L’Impôt démocratique

L’Impôt démocratique
Revue des Deux Mondes3e période, tome 78 (p. 316-336).
L’IMPOT DÉMOCRATIQUE
A PROPOS D’UN LIVRE RÉCENT

Les Solutions démocratiques de la question des impôts, par M. Léon Say, membre de l’Institut, sénateur, 2 vol. in-18 ; Guillaumin.

La question des impôts ne dort jamais longtemps. Elle est toujours réveillée par les besoins des gouvernemens. Elle le serait en tout cas par les plaintes des contribuables, qui demandent qu’on supprime ou qu’on adoucisse les charges qui les gênent. On peut dire que voilà, de compte fait, cinq ou six siècles que cela dure ainsi en France, et rien dans les circonstances présentes ne fait pressentir qu’on en voie bientôt la fin. Mais la question ne s’est pas toujours présentée de la même façon. Elle a eu ses phases historiquement. Elle a eu son âge barbare et son âge de réflexion, qui marque plusieurs étapes. Pendant toute une période d’assez grossier empirisme, les taxes sont livrées à une confusion égale dans l’assiette et dans la perception, et, quant aux doléances des populations, elles ne s’appuient sur aucun principe supérieur. Il faut se féliciter quand les gouvernemens, sous l’empire d’un bon sentiment ou guidés par l’intérêt bien entendu, prennent quelque soin, selon une expression plus d’une fois citée, « en plumant la poule, de ne pas trop la faire crier. » Elle a crié pourtant, et beaucoup, et ce sont ces clameurs sans cesse répétées qui ont forcé à compter avec les patiens. L’idée de certaines règles à observer se développa, et il fut plus facile de les violer que de les ignorer. On substitua d’autres procédés à la brutalité fiscale agissant au hasard avec cette violence inconsidérée qui « abat l’arbre pour avoir le fruit. » A défaut d’une théorie scientifique, on démêle très bien dans l’administration d’un Sully, plus encore d’un Colbert, et dans les commentaires dont ils accompagnent leurs ordonnances, comme dans les projets qu’ils ne purent mettre à exécution, la préoccupation de rendre l’impôt moins capricieux, moins dur et moins inégal. Cela rentrait d’ailleurs dans la politique royale, qu’on a qualifiée déjà, avec un peu d’exagération dans les termes, de « démocratique.» On trouve cette inspiration d’humanité et d’égalité exprimée avec la plus grande force chez Vauban et quelques autres réformateurs. Ils ont les yeux fixés sur un idéal de justice et se proposent de soulager le « menu peuple. » Peu importe que des projets comme la Dîme royale soient impraticables, il s’en dégage des principes destinés à ne pas périr. L’école économiste du XVIIIe siècle les recueille pour constituer une science, malheureusement encore trop mêlée d’hypothèses. Elle s’autorise, en réclamant l’émancipation du travail, des sentimens et des idées de ce qu’on a depuis lors appelé la « démocratie libérale. » Elle veut l’égalité devant l’impôt, elle y échoue par la prétention systématique d’en faire porter le poids par l’unique catégorie des propriétaires fonciers, dans la chimérique conviction que les charges se répartiraient ensuite naturellement sur toutes les autres classes sociales. On sait que, dans l’ordre théorique, il appartenait à un économiste moins systématique, à Adam Smith, d’établir les charges publiques sur toutes les richesses, sur toutes les classes, tous les travaux étant reconnus productifs. On peut affirmer que toutes les théories, à la fin du dernier siècle, se rencontraient dans la pensée d’abolir les privilèges qui exemptaient des classes entières de l’impôt, et dans une conception des moyens d’asseoir, de répartir, de percevoir les taxes, infiniment plus équitable et plus favorable à la masse. La révolution, à ses débuts, n’a guère fait qu’emprunter aux économistes leur programme dans l’accomplissement de cette réforme fondamentale qui, d’une part, affranchissait le travail des monopoles, et, de l’autre, établissait l’égalité devant l’impôt. Elle ne dit pas une seule fois à ce peuple de contribuables, la veille écrasé par le fardeau dont les hautes classes s’étaient déchargées sur ses épaules : « Tu ne paieras pas ta part dans les dépenses communes ! » Loin de là, elle vit dans l’impôt l’obligation, la dette de tous, et, comme le proclamait un de ses orateurs en langage du temps, « le titre même du civisme. » Vouloir s’y soustraire, c’eût été se déclarer soi-même un mendiant, un paria! En réalité, cette masse ne devait rien y perdre. Moins accablée par les taxes que dans le passé, on la vue s’élever par le travail libre à la possession des terres et des capitaux ; on a vu ceux-là mêmes qui restaient dans les rangs du travail manuel accroître leurs salaires, et, malgré trop de misères subsistantes, les conditions de la vie s’améliorer sensiblement. Si l’impôt ne fut pas lui-même sans révéler des imperfections, elles n’accusaient aucune injuste volonté du législateur de favoriser les uns aux dépens des autres, et des esprits éclairés, animés des meilleures intentions, pouvaient songer à les corriger sans mettre en cause les principes sur lesquels repose notre système d’impôts lui-même. On était assez généralement d’accord que ce système était en somme l’œuvre d’une démocratie sensée et libérale. On croyait que la société française n’avait, en l’améliorant successivement, qu’à persévérer dans la même voie.

Mais, personne ne l’ignore, — car la question des impôts n’est qu’une des faces du problème qui se pose, je dirais plus volontiers selon ma pensée, qu’on nous pose sous tant de formes, — cette interprétation ne satisfait pas tout le monde. Justice, égalité, humanité, n’ont pas le même sens pour tous. Ce qui nous paraissait démocratie n’est pour d’autres qu’une oppressive aristocratie, une oligarchie bourgeoise. Quelques axiomes économiques et juridiques dont la société se croyait en possession sur le capital, la propriété, la proportionnalité de l’impôt, ont aux yeux d’un assez grand nombre perdu leur valeur. Des réformes qu’on débattait en elles-mêmes et pour elles, ne semblent plus être un but, mais un moyen. L’impôt est pour certaines opinions radicales une arme de précision avec laquelle elles visent le capital. D’autres veulent seulement y pratiquer une saignée plus ou moins large. Les systèmes s’échelonnent comme les degrés de la démocratie dite avancée, mais tous, qui plus, qui moins, obéissent à une idée de nivellement; très consciente chez les uns, elle l’est moins chez les autres, mais n’a-t-on pas dit qu’on ne va jamais plus loin que quand on ne sait pas où l’on va?

Il faudrait d’abord que notre démocratie se fît une idée nette et juste de l’impôt. Cette idée est étroitement subordonnée à celle qu’on se forme de l’état. Pour les économistes, l’état a une mission restreinte. Il est avant tout le gardien de la sécurité. Ceux même qui lui confient d’autres attributions ou fonctions s’appliquent sévèrement à en limiter le nombre et la portée. Il s’ensuit que l’impôt trouve aussi ses limites dans cette définition. Dans la doctrine opposée, l’impôt est un beaucoup plus grand personnage. Aussi bien que l’état lui-même, il a toutes qualités et il est bon à tout faire. C’est un philosophe politique, qui professe une doctrine. généralement assez dédaigneuse pour la liberté individuelle et même pour l’égalité civile, où il ne veut voir du moins qu’un acheminement vers l’égalité des conditions ; c’est un philanthrope, car il a un cœur, à ce point qu’il a conçu la généreuse ambition de faire disparaître ou à peu près le mal de la terre et d’imposer la fraternité en la rendant obligatoire ; il vise enfin au rôle de dictateur tout-puissant, qui force toutes les têtes à se courber, abaissant les superbes et relevant les humbles. C’est là, dans son expression extrême, « l’impôt démocratique ; » le nôtre n’en est que le pseudonyme.

M. Léon Say a pensé que c’était le moment d’examiner ces théories de plus près encore qu’on ne l’a fait, et de consacrer une étude étendue aux « solutions démocratiques » de la question des impôts. On doit lui en savoir gré. C’est un excellent exemple qu’un tel emploi de ses loisirs de la part d’un homme qui a occupé les plus hautes fonctions de l’état. Aucun sujet n’était d’ailleurs mieux approprié à ses travaux antérieurs. Par ses études, conformes au nom qu’il porte, M. Léon Say était au courant de toutes les théories, qu’il juge avec la plus ingénieuse sagacité, et, par l’expérience acquise dans les affaires publiques et le gouvernement des finances, il était à même de porter, dans ces matières si sujettes à erreurs et à illusions, les justes appréciations de l’esprit pratique. On doit lui savoir gré aussi d’avoir donné d’abord aux études qu’il publie la forme de l’enseignement, qui est un moyen d’action et de propagande ayant sa vertu propre. Une pareille épreuve est toujours délicate à affronter, surtout quand on s’y met les années de la jeunesse passées. Les talens de l’orateur ne sont pas sûrement une garantie de succès, la tribune n’étant pas nécessairement la meilleure préparation aux qualités qu’exige la chaire. N’est pas. en un mot, si modeste que soit la chose, professeur qui veut. Je m’en fie à l’auditoire pour m’apprendre si le professeur improvisé a mis dans ses conférences cette jeunesse de l’esprit et de l’accent, qui est aussi une séduction dans ces sévères sujets, où les pressans intérêts de la vérité et de la patrie sont en jeu. Il n’est pas mal de faire sentir à ces jeunes hommes de l’Ecole des sciences politiques, que tout n’est pas dans l’avantage pratique que procurent des notions exactes, utiles pour les diverses carrières qu’ils ont à parcourir. Il est bon qu’ils éprouvent le noble attrait de hautes théories discutées avec autant de chaleur communicative que de lumineuse précision. Ajoutons qu’il est résulté de ces entretiens un livre, bien lié dans ses différentes parties, et où l’unité de sujet n’est pas perdue de vue. Ce qui vaut mieux que des éloges pour apprécier ce qu’il y a là de valeur solide et d’à-propos dans les idées et dans les faits, c’est de s’attacher au fond même. C’est là ce que nous allons essayer de faire, en suivant toutefois un ordre un peu différent.


I.

Il semble que le premier soin d’une démocratie soucieuse de la raison et de l’équité devrait être, avant tout, d’éviter l’arbitraire dans l’impôt. On se convainc pourtant que rien n’est plus nécessaire à rappeler à la nôtre, en présence d’opinions qui se montrent peu scrupuleuses sur les moyens, pourvu qu’elles arrivent à un but réputé supérieur. Mais comment évitera-t-on l’arbitraire dans l’impôt? Pour quiconque en a étudié le mécanisme si délicat, il est clair qu’on augmente les chances d’arbitraire à mesure qu’on augmente l’étendue de l’impôt lui-même. Et comment cette étendue ne serait-elle pas extrême si on donne à l’état des attributions illimitées qui multiplient sans mesure les dépenses publiques? A cet égard, déjà, l’économie politique l’emporterait sur le socialisme. Je regarderais comme oiseux d’engager à ce sujet une discussion sur les limites de l’état, et sur l’opposition que l’auteur établit entre l’individualisme, auquel il donne toute son approbation, et la doctrine socialiste. M. Say n’avait pas à se proposer de marquer avec une extrême précision les attributions de l’état autres que la sécurité publique, mais il est telles de ces attributions dans lesquelles il semble ne voir que de simples concessions de « l’art de gouverner, » et qui pourraient bien avoir un caractère plus permanent et plus justifiable en lui-même. J’avoue, d’un autre côté, ne pas aimer le mot d’individualisme, qui, comme d’autres mots ayant la même terminologie, paraît indiquer un excès. Il en marque un très visiblement chez les partisans d’un certain radicalisme économique, dont n’est pas exempt, par exemple, le récent ouvrage intitulé : l’Individu contre l’état, de M. Herbert Spencer. Je ne veux pas discuter sur les mots. Aussi ne m’aventurerai-je pas à dire que, pour désigner l’homme, je préférerais le terme de personne, qui implique des droits, des devoirs, une moralité, au mot plus vague d’individu, lequel s’applique aussi à l’animal, à la plante même. On objecterait que c’est là de la métaphysique. Il est permis de trouver, en tout cas, que le terme d’économie politique libérale paraît suffire. Sous ces réserves, je tiens pour parfaitement fondé le parallèle entre les deux théories opposées au point de vue des chances plus ou moins grandes de l’arbitraire dans l’impôt.

Mais ce ne serait là encore qu’une vue trop générale. Il doit y Avoir des signes auxquels se reconnaît la tendance plus ou moins marquée de l’impôt à l’arbitraire. M. Léon Say cherche ce signe dans la distinction entre l’impôt personnel et l’impôt réel. Non-seulement il appartient à l’école qui préfère l’impôt assis sur les choses, à celui qui vise les personnes, mais il fait de cette distinction une sorte de fil conducteur, ou, pour mieux dire, un critérium. Il y a, en effet, tout lieu de penser que des taxes qui prétendent atteindre des individus ou des classes en raison de leur situation, dont le législateur se fait juge, sont infiniment plus susceptibles d’arbitraire que des taxes sur des biens ou sur des revenus sans considération des personnes. En ce dernier cas, la base matérielle est évaluable en elle-même ; elle se dérobe par là aux appréciations qui peuvent résulter d’une pensée extérieure en quelque sorte à la contribution ; elle reste indépendante des mobiles passionnés et des calculs purement politiques, favorables aux uns, contraires aux autres. C’est ainsi que dans l’ancien régime, sans qu’il soit possible de trouver la justice suffisamment dans la taille réelle, la taille personnelle, qui avait égard au rang, était beaucoup plus inique et plus odieuse. L’impôt, sous presque toutes les formes, était assis et perçu de façon à ménager les uns et à réserver pour les autres ses exactions et ses rigueurs.

Que faisait alors, je ne dirai pas la démocratie, — elle n’existait ni de nom ni de fait, — mais que faisaient ceux qui se portaient pour les organes des griefs populaires? Ils voulaient faire prévaloir la base réelle. L’impôt personnel était l’ennemi. Il a été vaincu, en très grande partie du moins, avec les privilégiés. Les taillables et les corvéables ont eu leur jour de triomphe. Eh bien! dans plus d’un système radical, il s’agit simplement de reporter sur d’autres classes la taille, la dîme et la corvée. Nous n’aurons garde, d’ailleurs, en insistant sur l’arbitraire inhérent à certains projets, de confondre ceux qui s’arrêtent en chemin et ceux qui entendent bien aller jusqu’au bout. Mais, quel que soit le degré, l’arbitraire est le juste et capital reproche qu’on adresse à tous les systèmes d’impôts sur le revenu à échelle progressive qui visent des personnes et des situations. Où commence le taux progressif de l’impôt et où finit-il ? On n’a rien répondu de solide à cette fin de non-recevoir. On aura beau faire : tout impôt du revenu établi sur des catégories où les considérations de classes modifient la proportion ouvre à l’arbitraire une carrière inévitable. Quant à l’impôt franchement progressif, c’est un coin enfoncé dans la propriété ; il y reste, toujours prêt à élargir l’entaille sous la main qui l’y a fait pénétrer. On déclare aujourd’hui que celui qui a un revenu de 10,000 francs paiera 5 pour 100 ; que celui qui en a 20,000 ou 30,000, paiera 15 et ainsi de suite, en élevant le chiffre de progression modérément, dit-on, mais on pourra toujours augmenter le quantum. La modération est donc un mauvais argument. Il y a et il y aura toujours, en faveur de l’impôt proportionnel, à base réelle, une double raison de préférence. Premièrement, il est plus juste. Que peut-il y avoir d’arbitraire à demander à chacun selon ses facultés ? Si l’impôt représente d’abord les frais de garde des propriétés et des personnes, il y aurait même lieu de soutenir qu’il est plus avantageux au pauvre qu’au riche. On a fort judicieusement observé que les frais de garde ne sont pas plus grands à mesure que l’avoir s’étend. Celui qui a 100,000 francs de revenu ne coûte pas à l’état dix fois plus que celui qui en a 10,000. A parler en toute rigueur, le premier pourrait plutôt demander une diminution, comme celui qui, dans un magasin, achète plus, obtient une réduction en raison de l’étendue de ses commandes. C’est de même ce qui se pratique pour certains abonnemens, pour les assurances, etc. Quant aux avantages sociaux communs à tous, le pauvre en serait encore bien plus privé que le riche sans l’impôt. En second lieu, comment nier que l’impôt proportionnel, soit aux dépenses (taxes indirectes), soit aux biens, aux revenus, aux actes, a une base beaucoup moins capricieuse? Il ne s’agit plus d’un mètre de fantaisie sujet à se rétrécir et à s’étendre. Nul moyen d’en faire une sorte de lit de Procuste où un maître tyrannique jugera dans quelle mesure il convient de resserrer ou de distendre les membres du patient.

Nous touchons ici à une théorie très délicate, qui tend à prendre une place croissante dans les discussions de ce genre, et qui essaie même de faire figure dans la science. On l’appelle la « théorie de l’égalité des sacrifices, » et on entendrait la substituer à notre impôt proportionnel, ou, pour le moins, la lui donner comme un puissant correctif. Quelques écrivains allemands, et, en Angleterre, John Stuart Mill, se sont faits les organes et les défenseurs de cette théorie. Certes, l’autorité de M. Mill est imposante, et M. Léon Say y attache une légitime importance. Il s’en faut pourtant, à mon sens, qu’elle doive être reçue autrement que sous bénéfice d’inventaire. Tout n’est pas or dans le trésor d’idées que M. Mill nous a légué. J’oserai, en présence d’une admiration parfois un peu superstitieuse, faire mes réserves sur la confiance que mérite cet esprit, plus investigateur et plus puissant qu’il n’est sûr. Comment ne remarquerai-je pas que ce même économiste, qui exagère l’orthodoxie malthusienne jusqu’à vouloir mettre des conditions de fortune aux mariages, va, ce qui n’est plus même conforme aux données premières de l’économie politique, jusqu’à émettre des doutes sur l’avenir de la propriété et par le du communisme avec une complaisance que ratifiera difficilement l’esprit scientifique ? Quoi qu’il en soit, M. Mill admet l’égalité des sacrifices comme un des principaux facteurs de l’impôt. Voici la base du raisonnement : le sacrifice pèse plus sur les uns que sur les autres à inégalité de revenu. Ainsi, l’effort est plus grand pour en abandonner le vingtième, si l’on est pauvre, que le dixième ou le huitième, si l’on est riche. On donne ainsi à ces mots d’effort et de sacrifice une sorte de signification psychologique. C’est là une théorie d’impôts personnels au plus haut chef. C’est une idée vague, et le vague mène à l’arbitraire. Pour mesurer l’étendue relative des sacrifices de chacun, il faudrait presque établir autant de cas qu’il y a de personnes. Qu’il nous soit permis de chercher une comparaison dans la justice criminelle : sur cent individus condamnés à la même peine pour le même délit, il n’y en a pas deux peut-être qui. moralement, présentent le même degré de criminalité, il n’y en a pas deux non plus qui souffrent au même degré de la peine que la loi leur inflige. Ce sont là les cas particuliers des innombrables inégalités humaines. On peut défier les législateurs les plus avises et les plus perspicaces de les classer d’une manière satisfaisante et d’y remédier avec efficacité.

En tout cas, l’impôt progressif parait être l’expression fiscale du système qui veut se fonder sur l’égalité des sacrifices. Or. C’est ici que nous cessons tout à fait de comprendre M. Mill. On demandait un jour à l’éminent publiciste, dans une enquête législative, ce qu’il pensait de l’impôt progressif, il répondit sans hésiter : « j’estime qu’un impôt gradué n’est autre chose qu’une volerie graduée. » Fort bien ! Mais comment établir autrement la gradation des sacrifices et des efforts ? L’impôt progressif le fait grossièrement, mais il essaie de le faire tant bien que mal. Ne serait-ce pas que, s’il y a bien des cas où les principes philosophiques pénètrent très heureusement dans les choses humaines, il n’est pas toujours possible de les y faire entrer ? Or, nous ne voyons ici aucun moyen d’introduire la théorie toute psychologique de l’égalité des sacrifices dans le rôle du percepteur. C’est ainsi que le même économiste, estimant qu’il est moral et utile à la société d’encourager l’épargne, bâtit là-dessus un système ingénieux où il divise le revenu en deux parties : celle qu’on dépense, et qui doit être taxée, et celle qu’on met de côté, et qui doit échapper à l’impôt. Cela se justifierait par bien des raisons économiques. Mais M. Say fait observer qu’il est impossible de déterminer à l’avance la partie du revenu qui sera épargnée, et que cela dépend des gens et des circonstances. Il nous apprend, à ce propos, que, quand l’auteur des Principes d’économie politique était appelé dans des commissions législatives, où il avait à s’expliquer sur les difficultés de mettre en œuvre ses théories, il répondait d’une façon invariable : « Ce n’est pas mon affaire ; vous êtes des hommes pratiques, tirez-vous-en comme vous pourrez! » c’était se faire la partie trop belle. On prétend trouver un fondement à l’impôt plus juste que l’impôt proportionnel, plus démocratique en ce sens qu’il offre un point d’appui plus favorable aux moins aisés. Tout au moins faudrait-il que l’on montrât que ce principe peut, dès à présent ou dans un avenir plus ou moins prochain, être largement applicable à l’ordre de faits qu’il s’agit de réformer. Quel est l’essai que l’économiste anglais ait seulement ébauché en ce genre? N’est-il pas fâcheux, en tout cas, de jeter la défaveur sur un système d’impôts en vigueur, et qui n’est assurément pas fait pour soulever l’indignation populaire, parce qu’il y a une fine essence de justice plus parfaite encore, qu’on n’essaierait de fixer dans les lois fiscales qu’en causant un plus grand mal que celui qu’on veut réparer ?

Tout cela ne prouve-t-il pas qu’on veut faire faire à l’impôt un métier qui n’est pas le sien en le chargeant d’égaliser les conditions ? Si c’était sa fonction, il ne s’y prendrait pas si mal. Nous objecterons à ceux qui font de l’impôt progressif poussé à outrance une machine de guerre contre la propriété, un moyen de supprimer l’inégalité, qu’ils feraient mieux d’employer des moyens plus directs et plus francs. Ils ont à leur disposition le collectivisme et la spoliation sans phrases. Quant à ceux qui vont moins loin, ils ne réussissent pas à atteindre l’espèce d’équilibre qu’ils veulent réaliser. Sera-ce l’équilibre, quand vous aurez obligé celui qui a 10,000 francs de rente à payer sur le pied de 3 pour 100, tandis que celui qui en aura 1,000 ne paiera que sur le pied de 2 pour 100? Les 20 francs que donnera le second lui coûteront plus que les 300 francs payés par le premier; il restera encore à celui-ci, après avoir acquitté l’impôt, 9,700 fr. pour vivre, tandis que l’autre n’aura plus que 930 francs. C’est se donner beaucoup de mal, créer bien des rouages, froisser bien des gens, exposer bien des intérêts, mettre la sécurité des propriétés et des personnes à de bien cruelles épreuves pour obtenir un assez mince résultat.

Ne peut-on du moins sans arbitraire faire jusqu’à un certain point de l’impôt lui-même et des exemptions de certaines taxes un a moyen compensateur » dans le cas où, par la nature des choses, des charges inégales, antiproportionnelles, pèseraient sur les uns sans peser autant sur les autres? M. Léon Say ne condamne pas l’emploi discret de ces moyens, d’un usage qui reste d’ailleurs extrêmement délicat, et qui n’offrent, on le devine bien, que des compensations à peine approximatives. C’est ainsi, par exemple, qu’une certaine part de Y income-tax pourra répondre ou être censée répondre à quelque insuffisance de l’impôt foncier. Lorsque l’aristocratie anglaise avait établi des droits élevés sur les céréales, on a pu présenter la taxe des pauvres comme ayant, jusqu’à un certain point, le caractère d’un « impôt compensateur. » L’emploi exceptionnel du mode progressif a été établi sur la taxe mobilière dans certaines villes, comme Paris, il y a déjà longtemps. Rien, dans cette mesure, ne relève d’une idée doctrinale. On a cherché dans le mode progressif établi sur la valeur locative, comme dans l’exemption des petits loyers, une compensation à l’octroi pour les familles les moins aisées. On a fait aussi un raisonnement qui tend à ne voir ici dans le mode progressif qu’un simple moyen de rendre l’impôt plus proportionnel, si on prend la valeur locative comme signe du revenu. On peut, en effet, présumer que celui qui met 2,000 francs à son loyer a un revenu approchant de 20,000 francs de rente ; on aurait tort de conclure de là que celui qui est logé pour 200 francs en a 2,000 ; un ménage qui aurait 2,000 ou 2,400 francs de revenu ne pourrait guère se loger à moins de 400 ou 500 francs. De là des surtaxes, des traitemens plus doux et même des exemptions à un certain taux de loyer. Dire qu’il ne subsiste pas une part d’arbitraire dans ces arrangemens serait se faire une étrange illusion. Tel conseil municipal qu’on devine aisément pourrait, demain même, abuser facilement de ces cotes progressives. Ce qui n’a été jusqu’ici qu’un procédé deviendrait un but bel et bien. En tout cas, ces mesures n’ont rien de commun avec les théories qui nivellent la richesse. Elles ne se proposent pas de la restreindre au nom du prétendu droit social d’attribuer à chacun sa part en fixant un minimum de fortune dont le législateur conserve, la faculté de se rendre l’arbitre. C’est ce qui fait qu’on peut les absoudre sans fermer les yeux sur ce qu’il y a d’incertain dans ces compensations et d’un peu périlleux dans ces mesures qui sortent des règles communes.

La plupart des systèmes mis en vigueur ou proposés par la démocratie avancée sont exposés à d’autres genres d’arbitraire. Même lorsque le radicalisme n’y est pour rien, il suffit de citer les impôts sur le revenu dans les pays où ils sont établis. L’arbitraire est plus ou moins dans les déclarations. L’arbitraire est dans les perquisitions. L’arbitraire est dans l’assiette. Exemple : on a beaucoup discuté la question de savoir s’il fallait distinguer pour les imposer différemment les revenus variables et les revenus fixes. Cela semblerait devoir aller de soi. Il y a des revenus, surtout dans le commerce, qui, selon les années et la situation des différentes branches du négoce, varient du simple au double. Cependant, presque toujours, il a fallu renoncer à ces distinctions pour ne pas s’y perdre. Comment ne pas voir un arbitraire tout à fait choquant dans certains doubles emplois? c’est le bis in idem appliqué sans aucun scrupule. On oblige le revenu à payer ce que le contribuable a déjà payé sous diverses formes directes ou indirectes.

Dirons-nous que nous comprenons, pour notre part, un impôt du revenu surajouté aux autres taxes, comme un impôt de guerre, en pleine lutte ou au lendemain de désastres à réparer? c’est alors une manière de se mettre à l’amende. Nous n’aurions pas d’objection de principe contre un impôt du revenu qui remplacerait deux ou trois mauvaises taxes. Il resterait pourtant même alors à peser les inconvéniens. Mais un impôt sur le revenu, en temps normal, à titre permanent quand tout revenu est sujet à acquitter des droits de toutes sortes, comment le justifier? Singulier impôt démocratique que celui qui atteint une quantité de petits industriels déjà frappés par la patente si difficile à rendre seulement proportionnelle ! Singulier impôt démocratique que celui qui atteint les traitemens des fonctionnaires par des retenues dans lesquelles l’état reprend ce qu’il a accordé comme une rémunération équitable des services rendus et qui, dans la plupart des cas, suffit à peine à une famille sans fortune personnelle ! Singulier impôt démocratique que celui qui taxe les salaires chez des ouvriers déjà grevés d’impôts, et ne les exempte que par un autre genre d’injustice, car comment exempter des salaires souvent élevés, ne pas atteindre le travail aisé quand on atteint le capital pauvre? L’arbitraire sort de toutes parts de ces systèmes fiscaux qui se vantent de réaliser l’idéal démocratique.


{C|II. }}

Les effets économiques de ces théories fiscales de démocratie égalitaire ne méritaient pas moins d’être étudiés par M. Léon Say que les principes sur lesquels elles reposent. Il est impossible pour quiconque aura lu son livre avec quelque attention de ne pas reconnaître qu’on se fait encore là-dessus de graves illusions. On se contente trop souvent d’apparences, de simples étiquettes quelquefois. Il faut de redoutables expériences pour qu’on s’aperçoive que ces systèmes manquent leur but et se retournent contre cette masse qu’ils ont prétendu favoriser. Comment, par exemple, voir autre chose qu’une de ces étiquettes, d’une simplicité trompeuse, dans l’impôt unique adopté par plusieurs écrivains, parmi lesquels il ne faut pas mettre Vauban, car il laissait subsister d’autres impôts très importans? L’impôt unique n’est qu’un idéal décevant, parce que, outre des difficultés de tout genre, il rencontre un obstacle dans le jeu compliqué et naguère encore si mal étudié de ce qu’on appelle l’incidence de l’impôt. Il ne serait unique que de nom, frappant en fait sur des revenus divers, et de telle sorte que tantôt le poids retomberait sur celui qui les possède et tantôt serait rejeté par celui-ci sur d’autres personnes, selon l’état de l’offre et de la demande. Ainsi, une taxe établie sur les propriétaires peut se répartir sur les locataires en tout ou en partie par une augmentation du loyer. C’est qu’il ne suffit pas de décréter des impôts pour mettre la main sur le libre mouvement des transactions. Lorsque Franklin disait : « Quand on établit un impôt sur un marchand, il le met dans sa facture, » on peut démontrer au nom de l’incidence de l’impôt qu’il énonçait une demi-vérité. Il y a des circonstances où le marchand n’est pas maître. Lorsque M. Thiers semblait considérer les impôts indirects comme indifférens pour l’ouvrier, parce qu’il les faisait rembourser dans son salaire, c’était aussi une vérité sujette à caution, et qui cessait d’être vraie quand les patrons faisaient la loi, c’est-à-dire justement dans les temps de chômage. Il est donc tout à fait à propos de remarquer que, lorsque la démocratie avancée tend à taire porter la charge sur le capital, elle oublie que le capital a aussi ses crises, ses nécessités auxquelles l’oblige la concurrencent qu’il pourra être obligé de reprendre sur les salaires ou sur le nombre des ouvriers employés les taxes exorbitantes qu’on le condamne à supporter et sous lesquelles il risque de succomber s’il n’y échappe.

Non-seulement il y a le jeu de « l’incidence, » qu’on oublie sans cesse, mais il est de la nature de l’impôt, et surtout de certains impôts, d’ôter aux producteurs et aux consommateurs une partie de leurs ressources. L’erreur de l’école socialiste, — ou semi-socialiste, — c’est, comme M. Léon Say en fait la juste remarque, de croire qu’il y a dans les ressources de la société un superflu qui peut être employé à ses besoins ; c’est que le monde vit d’un produit brut et qu’il y a en dehors de ce produit brut un produit net, dont la propriété peut être revendiquée par la société tout entière. C’est une grave erreur, en effet. L’impôt prend sur l’avoir ou sur le revenu de chacun. Il diminue d’autant les ressources employées à la commande du travail ou à la formation du capital nécessaire au maintien et au développement des diverses industries et de la richesse générale. — Je n’ignore pas ce qu’on peut objecter. Assurément, les individus ne feraient pas toujours de leurs fonds l’usage le plus productif. Peut-être aussi ne remarque-t-on pas assez que les fonds reversés par l’état à ceux qu’il entretient peuvent retourner au travail et à l’épargne. Il y a peut-être ici chez les économistes quelque excès dans l’énoncé de doctrines qui traitent l’impôt avec une sorte de dureté, explicable au début par la réaction contre l’ancien régime. — Deux remarques décisives subsistent néanmoins : la première, c’est que, du moment qu’il arrive à l’état de se jeter dans des dépenses en dehors de sa sphère, il marche à la ruine. C’est ce qui arriverait s’il prétendait s’emparer de la plupart des travaux. L’autre observation, c’est que tout impôt coûte à percevoir, — et je ne mets pas seulement dans ce coût l’argent dépensé, mais les agens dont la force productive aurait reçu un autre emploi. Ce n’est assurément pas une raison pour ne pas établir des impôts, mais c’en est une pour ne pas en établir de mauvais qui ont justement pour résultat d’empêcher la formation de la richesse et de décourager le capital. C’est le tort précisément des taxes progressives, dont j’ai montré l’injustice et l’arbitraire au point de vue des principes. Lorsque la taxe frappe avec rigueur au-delà d’un certain taux de fortune, c’est ôter l’envie d’atteindre à ce niveau. C’est à l’activité humaine, à la prévoyance, à l’industrie, à l’esprit d’entreprise, qu’on vient dire : « Tu n’iras pas au-delà ! » Tels sont les effets de cet impôt établi en vue de favoriser la masse. Il commence par ravir aux possesseurs d’un capital ou d’un revenu un fonds qui serait allé aux salaires. Il porte un préjudice plus grave aux forces productives elles-mêmes. Si la masse populaire vit sur le capital, le capital vit de sécurité et de liberté. Le progrès de la richesse publique profitable à tous est à ce prix. Peut-être pourrait-on soutenir, au fond avec assez peu de raison pourtant, qu’un impôt qui permettrait de s’élever jusqu’à 50,000 ou 100,000 francs de revenu, ne découragerait pas l’envie de s’enrichir. Il resterait toujours à savoir comment, avec un pareil maximum, il y aurait place pour la grande industrie, la grande banque, les fortunes élevées, nécessaires pour porter plus haut le niveau de l’industrie et de la civilisation. A cet argument la démocratie la plus avancée répond par des déclamations contre la féodalité industrielle et par la substitution de l’état aux particuliers pour l’encouragement des arts. Mais cette exorbitante prétention échouerait toujours par le seul fait qu’il y aurait de grandes nations voisines développant librement leur puissance d’accumulation. Les défenseurs de ces systèmes raisonnent un peu trop comme si l’état qu’ils rêvent était entouré d’une muraille de la Chine, ou comme s’ils pouvaient, à l’imitation de Platon, décréter une république sans rapports avec l’étranger; qu’ils abolissent donc aussi le commerce. — Cet oubli a encore un autre inconvénient qui s’est fort accru avec la facilité des communications et l’extension du crédit, c’est le retrait des capitaux. On peut déjà se convaincre par la plupart des impôts existans dans plusieurs pays, qu’ils se dissimulent en grande partie aux perquisitions du fisc, qu’accompagne un cortège inévitable d’espionnage et de délation, si contraires aux principes libéraux. Qu’est-ce, si l’on se trouve en face, — non pas seulement de déclarations incomplètes qui constituent pour l’état une sorte de banqueroute partielle de l’impôt, — mais d’un véritable exode qui tend à en tarir la source même?

Non n’hésitons pas à le dire : de tels impôts mériteraient plutôt le nom d’antidémocratiques, s’il s’agissait d’une démocratie de raison, de vérité et de liberté, travaillant à assurer à tous le fair play, en même temps qu’à réduire les dépenses et à rendre moins lourds les impôts existans. Encore vaudrait-il mieux les augmenter que de recourir à de pareilles combinaisons.

M. Léon Say examine une autre base d’impôt proposée par la démocratie avancée, et qui est déjà impliquée d’ailleurs dans l’idée de la progression : c’est la distinction du superflu et du nécessaire. Nulle base n’est moins scientifique. La ligne de démarcation entre le nécessaire et le superflu est infiniment délicate. Le nécessaire et le superflu s’enchevêtrent perpétuellement dans notre vie civilisée. Nos ouvriers ont aussi leur part de superflu, et on peut se faire une idée de ce qu’ils diraient si on prétendait leur rendre inaccessibles par l’impôt le tabac, l’alcool, et bien d’autres superflus plus inoffensifs. Prendre aux riches le superflu, c’est tout simplement la confiscation, l’anéantissement de la richesse elle-même, c’est la plus odieuse tyrannie sur la production et la consommation. Au point de vue des classes populaires, c’est la suppression de plus de la moitié des industries. Établir un système d’impôt échelonné sur tous les degrés du superflu, c’est, eût-on en vue, non de le supprimer, mais de le restreindre en le tolérant, la plus impraticable des conceptions. Disons pourtant que l’on nous paraît aller un peu trop loin dans la proscription de cette distinction même et de tout usage à en tirer pour l’impôt. De même qu’il y a des dépenses frivoles et d’autres qui ne le sont pas, des dépenses qui reposent sur des plaisirs facultatifs et d’autres sur des satisfactions indispensables, de même il y a un superflu relatif qu’atteignent dans une certaine mesure les législations fiscales. Je ne sais, par exemple, si M. Léon Say, étant ministre des finances, a eu la pensée d’abolir la taxe sur les billards et sur les cercles ; mais je n’ose le blâmer de ne l’avoir pas fait. On n’est pas choqué de voir imposer un billard comme on le serait de voir imposer un établi de menuisier. L’impôt distingue entre les chevaux qu’il a soumis à la taxe. Est-ce à tort? Et n’y aurait-il pas quelque subtilité de la part des propriétaires à soutenir que c’est entrer dans les questions de personnes ? Rien d’injuste à ce que le cheval destiné à faire des transports ne soit pas traité par le fisc comme un cheval de luxe, comme un cheval de course. Je n’ose m’inscrire en faux contre la distinction faite entre les chiens selon leur degré d’utilité. Je ne me plains pas, je l’avoue, qu’il taxe les chiens de chasse, et surtout les petits carlins, ornement incommode de certains salons. J’approuve qu’il exempte les chiens de garde, et que, plus sensible que Buffon, il n’ait pas oublié le chien de l’aveugle. Nous aurions vu avec plaisir que M. Léon Say s’étendît un peu davantage sur les taxes somptuaires, partie assez importante de certains programmes démocratiques. Il n’y touche qu’à propos de la révolution, qui en fit un usage malheureux. Peut-être y aurait-il lieu de distinguer les impôts contre le luxe, et certaines taxes sur le luxe. M. Say n’a pas de peine à démontrer qu’en tout cas ces taxes ne sauraient aller bien loin sans être fort préjudiciables, et qu’on ne les rend tolérables qu’en acceptant qu’elles soient peu productives. La démonstration est faite chez nous, et, en Angleterre même, où elles ne sauraient entrer dans aucune mesure en balance avec les grands impôts de consommation.


III.

Les considérations historiques et politiques fortifient et complètent ces vues générales. La démocratie fiscale a été vue à l’œuvre dans le passé. Elle se manifeste sous nos yeux mêmes chez plusieurs nations dans des taxes inspirées plus ou moins de son esprit. M. Say parcourt ce vaste champ d’expériences, sans remonter toutefois au-delà du moyen âge, bien que les républiques de l’antiquité puissent fournir aussi quelques exemples. Athènes a connu l’impôt progressif, et c’est à propos de la république athénienne que Montesquieu par le de cette taxe dans une de ces phrases laudatives qui prouvent qu’il ne voyait pas toujours où peuvent aller certaines idées. Une logique plus sûre, en même temps que plus hardie, en devait faire voir plus tard la pente et le danger. Florence est moins loin de nous qu’Athènes; elle nous ressemble davantage. C’est là qu’il faut voir fonctionner les taxes progressives sur le capital et sur le revenu avec leur mobilité, leur mouvement ascendant ou descendant selon que l’un des deux partis l’emporte. C’est là qu’elles revêtent le caractère personnel le plus agressif. Il n’est nulle part plus visible que l’esprit de parti, avec ses passions acharnées, prime ici les sages calculs de l’économie politique. On se demande ce qui pouvait résulter pour le bien public de ces tarifs à échelle qui, dans certaines périodes, firent peser un fardeau vraiment énorme sur un petit nombre de citoyens. Assurément la masse y gagnait moins en travail et en salaire qu’en fêtes et en bombances. C’est bien là ce que voulaient les Médicis, plus jaloux de leur popularité que de son bien-être. On peut juger de ce que deviennent ces taxes entre les mains d’une démocratie sans scrupules, par un curieux document, c’est-à-dire par un des rôles de recouvrement du XVe siècle conservé dans les archives de Florence. Il comportait 10,600 contribuables ; ces 10,600 contribuables devaient fournir entre eux 34,770 florins. Par une échelle de progression, on avait recouvré 15,000 florins en sus sur les contribuables dont le revenu dépassait 50 ou 60 florins. L’échelle n’avait été applicable qu’à 1.859 contribuables sur les 10.600 ! La progression, remarque M. Say. avait donc imposé un sacrifice supplémentaire de 15,000 florins à 1,859 personnes seulement. Chacune d’elles avait payé un quart de cote, ou une demi-cote, ou trois quarts de cote, ou une cote entière en sus de sa part proportionnelle. Tels furent les constans procédés d’un régime de démocratie, de violence et de représailles, ou plutôt d’écrasement pour le parti vaincu, qu’il s’agissait non-seulement d’exploiter, mais d’humilier. Je dépasserais les limites de cette étude si j’entrais dans les détails de l’estimo et du catasto, cette dîme du contribuable, fondée sur un revenu cadastral, aux échelles multipliées à un degré qu’on ne saurait croire, et dont les tarifs gradués tantôt fonctionnent, tantôt se reposent, tantôt agissent d’une manière accablante, tantôt se modèrent selon les catégories, suivant l’état des partis et les besoins prétendus ou réels de la république. Mécanisme de la plus étonnante subtilité combiné pour la plus lourde oppression qu’on puisse imaginer !

Outre l’expérience faite en France des dixièmes et des vingtièmes, qui eut ses raisons d’être sérieuses et ne put échapper pourtant aux inconvéniens des impôts sur le revenu, notre histoire offre des essais qui eurent l’esprit démocratique pour origine et pour point de départ. La révolution a posé les principes modernes de l’impôt, et c’est d’elle qu’est sorti notre système financier auquel les critiques, même fondées, ne sauraient ôter sa valeur. Mais elle a traversé une longue période de tâtonnemens et d’erreurs, et là aussi on pourrait établir le contraste entre les deux démocraties. Je ne parlerai pas de la guerre excessive faite aux impôts de consommation. En cela, l’assemblée constituante empruntait à l’école des physiocrates ses vives répugnances contre des taxes que celle-ci regardait comme funestes entre toutes pour les classes populaires. L’exaltation démesurée des mérites relatifs de l’impôt direct est jugée aujourd’hui. Une forte part de l’impôt se présentant à la fois au paiement des petits contribuables leur est un fardeau insupportable. M. Thiers insiste, dans son livre de la Propriété, sur cette vérité de fait que la charge s’allège en se divisant. Mais on ne saurait imputer à la démocratie à la Rousseau et à la Robespierre cette erreur économique ; la démocratie vraiment radicale ne se borne pas à abolir ce qui est, à tort ou à raison, jugé nuisible : elle est inventive et fertile en combinaisons tracassières. Le système progressif était dans son génie. Barère, l’homme de toutes les opportunités, en fit accepter le principe par la Convention dans sa séance du 17 mars 1793. Mais les événemens marchaient trop vite pour qu’on eût le temps de s’occuper d’une organisation sérieuse. Les impôts mis sur des revenus comme les traitemens eurent le plus triste sort. Le député Ramel ne tardait pas à déclarer que « les fonctionnaires avaient été les principales victimes de ces mesures. » La question de l’impôt prend alors un caractère purement révolutionnaire. La commune de Paris donnait l’exemple lorsqu’elle décrétait un impôt sur les riches en des termes inappréciables : « Les autorités constituées lèveront dans chaque commune une taxe proportionnée à leur fortune et à leur incivisme. » La Convention institua des jurys d’équité, chargés de répartir dans les communes la contribution mobilière. La violence la plus inique s’ajouta à ce qu’il y avait déjà d’arbitraire dans la loi de germinal an V, comme le montre M. Léon Say, qui analyse avec le plus grand soin cette législation de l’impôt personnel. On a peine à croire combien ce dernier mot s’applique en toute rigueur. L’auteur cite le cas particulier d’un brave rentier, nommé Pérochelle. Cet honnête homme vivait dans un appartement fort simple avec un seul domestique. On jugea cet appartement trop modeste. On l’imposa à 240 francs. Il se plaignit, on l’imposa à 400 francs ; il se plaignit encore, on l’imposa à 600. M. Say parle aussi d’un riche vieillard qui vint s’établir sur un canton suisse, lequel, convoitant son héritage, fit une loi spéciale pour se l’assurer; il fallut du moins que le propriétaire consentît à faire un gros sacrifice. Qu’on ne dise pas que ce sont là seulement de bizarres exactions : elles jugent un système.

La révolution de 1848 a fait aussi éclore des projets issus de la même tradition et des propositions d’un caractère purement révolutionnaire. M. Garnier-Pagès demandait l’établissement de l’impôt sur le revenu ; il le demandait progressif. Il pressait l’assemblée de « ne pas manquer la gloire éternelle de l’avoir établi dans la France républicaine. » Barbès voulait forcer l’assemblée, envahie le 15 mai 1848, à voter sur place un milliard d’impôts sur les riches. Proudhon, trouvant qu’un milliard n’était pas suffisant, en demandait trois, dans son journal, à quelques jours de là. L’ennemi des propriétaires voulait les forcer à « rembourser » 150 millions à leurs locataires. Les rentiers auraient acquitté l’autre moitié. — Il a été après 1868 question d’imposer le revenu dans des projets plus modérés et plus réfléchis, émanés d’économistes qui n’obéissaient assurément à aucune idée démocratique, et qui prétendaient seulement suivre les traces de l’income-tax. Ni les principes de proportionnalité simple dont ils se recommandaient, ni le nom de leurs auteurs n’ont sauvé ces projets d’un échec explicable par la défiance que ces taxes inspirent et semblent vouées à justifier de plus en plus. M. Hippolyte Passy, ministre des finances, et dont le nom fait autorité en économie politique, proposait un de ces projets, en prenant pour signe du revenu la valeur locative. M. Léon Say l’analyse et s’applique à le réfuter. Il rappelle et examine de même le projet d’impôt sur les revenus, par opposition à l’impôt sur le revenu, projet qui eut M. Casimir Perier pour rapporteur en 1871, et dont l’assemblée ne retint que l’impôt de 3 pour 100 sur les valeurs mobilières. Un impôt sur les rentes a paru avoir depuis lors des chances de succès. L’auteur n’y fait pas d’objection de principe, mais il le considère comme injuste et fâcheux dans les conditions spéciales de la rente française.

La démocratie n’a pas paru pendant longtemps être en jeu dans l’income-tax de l’Angleterre, simple impôt de guerre avec Pitt, impopulaire d’ailleurs, au point que les registres furent brûlés. Cet impôt fut rétabli sous l’empire de nécessités pressantes, dans des conditions absolument différentes de notre milieu social. Il n’en présente pas moins des inconvéniens qui tiennent à l’établissement de catégories de personnes et de situations déterminées par autant de cédules spéciales. L’exemption de tout revenu au-dessous de 150 livres sterling est le premier pas dans ces distinctions, qui ne cessent de s’y multiplier. On se plaint que la cédule des revenus industriels ne rende pas plus de la moitié des sommes supputées à l’avance. On accuse les fausses déclarations ; mais combien de revenus de ce genre incertains, précaires, insuffisans, semblent excusables de vouloir se soustraire ! d’abord eux-mêmes s’ignorent. Puis la taxe ne risque-t-elle pas parfois d’enlever tout le bénéfice? C’est comme la dîme, dont Turgot disait énergiquement qu’elle risquait parfois de « couper plus que l’herbe. » En tout cas, qui peut assurer que l’income-tax restera longtemps en Angleterre à l’abri de la fausse démocratie ? M. Say raconte d’une manière dramatique quelques épisodes, en effet fort émouvans, de la grande lutte de Richard Cobden et de Robert Peel. Il montre à quel moment précis la démocratie libérale et modérée de ce tribun de la ligue anticorn-law pénétra dans la politique économique de la vieille Angleterre, pour se voir malheureusement remplacée par le socialisme d’état, qui a maintenant le verbe haut dans la patrie d’Adam Smith, et qui aspire à s’emparer du gouvernement. Il y a déjà des symptômes de cette sorte, on peut le craindre du moins, dans les modifications que la chambre a introduites dans quelques cédules. La législation fiscale de l’Italie offre des signes du même genre encore plus sensibles, tels qu’on peut se demander si les beaux jours des luttes florentines à coup d’impôts ne sont pas destinés à refleurir à terme plus ou moins prochain.

L’Allemagne et quelques autres états européens n’offrent pas un champ moins important aux investigations d’un politique et d’un économiste attentif à se rendre compte des principes, et des tendances comme des résultats. La Prusse a accompli des réformes fiscales souvent heureuses depuis 1810. On ne saurait considérer comme de ce nombre les impôts du revenu et des classes, établis sur la distinction des personnes et des situations. On y trouve quelques-uns des traits les plus saillans de l’ancienne capitation. Ces taxes s’en défendent pourtant. On prétend plutôt les rattacher simplement à la théorie qui cherche la richesse dans ses signes extérieurs. La façon de vivre des personnes n’a pas moins servi de base même à l’impôt qui établissait quatre classes dans les campagnes et autant dans les villes. Le seul énoncé montre les côtés factices d’une classification où on plaçait d’abord les grands propriétaires qui vivent du revenu de leurs terres et « qui se voient entre eux » (singulière marque !), puis les agriculteurs d’un ordre élevé qui dirigent leurs exploitations, ensuite les paysans qui mettent la main à la charrue, enfin les domestiques et les journaliers. On taxait d’une façon tout aussi artificielle dans les villes, en première ligne les hauts fonctionnaires, les capitalistes et les banquiers ; en seconde ligne, les bourgeois riches, puis les bourgeois inférieurs, et en dernier lieu les ouvriers. Ces classifications, datant de 1820, ont été révisées, et, sur ce motif trop fondé qu’elles manquaient de justesse et de précision, on les a encore multipliées, rendues encore plus arbitraires. On a fini par donner la préférence à l’impôt du revenu sur l’impôt des classes, et on y a introduit un principe de progression, très modéré, il est vrai. Sans se faire prophète de malheur, on peut se demander si le despotisme ou le socialisme ne sera jamais en disposition d’en abuser. L’impôt progressif sans limites assignables est la fatalité de l’impôt sur le revenu, ne l’oublions pas.

L’exemple de la Suisse ne paraît pas fait pour recommander les impôts sur le revenu et le capital, bien qu’ils y soient traditionnels. Un plébiscite a rejeté l’impôt progressif dans le canton de Neufchâtel. II fleurit à Zurich. Mais on a un exemple récent des entraînemens toujours possibles. En août1886, le grand conseil a voté l’établissement de l’impôt progressif dans le canton de Vaud. On y remarque un manque de mesure, un luxe de procédés de coercition, qui dépassent ce qu’on pouvait attendre de pire. Dans la loi nouvelle, quand la plus basse catégorie de l’impôt mobilier paie 1, la plus haute paie 4. En tenant compte de l’impôt communal, on arrive, paraît-il, à cette conséquence, que le contribuable de la catégorie la plus riche devra au fisc plus du cinquième de son revenu ! Aussi un certain nombre de familles riches et de grands industriels parlaient-ils d’émigrer : en tout cas, on ne se hasarde guère à prédire que les effets d’une pareille loi ne peuvent qu’être des plus funestes.

La décision avec laquelle M. Léon Say repousse tous ces systèmes de taxation s’explique tout autrement que par un esprit antipathique aux réformes : il en signale plusieurs, outre la plus grande de toutes, qui serait l’économie dans les dépenses, irréalisable si l’on se laisse aller aux conseils de la démocratie avancée. La pensée qui anime ces études est celle de défendre les vérités économiques, les principes du droit moderne, les vrais intérêts des classes populaires, et de préserver notre pays de redoutables expériences. L’auteur estime que les projets d’impôts, dits démocratiques, abandonnent de plus en plus la vieille formule de l’impôt unique et la guerre pour ainsi dire classique des taxes indirectes et directes pour celle de l’impôt sur les riches. Il y a des raisons générales de combattre ces systèmes financiers, et M. Say les a développées avec beaucoup de force ; mais il ne dissimule pas qu’il y a en quelque sorte des motifs tout français, dans un pays de logique et de révolution, où les mêmes mots n’ont pas toujours la même signification qu’à l’étranger, et où ils prennent facilement une portée plus étendue et plus menaçante. « Il y a, dit-il, et nous tenons à citer textuellement cette phrase, une raison politique qui domine toutes les autres et qui doit nous porter à refuser d’entreprendre en ce moment une réforme financière dont l’objet serait de transformer les impôts directs existans en cédules anglaises ou italiennes, ou en impôts de quotité sur le revenu général des citoyens : c’est que, dans un pays comme la France, alors que les idées sont aussi profondément troublées qu’elles le sont en ce moment, on ne peut envisager sans crainte l’établissement de ce que les Florentins et les Suisses ont appelé le cadastre de la fortune. »

C’est là un sensé et ferme langage. On ne peut se dissimuler que L’homme d’état économiste qui le tient ne prévoie les luttes prochaines, — et peut-être décisives, — de la démocratie libérale et de la démocratie socialiste. En tout cas, voilà longtemps que cette lutte s’annonce. La lecture du livre de M. Léon Say nous a fait nous reporter vers une lutte pareille, souvenir un peu oublié, mais bien significatif. C’était en 1833. La guerre des idées et des tendances éclatait entre les deux démocraties, nous pouvons même dire, par anticipation, entre les deux républiques, à propos d’un manifeste de la Société des droits de l’homme, empreint du caractère radical le plus décidé. Les doctrines de Robespierre et de Saint-Just sur l’impôt progressif et sur l’égalité des conditions, presque à la façon de Babeuf, y étaient préconisées avec une logique audacieuse qui ne prenait pas soin de dissimuler que l’impôt n’était qu’un acheminement vers un nivellement plus complet. Ce fut le chef le plus autorisé du parti républicain, Armand Carrel, qui répondit par un contre-manifeste développé. Tout en usant des ménagemens dans les termes, dus à des hommes engagés dans les mêmes luttes, il le fit avec la plus mâle vigueur. Toute la politique financière d’une république respectueuse de tous les droits est renfermée dans ces pages d’un bon sens supérieur. Elle pourrait même être condensée en maximes tirées à peu près textuellement de cette déclaration. Qui donc ne répéterait aujourd’hui, avec Armand Carrel, que ces théories reposent, économiquement, sur une vue fausse de la richesse, et qu’elles « semblent considérer la richesse générale du pays comme une provision de vivres d’un navire en mer, provision qui, une fois embarquée, ne s’augmenterait plus, tellement que le pauvre paraît, dans ce système, n’être réduit à la moitié ou au tiers de sa ration que parce que le riche mange deux ou trois fois plus que la sienne, d’où l’idée toute populaire de vouloir réduire le riche à la simple ration, c’est-à-dire de faire qu’il ne soit plus riche? » Qui ne répéterait, avec ce républicain vraiment libéral, que, « en voulant détruire l’inégalité au profit du riche, il faut craindre de fonder l’inégalité au profit du pauvre, le riche acquittant la part du pauvre, plus la sienne, et obligé de lui payer une pension alimentaire pour le faire arriver à la moyenne de bien-être déterminée par la loi ; — condamné en outre, pour ce qu’il posséderait de surplus, à une amende de plus en plus rigoureuse, et voué à un véritable régime d’avanies. » — Enfin, comment ne pas redire aussi que, « dès le troisième ou quatrième retour d’un pareil impôt, il n’y aurait plus de riches avouant l’être, et que l’on aurait dépravé le pauvre en l’habituant à faire état de son indigence ; que tout le monde aurait intérêt à dénaturer sa fortune, à la soustraire aux perquisitions des répartiteurs... jusqu’à ce qu’on eût reconnu que l’injuste est fort souvent l’impraticable. » Paroles judicieuses et courageuses, faites pour servir d’avertissement à ceux qui seraient disposés à transiger avec des erreurs dont la pente est glissante, — et toujours opportunes en face du parti qui a repris la suite du manifeste socialiste de 1833.


HENRI BAUDRILLART.