L’Immoraliste/Première Partie/I

Mercure de France (p. 19-38).
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I


Mes chers amis, je vous savais fidèles. À mon appel vous êtes accourus, tout comme j’eusse fait au vôtre. Pourtant voici trois ans que vous ne m’aviez vu. Puisse votre amitié, qui résiste si bien à l’absence, résister aussi bien au récit que je veux vous faire. Car si je vous appelai brusquement, et vous fis voyager jusqu’à ma demeure lointaine, c’est pour vous voir, uniquement, et pour que vous puissiez m’entendre. Je ne veux pas d’autre secours que celui-là : vous parler. — Car je suis à tel point de ma vie que je ne peux plus dépasser. Pourtant ce n’est pas lassitude. Mais je ne comprends plus. J’ai besoin… J’ai besoin de parler, vous dis-je. Savoir se libérer n’est rien ; l’ardu, c’est savoir être libre. – Souffrez que je parle de moi ; je vais vous raconter ma vie, simplement, sans modestie et sans orgueil, plus simplement que si je parlais à moi-même. Écoutez-moi :


La dernière fois que nous nous vîmes, c’était, il m’en souvient, aux environs d’Angers, dans la petite église de campagne où mon mariage se célébrait. Le public était peu nombreux, et l’excellence des amis faisait de cette cérémonie banale une cérémonie touchante. Il me semblait que l’on était ému, et cela m’émouvait moi-même. Dans la maison de celle qui devenait ma femme, un court repas, sans rires et sans cris, vous réunit à nous au sortir de l’église ; puis la voiture commandée nous emmena, selon l’usage qui joint en nos esprits, à l’idée d’un mariage, la vision d’un quai de départ.

Je connaissais très peu ma femme et pensais, sans en trop souffrir, qu’elle ne me connaissait pas plus. Je l’avais épousée sans amour, beaucoup pour complaire à mon père, qui, mourant, s’inquiétait de me laisser seul. J’aimais mon père tendrement ; occupé par son agonie, je ne songeai, en ces tristes moments, qu’à lui rendre sa fin plus douce ; et ainsi j’engageai ma vie sans savoir ce que pouvait être la vie. Nos fiançailles au chevet du mourant furent sans rires, mais non sans grave joie, tant la paix qu’en obtint mon père fut grande. Si je n’aimais pas, dis-je, ma fiancée, du moins n’avais-je jamais aimé d’autre femme. Cela suffisait à mes yeux pour assurer notre bonheur ; et, m’ignorant encore moi-même, je crus me donner tout à elle. Elle était orpheline aussi et vivait avec ses deux frères. Marceline avait à peine vingt ans ; j’en avais quatre de plus qu’elle.

J’ai dit que je ne l’aimais point — du moins n’éprouvais-je pour elle rien de ce qu’on appelle amour, mais je l’aimais, si l’on veut entendre par là de la tendresse, une sorte de pitié, enfin une estime assez grande. Elle était catholique et je suis protestant… mais je croyais l’être si peu ! le prêtre m’accepta ; moi j’acceptai le prêtre : cela se joua sans impair.

Mon père était, comme l’on dit, « athée », — du moins je le suppose, n’ayant, par une sorte d’invincible pudeur que je crois bien qu’il partageait, jamais pu causer avec lui de ses croyances. Le grave enseignement huguenot de ma mère s’était, avec sa belle image, lentement effacé en mon cœur ; vous savez que je la perdis jeune. Je ne soupçonnais pas encore combien cette première morale d’enfant nous maîtrise, ni quels plis elle laisse à l’esprit. Cette sorte d’austérité dont ma mère m’avait laissé le goût en m’en inculquant les principes, je la reportai toute à l’étude. J’avais quinze ans quand je perdis ma mère ; mon père s’occupa de moi, m’entoura et mit sa passion à m’instruire. Je savais déjà bien le latin et le grec ; avec lui j’appris vite l’hébreu, le sanscrit, et enfin le persan et l’arabe. Vers vingt ans j’étais si chauffé qu’il osait m’associer à ses travaux. Il s’amusait à me prétendre son égal et voulut m’en donner la preuve. L’Essai sur les cultes Phrygiens, qui parut sous son nom, fut mon œuvre ; à peine l’avait-il revu ; rien jamais ne lui valut tant d’éloges. Il fut ravi. Pour moi, j’étais confus de voir cette supercherie réussir. Mais désormais je fus lancé. Les savants les plus érudits me traitaient comme leur collègue. Je souris maintenant de tous les honneurs qu’on me fit… Ainsi j’atteignis vingt-cinq ans, n’ayant presque rien regardé que des ruines ou des livres, et ne connaissant rien de la vie ; j’usais dans le travail une ferveur singulière. J’aimais quelques amis (vous en fûtes), mais plutôt l’amitié qu’eux-mêmes ; mon dévouement pour eux était grand, mais c’était besoin de noblesse ; je chérissais en moi chaque beau sentiment. Au demeurant, j’ignorais mes amis, comme je m’ignorais moi-même. — Pas un instant ne me survint l’idée que j’eusse pu mener une existence différente ni qu’on pût vivre différemment.

A mon père et à moi des choses simples suffisaient ; nous dépensions si peu tous deux, que j’atteignis mes vingt-cinq ans sans savoir que nous étions riches. J’imaginais, sans y songer souvent, que nous avions seulement de quoi vivre ; et j’avais pris, près de mon père, des habitudes d’économie telles que je fus presque gêné quand je compris que nous possédions beaucoup plus. J’étais à ce point distrait de ces choses, que ce ne fut même pas après le décès de mon père, dont j’étais unique héritier, que je pris conscience un peu plus nette de ma fortune, mais seulement lors du contrat de mon mariage, et pour m’apercevoir du même coup que Marceline ne m’apportait presque rien.

Une autre chose que j’ignorais, plus importante encore peut-être, c’est que j’étais d’une santé très délicate. Comment l’eussé-je su, ne l’ayant pas mise à l’épreuve ? J’avais des rhumes de temps à autre, et les soignais négligemment. La vie trop calme que je menais m’affaiblissait et me préservait à la fois. Marceline, au contraire, semblait robuste, — et qu’elle le fût plus que moi, c’est ce que nous devions bientôt savoir.


Le soir même de nos noces nous couchions dans mon appartement de Paris, où l’on nous avait préparé deux chambres. Nous ne restâmes à Paris que le temps qu’il fallut pour d’indispensables emplettes, puis gagnâmes Marseille, d’où nous nous embarquâmes aussitôt pour Tunis.

Les soins urgents, l’étourdissement des derniers événements trop rapides, l’indispensable émotion des noces venant sitôt après celle plus réelle de mon deuil, tout cela m’avait épuisé. Ce ne fut que sur le bateau que je pus sentir ma fatigue. Jusqu’alors chaque occupation, en l’accroissant, m’en distrayait. Le loisir obligé du bord me permettait enfin de réfléchir. C’était, me semblait-il, pour la première fois.

Pour la première fois aussi je consentais d’être privé longtemps de mon travail. Je ne m’étais accordé jusqu’alors que de courtes vacances. Un voyage en Espagne avec mon père, peu de temps après la mort de ma mère, avait, il est vrai, duré plus d’un mois ; un autre, en Allemagne, six semaines ; d’autres encore — mais c’étaient des voyages d’études ; mon père ne s’y distrayait point de ses recherches très précises ; moi, sitôt que je ne l’y suivais plus je lisais. Et pourtant, à peine avions-nous quitté Marseille, divers souvenirs de Grenade et de Séville me revinrent, de ciel plus pur, d’ombres plus franches, de fêtes, de rires et de chants. Voilà, ce que nous allons retrouver, pensai-je. Je montai sur le pont du navire et regardai Marseille s’écarter.

Puis, brusquement, je songeai que je délaissais un peu Marceline.

Elle était assise à l’avant ; je m’approchai, et, pour la première fois vraiment, la regardai.

Marceline était très jolie. Vous le savez ; vous l’avez vue. Je me reprochai de ne m’en être pas d’abord aperçu. Je la connaissais trop pour la voir avec nouveauté ; nos familles de tout temps étaient liées ; je l’avais vue grandir ; j’étais habitué à sa grâce… Pour la première fois je m’étonnai, tant cette grâce me parut grande.

Sur un simple chapeau de paille noire elle laissait flotter un grand voile ; elle était blonde, mais ne paraissait pas délicate. Sa jupe et son corsage pareils étaient faits d’un châle écossais que nous avions choisi ensemble. Je n’avais pas voulu qu’elle s’assombrît de mon deuil.

Elle sentit que je la regardais, se retourna vers moi… jusqu’alors je n’avais eu près d’elle qu’un empressement de commande ; je remplaçais, tant bien que mal, l’amour par une sorte de galanterie froide qui, je le voyais bien, l’importunait un peu ; Marceline sentit-elle à cet instant que je la regardais pour la première fois d’une manière différente ? À son tour elle me regarda fixement ; puis, très tendrement, me sourit. Sans parler, je m’assis près d’elle. J’avais vécu pour moi ou du moins selon moi jusqu’alors ; je m’étais marié sans imaginer en ma femme autre chose qu’un camarade, sans songer bien précisément que, de notre union, ma vie pourrait être changée. Je venais de comprendre enfin que là cessait le monologue.

Nous étions tous deux seuls sur le pont. Elle tendit son front vers moi ; je la pressai doucement contre moi ; elle leva les yeux ; je l’embrassai sur les paupières, et sentis brusquement, à la faveur de mon baiser, une sorte de pitié nouvelle ; elle m’emplit si violemment, que je ne pus retenir mes larmes.

— Qu’as-tu donc? me dit Marceline.

Nous commençâmes à parler. Ses propos charmants me ravirent. Je m’étais fait, comme j’avais pu, quelques idées sur la sottise des femmes. Près d’elle, ce soir-là, ce fut moi qui me parus gauche et stupide.

Ainsi donc celle à qui j’attachais ma vie avait sa vie propre et réelle ! L’importance de cette pensée m’éveilla plusieurs fois cette nuit ; plusieurs fois je me dressai sur ma couchette pour voir, sur l’autre couchette, plus bas, Marceline, ma femme, dormir.

Le lendemain le ciel était splendide ; la mer calme à peu près. Quelques conversations point pressées diminuèrent encore notre gêne. Le mariage vraiment commençait. Au matin du dernier jour d’octobre nous débarquâmes à Tunis.


Mon intention était de n’y rester que peu de jours. Je vous confesserai ma sottise : rien dans ce pays neuf ne m’attirait que Carthage et quelques ruines romaines : Timgat, dont Octave m’avait parlé, les mosaïques de Sousse et surtout l’amphithéâtre d’El Djem, où je me proposais de courir sans tarder. Il fallait d’abord gagner Sousse, puis de Sousse prendre la voiture des postes ; je voulais que rien d’ici là ne fût digne de m’occuper.

Pourtant Tunis me surprit fort. Au toucher de nouvelles sensations s’émouvaient telles parties de moi, des facultés endormies qui, n’ayant pas encore servi, avaient gardé toute leur mystérieuse jeunesse. J’étais plus étonné, ahuri, qu’amusé, et ce qui me plaisait surtout, c’était la joie de Marceline.

Ma fatigue cependant devenait chaque jour plus grande ; mais j’eusse trouvé honteux d’y céder. Je toussais et sentais au haut de la poitrine un trouble étrange. Nous allons vers le Sud, pensais-je ; la chaleur me remettra.

La diligence de Sfax quitte Sousse le soir à huit heures ; elle traverse El Djem à une heure du matin. Nous avions retenu les places du coupé. Je m’attendais à trouver une guimbarde inconfortable ; nous étions au contraire assez commodément installés. Mais le froid !… Par quelle puérile confiance en la douceur d’air du Midi, légèrement vêtus tous deux, n’avions-nous emporté qu’un châle ? Sitôt sortis de Sousse et de l’abri de ses collines, le vent commença de souffler. Il faisait de grands bonds sur la plaine, hurlait, sifflait, entrait par chaque fente des portières ; rien ne pouvait en préserver. Nous arrivâmes tout transis, moi, de plus, exténué par les cahots de la voiture, et par une horrible toux qui me secouait encore plus. Quelle nuit ! – Arrivés à El Djem, pas d’auberge ; un affreux bordj en tenait lieu : que faire ? La diligence repartait. Le village était endormi ; dans la nuit qui paraissait immense on entrevoyait vaguement la masse informe des ruines ; des chiens hurlaient. Nous rentrâmes dans une salle terreuse où deux lits misérables étaient dressés. Marceline tremblait de froid, mais là du moins le vent ne nous atteignait plus.

Le lendemain fut un jour morne. Nous fûmes surpris, en sortant, de voir un ciel uniformément gris. Le vent soufflait toujours, mais moins impétueusement que la veille. La diligence ne devait repasser que le soir… Ce fut, vous dis-je, un jour lugubre. L’amphithéâtre, en quelques instants parcouru, me déçut ; même il me parut laid, sous ce ciel terne. Peut-être ma fatigue aidait-elle, augmentait-elle mon ennui. Vers le milieu du jour, par désœuvrement, j’y revins, cherchant en vain quelques inscriptions sur les pierres. Marceline, à l’abri du vent, lisait un livre anglais qu’elle avait par bonheur emporté. Je revins m’asseoir auprès d’elle.

— Quel triste jour ! Tu ne t’ennuies pas trop ? lui dis-je.

— Non : tu vois : je lis.

— Que sommes-nous venus faire ici ? Tu n’as pas froid, au moins.

— Pas trop. Et toi ? C’est vrai ! tu es tout pâle.

— Non…

La nuit, le vent reprit sa force… Enfin la diligence arrive. Nous repartîmes.

Dès les premiers cahots je me sentis brisé. Marceline, très fatiguée, s’endormit vite sur mon épaule. Mais ma toux va la réveiller, pensai-je, et doucement, doucement, me dégageant, je l’inclinai vers la paroi de la voiture. Cependant je ne toussais plus, non : je crachais ; c’était nouveau ; j’amenais cela sans effort ; cela venait par petits coups, à intervalles réguliers ; c’était une sensation si bizarre que d’abord je m’en amusai presque, mais je fus bien vite écœuré par le goût inconnu que cela me laissait dans la bouche. Mon mouchoir fut vite hors d’usage. Déjà j’en avais plein les doigts. Vais-je réveiller Marceline ?… Heureusement je me souvins d’un grand foulard qu’elle passait à sa ceinture. Je m’en emparai doucement. Les crachats que je ne retins plus vinrent avec plus d’abondance. J’en étais extraordinairement soulagé. C’est la fin du rhume, pensai-je. Soudain je me sentis très faible ; tout se mit à tourner et je crus que j’allais me trouver mal. Vais-je la réveiller ?… ah ! fi !… (J’ai gardé, je crois, de mon enfance puritaine la haine de tout abandon par faiblesse ; je le nomme aussitôt lâcheté.) Je me repris, me cramponnai, finis par maîtriser mon vertige… Je me crus sur mer de nouveau, et le bruit des roues devenait le bruit de la lame… Mais j’avais cessé de cracher.

Puis, je roulai dans une sorte de sommeil.

Quand j’en sortis, le ciel était déjà plein d’aube ; Marceline dormait encore. Nous approchions. Le foulard que je tenais à la main était sombre, de sorte qu’il n’y paraissait rien d’abord ; mais, quand je ressortis mon mouchoir, je vis avec stupeur qu’il était plein de sang.

Ma première pensée fut de cacher ce sang à Marceline. Mais comment ? – J’en étais tout taché ; j’en voyais partout, à présent ; mes doigts surtout… – J’aurai saigné du nez… C’est cela ; si elle interroge, je lui dirai que j’ai saigné du nez.


Marceline dormait toujours. On arriva. Elle dut descendre d’abord et ne vit rien. On nous avait gardé deux chambres. Je pus m’élancer dans la mienne, laver, faire disparaître le sang. Marceline n’avait rien vu.

Pourtant je me sentais très faible et fis monter du thé pour nous deux. Et tandis qu’elle l’apprétait, très calme, un peu pâle elle-même, souriante, une sorte d’irritation me vint de ce qu’elle n’eût rien su voir. Je me sentais injuste, il est vrai, me disais : si elle n’a rien vu c’est que je cachais bien ; n’importe ; rien n’y fit ; cela grandit en moi comme un instinct, m’envahit… à la fin cela fut trop fort ; je n’y tins plus : comme distraitement je lui dis :

— J’ai craché le sang, cette nuit.

Elle n’eut pas un cri ; simplement elle devint beaucoup plus pâle, chancela, voulut se retenir, et tomba lourdement sur le plancher.

Je m’élançai vers elle avec une sorte de rage : Marceline ! Marceline ! — Allons bon ! qu’ai-je fait ! Ne suffisait-il pas que moi je sois malade ? — Mais j’étais, je l’ai dit, très faible ; peu s’en fallut que je ne me trouvasse mal à mon tour. J’ouvris la porte ; j’appelai ; on accourut.

Dans ma valise se trouvait, je m’en souvins, une lettre d’introduction auprès d’un officier de la ville ; je m’autorisai de ce mot pour envoyer chercher le major.

Marceline cependant s’était remise ; à présent elle était au chevet de mon lit, dans lequel je tremblais de fièvre. Le major arriva, nous examina tous les deux : Marceline n’avait rien, affirma-t-il, et ne se ressentait pas de sa chute ; moi j’étais atteint gravement ; même il ne voulut pas se prononcer et promit de revenir avant le soir.

Il revint, me sourit, me parla et me donna divers remèdes. Je compris qu’il me condamnait. — Vous l’avouerai-je ? Je n’eus pas un sursaut. J’étais las. Je m’abandonnai, simplement. — « Après tout, que m’offrait la vie ? J’avais bien travaillé jusqu’au bout, fait résolument et passionnément mon devoir. Le reste… ah ! que m’importe ? » pensais-je, en trouvant suffisamment beau mon stoïcisme. Mais ce dont je souffrais, c’était de la laideur du lieu. « Cette chambre d’hôtel est affreuse » – et je la regardai. Brusquement, je songeai qu’à côté, dans une chambre pareille, était ma femme, Marceline ; et je l’entendis qui parlait. Le docteur n’était pas parti ; il s’entretenait avec elle ; il s’efforçait de parler bas. Un peu de temps passa : je dus dormir…

Quand je me réveillai, Marceline était là. Je compris qu’elle avait pleuré. Je n’aimais pas assez la vie pour avoir pitié de moi-même ; mais la laideur de ce lieu me gênait ; presque avec volupté mes yeux se reposaient sur elle.

À présent, près de moi, elle écrivait. Elle me paraissait jolie. Je la vis fermer plusieurs lettres. Puis elle se leva, s’approcha de mon lit, tendrement prit ma main :

– Comment te sens-tu maintenant ? me dit-elle. Je souris, lui dis tristement :

– Guérirai-je ? Mais, aussitôt, elle me répondit : – Tu guériras ! – avec une conviction si passionnée que, presque convaincu moi-même, j’eus comme un confus sentiment de tout ce que la vie pouvait être, de son amour à elle, la vague vision de si pathétiques beautés, que les larmes jaillirent de mes yeux et que je pleurai longuement sans pouvoir ni vouloir m’en défendre.

Par quelle violence d’amour elle put me faire quitter Sousse ; entouré de quels soins charmants, protégé, secouru, veillé… de Sousse à Tunis, puis de Tunis à Constantine, Marceline fut admirable. C’est à Biskra que je devais guérir. Sa confiance était parfaite ; son zèle ne retomba pas un instant. Elle préparait tout, dirigeait les départs et s’assurait des logements. Elle ne pouvait faire, hélas ! que ce voyage fût moins atroce. Je crus plusieurs fois devoir m’arrêter et finir. Je suais comme un moribond, j’étouffais, par moments perdais connaissance. À la fin du troisième jour, j’arrivai à Biskra comme mort.