L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre troisième/13

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 156-159).


CHAPITRE XIII.

QU’IL FAUT OBÉIR HUMBLEMENT, A L’EXEMPLE DE JÉSUS-CHRIST.

1. J.-C. Mon fils, celui qui cherche à se soustraire à l’obéissance, se soustrait à la grâce ; et celui qui veut posséder seul quelque chose, perd ce qui est à tous.

Quand on ne se soumet pas volontairement et de bon cœur à son supérieur, c’est une marque que la chair n’est pas encore pleinement assujettie, mais que souvent elle murmure et se révolte.

Apprenez donc à obéir avec promptitude à vos supérieurs, si vous désirez dompter votre chair.

Car l’ennemi du dehors est bien plus vite vaincu, quand l’homme n’a pas la guerre au dedans de soi.

L’ennemi le plus terrible et le plus dangereux pour votre âme, c’est vous, lorsque vous êtes divisé en vous-même.

Il faut que vous appreniez à vous mépriser sincèrement, si vous voulez triompher de la chair et du sang.

L’amour désordonné que vous avez encore pour vous-même, voilà ce qui vous fait craindre de vous abandonner sans réserve à la volonté des autres.

2. Est-ce donc cependant un si grand effort, que toi, poussière et néant, tu te soumettes à l’homme à cause de Dieu ; lorsque moi, le Tout-Puissant, moi le Très-Haut, qui ai tout fait de rien, je me suis soumis humblement à l’homme à cause de toi ?

Je me suis fait le plus humble et le dernier de tous, afin que mon humilité t’apprît à vaincre ton orgueil.

Poussière, apprends à obéir : apprends à t’humilier, terre et limon, à t’abaisser sous les pieds de tout le monde.

Apprends à briser ta volonté, et à ne refuser aucune dépendance.

3. Enflamme-toi de zèle contre toi-même, et ne souffre pas que le moindre orgueil vive en toi ; mais fais-toi si petit, et mets-toi si bas, que tout le monde puisse marcher sur toi et te fouler aux pieds comme la boue des places publiques.

Fils du néant, qu’as-tu à te plaindre ? Pécheur couvert d’ignominie, qu’as-tu à répondre, quelque reproche qu’on t’adresse, toi qui as tant de fois offensé Dieu, tant de fois mérité l’enfer ?

Mais ma bonté t’a épargné, parce que ton âme a été précieuse devant moi : je ne t’ai point délaissé, afin que tu connusses mon amour, et que mes bienfaits ne cessassent jamais d’être présents à ton cœur ; afin que tu fusses toujours prêt à te soumettre, à t’humilier, et à souffrir les mépris avec patience.

RÉFLEXION.

Il n’existe qu’une volonté qui ait le droit essentiel et absolu d’être obéie, la volonté de l’Être éternel qui a tout créé et qui conserve tout ; et de là l’admirable prière du prophète-roi : Enseignez-moi, Seigneur, à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu[1]. Cette volonté souveraine a des ministres pour rappeler ses ordonnances et en maintenir l’exécution dans la famille, dans l’État, dans l’Église ; et l’obéissance leur est due, parce qu’ils représentent Dieu chacun dans son ordre, selon les degrés d’une sublime hiérarchie, qui remonte du père au roi, du roi au pontife, du pontife à Jésus-Christ, de Jésus-Christ à celui qui l’a envoyé, et de qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son nom[2], c’est-à-dire son autorité. Ainsi le devoir n’est autre chose que le commandement divin, et la vertu n’est que l’obéissance à ce commandement. Tout péché, au contraire, n’est, comme le premier, qu’une désobéissance, une révolte ; et l’homme est conçu dans la révolte, puisqu’il est conçu dans le péchés[3] ; d’où cette belle et profonde expression du Psalmiste : Le pécheur est rebelle dès le sein de sa mère, et livré au mal dans ses entrailles[4]. Aussi le sacrifice qui a expié le péché et réparé la nature humaine, consista-t-il essentiellement, suivant la doctrine du grand Apôtre, dans une obéissance infinie. Le Christ s’est rendu obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix[5]. Et nous, misérables créatures, rachetées par cette prodigieuse obéissance, nous refuserions d’obéir ! Nous opposerions notre volonté à la volonté du Tout-Puissant, par cet épouvantable orgueil qui a créé l’enfer, où, dans les ténèbres, dans le supplice, dans la rage et le désespoir, dans l’ignominie de l’esclavage le plus abject et le plus hideux, l’ange prévaricateur et ses complices répéteront éternellement : Je n’obéirai point ; Non serviam ![6] O Dieu, préservez-moi d’un orgueil aussi insensé, aussi criminel ! Que votre grâce m’apprenne à me soumettre à vous, et à tous ceux que vous avez préposés sur moi ! Je suis étranger sur la terre ; ne me cachez point vos commandements. Mon âme, à toute heure, en rappelle le désir[7]. Enseignez-moi, Seigneur, à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu !

  1. Ps. cxlii, 9.
  2. Ephes. iii, 15.
  3. Ps. l, 7.
  4. Ps. lvii, 4.
  5. Philipp. ii, 8.
  6. Jerem. ii, 20.
  7. Ps. cxviii, 20. 1.