L’Ile de France à la France

L’Ile de France à la France
Revue des Deux Mondes6e période, tome 55 (p. 435-444).




L’ÎLE DE FRANCE


À LA FRANCE






Jusqu’à la fin du xve siècle, époque des mémorables explorations du Portugais Mascarenhas (d’où le nom d’îles Mascareignes), Maurice et Bourbon étaient de délicieuses oasis inhabitées, dont les forêts vierges étaient remplies de toutes les espèces d’oiseaux, dont plusieurs aujourd’hui sont éteintes.

Les Français, qui, dès le commencement du xviie siècle, possédaient déjà de solides établissements sur la côte Est de Madagascar, prirent, à deux reprises, en 1643 et 1649, possession de celle des îles Mascarenhas, à laquelle de Flacourt imposa le nom de Bourbon, ne pouvant, dit-il, « trouver un nom qui put mieux cadrer à sa bonté et à sa fertilité. » En 1664, Colbert fonda la Compagnie des Indes orientales, qui choisit Madagascar (Fort-Dauphin) comme siège de ses opérations commerciales et exerça bientôt sa suzeraineté sur Bourbon, où elle concentra ses meilleurs soins. En 1715, l’âge d’or commença pour cette île, avec la culture du café et l’importation des merveilleux plants de moka. Les nègres défrichèrent ainsi, peu à peu, les magnifiques forêts de Bourbon, mais en donnant aux Bourbonnais, suivant l’expression d’Azéma, « leur sueur, en échange du bien-être qu’ils ne possédaient guère à l’état sauvage. »

Et Maurice ? Quelles furent ses origines ? Après la découverte de Mascarenhas (1512), Maurice (appelée alors Cerné, du nom du bateau qui servit à la découvrir) demeura aux mains des Portugais, mais de nom seulement ; car ils ne s’y établirent point. En 1598, les Hollandais y débarquèrent. s’étonnèrent de la trouver déserte, mais, surtout, furent saisis d’admiration à la vue d’une terre luxuriante de fougères arborescentes et de palmeraies gigantesques, où roucoulaient des millions de tourterelles. L’ile fut alors dénommée « Mauritius, » en l’honneur du stathouder de Hollande, Maurice de Nassau. Les Hollandais abandonnèrent Maurice en 1712 et, dès lors, son histoire se confond intimement avec celle de Bourbon.

L’abandon définitif de l’île par la Hollande étant connu des Bourbonnais, le gouverneur de Bourbon envoya G. Dufresne, capitaine du Chasseur, prendre possession de Maurice le 20 septembre 1715. L’île fut, dès lors, baptisée « Île de France. » Six ans après, Garnier de Fougeray, commandant du Triton, entra de nouveau, en grande pompe, dans le port qui fut bientôt appelé Port-Louis ; il ajoutait, cette fois officiellement, l’Île de France « aux domaines de Sa Majesté Louis XV. »

À la fin de 1722, de Nyon, nommé gouverneur, arriva, à son tour, avec un groupe d’ingénieurs, de soldats et de marins, organisa dans l’île un premier Conseil national et entreprit la culture du café et des graines potagères. Un règlement, en date de 1727, prescrivit au dit gouverneur de séjourner, alternativement, chaque année, six mois à l’île Bourbon et six mois à l’Île de France. En 1735, Mahé de La Bourdonnais, déjà célèbre par ses conquêtes aux Indes, fut nommé gouverneur des deux colonies, qui avaient périclité et se trouvaient en assez médiocre posture. Il y importa le manioc et la canne à sucre, forma une escadre de neuf vaisseaux, qu’il approvisionna à Madagascar et entreprit, bientôt, la prise de Madras. Capturé par les Anglais, La Bourdonnais fut reconnu, par le prince de Galles lui-même, « comme ayant fait la guerre en ennemi humain et généreux ; il fallait, ajoutait-il, estimer grandement un homme qui servait si bien son Roi. »

Nous ne rappellerons pas ici les persécutions que ce grand homme eut à subir ensuite de la part de son illustre rival Dupleix ; son emprisonnement, qui dura plusieurs années, et sa mort, qui survint à la peine (1751). Nous dirons seulement que La Bourdonnais fut, incontestablement, le père de notre colonie, le véritable fondateur de sa prospérité : pendant les onze années de son gouvernement, il fit de Maurice l’un des pays les plus riches du monde. Il avait fixé sa résidence à Port, Louis, L’abbé Raynal disait, alors, que Bourbon « n’était qu’une onéreuse dépendance de l’Île de France. » La vérité, c’est que Bourbon suivait l’impulsion donnée par une puissante main. Mais déjà il ressortait des conditions naturelles de Bourbon (étendue de sa région nnontagneuse, restriction de l’espace dévolu à la culture, absence de port), que cette île se trouvait en flagrant état d’infériorité. C’est grâce à Maurice que la marine française prit peu après, dans l’Océan Indien, l’empire des mers, d’où dépendait la splendide prospérité des deux jumelles, qui révélèrent, alors, au monde le génie colonisateur de la France. Puisse cette étoile double, suivant la charmante expression de Bérard, briller de nouveau, bientôt, dans le beau ciel de nos tropiques !

L’histoire de notre ile, par deux fois dénommée Île de France (et qui mérite encore si pleinement ce beau nom), se trouve toujours intimement associée à celles de Madagascar et de la Réunion. C’était, alternativement, dans les trois îles, que venaient se ravitailler les hardis marins qui eurent noms Duperré, Bouvet, Magon, Hamelin, Roussin, Surcouf et Mallerousse accomplissant leurs glorieuses croisières à travers l’Océan Indien.

Mentionnons ici quelques dates importantes. En 1767, la Compagnie des Indes fut obligée de liquider les affaires qu’elle avait à Bourbon et à l’Île de France et de rétrocéder ces îles au Roi et la Compagnie de Saint-Malo. C’est cette année même que le Lyonnais Poivre (qui mérita si bien son nom) fut nommé intendant général des îles et les enrichit de la culture des fines épices (girofle, muscade, vanille, cannelle) arrachées à l’avidité des Hollandais, en dépit de la sévérité des lois bataves, qui punissaient de mort ceux qui tentaient d’enlever les précieux aromites des îles Moluques et de Java. C’est en 1768 que Bernardin de Saint-Pierre débarqua à Port-Louis, avec des idées commerciales assez utopiques. S’il ne réussit guère comme commerçant, en revanche, il revint en France avec son immortel chef-d’œuvre de Paul et Virginie, qui révéla à l’univers l’existence de nos îles et les beautés de « Pamplemousses. »

En 1772, sous la dénomination de « régiment de l’Île-de-France, » plusieurs bataillons de garde furent créés pour protéger nos colons agricoles. À cette époque, l’Ile de France, favorisée par la nature de deux superbes ports, était regardée par l’Angleterre comme la clef de l’Inde (nos armoiries le disent encore par leur devise) et comme un autre Gibraltar, mais un Gibraltar français…

En 1781, le bailli de Suffren, et en 1783, le comte de Bussy, avec des troupes composées en grande partie des volontaires des îles de France et de Bourbon, battirent les forces britanniques sur la côte de Coromandel et près de Gondelour, après avoir accompli des prodiges de courage. Ce fut surtout, d’ailleurs, dans cette fin du xviiie siècle, que la mer des Indes devint le the’àtre des plus glorieux exploits de la marine française. À cette époque, dit notre historien Hervé de Banville, l’Île de France fondait ses canons, manufacturait sa poudre, construisait ses navires et envoyait ses enfants au secours de Tippo-Sahib et des révoltés de l’Inde. Son activité maritime et militaire s’épanouissait dans les plus aventureuses expéditions. C’est alors que Duperré, Lhermite, Bouvet (natif de Bourbon), de Sercey, Hamelin, Tréhouart, l’amiral Magon (créole de l’Île de France), Surcouf el tous ses braves compagnons transformèrent le pavillon français en un épouvantail pour les Anglais. Leurs bateaux semaient la terreur sur leur flotte, paralysant partout le commerce, rançonnant les comptoirs de Bombay et du Bengale. Jusqu’en 1810, ce fut l’Île de France qui formait toujours le centre de ces opérations maritimes : les croisières de Bouvet sur l’Entreprenant, en 1807, tiennent particulièrement du prodige…

L’administration du général Decaen, choisi par Napoléon lui-même, comme l’un de ses lieutenants les plus éminents, mit fin aux convulsions de l’époque révolutionnaire, déjà bien calmée par l’habile gouvernement du comte de Malartic. Elle fut remarquable, au point de vue des intérêts de l’Île, devenue tranquille au dedans, tandis qu’au dehors elle se faisait redouter et harcelait la flotte britannique au cours de rudes combats renouvelés sans trêve. Toutefois, le 9 juillet 1810, Bourbon tomba aux mains des Anglais. Le 23 août suivant est la date mémorable du glorieux combat de l’Île de la Passe (ou du grand-port), soutenu victorieusement par l’Île de France bloquée et réduite à ses seules ressources de défense. Grâce au généreux dévouement des Mauriciens, groupés « en une seule confrérie, » sous l’égide de Decaen, l’escadre anglaise fut anéantie. Cet exploit est enregistré sous l’Arc-de-Triomphe de l’Étoile, consacrant, pour les générations à venir, l’une des pages les plus belles de la France maritime.

Le 29 novembre 1810, une flotte anglaise de 76 voiles débarquait 12 000 hommes à l’Île de France. Défendue seulement par 900 hommes de troupes régulières et 3 000 volontaires levés à la hâte, la capitale tint pendant trois jours : finalement, Decaen fit accepter une capitulation en dix articles rédigée par lui-même et signée le 3 décembre sans discussion. Ce fut, dit Napoléon, la plus belle des capitulations jamais obtenues (pas de prisonniers, honneurs militaires à la garnison, respect absolu aux propriétés, lois, religion, langue et coutumes des Mauriciens).

En résumé, « le drapeau seul changeait et tout restait en l’état. » Decaen avait voulu faire insérer dans la capitulation une clause d’après laquelle la colonie serait obligatoirement restituée à la France à la signature de la paix. Ce fut Bourbon, comme on sait, qui bénéficia seule de cette faveur. L’Île de France n’appartenait plus à la France, et le traité de Paris (1814) la faisait tomber, définitivement, aux mains de l’Angleterre.

Plus tard, malgré le laborieux dévouement du grand patriote Adrien d’Épinay, qui s’efforça pendant neuf ans (1830-1839) d’arracher à nos nouveaux maîtres quelques libertés pour son pays, et lutta jusqu’à la mort pro patria, la langue française fut enlevée aux tribunaux (1847), ce qui ne fit qu’accentuer la mésentente entre les Anglais et les Franco-Mauriciens. Interdite à la vie officielle, la langue française se réfugia religieusement dans la maison et dans la famille, où elle s’enferma, comme au sein d’un sanctuaire. Ce fut au point que le gouverneur Broome souhaita de voir interdire le mariage des fonctionnaires anglais avec des Mauriciennes, qui « francisaient » aussitôt leurs maris d’une manière « incompatible avec leur mission. »

Un rayon de soleil brilla, pourtant, à travers ces misères de la politique. Nous voulons parler du généreux gouvernement de Sir John Pope Hennessy. Cet Irlandais au cœur chaud, ancien membre de la Chambre des Communes, fut nommé, le 2 décembre 1882, gouverneur de l’Île. Énergique, ennemi de l’injustice sous toutes ses formes, il entreprit, aussitôt, amicalement, de restaurer les droits méconnus des Mauriciens, au moyen d’une réforme libérale. Suspendu, en 1886, de ses fonctions, comme hostile à l’oligarchie et protecteur avéré des aborigènes, Sir John fut réintégré dans son gouvernement, au bout de quelques mois d’énergiques protestations. Il revint dans notre île, où l’attendait triomphalement l’accueil unanime, ardemment enthousiaste et reconnaissant, de cette population, dont il avait, officiellement, apprécié l’indiscutable supériorité pour l’aptitude aux emplois exclusivement réservés, jusque-là, aux protégés du bureau colonial. « Maurice aux Mauriciens ! » tel fut le cri réformiste et le programme politique de l’époque. Sir John avait reconnu nettement, que les Mauriciens étaient aussi dignes de se gouverner eux-mêmes que les « british-born, » jusqu’alors seuls en droit d’être promus aux hautes fonctions. Après soixante-quinze années de luttes et de revendications, lord Derby accordait enfin à la Communauté Mauricienne une représentation élective restreinte. Sur les vingt-huit membres qui composent le Conseil législatif, on admit dix élus au suffrage restreint. Quelques années encore assez violentes succédèrent à cette crise réformiste. Mais le calme renaquit peu à peu et, depuis une trentaine d’années, les noms des Mauriciens de vieille souche sortirent constamment des urnes.


« Combien Maurice est complètement français, c’est là une chose dont vous ne vous faites pas idée en Angleterre, » écrivait Lady Barker dans ses Letters for Mauritius. » Le Roi Georges V, à la visite qu’il fit à l’île Maurice en 1901, alors qu’il était prince de Galles, dit : « Les familles mauriciennes sont douées des traits charmants de la vieille France. »

Le gouverneur d’alors, Sir Charles Bruce, ajoute que, chez le Mauricien d’origine « les traditions personnelles s’associent à des vertus de naissance, qui trouvent leur expression dans le proverbe : « noblesse oblige. » D’autres gouverneurs. Sir John Pope Hennessy, Sir Gerningham, et ces jours derniers le gouverneur actuel assuraient l’attachement du Mauricien français à sa patrie d’origine. « C’est une très vieille et très jolie France, » ajoutait Jules Lemaître, en préfaçant le livre magistral de Hervé de Rauville, L’Île de France contemporaine.

Depuis plus de cent ans que notre colonie a été annexée au grand Empire britannique, elle n’a pas cessé, un seul jour, « de témoigner de la puissance durable et de la séduction permanente du génie français. » La conduite des Mauriciens en général, au cours des quatre années de guerre mondiale, a été au-dessus de tout éloge.

À l’Ile de France, tout est resté français : langage, écriture, mœurs et coutumes, pensée intime. Notre cerveau étant demeuré celui de nos pères, tout « se francise, » pour ainsi dire, automatiquement à l’île Maurice. L’amour de la patrie d’origine, le profond sentiment de l’honneur français et les instincts de courtoisie et de désintéressement, propres à la race, n’ont jamais fléchi, en dépit du loyalisme toujours officiellement observé vis-à-vis du « conqueror ». La suprême aspiration du Mauricien, c’est la France, dont il se souvient d’avoir glorieusement soutenu la puissance, en son boulevard, sur la mer lointaine.

Les Mauriciens actuels sont, pour la plupart, les descendants d’anciens colons spécialement choisis en France dans l’élite de toutes les classes sociales, en vue de la colonisation des Mascareignes. À ce premier noyau sont venus s’ajouter, par la suite, des cadets de famille, notamment normands et bretons, et des officiers de terre et de mer restés dans l’île au moment de la Révolution.

Véritable réservoir de terre arable, grâce à l’humus de ses anciennes forêts et aux cendres de ses anciens volcans, l’île Maurice offre les plaines de culture les plus fertiles, tandis que ses ports naturels et sa configuration géologique elle-même concourent à sa valeur économique et commerciale. L’ile est, actuellement, pour les trois quarts, plantée de canne à sucre : la canne y a même tué toutes les autres cultures. Elle produit un sucre abondant (le neuvième de la production totale du globe) et de qualité hors ligne (les rapports des expositions en font foi). Tous les capitaux de Maurice, toute la main-d’œuvre indienne sont réunis pour le triomphe de l’industrie sucrière. C’est en grande partie à la race intelligente et travailleuse de l’Inde qu’est due la prospérité actuelle de nos cultures : on a été obligé, depuis plus de soixante ans, de faire appela l’ouvrier agricole des Indes, afin de suppléer au manque de bras des noirs émancipés. Actuellement, l’Indien forme les trois quarts de notre population totale : 300 000 sur 400 000 Remarquons ici, avec l’aul Carié, que Maurice est l’un des pays les plus peuplés du monde : 200 habitants par kilomètre carré.

Les créoles français des Mascareignes, Bourbon et Maurice, sont remarquables par leur résistance, leur vigueur, leur stature, leur belle santé, leur sobriété, leur renom de large et généreuse hospitalité. Toutes ces qualités évoquent l’idéal de l’ancien gentilhomme de France. Très douée pour les arts et la musique, la Mauricienne a la religion du devoir domestique et de l’amour maternel. Elle est femme d’intérieur au premier chef.

La métropole a été très généreuse pour Bourbon, qu’elle a dotée d’un port, creusé de ses propres deniers ; elle a étendu ses libertés politiques et son autonomie, et surtout a fait les plus grands sacrifces pour son instruction [)ubiique. Saint-Denis a été doté d’un lycée de touL preinier ordre, d’où sont sortis et sortent, sans cesse, des pléiades de Bourbonnais, appelés à occuper dans la métropole les plus hautes situations : à l’Institut, au Collège de France, au Parlement. On peut aussi dire que le Lycée de la Réunion est devenu la pépinière des administrateurs coloniaux et même des gouverneurs français. Vis-à-vis de Bourbon, Maurice demeure dans des conditions réelles d’infériorité au point de vue de l’instruction. D’autre part, le Mauricien n’a aucun avenir national possible. Heureusejjnent il a su conserver les vertus et maintenir l’énergie de ses ancêtres et finalement compenser, par ses qualités pratiques et son amour du travail, l’infériorité de sa situation politique.

Cette fâcheuse situation cessera du jour où les deux îles étroitement liées par leur situation géographique et leur histoire, seront de nouveau rassemblées sous le même drapeau. Elles se complètent, en effet, mutuellement ; elles se prêteront, dans la suite, un appui matériel et moral profitable aux progrès harmonieux de l’avenir.

Nous ne pouvons citer ici les nombreux Mauriciens qui, malgré les obstacles apportés à leur instruction normale dans l’île, sont parvenus à des notoriétés diverses. Il importe toutefois de signaler que les huit journaux publiés à Maurice sont tous rédigés en français par des écrivains de réelle valeur. Ces journalistes contribuent largement à maintenir dans l’île les bonnes traditions françaises. Le fait est que le Mauricien français ne s’est jamais abandonné et s’est constamment ressaisi à travers les circonstances politiques et administratives les plus critiques. C’est de l’île Maurice d’abord et de Bourbon ensuite, que partirent les premières propositions d’abolition de la traite des nègres, à une époque où la plupart des gouvernements ne craignaient pas de repousser ce principe élémentaire de justice humaine.


Nos brillants collègues Hervé de Rauville, Paul Carié, et Dabbadie, ainsi qu’Édouard Laurent, et Abel Lourneau avant et pendant la guerre, avaient posé, chacun dans la mesure de ses forces et de son influence, les prémisses de la rétrocession de Maurice à la France. Au moment de l’armistice, un banquet fut donné à l’hôtel-de-ville de Port-Louis, en l’honneur de la France, sous la présidence du docteur Maurice Curé. À l’issue de ce banquet, le docteur Edgard Laurent fit voter, à l’unanimité, les termes d’un câblogramme envoyé à Paris pour témoigner de l’admiration, de la reconnaissance et de l’affection des Mauriciens pour les hautes autorités, civiles et militaires, de la France.

Des manifestations empreintes du plus ardent patriotisme se produisirent alors en diverses circonstances, chez le consul de France en particulier, au point qu’il fut décidé par le gouvernement que le 14 juillet deviendrait la fête nationale à l’Île Maurice.

Le 5 mars de cette année, un grand meeting ouvert, autorisé par l’administration, nomma des délégués auprès de la Conférence de la Paix. Ce meeting pro-français fut présidé par notre grand Anatole de Boucherville. Tous les membres présents communièrent dans le même amour de l’ancienne mère-patrie.

Comme suite à la mission confiée aux délégués, une requête fut présentée, du même geste, sur le terrain de la Conférence de la Paix, au premier ministre de la Grande-Bretagne et au premier ministre de la République française, pour réclamer la rétrocession de l’île Maurice à la France, sa patrie d’origine. La requête exposait courtoisement que l’Île de France, comme la Réunion, se rattache à Madagascar par ses origines, son passé, ses intérêts matériels et moraux, corollaires de sa position géographique. Elle ajoutait que l’alliance anglo-française, indispensable à la paix de l’univers, ne saurait s’établir indestructiblement, si l’on n’aboutit pas à des sphères d’influence nettement définies et ne laissant prise, dans l’avenir, à aucune friction entre les deux peuples. Tout cela, bien entendu, exprimé avec le loyalisme le plus respectueux pour la Grande-Bretagne.

La France doit, il nous semble, avoir à cœur de récupérer le superbe épanouissement colonial qui fit autrefois son orgueil. Renoncer à Maurice, ce serait, de sa part, la répudiation de la gloire navale des temps anciens.

L’ « Athènes de la mer des Indes » (ainsi que Thiers surnommait Maurice) doit faire retour à sa mère d’origine. Serait-il admissible que la Société des Nations pût autoriser l’étonnant spectacle d’une colonie, française par les traditions, les mœurs et le langage, qui ne serait pas gouvernée par des Français ? La guerre mondiale a démontré à tous les esprits clairvoyants la nécessité de restaurer les groupements ethniques naturels. Résolue suivant l’équité, la question de Maurice, en effaçant toutes les traces d’ancien antagonisme et toutes les raisons futures de mésentente entre la France et l’Angleterre, consacrerait à jamais l’alliance et l’amitié des deux grands peuples qui viennent de s’unir contre la barbarie organisée. Ce serait, à la fois, le triomphe de la justice et la condition du progrès moral pour le genre humain, avec la fin d’une période de conquêtes et de violence, pour toujours abolies…

Docteur J.-A. Rivière.