L’Idiot/III/Chapitre 1

Traduction par Victor Derély.
Plon (Tome 2p. 29-46).


TROISIÈME PARTIE


I

Les Épantchine ou, du moins, les plus réfléchis d’entre eux étaient désolés de ne point ressembler au reste de la société. Sans pleinement se rendre compte du fait, ils ne laissaient pas de soupçonner parfois que chez eux les choses n’allaient pas comme ailleurs. Tout le monde menait une existence paisible et uniforme, — la leur était continuellement cahotée ; tout le monde roulait sur les rails, — eux déraillaient à chaque instant. Dans toutes les maisons régnait la timidité voulue par les bienséances, — chez eux, on ne connaissait pas cela. Peut-être, à la vérité, Élisabeth Prokofievna était-elle la seule à se faire ces observations chagrines : les demoiselles, qui ne manquaient pas, d’ailleurs, de pénétration ni de causticité, étaient encore jeunes ; le général avait l’esprit assez perspicace, bien que peu délié, mais, dans les cas embarrassants, il se contentait de dire : hum ! et, au demeurant, se reposait de tout sur sa femme. Par conséquent, à elle aussi incombait la responsabilité. Et ce n’était pas que ces gens-là se distinguassent par quelque initiative particulière, ni que leurs déraillements eussent pour cause une tendance consciente à l’originalité, ce qui aurait été fort inconvenant. Oh ! non, il n’y avait ici rien de prémédité ; mais, au bout du compte, la famille Épantchine, bien que fort considérée, n’était pas ce que doit être une famille entourée de la considération publique. Depuis quelque temps, Élisabeth Prokofievna s’était mis dans la tête que tout le mal venait exclusivement d’elle et de son « malheureux caractère » ; cette conviction ajoutait encore à son chagrin ; sans cesse elle maudissait « sa stupide, son inconvenante excentricité » ; toujours inquiète, toujours sur le qui-vive, elle perdait constamment la carte et se trouvait fort embarrassée dans les rencontres les plus ordinaires de la vie.

Nous avons dit, au commencement de notre récit, que les Épantchine jouissaient de l’estime générale. Ivan Fédorovitch lui-même, malgré son obscure origine, était reçu partout avec respect. Il méritait cela d’abord à cause de sa fortune et de sa position assez élevée, ensuite parce qu’il était un homme tout à fait comme il faut, quoique borné. Une certaine pesanteur d’esprit semble, du reste, une qualité presque indispensable sinon à tout personnage public, du moins à tout financier sérieux. En outre, le général avait des manières convenables, il était modeste, savait se taire, et en même temps ne se laissait pas marcher sur le pied. Enfin, chose plus importante encore, il avait une haute protection. Quant à Élisabeth Prokofievna, comme le lecteur le sait déjà, elle sortait d’une famille aristocratique. À la vérité, on regarde plus chez nous aux relations qu’à la naissance, mais elle avait aussi des relations : elle était aimée et estimée de gens dont l’exemple faisait loi dans la société. Il est à peine besoin de dire que ses chagrins de famille n’avaient aucun fondement, ou, du moins, que son imagination les grossissait d’une façon ridicule ; mais, si vous avez une verrue sur le nez ou sur le front, vous vous figurez que votre verrue attire l’attention générale, que tout le monde n’est occupé qu’à s’en moquer, et qu’on vous condamne à cause de cela, eussiez-vous néanmoins découvert l’Amérique. Assurément, Élisabeth Prokofievna passait dans la société pour une « originale », mais elle n’en était pas moins estimée parce qu’on la jugeait ainsi ; or la pauvre femme avait fini par croire qu’on n’avait pas d’estime pour elle, — c’était là le malheur. En considérant ses filles, elle se disait avec douleur qu’elle nuisait à leur avenir, qu’elle avait un caractère ridicule, inconvenant, insupportable : naturellement, la faute en était à son entourage ; aussi, du matin au soir, querellait-elle son mari et ses filles qu’elle aimait pourtant jusqu’à l’oubli d’elle-même, presque jusqu’à la passion.

Ce qui la désolait surtout, c’était l’idée que ses filles devenaient « originales » tout comme elle, et qu’il n’y avait pas, qu’il ne devait pas y avoir de pareilles demoiselles au monde. « Ce sont des nihilistes qui poussent, voilà tout ! » se répétait-elle à chaque instant. Depuis un an, cette pensée tourmentait de plus en plus Élisabeth Prokofievna. « D’abord, pourquoi ne se marient-elles pas ? » se demandait-elle sans cesse. Pour faire de la peine à leur mère, — elles n’ont que ce but dans la vie, il ne peut en être autrement, car tout cela ce sont les idées nouvelles, tout cela c’est la maudite question des femmes ! Est-ce qu’Aglaé, il y a six mois, n’a pas imaginé de couper sa magnifique chevelure ? (Seigneur, moi-même, dans mon temps, je n’avais pas d’aussi beaux cheveux !) Elle avait déjà les ciseaux en main, j’ai dû me mettre à ses genoux pour la faire renoncer à cette fantaisie !… Elle, soit, j’admets qu’elle ait agi par méchanceté, pour chagriner sa mère, parce que c’est une fille méchante, capricieuse, une enfant gâtée, mais surtout méchante, méchante, méchante ! Mais est-ce que cette grosse Alexandra ne voulait pas aussi se raser la tête, et celle-là, non par caprice ni par méchanceté, mais par conviction, comme une sotte, parce qu’Aglaé lui avait fait croire qu’elle dormirait mieux sans cheveux, et qu’elle n’aurait plus de migraines ? Et combien de partis, combien, combien se sont présentés pour elles depuis cinq ans ! Dans le nombre il y en avait certainement de beaux, de très-beaux même ! Qu’attendent-elles donc ? Pourquoi ne se marient-elles pas ? Uniquement pour vexer leur mère, elles n’ont pas d’autre raison, absolument aucune autre ! »

Élisabeth Prokofievna éprouva quelque soulagement quand elle put se dire que du moins une de ses filles, Adélaïde, allait enfin être établie. « Ce sera toujours un débarras pour moi », déclarait-elle lorsqu’il lui arrivait de manifester tout haut ses sentiments (dans le for intérieur elle se servait d’expressions beaucoup plus tendres). Et comme toute l’affaire s’était arrangée heureusement, convenablement ! dans le monde même on n’en parlait que sur un ton hautement approbateur. Le fiancé était un homme comme il faut, un homme connu, un prince ; il avait de la fortune, et, en outre, il plaisait à sa future : qu’aurait-on pu désirer de mieux ? Mais Élisabeth Prokofievna avait toujours été moins inquiète de sa seconde fille que des deux autres, quoique les goûts artistiques d’Adélaïde ne fussent pas sans lui causer parfois un peu d’appréhension. « En revanche, elle a un caractère gai et beaucoup de bon sens : avec cela une fille ne se perd pas », se disait en fin de compte la générale, et cette pensée la rassurait. C’était l’avenir d’Aglaé qui lui donnait le plus de souci. Au sujet de l’aînée, Alexandra, Élisabeth Prokofievna ne savait si elle devait ou non s’inquiéter. Quelquefois il lui semblait que « c’en était fait de cette fille » ; elle avait vingt-cinq ans, — donc elle était destinée à coiffer sainte Catherine. Et « avec une beauté pareille !… » La malheureuse mère passait les nuits à pleurer, pendant que la cause de ces larmes dormait du sommeil le plus tranquille. « Mais qu’est-ce qu’elle est ? Une nihiliste ou simplement une sotte ? » Élisabeth Prokofievna savait fort bien, du reste, que cette dernière qualification n’était pas à sa place ici : elle tenait en haute estime le jugement d’Alexandra Ivanovna et lui demandait volontiers conseil. Mais que sa fille fût une « poule mouillée », elle n’en doutait pas du tout : « elle est si tranquille que rien ne peut l’émouvoir. Du reste, les « poules mouillées » elles-mêmes ne sont pas tranquilles, — fi ! Je n’y comprends rien ! » Alexandra Ivanovna inspirait à Élisabeth Prokofievna une sorte de compassion inexplicable que la générale n’éprouvait pas au même degré pour Aglaé, quoique celle-ci fût son idole. Mais les mouvements d’humeur (par où se manifestait surtout la sollicitude maternelle), les épithètes comme celle de « poule mouillée », etc., ne provoquaient que l’hilarité d’Alexandra. Parfois les choses les plus insignifiantes exaspéraient Élisabeth Prokofievna, la mettaient hors d’elle-même. Par exemple, Alexandra Ivanovna aimait à dormir fort longtemps et d’ordinaire elle faisait beaucoup de rêves, mais ils se distinguaient toujours par une niaiserie, une innocence peu communes, — un enfant de sept ans n’en aurait pas fait d’autres. Eh bien, l’innocence même de ces songes irritait la maman. Une fois, la jeune fille vit en rêve neuf poules, et, à ce propos, une querelle sérieuse eut lieu entre elle et sa mère ; pourquoi ? il serait difficile de le dire. Une autre fois, — la seule, il est vrai, — elle eut un songe un peu original : elle vit un moine dans une chambre obscure où elle avait peur de pénétrer. Adélaïde et Aglaé s’en furent avec de grands éclats de rire raconter triomphalement ce songe à Élisabeth Prokofievna. La maman se fâcha et traita ses trois filles de sottes. « Hum ! Elle est tranquille comme une imbécile, c’est une véritable « poule mouillée », rien ne peut l’émouvoir, et pourtant elle est triste, il y a des jours où elle fait vraiment peine à voir ! Pourquoi est-elle triste, pourquoi ? » Parfois la générale posait même cette question à son mari, et cela fébrilement selon son habitude, d’un ton de menace, comme quelqu’un qui exige une réponse immédiate. Ivan Fédorovitch fronçait les sourcils, haussait les épaules et, à la fin, exprimait son opinion en écartant les bras :

— Il lui faut un mari !

Élisabeth Prokofievna éclatait comme une bombe :

— Dieu veuille seulement qu’il n’ait pas vos sentiments et vos idées, Ivan Fédorovitch ; qu’il ne soit pas aussi grossier que vous, Ivan Fédorovitch…

Le général se sauvait aussitôt, et Élisabeth Prokofievna, après avoir éclaté, se calmait. Bien entendu, le soir même, elle se montrait extraordinairement prévenante, douce, affable, respectueuse à l’égard d’Ivan Fédorovitch, de « son grossier » Ivan Fédorovitch, de son bon, de son cher, de son adoré Ivan Fédorovitch, car elle n’avait jamais cessé d’aimer son Ivan Fédorovitch, elle était même amoureuse de lui ; il le savait très-bien, et de son côté il estimait infiniment son Élisabeth Prokofievna.

Mais le principal tourment de la mère, celui de toutes les heures, c’était Aglaé. « Elle est tout à fait comme moi, c’est mon portrait sous tous les rapports, se disait la générale, — un despotique, un vilain petit diable ! Une nihiliste, une originale, insensée, méchante, méchante, méchante ! Oh ! Seigneur, comme elle sera malheureuse ! »

Toutefois, comme nous l’avons dit, l’assurance qu’Adélaïde allait bientôt se marier fut un baume pour Élisabeth Prokofievna. Durant près d’un mois elle oublia ses inquiétudes. Le prochain mariage d’Adélaïde fut cause qu’on se mit aussi à parler d’Aglaé dans le monde, et la jeune fille se tenait si bien partout, elle avait des façons si aisées, une attitude si intelligente, un charme si vainqueur ; sa fierté même semblait être une grâce de plus ! Depuis un mois elle était si polie et si aimable avec sa mère ! (« À la vérité, il faut se donner le temps de bien connaître cet Eugène Pavlovitch, oh, oui, il faut l’étudier à fond ; d’ailleurs Aglaé ne paraît pas le voir beaucoup plus volontiers que les autres ! ») Mais quel heureux changement tout d’un coup dans son caractère ! Et comme elle est belle, mon Dieu, comme elle est belle ! Elle embellit tous les jours ! Et voilà…

Et voilà, ce vilain principicule, ce misérable petit idiot n’avait eu qu’à se montrer, et de nouveau tout était bouleversé, tout était sens dessus dessous dans la maison !

Et pourtant qu’est-ce qui était arrivé ?

Pour d’autres, rien ne serait arrivé assurément. Mais Élisabeth Prokofievna avait ceci de particulier que, dans les circonstances les plus simples de la vie, elle savait toujours découvrir quelque chose qui l’effrayait parfois au point de la rendre malade. Qu’on juge de ce qu’elle dut éprouver quand au milieu de toutes ses inquiétudes chimériques, elle vit soudain se produire un incident qui avait une gravité réelle et valait la peine qu’on s’en préoccupât sérieusement !

« Et comment a-t-on osé, comment a-t-on osé m’écrire cette maudite lettre anonyme où l’on me dit que cette créature est en relation avec Aglaé ? » pensait la générale tout le long de la route, tandis qu’elle entraînait le prince à sa suite. Lorsqu’elle fut arrivée chez elle et qu’elle eut fait asseoir Muichkine devant la table ronde autour de laquelle était réunie toute la famille, Élisabeth Prokofievna retomba dans ses réflexions : « Comment a-t-on même osé penser à cela ? Mais je mourrais de honte si j’en croyais un traître mot ou si je montrais cette lettre à Aglaé ! Comme on se moque de nous, des Épantchine ! Et Ivan Fédorovitch est la cause de tout, de tout ! À vous la responsabilité de tout cela, Ivan Fédorovitch ! Ah ! pourquoi ne nous sommes-nous pas plutôt transportés à Élaguine ? J’avais proposé d’y aller ! C’est peut-être Varka qui a écrit la lettre, je m’en doute, ou peut-être… tout cela, c’est la faute d’Ivan Fédorovitch ! Cette créature a imaginé cela pour se moquer de lui ; en souvenir d’une ancienne liaison, elle a voulu le tourner en ridicule, tout comme elle l’avait déjà bafoué quand il lui a offert des perles… Mais, au bout du compte, nous sommes mêlées à cette affaire, vos filles y sont mêlées, Ivan Fédorovitch, des demoiselles de la meilleure société, des jeunes personnes à marier ; elles se trouvaient là, elles sont restées là, elles ont tout entendu ; elles ont été mêlées de même à l’histoire avec les gamins, réjouissez-vous, elles étaient là aussi et elles ont tout entendu ! Je ne pardonne pas à ce petit prince, jamais je ne lui pardonnerai ! Et pourquoi depuis trois jours Aglaé a-t-elle les nerfs agités ? Pourquoi s’est-elle presque brouillée avec ses sœurs, même avec Alexandra à qui elle baisait toujours les mains comme à sa mère, tant elle la respectait ? Pourquoi depuis trois jours est-elle une énigme pour tout le monde ? Que vient faire ici Gabriel Ivolguine ? Pourquoi hier et aujourd’hui s’est-elle mise à vanter Gabriel Ivolguine et n’a-t-elle pas cessé de pleurer ? Pourquoi dans cette lettre anonyme est-il question de ce maudit « chevalier pauvre », alors qu’elle n’a pas même montré à ses sœurs le billet qu’elle avait reçu du prince ? Et pourquoi… pourquoi ai-je couru tout à l’heure chez lui comme une possédée et l’ai-je moi-même traîné ici ? Seigneur, je suis folle, que de sottises je viens de faire ! Parler à un jeune homme des secrets de ma fille, et encore… et encore de secrets qui, pour ainsi dire, le concernent lui-même ! Seigneur, c’est encore bien heureux qu’il soit idiot et… et… que ce soit un ami de la maison ! Seulement est-il possible qu’Aglaé ait une toquade pour un pareil crétin ? Seigneur, à quoi vais-je penser ! Fi ! Nous sommes des types… tous, à commencer par moi, on devrait nous mettre sous verre et nous montrer pour dix kopeks. Je ne vous pardonne pas cela, Ivan Fédorovitch, je ne vous le pardonnerai jamais ! Et pourquoi à présent ne le larde-t-elle pas ? Elle avait promis de le larder et elle n’en fait rien ! Oh ! comme elle le regarde attentivement ! Elle se tait, elle ne s’en va pas, elle reste, et elle-même lui avait défendu de venir… Il est tout pâle. Et ce maudit bavard d’Eugène Pavlitch qui parle tout le temps ! Il n’y en a que pour lui, il ne permet pas aux autres de placer un mot. Je saurais bien vite tout, si je pouvais seulement changer la conversation… »

Le prince, en effet, était assez pâle. Assis devant la table ronde, il semblait extrêmement effrayé, et néanmoins, par moments, une extase incompréhensible pour lui-même s’emparait de son âme. Oh ! comme il avait peur de regarder d’un certain côté, vers le coin d’où le contemplaient fixement deux yeux noirs bien connus ! Mais, en même temps, qu’il était heureux de se retrouver au milieu de cette famille et d’entendre la voix connue, — après ce qu’on lui avait écrit ! « Seigneur, que dira-t-elle maintenant ! » Quant à lui, il n’avait pas encore proféré une parole et il prêtait une oreille fort attentive aux propos d’Eugène Pavlovitch. Rarement ce dernier avait paru plus content et plus en train que ce soir-là. Le prince l’écoutait et pendant longtemps il ne comprit presque rien à ses paroles. À l’exception d’Ivan Fédorovitch qui n’était pas encore revenu de Pétersbourg, toute la famille Épantchine se trouvait là ; le prince Chtch… y était aussi. On s’était réuni sans doute pour aller entendre la musique avant le thé. Bientôt Kolia se montra sur la terrasse. « Ainsi on continue à le recevoir ici », pensa à part soi le prince.

L’habitation des Épantchine était une belle villa qui avait l’aspect d’un chalet suisse. De tous côtés on apercevait des fleurs et de la verdure. Un jardin, petit mais très-bien tenu, entourait la maison. Comme chez le prince, toute la société était assise sur la terrasse, seulement celle-ci était un peu plus grande et offrait un plus joli coup d’œil.

Au moment où arriva Muichkine, la conversation roulait sur un sujet qui semblait déplaire à plusieurs. On pouvait deviner qu’une discussion assez vive venait d’avoir lieu. Tout le monde aurait préféré parler d’autre chose, mais Eugène Pavlovitch allait toujours son train sans remarquer l’impression produite par son langage. On le vit s’animer encore plus lorsque le prince eut fait son apparition. Élisabeth Prokofievna fronçait le sourcil, quoiqu’elle ne comprît pas tout. Aglaé, assise un peu à l’écart, ne se retira pas ; la jeune fille écoutait et se renfermait dans un silence obstiné.

— Permettez, répliquait avec feu Radomsky, — je ne dis rien contre le libéralisme. Le libéralisme n’est pas un mal, il fait partie intégrante d’un tout qui, sans lui, se dissoudrait, il a le droit d’exister tout aussi bien que le conservatisme le plus moral. Mais j’attaque le libéralisme russe et je répète que, si je l’attaque, c’est parce que le libéral russe n’est pas un libéral russe. Montrez-moi un libéral russe, et je l’embrasserai tout de suite devant vous.

— Si toutefois il consent à vous embrasser, dit Alexandra Ivanovna qui était fort excitée, comme le prouvait la rougeur inaccoutumée de son visage.

« Voilà, pensait Élisabeth Prokofievna, — elle ne fait que manger et dormir, rien ne peut secouer son apathie, et tout d’un coup, une fois par an, cette flegmatique personne s’emballe, que c’est à n’y rien comprendre ! » Le prince crut s’apercevoir que le ton d’Eugène Pavlovitch était loin de plaire à Alexandra Ivanovna ; elle trouvait que le jeune homme traitait trop gaiement un sujet sérieux ; malgré la chaleur qu’il mettait dans ses paroles, il avait l’air de plaisanter.

— Je soutenais tout à l’heure, au moment où vous êtes entré, prince, poursuivit Eugène Pavlovitch, — que chez nous jusqu’à présent les libéraux se sont exclusivement recrutés dans deux classes absolument distinctes de la nation : les propriétaires de serfs et les séminaristes. Il en est de même de nos socialistes. Tous ceux qui, soit ici, soit à l’étranger, revendiquent ce nom, ne sont, eux aussi, que des libéraux appartenant à la gentilhommerie contemporaine du servage. Pourquoi riez-vous ? Je n’aurais qu’à prendre leurs ouvrages et, sans être un critique littéraire, je vous prouverais clair comme le jour que chaque page de leurs livres, de leurs brochures, de leurs mémoires a été écrite par un propriétaire russe de l’ancien temps. Leur colère, leur indignation, leur humour sent le propriétaire et le propriétaire le plus fossile ; leurs extases et leurs larmes peuvent être sincères, mais ce sont des extases et des larmes de hobereaux… ou de séminaristes… Vous voilà encore à rire ? Vous riez aussi, prince ? Vous non plus, vous n’êtes pas de mon avis ?

En effet, les paroles d’Eugène Pavlovitch avaient provoqué une hilarité générale, le prince lui-même souriait.

— Je ne puis pas encore dire si je suis ou non de votre avis, répondit Muichkine qui avait tout à coup cessé de sourire et dont la physionomie effarée ressemblait maintenant à celle d’un écolier pris en faute, — mais je vous assure que je vous écoute avec un plaisir extraordinaire…

Il prononça ces mots d’une voix étranglée, tandis qu’une sueur froide perlait sur son front. C’était la première fois qu’il ouvrait la bouche depuis son arrivée. Il voulut regarder autour de lui, mais il n’osa pas ; Eugène Pavlovitch s’en aperçut et sourit.

— Je vais, messieurs, vous citer un fait, reprit-il avec ce mélange de chaleur et d’enjouement qui faisait soupçonner de l’ironie sous ses paroles les plus convaincues en apparence, — un fait dont j’ai même l’honneur de m’attribuer exclusivement la découverte ; du moins personne, que je sache, n’en a encore rien dit. Dans ce fait se révèle tout le fond du libéralisme russe dont je parle. D’abord, qu’est-ce, d’une façon générale, que le libéralisme, sinon la guerre (juste ou injuste, c’est une autre question) faite à l’ordre de choses existant ? C’est cela, n’est-ce pas ? Eh bien, le fait découvert par moi, c’est que le libéralisme russe n’est pas une attaque à l’ordre de choses établi mais aux choses mêmes, qu’il fait la guerre non aux institutions existantes, mais au pays. Mon libéral en est venu à nier la Russie, c’est-à-dire à haïr et à battre sa mère. Tout événement malheureux pour la Russie le fait rire, s’il ne l’enivre pas de joie. Il déteste les usages nationaux, l’histoire russe, tout. Son excuse, s’il en a une, c’est qu’il ne comprend pas ce qu’il fait, et que sa haine de la Russie lui apparaît comme le libéralisme le plus fécond (oh ! vous rencontrez souvent chez nous des libéraux qui applaudissent les réactionnaires et qui sont peut-être, au fond, sans le savoir eux-mêmes, les conservateurs les plus absurdes, les plus obtus et les plus dangereux). Cette haine de la Russie, certains de nos libéraux, il n’y a pas encore longtemps, la prenaient presque pour le véritable amour de la patrie, et ils se vantaient de voir mieux que les autres en quoi doit consister ce sentiment. Mais maintenant ils y mettent plus de franchise, le mot même de « patriotisme » leur fait honte, ils ont rejeté cette idée comme nuisible et méprisable. C’est là un phénomène dont aucun temps, aucun pays n’a encore fourni d’exemples. Comment donc en expliquer la présence chez nous ? Par la raison que j’ai donnée tout à l’heure, à savoir que le libéral russe n’est pas un libéral russe ; selon moi il n’y a pas d’autre explication possible du fait.

— Je considère tout ce que tu as dit comme une plaisanterie, Eugène Pavlitch, répliqua d’un ton sérieux le prince Chtch…

— Je n’ai pas connu tous les libéraux et je ne me charge pas de les juger, ajouta Alexandra Ivanovna, — mais je vous ai écouté avec indignation : vous avez pris un cas particulier et vous l’avez érigé en règle générale : par conséquent votre accusation est calomnieuse.

— Un cas particulier ? A-ah ! le mot est dit, reprit Eugène Pavlovitch. — Prince, qu’en pensez-vous ? Est-ce, ou non, un cas particulier ?

— Je dois dire aussi que j’ai peu vu et peu fréquenté les libéraux, répondit le prince, — mais il me semble que vous avez peut-être raison en partie, et que ce libéralisme russe dont vous parliez est, dans une certaine mesure, enclin à haïr la Russie elle-même et pas seulement ses institutions. Bien entendu, cela n’est vrai que jusqu’à un certain point… il ne serait pas juste d’étendre ce jugement à tous…

Il était si intimidé qu’il ne put achever sa phrase. Malgré son trouble, il prenait un intérêt extrême à la conversation. Une des particularités caractéristiques du prince était l’attention extraordinairement naïve avec laquelle il écoutait ce qui l’intéressait, comme aussi le sérieux qu’il apportait dans ses réponses quand on le questionnait. Sa physionomie, sa contenance même reflétait la foi candide d’un auditeur qui ne soupçonne pas qu’on se moque de lui. Eugène Pavlovitch, qui jusqu’alors avait souri d’une façon particulière en regardant le prince, fut cette fois si étonné de sa réponse qu’il le considéra d’un air très-sérieux.

— Ainsi… comme vous dites cela pourtant… fit-il, — c’est sérieusement, prince, que vous m’avez répondu ?

— Mais est-ce que vous ne m’avez pas interrogé sérieusement ? répliqua Muichkine surpris.

Tout le monde se mit à rire.

— Défiez-vous de lui, dit Adélaïde, — Eugène Pavlitch a pour habitude de mystifier les gens. Si vous saviez ce qu’il raconte parfois avec le plus grand sérieux !

— À mon avis, c’est une conversation pénible, et il aurait mieux valu ne pas la commencer, observa d’un ton aigre Alexandra, — on voulait aller se promener…

— Eh bien, partons, cria Eugène Pavlovitch ; — mais pour vous prouver que cette fois j’ai parlé très-sérieusement et, surtout, pour le prouver au prince (vous m’avez extrêmement intéressé, prince, et je vous jure que je ne suis pas encore un homme aussi frivole que je dois certainement le paraître, — quoique je sois en effet un homme frivole !), et… si vous le permettez, messieurs, je ferai au prince une dernière question, par curiosité personnelle, ce sera la clôture. Comme par un fait exprès, cette question m’est venue à l’esprit il y a deux heures (vous voyez, prince, je songe aussi parfois à des choses sérieuses) ; je l’ai décidée, mais je serais curieux de connaître l’opinion du prince. Tout à l’heure on a parlé de « cas particulier ». Ces deux petits mots s’entendent très-souvent chez nous. Dernièrement la presse et le public se sont beaucoup occupés de cet épouvantable assassinat de six personnes par ce… jeune homme et de l’étrange discours du défenseur disant, entre autres choses, que, vu sa pauvreté, le coupable devait naturellement avoir l’idée d’assassiner ces six personnes. Ce n’est pas la phrase textuelle de l’avocat, mais c’en est le sens. À mon avis, en émettant une pensée aussi singulière, le défenseur était profondément convaincu qu’il disait la parole la plus humanitaire, la plus progressiste, la plus libérale qu’on puisse dire à notre époque. Eh bien, qu’en pensez-vous ? cette perversion des idées et des convictions, la possibilité d’une manière de voir aussi remarquablement fausse, est-ce un cas particulier ou général ?

Ce fut une nouvelle explosion d’hilarité.

— Particulier, naturellement, particulier, firent en riant Alexandra et Adélaïde.

— Permets-moi de te rappeler, Eugène Pavlitch, ajouta le prince Chtch…, — que ta plaisanterie est déjà bien usée.

— Quel est votre avis, prince ? poursuivit, sans l’écouter, Radomsky qui avait surpris, attaché sur lui, le regard sérieux du prince Léon Nikolaïévitch. — Que vous en semble ? est-ce un cas particulier, ou général ? C’est pour vous, je l’avoue, que j’ai imaginé cette question.

— Non, ce n’est pas un cas particulier, répondit le prince d’un ton bas mais ferme.

— Voyons, Léon Nikolaïévitch, cria avec une certaine colère le prince Chtch…, — est-ce que vous ne vous apercevez pas que sa question n’est qu’un piège et qu’il veut tout simplement vous faire aller ?

Muichkine rougit.

— Je pensais qu’Eugène Pavlitch parlait sérieusement, dit-il en baissant les yeux.

— Cher prince, continua le prince Chtch… — mais rappelez-vous la conversation que nous avons eue ensemble il y a trois mois ; nous parlions justement du grand nombre d’avocats distingués que compte notre jeune barreau depuis la réforme de l’organisation judiciaire, nous citions les sages verdicts rendus par notre jury. Combien vous-même étiez heureux d’un pareil état de choses et quel plaisir me causait votre joie !… Nous disions qu’il y avait là matière à une légitime fierté… Cette maladroite défense, cet argument étrange n’est sans doute qu’un accident, une exception qui fait tache parmi des milliers d’exemples contraires.

Le prince Léon Nikolaïévitch réfléchit un moment, mais ce fut de l’air le plus convaincu, bien qu’à voix basse et même avec une sorte de timidité, qu’il répondit :

— Je voulais seulement dire que la perversion des idées (pour employer l’expression d’Eugène Pavlitch) se rencontre fort souvent ; c’est malheureusement un cas beaucoup plus général que particulier. Si cette perversion était moins répandue, on ne verrait peut-être pas de crimes impossibles comme ces…

— Des crimes impossibles ? Mais je vous assure que des crimes tout pareils, et peut-être plus épouvantables encore, ont eu lieu aussi autrefois, qu’il y en a toujours eu, non-seulement chez nous mais partout, et que, selon moi, ils ne disparaîtront pas d’ici à très-longtemps. Seulement autrefois il y avait chez nous moins de publicité, maintenant l’opinion s’occupe de ces criminels, tout le monde commente par la parole ou par la plume leurs faits et gestes, c’est pourquoi ils semblent constituer un phénomène nouveau dans la société. Voilà où gît votre erreur, prince, et elle est extrêmement naïve, je vous l’assure, observa avec un sourire moqueur le prince Chtch…

— Je sais bien moi-même qu’il s’est commis autrefois beaucoup de crimes et d’aussi épouvantables ; dernièrement encore j’ai visité des prisons, et j’ai eu l’occasion de faire connaissance avec divers détenus, tant prévenus que condamnés. Il y a même des criminels plus effroyables que celui-là, des gens qui ont assassiné jusqu’à dix personnes et qui ne s’en repentent nullement. Mais voici ce que j’ai remarqué dans mes rapports avec ces scélérats : l’assassin le plus endurci, le plus inaccessible au remords, sait néanmoins qu’il est un criminel, c’est-à-dire qu’il croit, en conscience, avoir mal agi, lors même qu’il n’éprouve aucun repentir de ses actes. C’est ainsi qu’ils sont tous, tandis que ceux dont a parlé Eugène Pavlitch, ne veulent même pas se croire coupables ; en eux-mêmes ils estiment qu’ils étaient dans leur droit et… qu’ils ont bien fait ; du moins telle est à peu près leur conviction. Eh bien, cela fait, à mon avis, une différence terrible. Et notez que tous sont des jeunes gens, c’est-à-dire qu’ils sont dans l’âge où la perversion des idées s’opère le plus facilement.

Le prince Chtch… avait cessé de rire et il écoutait Muichkine avec étonnement. Alexandra Ivanovna qui depuis longtemps voulait faire une observation gardait le silence et semblait avoir un motif particulier pour se taire. Eugène Pavlovitch décidément surpris considérait le prince sans que cette fois son visage eût aucune expression moqueuse.

— Mais pourquoi le regardez-vous d’un air si ébahi, monsieur ? demanda brusquement Élisabeth Prokofievna, — vous le croyiez plus bête que vous, n’est-ce pas ? vous pensiez qu’il était incapable de raisonner ?

— Non, ce n’est pas là ce qui m’étonne, dit Eugène Pavlovitch, — seulement, prince, comment (excusez ma question), si vous voyez et remarquez si bien cela, comment donc se fait-il (encore une fois pardonnez-moi) que dans cette étrange affaire… celle qui a eu lieu ces jours derniers… l’affaire de Bourdovsky, si je ne me trompe… comment se fait-il que vous n’ayez pas remarqué cette même perversion des idées et des convictions morales ? C’est exactement la même ! Il m’a semblé alors que vous ne vous en aperceviez pas du tout ?

— Eh bien, voilà, batuchka, reprit en s’échauffant la générale, — nous autres nous avons tous remarqué cela et nous sommes ici à nous vanter devant lui de notre pénétration, mais aujourd’hui il a reçu une lettre de l’un d’eux, du principal, celui qui a le visage bourgeonné, tu te le rappelles, Alexandra ? Cet homme, dans sa lettre, lui demande pardon, — à sa manière, bien entendu ; il déclare qu’il a rompu avec le camarade qui l’excitait alors, — tu te souviens, Alexandra ? — et que maintenant il croit plutôt le prince. Eh bien, nous autres, nous n’avons pas encore reçu une pareille lettre, cela devrait nous apprendre à ne pas lever le nez si haut devant lui.

— Et Hippolyte est aussi venu demeurer à la campagne avec nous ! cria Kolia.

— Comment ? Il est déjà ici ? demanda le prince alarmé.

— Il est arrivé au moment où vous veniez de partir avec Élisabeth Prokofievna ; c’est moi qui l’ai amené.

— Eh bien, je parie, fit avec une colère subite Élisabeth Prokofievna oubliant soudain qu’elle avait pris un instant auparavant la défense du prince, — je parie qu’il est allé hier trouver ce méchant garçon dans son grenier, qu’il lui a demandé pardon à genoux et l’a supplié de se transporter ici. Tu as été le voir hier ? Voyons, toi-même tu l’avouais tantôt. Y as-tu été, oui ou non ? T’es-tu mis à ses genoux ?

— Pas du tout, cria Kolia, — c’est tout le contraire : hier Hippolyte a pris la main du prince et l’a baisée à deux reprises, j’en ai moi-même été témoin, à cela s’est bornée toute l’explication, sauf que le prince lui a dit simplement qu’il serait mieux à la campagne ; Hippolyte a aussitôt répondu qu’il s’y rendrait dès que son état le lui permettrait.

— Vous avez tort, Kolia… balbutia le prince en se levant et en prenant son chapeau, — pourquoi racontez-vous cela ? je…

— Où vas-tu ? demanda Élisabeth Prokofievna.

— Ne vous dérangez pas, prince, poursuivit avec feu Kolia, — n’allez pas l’agiter par votre présence, en ce moment il se repose de la fatigue du voyage ; il est très-content, et, vous savez, prince, à mon avis, vous feriez mieux de ne pas le voir maintenant ; attendez même jusqu’à demain, autrement il se troublera encore. Ce matin, il m’a dit que depuis six mois il ne s’était pas senti aussi bien portant, ni aussi fort ; il tousse même trois fois moins.

Le prince s’aperçut qu’Aglaé avait brusquement quitté sa place et s’était approchée de la table. Il n’osait pas lever les yeux sur elle, mais il sentait dans tout son être qu’en ce moment elle le regardait, et peut-être d’un air menaçant, qu’il y avait à coup sûr de l’indignation dans les yeux noirs de la jeune fille et de la rougeur sur son visage.

— Mais il me semble, Nicolas Ardalionovitch, que vous avez mal fait de l’amener à Pavlovsk, si c’est ce garçon phtisique qui l’autre jour pleurait et nous invitait à son enterrement, observa Eugène Pavlovitch ; — il a parlé alors avec tant d’éloquence du mur voisin de sa maison que certainement il en aura la nostalgie, vous pouvez en être sûr.

— C’est très-juste : il se brouillera avec toi, te fera une scène et s’en ira, — voilà ce qui t’attend !

Et oubliant que tout le monde s’était déjà levé pour aller à la promenade, Élisabeth Prokofievna attira à elle, par un mouvement plein de dignité, la corbeille où se trouvait son ouvrage.

— Je me rappelle qu’il a fait beaucoup de phrases sur ce mur, reprit Eugène Pavlovitch, — sans ce mur il ne pourra pas mourir éloquemment, et il tient fort à cela.

— Eh bien, quoi ? murmura le prince. — Si vous ne voulez pas lui pardonner, il mourra sans votre pardon… C’est pour les arbres qu’il s’est maintenant transporté ici.

— Oh ! en ce qui me concerne, je lui pardonne tout ; vous pouvez le lui dire.

— Ce n’est pas ainsi qu’il faut comprendre cela, répondit le prince à voix basse et comme avec répugnance, tandis qu’il tenait toujours ses yeux fixés à terre, — il faut que vous consentiez aussi à recevoir son pardon.

— Qu’est-ce que j’ai fait ? Quel tort me suis-je donné envers lui ?

— Si vous ne le comprenez pas, en ce cas… mais vous le comprenez ; il voulait alors… vous bénir tous et recevoir votre bénédiction, voilà tout…

Le prince Chtch… échangea un regard avec une des personnes présentes, puis, d’un ton qui exprimait une certaine inquiétude :

— Cher prince, se hâta-t-il de dire, — le paradis sur la terre ne s’obtient pas facilement, et vous paraissez vous faire quelque illusion à ce sujet ; le paradis est une chose difficile, prince, beaucoup plus difficile que ne le croit votre excellent cœur. Nous ferons mieux d’en rester là, autrement il y aura encore de la confusion pour tout le monde, et alors…

— Allons entendre la musique, décida d’un ton roide Élisabeth Prokofievna, et elle se leva avec colère.

Tous firent comme elle.