L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre quatrième/03

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 287-291).


CHAPITRE III.

QU’IL EST UTILE DE COMMUNIER SOUVENT.
Voix du disciple.

1. Je viens à vous, Seigneur, pour jouir de votre don, et goûter la joie du banquet sacré que, dans votre tendresse, vous avez, mon Dieu, préparé pour le pauvres[1].

En vous est tout ce que je puis, tout ce que je dois désirer ; vous êtes mon salut et ma rédemption, mon espérance et ma force, mon honneur et ma gloire.

Réjouissez donc aujourd’hui l’âme de votre serviteur, parce que j’ai élevé mon âme vers vous[2], Seigneur Jésus.

Je désire maintenant vous recevoir avec un respect plein d’amour ; je désire que vous entriez dans ma maison, pour mériter d’être béni de vous comme Zachée, et d’être compté parmi les enfants d’Abraham.

Votre corps, voilà l’objet auquel mon âme aspire ; mon cœur brûle d’être uni à vous.

2. Donnez-vous à moi, et ce don me suffit ; car sans vous, rien ne me console.

Je ne puis être sans vous, et je ne saurais vivre si vous ne venez à moi.

Il faut donc que je m’approche de vous souvent, et que je vous reçoive comme le soutien de ma vie, de peur que privé de cette céleste nourriture, je ne tombe de défaillance dans le chemin.

C’est ainsi, miséricordieux Jésus, que, prêchant aux peu ples, et les guérissant de diverses langueurs, vous dites un jour : Je ne veux pas les renvoyer à jeun dans leurs maisons, de peur que les forces ne leur manquent en route[3].

Daignez donc en user de la même manière avec moi, vous qui avez voulu demeurer dans votre Sacrement pour la consolation des fidèles.

Car vous êtes le doux aliment de l’âme ; et celui qui vous mange dignement aura part à l’héritage de la gloire éternelle.

Combien il m’est nécessaire, à moi qui tombe et pèche si souvent, qui me laisse aller si vite à la tiédeur, au découragement, de me renouveler, de me purifier, de me ranimer, par des prières et des confessions fréquentes, et par la réception de votre corps sacré ; de peur que, m’en abstenant trop longtemps, je n’abandonne mes résolutions.

3. Car les penchants de l’homme l’inclinent au mal dès l’enfance[4] ; et s’il n’est soutenu par ce remède divin, il s’y enfonce de plus en plus.

La sainte Communion retire du mal, et fortifie dans le bien.

Si donc je suis maintenant si souvent négligent et tiède quand je communie ou que je célèbre le saint Sacrifice, que serait-ce si je renonçais à cet aliment salutaire, et si je me privais de ce secours puissant ?

Ainsi, quoique je ne sois pas tous les jours assez bien disposé pour célébrer les divins mystères, j’aurai soin ce pendant d’en approcher aux temps convenables, et de participer à une grâce si grande.

Car c’est la principale consolation de l’âme fidèle, tandis qu’elle voyage loin de vous dans un corps mortel[5], de se souvenir souvent de son Dieu, et de recevoir son bien aimé dans un cœur embrasé d’amour.

4. O prodige de votre tendresse pour nous ! Vous, Seigneur mon Dieu, qui donnez l’être et la vie à tous les esprits, vous daignez venir à une pauvre âme misérable, et avec votre divinité et votre humanité tout entière, rassasier sa faim !

O heureuse, mille fois heureuse l’âme qui peut vous recevoir dignement, vous son Seigneur et son Dieu, et goûter avec plénitude la joie de votre présence !

Oh ! qu’il est grand le Seigneur qu’elle reçoit ! qu’il est aimable l’hôte qu’elle possède ! que le compagnon, l’ami qui se donne à elle, est doux et fidèle ! que l’époux qu’elle embrasse est beau ! qu’il est noble et digne d’être aimé par dessus tout ce qu’on peut aimer, et tout ce qu’il y a de désirable !

Que le ciel et la terre, dans leur parure magnifique, se taisent devant vous, ô mon bien-aimé ! car tout ce qu’on admire de beau en eux, ils le tiennent de vous, dont la sagesse n’a point de bornes[6], et jamais ils n’approcheront de votre beauté souveraine.

RÉFLEXION.

Autant on doit apporter de soin à s’éprouver soi-même, avant de manger le pain et de boire le calice du Seigneur[7], autant il faut prendre garde à ne pas se tenir éloigné de la Table sainte par un faux respect et une crainte excessive. Nous serons toujours, quoi que nous fassions, infiniment indignes d’une faveur si haute : nul n’est pur, nul n’est saint devant celui qui est la sainteté même. Mais quand le Sauveur nous dit : Venez, il connaît notre misère, et c’est pour la guérir qu’il nous presse de venir à lui. Allons-y donc, non comme le Pharisien hypocrite, en rendant grâces à Dieu dans notre cœur de n’être pas tel que les autres hommes[8] : Dieu repousse avec horreur cet orgueil d’une conscience qui se déguise à elle-même sa plaie secrète ; allons-y, mais comme l’humble Publicain, les yeux baissés vers la terre, frappant notre poitrine, et disant : Seigneur, ayez pitié de moi ; soyez propice à ce pauvre pécheur ! [9] Il est nécessaire sans doute de se préparer par la pénitence, le recueillement, la prière, à la communion du corps et du sang de Jésus-Christ ; mais après s’y être disposé sincèrement et de toute son âme, c’est faire injure au Rédempteur que de refuser ses dons, c’est se priver volontairement des grâces les plus précieuses, les plus abondantes, les plus saintes ; c’est renoncer à la vie : car, si l’on ne mange la chair du Fils de l’homme, et si l’on ne boit son sang, on n’aura point la vie en soi[10]. Nous devons aspirer continuellement à ce pain descendu du ciel[11] ; sans cesse, nous devons le demander, nous devons nous en nourrir sans cesse, pour qu’il détruise le principe de mort qui est en nous depuis le péché. « Seigneur, donnez-nous toujours ce pain[12], ce pain dont vous aviez dit qu’il donne la vie éternelle. C’est ce que disent les Juifs : et ils expriment par là le désir de toute la nature humaine, ou plutôt toute la nature intelligente : Elle veut vivre éternellement : elle veut ne manquer de rien ; en un mot, elle veut être heureuse. C’est encore ce qu’en pensait la Samaritaine, lorsque Jésus lui ayant dit : O femme ! celui qui boit de l’eau que je donne n’a jamais soif, elle répond aussitôt : Seigneur, donnez-moi de cette eau, afin que je n’aie jamais soif, et que je ne sois pas obligée à venir ici puiser de l’eau[13], dans un puits si profond, avec tant de peine. Encore un coup, la nature humaine veut être heureuse ; elle ne veut avoir aucun besoin ; elle ne veut avoir ni faim, ni soif : aucun désir à remplir : aucun travail : aucune fatigue : et cela, qu’est-ce autre chose, sinon être heureuse ? Voilà ce que veut la nature humaine : voilà son fond. Elle se trompe dans les moyens : elle a soif des plaisirs des sens : elle veut exceller : elle a soif des honneurs du monde. Pour parvenir aux uns et aux autres, elle a soif des richesses : sa soif est insatiable ; elle demande toujours, et ne dit jamais : C’est assez ; toujours plus, et toujours plus. Elle est curieuse : elle a soif de la vérité ; mais elle ne sait où la prendre, ni quelle vérité la peut satisfaire : elle en ramasse ce qu’elle peut par-ci par-là ; par de bons, par de mauvais moyens ; et comme toute âme curieuse est légère, elle se laisse tromper par tous ceux qui lui promettent cette vérité qu’elle cherche. Voulez-vous n’avoir jamais faim, jamais n’avoir soif : venez au pain qui ne périt point, et au Fils de l’homme qui vous l’administre : à sa chair, à son sang où est tout ensemble la vérité et la vie, parce que c’est la chair et le sang, non point du fils de Joseph, comme disaient les Juifs, mais du Fils de Dieu. O Seigneur ! donnezmoi toujours ce pain ! Qui n’en serait affamé ! qui ne voudrait « être assis à votre table ? qui la pourrait jamais quitter ?[14]))

  1. Ps. lxvii, 11.
  2. Ps. lxxxv, 3.
  3. Matth. xxv, 32.
  4. Gen. viii, 21.
  5. I. Cor. v, 6.
  6. Ps. cxlvi, 5.
  7. I Cor. xi, 28.
  8. Luc. xviii, 11.
  9. Luc. xviii, 4, 13.
  10. Joann. vi, 54.
  11. Joann. vi, 33.
  12. Joann. vi, 34.
  13. Joann. iv, 10, 15.
  14. Bossuet.