L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/25

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 185-187).


CHAPITRE XXV.

EN QUOI CONSISTE LA VRAIE PAIX ET LE VÉRITABLE PROGRÈS DE L’AME.

1. J.-C. Mon fils, j’ai dit : Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix, non comme le monde la donne[1].

Tous désirent la paix ; mais tous ne cherchent pas ce qui procure une paix véritable.

Ma paix est avec ceux qui sont doux et humbles de cœur.

Votre paix sera dans une grande patience.

Si vous m’écoutez, et si vous obéissez à ma parole, vous jouirez d’une profonde paix.

2. Le F. Seigneur, que ferai-je donc ?

3. J.-C. En toutes choses, veillez à ce que vous faites et à ce que vous dites. N’ayez d’autre intention que celle de plaire à moi seul. Ne désirez, ne recherchez rien hors de moi.

Ne jugez point témérairement des paroles ou des actions des autres : ne vous ingérez point de ce qui n’est point commis à votre charge ; alors vous serez peu ou rarement troublé.

Mais ne sentir jamais aucun trouble, n’éprouver aucune peine du cœur, aucune souffrance du corps, cela n’est pas la vie présente ; c’est l’état de l’éternel repos.

Ne croyez donc pas avoir trouvé la véritable paix, lorsqu’il ne vous arrive aucune contrariété ; ni que tout soit bien, quand vous n’essuyez d’opposition de personne ; ni que votre bonheur soit parfait, lorsque tout réussit selon vos désirs.

Gardez-vous aussi de concevoir une haute idée de vous-même, et d’imaginer que Dieu vous chérit particulièrement, si vous sentez votre cœur rempli d’une piété tendre et douce : car ce n’est pas en cela qu’on reconnaît celui qui aime vraiment la vertu, ni en cela que consiste le progrès de l’homme et sa perfection.

4. Le F. En quoi donc, Seigneur ?

5. J.-C. À vous offrir de tout votre cœur à la volonté divine ; à ne vous rechercher en aucune chose, ni petite, ni grande, ni dans le temps, ni dans l’éternité : de sorte que, regardant du même œil et pesant dans la même balance les biens et les maux, vous m’en rendiez également grâces.

Et ce n’est pas tout ; il faut encore que vous soyez si ferme, si constant dans l’espérance, que privé intérieurement de toute consolation, vous prépariez votre cœur à de plus dures épreuves, sans jamais vous justifier vous-même comme si vous ne méritiez pas de tant souffrir ; mais reconnaissant, au contraire, ma justice, et louant ma sainteté dans tout ce que j’ordonne. Alors vous marcherez dans la voie droite, dans la véritable voie de la paix ; et vous pourrez avec assurance, espérer de revoir mon visage dans l’allégresse[2].

Que si vous parvenez à un parfait mépris de vous-même, je vous le dis, vous jouirez d’une paix aussi profonde qu’il est possible en cette vie d’exil.

RÉFLEXION.

On ne saurait trop répéter à l’homme que sa grandeur, sa sécurité, sa paix, consiste à se renoncer, à se mépriser lui-même, à s’anéantir devant Dieu, à ne vouloir en toutes choses et à ne désirer que l’accomplissement de sa volonté sainte, sans aucun retour d’intérêt propre, dans un abandon sans réserve à ce qu’il lui plaît d’ordonner de nous. Il faut se détacher même de ses dons, pour s’unir à lui d’une manière plus intime et plus pure. La ferveur sensible, les consolations, les ravissantes douceurs de l’amour nous sont données et nous sont retirées selon les desseins que nous ignorons ; elles passent, et tout ce qui passe produit le trouble, si l’on s’y attache. Dieu seul donc : n’aimons que Dieu seul, ne souhaitons que Dieu seul ; aimons-le pour lui-même, dans la tristesse comme dans la joie, dans l’amertume comme dans la jouissance. Oui, je vous aimerai, Seigneur[3], je vous bénirai en tout temps[4] : vous êtes vous-même notre paix[5] ; et dans cette paix, je dormirai et je me reposerai[6].

  1. Joan. xiv, 27.
  2. Job xxxiii, 26.
  3. Ps. xvii, 2.
  4. Ps. xxxiii, 2.
  5. Ephes. ii, 14.
  6. Ps. iv, 9.