L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre premier/21

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 72-74).


CHAPITRE XXI.

DE LA COMPONCTION DU CŒUR.

1. Si vous voulez faire quelque progrès, conservez-vous dans la crainte de Dieu, et ne soyez point trop libre ; mais soumettez vos sens à une sévère discipline, et ne vous livrez pas aux joies insensées.

Disposez votre cœur à la componction, et vous trouverez la vraie piété.

La componction produit beaucoup de biens, qu’on perd bientôt en s’abandonnant aux vains mouvements de son cœur.

Chose étrange, qu’un homme en cette vie puisse se reposer pleinement dans la joie, lorsqu’il considère son exil, et à combien de périls est exposée son âme !

2. A cause de la légèreté de notre cœur et de l’oubli de nos défauts, nous ne sentons pas les maux de notre âme, et souvent nous rions vainement quand nous devrions bien plutôt pleurer.

Il n’y a de vraie liberté et de joie solide que dans la crainte de Dieu et la bonne conscience.

Heureux qui peut éloigner tout ce qui le distrait et l’arrête, pour se recueillir tout entier dans une sainte componction.

Heureux qui rejette tout ce qui peut souiller sa conscience ou l’appesantir.

Combattez généreusement : on triomphe d’une habitude par une autre habitude.

Si vous savez laisser là les hommes, ils vous laisseront bientôt faire ce que vous voudrez.

3. N’attirez pas à vous les affaires d’autrui ; et ne vous embarrassez point dans celles des grands.

Que votre œil soit ouvert sur vous d’abord ; et avant de reprendre vos amis, ayez soin de vous reprendre vous-même.

Si vous n’avez point la faveur des hommes, ne vous en attristez point ; mais que votre peine soit de ne pas vivre aussi bien et avec autant de vigilance que le devrait un serviteur de Dieu et un bon religieux.

Il est souvent plus utile et plus sûr de n’avoir pas beaucoup de consolation en cette vie, et surtout de consolations sensibles.

Cependant, si nous sommes privés des consolations divines, ou si nous ne les éprouvons que rarement, la faute en est à nous, parce que nous ne cherchons point la componction du cœur, et que nous ne rejetons pas entièrement les vaines consolations du dehors.

4. Reconnaissez que vous êtes indigne des consolations célestes, et que vous méritez plutôt de grandes tribulations.

Quand l’homme est pénétré d’une parfaite componction, le monde entier lui est alors amer et insupportable.

Le juste trouve toujours assez de sujets de s’affliger et de pleurer.

Car, en considérant, soit lui-même, soit les autres, il sait que nul ici-bas n’est sans tribulation ; et plus il se regarde attentivement, plus profonde est sa douleur.

Le sujet d’une juste affliction et d’une grande tristesse intérieure, ce sont nos péchés et nos vices, dans lesquels nous sommes tellement ensevelis, que rarement pouvons-nous contempler les choses du ciel.

5. Si vous pensiez plus souvent à votre mort qu’à la longueur de la vie, nul doute que vous n’auriez plus d’ardeur pour vous corriger.

Et si vous réfléchissiez sérieusement aux peines de l’Enfer et du Purgatoire, je crois que vous supporteriez volontiers le travail et la douleur, et que vous ne redouteriez aucune austérité.

Mais parce que ces vérités ne pénètrent point jusqu’au cœur, et que nous aimons encore ce qui nous flatte, nous demeurons froids et négligents.

6. Souvent c’est langueur de l’âme, si notre chair misérable se plaint si aisément.

Priez donc humblement le Seigneur qu’il vous donne l’esprit de componction, et dites avec le Prophète : Nourrissez-moi, Seigneur, du pain des larmes, abreuvez-moi du calice des pleurs[1].

RÉFLEXION.

La douleur est le fond de la vie humaine. Souffrances du corps, maladies de l’âme, inquiétudes, afflictions, péché, tel est l’accablant fardeau qu’il nous faut porter, depuis notre naissance jusqu’à la tombe ; et cependant, à force de travail, l’homme parvient à découvrir, au milieu de ses misères, je ne sais quelles joies insensées dont il s’enivre avidement. Fuyons ces folles joies du monde : arrêtons notre pensée sur le châtiment qui les doit suivre, sur nos fautes si multipliées ; et demandons à Dieu, avec la componction du cœur, ce repentir plein d’amour, ces heureuses larmes que Jésus a bénies par ces consolantes paroles : Beaucoup de péchés vous sont remis, parce que vous avez beaucoup aimé[2].

  1. Ps. lxxix, 6.
  2. Luc vii, 47.