Les Ailes d’or : poésies nouvelles, 1878-1880Bibliothèque-Charpentier (p. 149-150).
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L’IDYLLE

D’APRÈS HENNER

Sérénité des temps où j’aurais voulu vivre,
Calme des bois profonds dont le parfum m’enivre
Dans le souffle lointain des âges révolus !
Près des sources en pleurs vous ne revenez plus
Écouter la chanson tremblante des feuillées,
Vierges du rêve antique à nos voix éveillées,
Sœurs des dieux exilés que, courbés sous l’affront,
Le peintre et le poète à jamais pleureront !

Qui vous ramènera sous la fraîcheur des ombres
Que l’oblique soleil fait tomber des bois sombres,
Comme un dernier manteau qu’il dépouille en penchant
Son torse de lumière aux gouffres du couchant ?
L’azur qu’a déchiré le feu de sa charrue
Se recueille, sentant sa profondeur accrue
S’ouvrir, dans le secret d’innombrables sillons,
Aux floraisons de lis des constellations.
C’est l’heure ténébreuse et l’heure taciturne
Où du rivage d’or monte le vent nocturne,
Où l’homme d’à présent, sans dieux pour l’en guérir,
Souffre l’ennui de vivre et la peur de mourir.
— Pour chasser de nos fronts la terreur de la lutte,
Revenez, revenez, ô joueuses de flûte,
Ramenant sur vos pas, dans les bois redoutés,
La chaste vision de vos corps enchantés.
De vos cheveux profonds secouez la lumière
Qu’en un baiser de feu mit l’aurore première,
Et laissez lentement nos cœurs se consumer
Du mal d’avoir vécu trop tard pour vous aimer !