la dépêche ministérielle avait omis de prévoir des réunions préparatoires. Voilà, en effet, deux cas pendables.

Le pouvoir central doit ramener les ouvriers au sentiment plus exact de leurs devoirs. Il faudrait d’abord augmenter le nombre des ingénieurs, qui, absorbés par des besognes multiples, alignent des chiffres, confectionnent des états, rédigent des rapports, mais ne paraissent point dans les ateliers. Or, partout où l’officier fait défaut, le relâchement se produit. « Écrasés de travail, a déclaré M. Ripart, ingénieur en chef, devant la Commission de la Chambre, les ingénieurs des ports ne peuvent assurer le service ; les études traînent ; les ouvriers attendent des ordres que les ingénieurs surmenés ne peuvent leur donner en temps utile, la main-d’œuvre continue à être gaspillée, l’outillage à ne pas être tenu à la hauteur du progrès… » Ces observations, parfaitement justes, sont corroborées par les chiffres. On compte, à Cherbourg, 18 ingénieurs de tout grade ; à Brest, 20 ; à Lorient, 14 ; à Rochefort, 12 ; à Toulon, 25. Nombres manifestement insuffisans pour assurer le service dans des conditions acceptables.

Enfin, la surveillance n’a pas l’activité nécessaire dans l’enceinte des arsenaux. Jadis, de nombreux gendarmes exerçaient un rigoureux contrôle aux issues. Les postes fournis par l’infanterie de marine échelonnaient des sentinelles sur toute l’étendue du port. Un incendie éclatait-il ? L’alarme aussitôt donnée empêchait le fléau de s’étendre. Mais la marine, ne disposant plus de ces troupes, a réduit le nombre des sentinelles et celui des rondes. Peu à peu, la surveillance s’est relâchée ; le mal est devenu si grand que le ministre a fini par s’émouvoir. Un décret de janvier 1908 enlève la police de l’arsenal au commissaire rapporteur près les tribunaux maritimes des ports pour la confier au major général. C’est très bien ; mais pourquoi n’augmente-t-on pas le nombre des agens d’exécution ? Pourquoi ne rétablit-on pas le surveillant général qu’a supprimé une des dernières lois de finances ? Par un aveuglement injustifiable, on restreignait la police au moment où l’on augmentait les dépenses. En 1887, avec un budget de 188 millions, l’assurance contre le vol et l’incendie dépassait 1 pour 100. Vingt ans plus tard (1907), le budget atteint 320 millions, mais l’assurance descend à 0,47 pour 100.

Le personnel surveillant, 2 000 hommes en 1887, tombe à 1 300 en 1907. Ces économies fort mal placées rendent plus fréquens les vols et les incendies par malveillance.

Parlerons-nous de la défense des arsenaux ? Que d’anomalies inexplicables ! Le règlement du 17 novembre 1904 confère au préfet maritime la défense, non seulement de l’arsenal, mais aussi de toute la côte de son arrondissement[4]. Cette règle, très simple au premier abord, place ce haut fonctionnaire dans une situation fausse et périlleuse. En temps de paix, le préfet maritime, bien que commandant en chef, ne fait partie que du comité de défense de la place forte dont il est gouverneur. Sur tout autre point du littoral de son arrondissement maritime, ce comité se réunit sous la présidence du général adjoint au préfet maritime. Rien n’oblige ce général à consulter le préfet, son chef, et, s’il le fait, ce n’est que par déférence.

La guerre est-elle déclarée ? Le préfet prend aussitôt le commandement de la défense du littoral de son arrondissement, et il emploie des ouvrages sur l’utilité desquels on ne l’a pas consulté. Nous ne nous chargeons point d’expliquer ces contradictions. Quant au nombreux personnel des batteries du front de mer, l’organisation actuelle n’autorise point à croire qu’il rejoindra son poste au moment voulu. Car, dès le début des hostilités, on songera surtout à la frontière de l’Est, et la marine sera invitée, au moins tacitement, à « se débrouiller » sur la côte.

Le personnel indispensable, artillerie pour l’armement des forts, infanterie pour certains détachemens de surveillance, ne se trouvera réuni aux points prescrits qu’à la double condition d’êlre permanent et de dépendre de la marine.

Comment, dira-t-on, la marine accepte-t-elle une situation qui présente de si redoutables responsabilités ? Ce n’est pas faute d’avoir élevé des protestations très vives. Une fois de plus ici, après tous les préfets maritimes, nous réclamons une refonte complète de la défense des côtes. Nous demandons avec instance, pour la marine seule, la charge de combattre l’ennemi flottant ; qu’on lui donne en permanence le personnel nécessaire à une mobilisation réelle, et que l’on cesse de faire cadrer sur le papier des chiffres qui ne répondent pas à la réalité.


En résumé, un malaise général trouble les services et se répercute sur le matériel. On a faussé les mécanismes. Les organes secondaires exercent la prépondérance, après avoir refoulé dans l’ombre les organes de premier plan. Nous n’avons pas la flotte de notre politique d’expansion, et, constatation plus grave, notre flotte ne correspond point aux sacrifices consentis. Du deuxième rang qu’elle occupait, elle tombe au quatrième, en voie, si nous ne prenons d’énergiques mesures, de descendre au cinquième, après le Japon.

D’où provient ce défaut d’organisation, cette incohérence ? En grande partie de l’infiltration de la politique dans la marine. Partout, dans les couloirs du ministère, dans les arsenaux et sur les cuirassés, on trouve la trace de cette politique ignorante des obstacles, des barrières, des impossibilités, des hiérarchies, des services rendus, et qui entraîne après elle la ruine du principe d’autorité, engendre la mollesse des pouvoirs publics, la désagrégation lente, mais sûre.

Peut-on remettre les choses en état ? Oui certes, et, selon nous, à trois conditions.

La première, d’une exécution très simple, dépend du ministre, et de lui seul. Le ministre pourrait enrayer le mouvement, si, restant assez longtemps au pouvoir, il consentait à faire plus de marine que de politique. Autrefois, on ne pouvait guère croire qu’en arrivant rue Royale, le parlementaire choisi allait dépouiller le vieil homme et résister aux sollicitations de ses amis ; qu’il resterait sourd aux imprécations du « petit commerce » des ports ; qu’il fermerait complètement l’oreille aux réclamations d’une municipalité aux abois déplorant la trop longue absence de l’escadre. Il ne fallait pas le lui demander, car la réélection le guettait, et la crainte de l’électeur n’était pas toujours le commencement de la sagesse. M. Alfred Picard, organisateur de vaste envergure, esprit généralisateur, sans attaches politiques, pourra, si on lui laisse les mains libres, opérer les réformes attendues, sans arrière-pensée, sans autre mobile que le bien public. Certes, il lui faudra du temps pour donner sa mesure. Ce n’est pas du jour au lendemain qu’il rétablira l’ordre et la discipline là où règnent l’anarchie et la confusion. Mais, déjà l’attitude du ministre inquiète le personnel des ports. C’est un signe des temps nouveaux.

Deuxième condition indispensable : Liaison des directions, soudure effective des services. Il faut restaurer l’autorité disparue. Ici, point d’innovation ; nous réclamons le simple retour à un passé qui a fait ses preuves. Cet organe coordinateur a existé et doit être rétabli. Le chef d’état-major général peut seul remplir ce rôle, parce qu’il a la compétence nécessaire et que la préparation des opérations navales prime tout le reste. Replaçons le chef d’état-major au gouvernail. Sans marchander, étendons les pouvoirs de cet officier général, sous l’autorité du ministre, bien entendu. L’homme qui prépare la guerre doit avoir la préséance sur ceux qui lui fournissent les outils. Qu’il redevienne le pivot du ministère ; qu’il joue selon les circonstances un rôle modérateur, impulsif, conciliateur, et qu’il groupe tous les efforts en un faisceau compact.

Enfin, troisième condition : Il faut liquider tout le passé. M. Étienne Lamy, rapporteur du budget de la marine, écrivait dès 1879 : « Ce n’est pas de réformes de détail qu’il s’agit ; la marine exige des mesures d’ensemble. »

Prenons ces mesures et, pour les rendre efficaces, abritons-les sous l’autorité de la loi, comme l’ont réclamé l’année dernière MM. Poirrier et Chaumet, rapporteurs du budget de la marine dans les deux Chambres. Cette loi organique fixerait tout ce que l’on peut déterminer d’avance, tout ce qui, en dépit des changemens politiques, ne doit recevoir que des modifications espacées. Elle ferait disparaître l’incohérence par la suppression partielle du provisoire maritime et la réduction au minimum du régime instable des décrets, si commode pour les ministres, mais parfois si malencontreux pour l’organisme.

Il ne semble pas que la commission de réorganisation administrative actuellement en fonction ait les pouvoirs nécessaires pour opérer une refonte assez complète. Voici un aperçu de quelques points à fixer :

Nombre et types des unités de la flotte.

Durée du service des bâtimens (selon leur type), de façon à assurer le remplacement automatique des unités vieillies.

Obligation de prévoir pour tout accroissement de la flotte une augmentation correspondante du personnel et de proportionner l’importance du personnel aux besoins de la mobilisation.

Réorganisation des arsenaux, en déterminant le nombre des ouvriers par arsenal et en spécifiant que tout ouvrier promu changera de port.

Mise au point de l’outillage des arsenaux, en inscrivant d’urgence les moyens rapides de ravitaillement des escadres en charbon, vivres et munitions.

Réorganisation des dépôts des équipages et des magasins d’approvisionnement de matériel. Il faut que les uns et les autres, au lieu de rester à peu près vides, servent réellement de volant pour le personnel et pour le matériel.

Nombre, position et classement ne varietur, des points d’appui de la flotte dans les mers et océans.

Importance des dépôts de charbon croissant comme la puissance de la flotte, au moins pour Bizerte et les cinq arsenaux.

Attribution de la défense des côtes à la marine seule. (Refonte complète de l’organisation actuelle.)

Décentralisation administrative et séparation très nette entre l’administration proprement dite et la partie technique.

Obligation pour le ministre de choisir un vice-amiral comme chef d’état-major général, et extension des pouvoirs de celui-ci dans le sens de l’autorité incontestée sur les directeurs.

Les inconvéniens du système frappent les plus indifférens. Le mal est grand. Il est temps d’agir. Mettons-nous à l’œuvre sans perdre un instant. Car, « le jour vient inévitablement où les vérités bafouées s’affirment par des coups de tonnerre. »


Commandant Davin.
  1. 1o cabinet technique et administratif ; 2o cabinet civil.
  2. On assure qu’à l’avenir ces accidens disparaîtront, le ministre ayant ouvert un concours entre les fabricans français de tourelles pour les unités en chantier. L’avenir montrera si cette assurance est fondée.
  3. La question du tir optique, résolue en 1878 par le capitaine de frégate Bonin de Fraysseix, permit d’exécuter des tirs avec 60 pour 100 de coups au but, au lieu de 4 pour 100. Après six mois d’expériences, une commission conclut à l’adoption de la hausse optique. Mais, par suite d’une incurie inqualifiable et coutumière, la marine n’a rendu cet appareil réglementaire que beaucoup plus tard, à la suite des excellens résultats que les Japonais obtinrent contre les Russes, à l’aide d’un dispositif similaire.
  4. Ce littoral est considérable. Ainsi, le 5e arrondissent (avec Toulon pour chef-lieu) s’étend de la frontière italienne à la frontière d’Espagne.